Tribunal administratif N° 34315 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 avril 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 5 juin 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34315 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2014 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), et de Madame …, née … à … (Kosovo), tous de nationalité kosovare, agissant en leur nom propre nom et en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur …, né le … à …, demeurant tous ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 mai 2014.
Par un arrêt de la Cour administrative du 27 octobre 2009 (n° 25948C), Monsieur … et son épouse, Madame …, furent définitivement déboutés d’une première demande de protection internationale.
Le 16 juillet 2013, les époux …, accompagnés de leur fils mineur …, entretemps né au …, furent rapatriés dans leur pays d’origine, le Kosovo.
En date du 7 janvier 2014, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leur fils mineur …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un procès-verbal du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du même jour.
En date des 14, 16 et 27 janvier 2014, Monsieur … et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
A cette occasion, Monsieur …, déclarant être originaire du Kosovo, fit état de difficultés rencontrées deux semaines après son retour avec sa famille au Kosovo le 11 juillet 2013. En effet, il aurait été abordé par quatre personnes dans la rue, dont l’un aurait été armé, et qui lui auraient reproché d’être un « espion », puisqu’il aurait épousé une femme d’origine bosniaque et qui l’auraient menacé en pointant une arme contre sa tête et en le sommant de quitter le Kosovo. Il aurait ensuite été frappé sur la tête et aurait perdu connaissance de ce fait. Ecroulé par terre, ces quatre personnes auraient continué à le frapper. Il aurait été conduit par son frère à l’hôpital aux urgences, mais les médecins ne se seraient pas tout de suite occupé de lui. Les médecins lui auraient cependant indiqué d’appeler la police. L’infirmière à laquelle il aurait alors demandé de l’aide lui aurait donné une piqûre contre la douleur, lui aurait remis des cotons pour mettre dans le nez et lui aurait suggéré de mettre quelque chose de froid sur son œil. Deux heures après être retourné à la maison, il se serait rendu à la police avec son frère pour dénoncer cette agression. Cependant aucun policier ne se serait intéressé à son cas et il aurait dû rester dans la salle d’attente sans que ses difficultés aient été prises au sérieux. Un policier plus âgé lui aurait déclaré qu’il perdait son temps au commissariat puisque même si la personne l’ayant agressée était trouvée et mise en prison, elle aurait des connaissances à la police et pourrait sortir de prison très rapidement.
Une semaine après, son frère aurait trouvé une boite contenant une photo de son visage barré d’une croix et une douille. Ce fait n’aurait pas été déclaré à la police.
Le demandeur déclara qu’à partir de ce moment-là, il se serait enfermé à la maison. Par la suite, il aurait connu des problèmes interfamiliaux entre son épouse, d’une part, et sa mère et sa belle-sœur, d’autre part, ces dernières ayant accusé son épouse des problèmes rencontrées par eux en raison de son origine bosniaque. En raison de ces pressions, il aurait dû quitter la maison de ses parents dans laquelle il aurait habité.
Quelques jours après avoir quitté la maison de ses parents, le 11 octobre 2013, son épouse, accompagnée de leur fils, aurait été approchée par deux hommes d’origine albanaise, qui auraient pointé un couteau contre son ventre et qui auraient proféré des menaces à son encontre et plus particulièrement des menaces de mort contre elle et à l’encontre de sa famille.
Ils se seraient ensuite rendus à la police pour dénoncer ces faits et la police aurait rédigé un rapport. Monsieur … reprocha cependant à la police de ne pas avoir porté beaucoup d’attention à son cas.
Monsieur … précisa encore que la police aurait mentionné dans son rapport une personne s’appelant …. Comme cette personne aurait été nommée dans le cadre de cette enquête, la famille de celui-ci l’aurait appelé et aurait proféré des menaces à son encontre en réclamant une dette de sang.
Par la suite, il aurait réclamé de l’aide auprès du Président des droits de l’Homme ainsi qu’à la commune, mais personne ne se serait intéressé à son cas. Monsieur … déclara tantôt ne pas avoir signalé les menaces de la famille … à la police (page 8/11 du rapport d’audition du 16 et 27 janvier 2014), tantôt les avoir signalées, mais que celle-ci lui aurait répondu qu’il ne serait pas possible de lui envoyer un policier 24/24heures (page 4/11 du même rapport d’audition).
Monsieur … ajouta encore de manière plus générale que durant les cinq mois pendant lesquels il s’était trouvé au Kosovo, il y aurait eu cinq morts à …, dont une connaissance de sa part. De ce fait, il ne se sentirait plus sûr pour vivre au Kosovo.
Il fit encore allusion à un problème de corruption au sein de la police et estima que personne ne pourrait l’aider au Kosovo. S’agissant de sa démarche auprès du Président des droits de l’Homme, celui-ci aurait indiqué qu’il ne serait pas policier mais qu’il s’occuperait des cas de respect des droits de l’Homme et lui aurait suggéré de s’adresser à la police pour trouver de l’aide. S’agissant de son contact avec la mairie, le demandeur précisa que le maire lui aurait indiqué qu’il ne pourrait pas l’aider en le renvoyant à la police.
Le demandeur déclara encore ne pas connaître l’institution de l’Ombudsman.
Madame … pour sa part déclara appartenir à la minorité bosniaque du Kosovo et confirma en substance les faits relatés par son mari. Elle précisa qu’elle aurait été giflée et poussée par les personnes l’ayant menacé en octobre 2013.
Par une décision du 18 mars 2014, notifiée par lettre recommandée expédiée le 20 mars 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Ladite décision est motivée par la considération que les consorts … possèderaient la nationalité kosovare et qu’en vertu du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste des pays d’origine sûr au sens de la loi du 5 mai 2006, tel que modifié par le règlement grand-ducal du 19 juin 2013, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », la République du Kosovo devrait être considérée comme pays d’origine sûr et que ce constat ne serait pas contredit par l’examen de leur situation individuelle.
Le ministre releva encore que les raisons ayant amené les consorts … à quitter leur pays d’origine ne seraient pas motivées par les critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et par la loi du 5 mai 2006.
Ainsi, leur demande serait fondée sur des motifs d’ordre privé puisque les menaces et agressions dont ils ont fait état constitueraient des délits de droit commun.
Le ministre retint en outre, par référence à l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, qu’il ne ressortirait pas des éléments du dossier que l’Etat ou, autres organisations étatiques présentes sur le territoire du Kosovo ne peuvent ou ne veulent pas accorder aux consorts … une protection adéquate. Dans ce contexte, le ministre releva qu’il ne ressortirait pas clairement des entretiens si l’agression dont le demandeur déclara avoir fait l’objet avait été déclarée à la police, Monsieur … affirmant avoir déposé plainte, mais que la police n’aurait pas voulu s’occuper de lui, tandis que Madame … aurait déclaré qu’aucune plainte n’aurait été déposée.
Le ministre souligna encore que s’agissant des menaces reçues de la part de la famille …, celles-ci n’auraient pas été signalées à la police. Le ministre souligna que la police kosovare serait multiethnique et qu’elle se prévaudrait d’une bonne réputation, par référence à un rapport de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada de novembre 2011 et d’un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 7 janvier 2013.
S’agissant de la municipalité de … dont sont originaires les consorts …, le ministre releva que sur 162 officiers de police 45 appartiendraient aux minorités serbes, bosniaques, égyptiens et goranais du Kosovo, par référence à un rapport de l’OSCE sur le Kosovo de janvier 2013.
Le ministre releva encore qu’à supposer que les consorts … s’étaient senti lésés par le comportement des policiers auxquels ils s’étaient adressés, ils auraient pu le signaler auprès de l’Inspectorat de police.
Par rapport aux allégations de corruption envers la police kosovare, le ministre se référa à un rapport de la Commission européenne d’octobre 2013.
S’agissant des craintes du fait d’une vengeance déclarée de la famille …, le ministre souligna que Madame … n’aurait pas signalée ce nom à la police de sorte qu’il serait surprenant qu’une dette de sang ait été déclarée vu que les demandeurs auraient pu expliquer qu’ils n’étaient pas responsables de la convocation du fils … et que de plus il ne serait pas établi que le dénommé … ait été incarcéré.
De plus, à aucun moment, les consorts … n’auraient essayé de trouver une solution à ce problème de vengeance ou auraient recherché de l’aide. Le ministre ajouta par référence à un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada d’août 2009 que la pratique des vengeances ne serait pas très répandue au Kosovo et que, par ailleurs, des efforts auraient été entrepris afin de l’éradiquer.
Le ministre retint encore que les problèmes de vengeance soulevés par les demandeurs constitueraient des délits de droit commun sans lien avec l’un des critères de la Convention de Genève.
Quant à l’affirmation de Monsieur … que les médecins n’auraient pas voulu le soigner après qu’il ait été agressé, le ministre releva qu’il aurait quand même reçu une piqûre et d’autres soins par une infirmière et qu’il ne serait pas exclu que les blessures n’aient pas sollicitées l’intervention d’un médecin. En toute hypothèse, dans la mesure où Monsieur … est d’ethnie albanaise, majoritaire au Kosovo, il ne pourrait invoquer un risque de subir des persécutions sur base de son appartenance ethnique.
S’agissant du conflit familial invoqué par les consorts …, il s’agirait-là de motifs strictement familiaux ne pouvant fonder une demande de protection internationale puisqu’ils ne seraient pas liés aux critères prévus par la Convention de Genève. De plus, le fait d’avoir été jeté de la maison parentale puisque sa mère et sa belle-sœur n’auraient pas aimé son épouse, ne serait pas d’une gravité suffisante pour être assimilé à une persécution.
Enfin, le ministre releva la possibilité d’une fuite interne.
Quant à la protection subsidiaire, le ministre estima que les consorts … n’établiraient pas des motifs sérieux permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2014, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 18 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
A l’audience des plaidoiries du 28 mai 2014, sur question afférente posée par le tribunal sur l’incidence éventuelle d’un jugement du tribunal administratif du 19 mai 2014 dans une affaire portant le numéro du rôle 33385, ayant annulé le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 ayant modifié le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, le mandataire des demandeurs a réitéré sa demande, par rapport à cette même affaire, de sursoir à statuer telle que formulée dans la requête introductive en attendant l’issue d’un éventuel appel contre ce jugement.
Subsidiairement, il a demandé au tribunal d’annuler la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée au motif que le ministre s’est à tort fondé sur l’article 20 (l) c) de la loi du 5 mai 2006 pour statuer dans le cadre de la procédure accélérée au regard de la solution retenue par le tribunal d’arrondissement dans son jugement du 19 mai 2014 précité, et qu’au regard des faits et moyens exposés par eux, ce serait également à tort que le ministre s’est fondé sur l’article 20 (1) a) de la même loi pour statuer sur la demande d’une procédure accélérée.
Le délégué du gouvernement pour sa part a fait valoir que le jugement du 19 mai 2014 n’aurait pas encore acquis autorité de chose jugée, de sorte qu’il n’aurait pas d’incidence sur le présent litige. De même, il a réitéré son opposition, formulée dans son mémoire en réponse, à la demande de sursoir à statuer en attendant l’issue du litige ayant donné lieu au jugement précité.
La demande de sursoir à statuer formulée par les consorts … est à déclarer non fondée, étant donnée que la présente affaire est instruite suivant la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 et que le tribunal est tenu de statuer endéans le délai y prévu. Par ailleurs, l’issue définitive de la demande d’annulation du règlement grand-ducal du 19 juin 2007 est étrangère à l’instruction de la requête introductive d’instance sous analyse, de sorte que le tribunal ne décèle aucune raison valable de ne pas statuer endéans le délai lui imposé par le législateur.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 18 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre pareille décision. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que les faits décrits par eux permettraient de conclure que le Kosovo ne pourrait pas être qualifié de pays d’origine sûr à leur égard puisqu’ils auraient soumis au tribunal des raisons valables permettant de penser que leur pays d’origine n’est pas sûr en raison de leur situation personnelle.
Les demandeurs invoquent ensuite l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 et soutiennent que les explications fournies par eux sur l’état et le fonctionnement du système judiciaire kosovare démontreraient que d’une manière générale les exigences des points a) et c) de l’article 21 (4) précité n’y seraient pas remplies. Ils en concluent qu’il faudrait écarter par voie d’exception la disposition du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 qui concerne le Kosovo puisque dans leur situation particulière, il serait impossible de considérer que ce pays est à qualifier de pays d’origine sûr.
S’agissant de leurs reproches relatifs à l’état et le fonctionnement du système judiciaire kosovar, ils renvoient plus particulièrement à un rapport du 24 mai 2012 du United States Department of State, à un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 7 janvier 2013, et d’un rapport intitulé World Report 2013 de l’ONG Human Rights Watch.
Par rapport à ces reproches, la partie étatique affirme que le Kosovo disposerait d’un système judiciaire indépendant, que la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris des mécanismes de recours si ces droits de libertés sont violés, seraient garantis et que le pays disposerait d’organisations de la société civile. Ce constat serait conforté par le fait qu’en date du 13 avril 2013, la Commission européenne a estimé que le Kosovo aurait atteint ses objectifs concernant plusieurs priorités à court terme recensées dans l’étude de faisabilité de l’année dernière dans les domaines de l’Etat de droit, de l’administration publique, de la protection des minorités et du commerce. Par ailleurs, lors de sa visite à … le 1er juillet 2013, le président du Conseil européen aurait félicité le 1er ministre du Kosovo sur les progrès accomplis par le Kosovo vers l’Union européenne.
La décision ministérielle déférée est fondée sur les dispositions des points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquelles « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
[…] c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
[…] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) sous a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
S’agissant de l’application de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, il est certes vrai que certaines difficultés dont font état les demandeurs, à savoir l’affirmation du demandeur qu’il n’aurait pas été traité à l’hôpital à sa satisfaction ainsi que les menaces subies de la famille …, ne sont pas susceptibles de rentrer dans le cadre de la Convention de Genève. En effet, il ne se dégage pas des éléments du dossier que le demandeur n’ait pas reçu tous les soins nécessaires à l’hôpital en raison de son origine ethnique voire de celle de son épouse.
D’autre part, force est de constater que la famille … menace les demandeurs non pas en raison de leur appartenance à un groupe social déterminé, en l’occurrence une famille déterminée dont l’un des membres aurait provoqué une vendetta, mais elle les menace en raison du fait que la demanderesse elle-même serait à l’origine de la mention du fils … dans un rapport de police.
Néanmoins, contrairement à ce que le ministre a retenu, parmi les difficultés invoquées par les demandeurs, les faits majeurs sont susceptibles de tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.
En effet, le tribunal est amené à retenir qu’au regard des explications fournies par le demandeur sur les circonstances de l’agression d’Albanais inconnus dont il a fait l’objet, cette agression est à situer dans un contexte de conflit interethnique puisque si lui-même est certes d’origine albanaise, et appartient partant à la même ethnie que ses agresseurs, ceux-ci lui ont reproché d’avoir épousé une femme d’origine bosniaque et lui ont fait savoir qu’en tant que tel sa place ne serait pas au Kosovo.
Il en est de même des menaces dont a fait l’objet la demanderesse, à laquelle les auteurs ont clairement indiqué qu’en faisant partie de la minorité bosniaque, ils la considèrent comme « espion ».
La même conclusion s’impose s’agissant des difficultés rencontrées par les demandeurs avec la famille du demandeur. Il s’agit certes d’un conflit familial, mais ce conflit s’exprime dans un contexte interethnique, sa belle-mère et sa belle-sœur reprochant à la demanderesse d’être à l’origine des difficultés rencontrées par le demandeur en raison de son origine ethnique.
Il s’ensuit que c’est à tort que le ministre a retenu que ces faits sont sans lien avec un des critères de fond prévus à la Convention de Genève.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, le tribunal est amené à retenir que les menaces dont ont fait l’objet les demandeurs, à savoir des menaces de mort dirigées contre la demanderesse, appuyées par un couteau, ainsi qu’une agression à l’aide d’une arme impliquant une perte de conscience du demandeur, ne sauraient être qualifiés comme des faits sans pertinence aucune ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si les demandeurs répondent aux conditions pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire puisqu’il ne peut pas être retenu que par nature, ces faits ne sont pas susceptibles d’être qualifiés de traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
A cet égard, le tribunal relève que, dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi, il ne lui appartient pas de statuer en définitive sur le bien-fondé de la demande au regard de l’examen des conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, mais il lui appartient uniquement d’examiner, s’agissant plus particulièrement de l’article 20 a) de la loi du 5 mai 2006, si les faits soulevés sont soit sans pertinence aucune, soit pour le moins d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si les demandeurs remplissent les conditions requises.
Dès lors, au-delà de la question de savoir si les faits soulevés par les demandeurs sont susceptibles d’être qualifiés d’atteintes graves respectivement si leur vécu permet de justifier des motifs sérieux et avérés de croire que s’ils sont renvoyés au Kosovo, ils courront un risque réel de subir des atteintes graves, ces faits ne peuvent être qualifiés comme étant sans aucune pertinence respectivement d’une pertinence seulement insignifiante puisque l’on ne peut nier aux faits invoqués tout lien avec la notion de traitement inhumain et dégradant.
Il s’ensuit que c’est à tort que le ministre s’est fondé sur l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 pour statuer sur la demande dans le cadre de la procédure accélérée.
En ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivants : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est certes vrai que le Kosovo figure sur la liste des pays sûrs établie par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 pour y avoir été inclus à travers le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs dans la mesure où le Kosovo a été mis sur la liste des pays d’origine sûrs, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 », et que les demandeurs ont la nationalité kosovare et qu’ils ont habité le Kosovo avant de venir au Luxembourg.
Force est cependant de constater qu’à travers un jugement du 19 mai 2014, numéro 33385 du rôle, qui a été invoqué par les demandeurs à l’audience des plaidoiries du 28 mai 2014 et dont ils ont demandé au tribunal d’adopter la solution, le tribunal administratif a annulé l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 19 juin 2013.
Ledit jugement est motivé par la considération qu’au regard de l’exposé des motifs du projet dudit règlement grand-ducal tel que déposé par le gouvernement au Conseil d’Etat et au regard des explications fournies par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse ayant donné lieu au jugement précité, les motifs énoncés à la base du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 ne permettent pas de motiver à suffisance de droit que le Kosovo puisse être qualifié de pays respectant effectivement les droits et libertés consacrés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), par le Pacte international des droits civils et politiques, respectivement par la Convention des Nations Unions contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens du point a) de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006. Il a pareillement retenu qu’au regard du même exposé des motifs et des explications fournies par la partie étatique, comparés aux explications fournies par les demandeurs de ce recours, qui en substance se confondent avec ceux développées par les demandeurs à l’appui du présent recours, ces motifs à la base du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 ne permettent pas non plus d’établir que le Kosovo remplisse la troisième condition énoncée à l’article 21 (4) c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Le tribunal a encore tiré la même conclusion par rapport à la deuxième condition posée à l’article 21 (4) b) de la loi du 5 mai 2006, certes non invoquée en l’espèce.
En guise de conclusion, le tribunal a retenu que les motifs sous-tendant le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 lui déféré ne permettent pas de dégager des éléments suffisants pour conclure que le Kosovo soit à considérer comme pays respectant les trois critères énoncés à l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 justifiant la qualification de pays d’origine sûr, c'est-à-dire de pays dans lequel il n’existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève, pour en conclure que la qualification du Kosovo comme pays d’origine sûrs opéré par le règlement grand-ducal du 19 juin 2013 est intervenu en violation de sa base habilitante, à savoir l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006.
Certes, tel que cela a été relevé par le délégué du gouvernement à l’audience des plaidoiries du 28 mai 2014, le jugement du 19 mai 2014 n’est pas encore coulé en force de chose jugée, le délai d’appel n’ayant pas encore expiré et en vertu de l’article 45 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Néanmoins, le tribunal ne dispose pas, en l’état actuel d’instruction du dossier, de suffisamment d’éléments l’amenant à se départager de la solution retenue par le tribunal dans son jugement du 19 mai 2014.
Certes encore la partie étatique fait état d’une position de la Commission européenne du 13 avril 2013 et des félicitations du président du Conseil européen en juillet 2013 à l’adresse du premier ministre du Kosovo. Néanmoins, ces éléments à eux seuls ne sont pas suffisants pour mettre en échec la solution retenue par le tribunal dans le jugement précité.
Il s’ensuit que sur le fondement de l’article 95 de la Constitution, en vertu duquel « Les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois […] », l’application de l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 en ce que le Kosovo est désigné comme pays d’origine sûr est écartée, de sorte que le ministre n’a pas valablement pu s’appuyer sur le constat que le Kosovo figure sur la liste des pays d’origine sûrs au sens de l’article 21 c) de la loi du 5 mai 2006 pour statuer sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre de la procédure accélérée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les deux fondements invoqués par le ministre ne permettent pas de justifier sa décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que cette décision a été prise en violation de la loi et encourt partant l’annulation.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 18 mars 2014 portant refus d’une protection internationale Dans la mesure où l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Force est au tribunal de constater que dans la mesure où il a annulé la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et dans la mesure où la prédite décision ministérielle n’est pas exempte de conséquence en ce qui concerne les garanties pour les demandeurs, notamment en terme de double degré de juridiction, droit qui ne saurait être rétabli par le tribunal dans le cadre du recours en réformation sous analyse, il y a lieu d’annuler la décision ministérielle déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier devant le ministre afin qu’il procède à un réexamen de la demande de protection internationale.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision précitée encourt l’annulation.
3) Quant au recours en annulation contre le l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, la requête sollicitant un recours en annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 18 mars 2014 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Dans la mesure où le tribunal administratif vient d’annuler tant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée que la décision ayant refusé de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, il y a lieu d’annuler également l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
rejette la demande de sursoir à statuer ;
reçoit le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision ministérielle du 18 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;
reçoit le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 18 mars 2014 ayant refusé aux demandeurs l’octroi d’une protection internationale ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 18 mars 2014 portant refus d’une protection internationale et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 18 mars 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision ministérielle du 18 mars 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 5 juin 2014, à 16.00 heures, par le vice-président en présence du greffier Maria-Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 05 juin 2014 Le greffier du tribunal administratif 12