Tribunal administratif Numéro 33039 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juillet 2013 Ire chambre Audience publique du 25 juin 2014 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33039 du rôle et déposée le 10 juillet 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le …, de nationalité colombienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 15 avril 2013 portant refus d’une autorisation de séjour pour des raisons privées ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Simans, en remplacement de Maître Pascal Peuvrel, et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 10 juillet 2012, Monsieur …, de nationalité luxembourgeoise, déclarant demeurer à L-…, signa un engagement de prise en charge sur base de l’article 4 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée la « loi du 29 août 2008 », en faveur de Madame … pour une durée de séjour de douze mois en indiquant comme lien de parenté « On se connaît depuis 4 ans, partenariat ». Ledit engagement de prise en charge fût réceptionné par le ministère des Affaires Etrangères et de l’Immigration, direction de l’Immigration, en date du 11 juillet 2012.
Par courrier du 23 août 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », informa Madame … et Monsieur … de ce qui suit :
« J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu le 11 juillet 2012.
Je tiens à vous informer qu'une autorisation de séjour en vue conclure un partenariat enregistré n'existe pas aux termes de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Néanmoins, comme vous m'informez que vous vous connaissez depuis quatre ans, je tiens à vous informer qu'il vous est loisible de solliciter une autorisation de séjour pour des raisons privées si vous estimez que vous entretenez une relation intense, ancienne et stable au sens de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée.
Je vous signale que les conditions fixées à l'article 4 de la loi du 29 août 2008 précitée sont remplies et que l'engagement de prise en charge sera pris en compte et validé sous condition que la demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l'article 78, paragraphe (1), point c) de la même loi dans le chef de Madame … sera avisée favorablement par décision ministérielle.
La décision à l'octroi éventuel d'une autorisation de séjour sera prise sur base de l'examen des documents produits, sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la décision.
Je vous prie de noter qu'en application de l'article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d'une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
Madame … a néanmoins le droit de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois sur base d'un passeport en cours de validité, d'un visa en cours de validité et si elle remplit les autres conditions fixées à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au cas où elle séjournerait actuellement sur le territoire luxembourgeois et que son séjour dépasserait la validité du visa, son séjour serait considéré comme irrégulier en application de l'article 100, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée et elle serait invitée à quitter le territoire sans délai, soit à destination du pays dont elle a la nationalité, la Colombie, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage, soit à destination d'un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner, conformément à l'article 111, paragraphe (3) c), points 1. et 2. de la même loi.
À défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter pourrait être exécuté d'office et elle pourrait être éloignée par la contrainte. » Par une procuration signée en date du 1er janvier 2013, Madame … autorisa Monsieur … « à entamer en [ses] lieu et place les démarches dans le cadre de la procédure de demande en obtention d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation de travail auprès du Ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, Service des étrangers ».
En date du 10 novembre 2012, Monsieur … signa un nouvel engagement de prise en charge sur base de l’article 4 de la loi du 29 août 2008 en faveur de Madame … pour une durée de séjour envisagée de « plus de 3 mois », en indiquant comme lien de parenté « relation personnel, stable, ancien et intensif ».
Par courrier du 1er janvier 2013, parvenu au ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, le 16 janvier 2013, Monsieur … sollicita une autorisation de séjour en faveur de Madame … pour des raisons privées, au motif qu’ils se connaissent depuis quatre ans, qu’elle l’a visité à quatre reprises au Luxembourg en y séjournant pour une période totale de 10 mois. Il ressort encore du courrier en question que Monsieur … et Madame … ont passé « plusieurs mois ensemble en Colombie et visité les pays voisins ». Enfin, Monsieur … déclara que leur relation est « stable, ancien et intensif ».
Par courrier recommandé du 15 avril 2013, le ministre informa Madame …, à l’adresse de Monsieur …, de ce qui suit :
« J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier du 16 janvier 2013 concernant l'objet sous rubrique.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête. En effet, en application de l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, la demande en obtention d'une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
À titre subsidiaire, vous ne prouvez pas que vous entretenez des liens intenses, anciens et stables avec Monsieur … conformément à l'article 78, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée. Vous ne témoignez donc pas d'une vie familiale effective préexistante et il n'est pas porté atteinte à votre droit au respect de votre vie privée et familiale ou de celle de Monsieur … en vous refusant une autorisation de séjour pour raisons privées.
Conformément à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée vous avez le droit de séjourner au Luxembourg pour une période allant jusqu'à trois mois sur une période de six mois si vous êtes en possession d'un visa en cours de validité.
Par conséquent, étant donné que vous ne remplissez plus les conditions fixées à l'article 34 de la loi du 29 août 2008 précitée et que vous n'êtes pas en possession d'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, votre séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l'article 100, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu des développements qui précèdent et en application de l'article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée vous êtes obligée de quitter le territoire endéans un délai d'un mois après la notification de la présente, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, la Colombie, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.
À défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter pourrait être exécuté d'office et vous pourriez être éloignée par la contrainte. » Il ressort encore d’un procès-verbal de la police grand-ducale, circonscription régionale d’Esch-sur-Alzette, du 8 juillet 2013, que Madame … avait quitté le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en date du 14 mars 2013 et que Monsieur … indiquait qu’elle retournerait au Luxembourg le 20 juillet de la même année sur base d’un visa touristique. Il ressort du même procès-verbal qu’au cours de l’absence de Madame …, elle est restée déclarée à l’adresse de Monsieur … dans la commune de ….
Il ressort d’un certificat de changement de résidence du 1er août 2013 que Madame … a quitté la commune de … en date du même jour pour installer son domicile à partir du même jour à Bogota en Colombie.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juillet 2013, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 avril 2013.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l’encontre d’une décision rendue en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.
Il s’ensuit que le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est quant à lui recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En droit, la demanderesse fait d’abord critiquer la décision sous examen en soutenant que l’article 39 de la loi du 29 août 2008 invoqué par le ministre à la base de sa décision ne serait pas applicable à son cas d’espèce, en ce que la loi prévoirait la possibilité pour un membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne de séjourner sur le territoire luxembourgeois. A cet effet, elle fait invoquer l’article 12, paragraphe (2) en ses points 1 et 3 de la loi du 29 août 2008 pour soutenir qu’elle remplirait les cas d’ouverture prévus par lesdites dispositions légales. Elle fait soutenir dans ce contexte qu’elle aurait été et qu’elle serait toujours à charge de Monsieur …, ce qui ressortirait de « quittances Western Union », dont il se dégagerait que Monsieur … lui aurait fait parvenir « divers montants afin de la soutenir financièrement ». Elle expose encore entretenir une relation stable et durable avec Monsieur … depuis l’année 2009, en se référant à « de nombreuses attestations testimoniales » de nature à prouver l’existence de leur relation qui serait à considérer comme sérieuse.
L’article 12, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 dispose comme suit :
« (2) Le ministre peut autoriser tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalité, qui n’est pas couvert par la définition figurant au paragraphe (1) à séjourner sur le territoire, s’il satisfait à l’une des conditions suivantes :
1.
dans le pays de provenance, il a été à charge ou a fait partie du ménage du citoyen de l’Union bénéficiaire du droit de séjour à titre principal ;
(…) 3.
Le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a une relation durable, dûment attestée (…). ».
Le délégué du gouvernement soutient tout d’abord à bon droit qu’il ne saurait être reproché au ministre de ne pas avoir fait application du point 1 du paragraphe (2) de l’article 12 précité, en ce qu’il ne ressort pas des pièces et éléments du dossier que dans son pays de provenance, à savoir la Colombie, la demanderesse aurait été à charge de Monsieur … ou aurait fait partie de son ménage.
Il est vrai que la demanderesse entend établir remplir la condition légale ainsi fixée par les dispositions légales précitées en versant des quittances de « Western Union » datées des 19 juin, 10 juillet et 29 septembre 2009, 7 avril, 19 avril, 5 mai et 20 mai 2010, 26 juillet et 26 août 2011, 9 février, 2 juillet et 28 septembre 2012, 3 avril et 14 juin 2013 dont il ressort que Monsieur … lui a fait parvenir aux dates pré-indiquées des sommes allant de 120 à 500 euros.
Il échet de retenir tout d’abord qu’il ne se dégage pas des pièces ainsi versées par la demanderesse qu’elle-même ainsi que Monsieur … auraient formé un ménage commun en Colombie.
En outre, il échet de confirmer le délégué du gouvernement dans ses conclusions suivant lesquelles les versements dont il est ainsi fait état sont insuffisants pour établir que la demanderesse a été, dans son pays, à savoir la Colombie, à charge de Monsieur …. En effet, comme l’a relevé à bon droit le représentant étatique, ces versements sont irréguliers et insuffisants à cet égard. Il suit partant des développements qui précèdent que la demanderesse ne remplit pas les conditions posées par le point 1 dudit paragraphe (2) de l’article 12 de la loi du 29 août 2008.
En ce qui concerne le point 3 du même paragraphe (2), dans le champ d’application duquel la demanderesse déclare également tomber, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que la demanderesse n’a pas établi avoir une relation de partenariat avec Monsieur … suivant les conditions posées par ledit point 3 qui dispose dans son alinéa 2 « le caractère durable de la relation est examiné au regard de l’intensité, de l’ancienneté et de la stabilité des liens entre les partenaires (…) » en exigeant notamment qu’il doit être démontré que les partenaires « ont cohabité de manière légale et ininterrompue pendant au moins un an avant la demande ». Or, comme l’a relevé à bon droit le représentant étatique, les attestations testimoniales versées par la demanderesse ne sont pas de nature à établir le caractère ininterrompu de la cohabitation de la demanderesse avec Monsieur … pendant au moins un an. Il s’ensuit que la demanderesse ne tombe pas non plus dans le champ d’application du point 3 du paragraphe (2) de l’article 12 de la loi du 29 août 2008.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 12 de la loi du 29 août 2008 ne s’applique pas à la demanderesse et partant son moyen y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
En deuxième lieu, la demanderesse reproche encore au ministre d’avoir fait application de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 en renvoyant aux attestations versées par elle afin de prouver l’intensité, l’ancienneté et la stabilité de sa relation avec Monsieur ….
L’article 78, paragraphe (1) dispose qu’« à condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées : (…) c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus ;(…) ».
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient, comme il vient d’être relevé ci-
avant, que la relation de la demanderesse avec Monsieur … ne remplit pas les conditions posées par l’article 78, paragraphe (1) c) de la loi du 29 août 2008, en ce que l’intensité, l’ancienneté et la stabilité de leur relation ne sont pas telles que le refus d’un titre de séjour au profit de la demanderesse porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, et ce pour les mêmes motifs que ceux développés au sujet du moyen traité ci-
avant.
Il suit de ce qui précède que ce deuxième moyen est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en annulation doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Laurent Lucas, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique du 25 juin 2014 par le premier vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Carlo Schockweiler 7