Tribunal administratif Numéro 31371 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 septembre 2012 2e chambre Audience publique du 5 juin 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31371 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2012 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Cidgem Kutlar, avocat à la Cour, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Albanie), et Madame ….., née le ….à …., agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs ….., né le …. à …. et ….., née le …. à …., tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à …., tendant, d’une part, à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 2 août 2012 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem Kutlar, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 septembre 2010, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….., agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs ….. et ….., ci-après désignés par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts ….. furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur ….. fut entendu les 13 et 18 juillet 2011 et Madame ….. fut entendue les 28 juillet et 3 août 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 9 février 2012, notifiée par lettre recommandée envoyée le 10 février 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts ….. de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2012, les consorts …..
ont fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision précitée du ministre du 9 février 2012, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.
Par jugement du 13 juillet 2012 (n°30007 du rôle), le tribunal administratif a annulé la décision du 9 février 2012, tant en ce qui concerne le refus de leur accorder un statut de protection internationale qu’en ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire subséquent, en raison de l’insuffisance de l’instruction menée en l’espèce par le ministre au regard de l’article 26 (3) b) de la loi du 5 mai 2006, le tribunal estimant que ni le ministre, ni le délégué du gouvernement n’avait pris en compte, lors de l’évaluation de la situation individuelle des demandeurs, les informations et documents fournis par ces derniers.
Par décision du 2 août 2012, notifiée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa les consorts ….. de ce que leur demande de protection internationale avait à nouveau été rejetée comme étant non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. La décision est libellée dans les termes suivants :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 27 septembre 2010.
Rappelons que par décision du 9 février 2012, le Ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration a rejeté cette demande comme étant non fondée. La décision fut annulée par le Tribunal administratif en date du 13 juillet 2012. Le Tribunal a estimé que le Ministre n'avait pas tenu compte de certains de vos documents versés, ni pris position sur certains rapports internationaux. Le ministre aurait aussi omis de tenir compte de certains de vos dires, notamment concernant la dette de sang.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de la Police Judiciaire du 28 septembre 2010 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 13 juillet, 18 juillet et 28 juillet 2011 et du 3 août 2011.
Il ressort du rapport du Service de la Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays d'origine le 25 septembre 2010 et vous seriez arrivés le 27 septembre 2010 au Luxembourg. Pour le voyage vous auriez utilisé des passeports albanais sous de fausses identités. Vous n'auriez pas eu de problèmes à passer les frontières. Le voyage vous aurait coûté 6.000.- euro[s]. Selon vos dires, le passeur aurait gardé les passeports.
Le dépôt de votre demande de protection internationale date du 27 septembre 2010. Vous ne présentez aucune pièce d'identité.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que l'oncle de votre épouse se trouverait au Luxembourg. Concernant vos passeports, vous les auriez reçus une dizaine de jours avant de partir cependant vous indiquez que vous auriez dû les remettre à une personne, non autrement identifiée. Cette dernière aurait changé les noms inscrits dans les passeports et donc vous auriez voyagé sous une fausse identité. On vous aurait expliqué que les noms devraient être changés puisque les visas qui se trouveraient dans vos passeports auraient contenu vos noms propres.
Selon vos dires, un de vos cousins aurait organisé le voyage vers le Luxembourg. Ce dernier aurait joué le rôle d'un médiateur entre vous et la personne qui vous aurait accompagnée au Luxembourg. Le passeur, non autrement identifié, aurait gardé les passeports et vous déclarez ne pas savoir pourquoi.
Les raisons qui sous-tendent votre départ de l'Albanie remonteraient au 20 février 2010, date à laquelle votre frère aurait été demandé par trois individus à leur donner de l'argent et les clefs de sa voiture. Il aurait refusé de céder et ils se seraient bagarrés. Votre frère aurait été frappé violemment. Selon vos dires, il aurait entendu le retentissement de coups de feu et une des trois personnes aurait été blessée. Vous ne pourriez pas donner plus de détail à ce sujet car votre frère ne vous aurait pas plus raconté. Cependant, il vous aurait prévenu de faire attention. Par conséquent, vous vous seriez caché le jour même (20 février 2010) dans la maison de votre belle-
sœur et vous n'auriez plus osé sortir de chez vous. De plus, votre fils n'aurait pas pu aller à l'école. Vous continuez vos dires en précisant qu'une organisation de réconciliation aurait tenté de trouver un accord entre les deux familles, cependant aucun accord n'aurait pu être trouvé.
Votre oncle et vos deux cousins auraient d'ailleurs été pardonnés avec l'aide de cette organisation. Vous dites que vous n'auriez pas été épargné car en vous tuant, ces personnes auraient pu faire très mal à votre frère, plus que s'ils allaient tuer votre frère.
Vous indiquez que votre épouse et votre fille auraient été menacées par des inconnus.
Vous déclarez que vous seriez de confession catholique et que la personne blessée par votre frère serait musulmane. Il ressort également de vos propos que la personne blessée, nommée ….., voudrait se venger envers vous d'après la « loi du Kanun », vengeance qui pourrait, selon vos dires, concerner jusqu'à trois générations. Vous déclarez que vous n'auriez pas porté plainte mais que votre beau-frère aurait parlé au responsable de la zone qui, à son tour, aurait parlé à la police pour porter plainte. Selon vos dires, celle-ci ne pourrait rien faire pour lui.
Vous dites que les menaces adressées à votre épouse auraient commencé une semaine après l'incident que votre frère aurait eu avec trois inconnus et n'auraient pas arrêté depuis lors.
Vous déclarez que vous ignoriez l'identité des personnes qui vous menaceraient. Le DVD et l'article du journal « Dugagini » que vous avez remis à l'agent montreraient la situation générale en Albanie dans le contexte de la « loi du Kanun » ainsi que votre cas personnel en tant qu'exemple. Vous affirmez que la « loi du Kanun » serait supérieure aux autres lois et, par conséquent, vous et votre famille auriez été dans l'obligation de quitter votre pays. Vous déclarez ne pas avoir été menacé personnellement mais que vous ne seriez pas sorti de chez vous parce que sinon vous seriez mort. Vous affirmez que vous n'auriez jamais demandé une protection auprès des autorités dans votre pays parce la police ne pourrait rien faire. Vous ajoutez à vos dires qu'il serait impossible de chercher refuge dans une autre région de votre pays parce que l'Albanie serait trop petite.
Pour finir, vous indiquez qu'en début septembre 2010, vous auriez décidé de quitter l'Albanie. A part les raisons citées ci-dessus, vous dites que vous souhaitiez également que votre fils soit scolarisé au Luxembourg.
Madame, vous confirmez les propos de votre concubin.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
En premier lieu, il convient de constater que vous restez très vague, sinon peu crédible, en ce qui concerne les explications fournies dans le contexte des changements de noms dans vos passeports.
En deuxième lieu, il convient de mettre en évidence l'origine de la soi disant Loi Kanun et son fonctionnement. Ainsi, la version la plus fréquente du droit coutumier est le Kanun de Lek Dukagjin. Les Gegs albanais vivant dans le nord des territoires de la rivière Shkumbin avaient vécu pendant de longs siècles dans des clans observant le code du Kanun - une constitution primitive qui réglemente non seulement leur vie en communauté, mais aussi leur vie privée. Les normes ont été adoptées de génération en génération par tradition orale et ont été décrétées par le Conseil des aînés. Il est considéré que le Code a été rationalisé grâce au despote Lek Dukagjin III (1410 - 1481). Ce code a été compilé au fil des siècles principalement par l'ajout de nouvelles normes. Il était étudié par le folkloriste Shtjefën Gjeçov et a été publié en 1933. Le texte a été thématisé en 12 sections :
1. L'Église, 2. La famille, 3. Mariage, 4. La Maison, les bovins et la propriété 5. Le travail, 6. Prêts 7. Engagement 8. L'honneur, 9. Les dommages 10. Le Kanun contre le mal 11. Le Kanun de jugement 12. Exemption et exceptions.
La gjakmarrja (dette de sang) se définit par un rituel précis, elle doit être précédée d'une annonce officielle. Ainsi, au cours des premières vingt-quatre heures, les membres du clan de la victime peuvent tuer tout homme appartenant au clan adverse. Durant l'année suivant le meurtre, seul un membre de la famille proche du meurtrier peut être assassiné. Or, vous ne relevez nulle part lors de votre entretien avoir reçu une annonce officielle de la part de la famille adverse, ce qui est surprenant. Ainsi, il est difficilement compréhensible pourquoi vous vous seriez déjà enfermé chez vous avant de savoir si vous vous trouviez effectivement dans une situation de vengeance selon la soi-disant Loi Kanun.
De plus, force est également de constater que vous restez très vague quant aux déclarations de votre frère. Vous indiquez que votre frère vous aurait seulement prévenu de faire attention et de prévenir vos cousins également de cet incident. A part cette déclaration peu significative, vous dites pour le surplus que votre frère aurait refusé de vous donner de plus amples détails. Enfin, vous dites que vous n'auriez plus été en contact avec votre frère et que vous évitiez à lui parler. Par conséquent, il y a lieu de souligner que votre récit est encore moins crédible parce qu'il est peu concevable que [vous] auriez quitté l'Albanie uniquement en raison des quelques informations peu significatives que votre frère vous aurait données.
Par ailleurs, en tenant en compte des documents que vous avez versés, il y a lieu de soulever un certain nombre d'incohérences et informations non-crédibles. Ainsi, le document issu par la « The Peace Reconciliation Missionaries of Albania » daté le 23 août 2008 est, à première instance, à écarter pour défaut de pertinence vu son manque de crédibilité. En effet, il existe une seule organisation non gouvernementale compétente à réconcilier des familles en Albanie, à savoir « Le Comité de réconciliation nationale (Committee of Nationwide Reconciliation — CNR) » : « The head of the CNR (Committee of Nationwide Reconciliation) states that his organisation is the sole authorised provider of attestation letters. Several sources indicate that it may be possible to purchase attestation letters about involvement in blood feuds in Albania. The Honorary Research Fellow at Roehampton University stated that endemic corruption persisted in Albania, making it impossible to rule out the possibility that such letters could be purchased. The Professor at Indiana University-Purdue University Fort Wayne similarly noted that "almost anything can be bought or sold" in Albania, particularly documentation. However, the Chairman of the CNR stated that it was impossible to buy an attestation letter from his organisation because each was signed by the Chairman and identified by a unique code and protocol number ». Cette dernière se consacre à la réconciliation ainsi qu'à la prévention des meurtres dans le cadre de vendettas. Il est évident de noter que votre attestation libellée en date du 23 août 2008 ne provient pas du CNR et n'affiche pas de numéro de protocole crédible. Ainsi, même en supposant ce document en question authentique et crédible, il y a obligation à noter que cette organisation n'est pas compétente à délivrer de telles attestations. Votre attestation délivrée par la « The Peace of Reconciliation Missionaries of Albania » est dès lors à écarter pour défaut de pertinence et crédibilité.
En ce qui concerne l'attestation délivrée par le Commissariat de la police Shkodër en date du 13 août 2010, il est, premièrement, très difficilement concevable qu'un commandant de police résigne face à un soi-disant problème privé de dette de sang par faute de moyens d'effectifs au sein de la police. Hormis le fait que la police incarne la souveraineté de l'Etat en termes de sécurité interne et ne pourra en aucun cas capituler face à des incidents criminels de la part de personnes privées, ainsi que déclarer que « (…) la loi du Kanun domine sur les lois du pays. », il y a lieu de souligner que « The police forces are composed of : the Albanian State Police, which is the national police force, tasked with the maintenance of public order and the fight against crime; the Municipal Police Forces, which serve under the authority of local government entities and the Republican Guard which is a constabulary force tasked with protecting government property and dignitaries and which has military status and powers of arrest. There are inspectorates within line ministries, the members of which have the attributes of Judicial Police officers (competent to identify and process violations of laws and reporting to the Public Prosecutor). ». Deuxièmement, il est aussi incompréhensible que la police émette une telle attestation tout en étant en connaissance qui se trouverait impliqué dans cette soi-disant dette de sang, plus précisément à qui serait le tour de se venger sur qui. Il ne pourra être invoqué que la police ne puisse rien faire vu que les parties prenantes à la dette de sang sont connues.
Quant aux menaces et agressions à votre encontre, Madame, ainsi qu'à votre fille, il ressort de la loi Kanun que les femmes et mineurs ne tombent pas dans la ligne de mire de la dette de sang. Hormis ce fait, il n'est pas établi que vous seriez ciblé selon la soi-disant Loi Kanun vu que ces personnes vous auraient posés des questions à propos de votre époux. Bien qu'il soit condamnable que ces personnes aient menacé votre fille et que vous auriez été jetée par terre, il n'est pas établi que vous ou votre fille seriez ciblées par la Loi Kanun et que la police ne veut ou ne peut pas vous offrir une protection à l'encontre de ces personnes.
Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler qu'en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre des inconnus qui vous menaceraient. Vous n'avez par ailleurs pas requis la protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque. En effet, Monsieur, une transmission orale, par le biais de plusieurs personnes, d'un refus de protection par les autorités locales ne peut être considérée comme une absence de volonté de protection. De même, Madame, vous dites ne pas avoir porté plainte après avoir été agressée et menacée dans la rue par deux personnes inconnues parce que « Je ne voulais pas que ça se sache. (…) Même si j'avais prévenu la police, ils ne pouvaient rien faire parce que les policiers ne réagissent jamais dans des cas pareils. ». Malgré le fait que la corruption existe encore au sein de la justice et police en Albanie, force est de constater que des efforts importants ont été réalisés en vue d'éradiquer ces pratiques : « L'International Narcotics Control Strategy Report souligne qu'en 2009 et au cours de la première moitié de 2010, l'appareil judiciaire et la police de l'Albanie ont intensifié leurs efforts pour combattre la corruption chez les agents chargés de l'application de la loi (É.-U. mars 2011, sect. 8.4). L'International Narcotics Control Strategy Report mentionne également qu'en mai 2010, une Direction des inspections a été créée au sein du Service de contrôle interne (Internal Control Service - ICS) du ministère de l'Intérieur de l'Albanie pour s'attaquer à la corruption au sein de la police (ibid.). La Commission européenne fait également mention de la création de PICS, soulignant qu'elle a connu un certain succès dans sa lutte contre la corruption au sein de la police, en particulier avec [traduction] « les cas de corruption mineurs » et contre les agents de la circulation qui acceptaient des pots-de-vin (UE 9 nov. 2010, 22). L'International Narcotics Control Strategy Report signale qu'en 2010, 61 plaintes au criminel concernant 111 policiers, y compris 28 superviseurs et un cadre intermédiaire, ont été transmises en vue de poursuites judiciaires (É.-U. mars 2011, sect. 8.4). De plus, le rapport précise que 25 policiers ont été arrêtés relativement à des accusations de [traduction] « corruption et d'abus de pouvoir » (ibid.). ».
Le « Groupe d'Etats contre la corruption », dont l'Albanie est membre, souligne déjà en 2009 lors de son rapport que la corruption est contrée par un large éventail de mesures légales dont chacun peut faire appel : « En Albanie, la corruption dans les secteurs public et privé, ainsi que le trafic d'influence, sont criminalisés sous leur forme tant active que passive. Suite à des amendements législatifs en 2004, les dispositions pertinentes du Code pénal albanais de 1995 (ci-après, CP) satisfont dans une large mesure aux exigences de la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173) (ci-après, la Convention) et de son Protocole additionnel (STE n° 191) en cours de révision. Il est clair que les dispositions pertinentes relatives à la corruption dans le secteur public couvrent les différents types de pratiques de corruption énumérés dans la Convention (fait de promettre, d'offrir ou de donner ainsi que fait de demander, recevoir ou accepter), la corruption directe et la corruption indirecte, ainsi que les tiers bénéficiaires. Il convient de noter que les amendements de 2004 (suivis ultérieurement par des amendements additionnels) visaient à adapter la législation nationale aux normes internationales, notamment les normes de la Convention, et qu'un système complètement nouveau d'infractions de corruption a ainsi été établi. Le système actuel comprend en tout dix dispositions sur la corruption (que complètent des dispositions relatives au trafic d'influence et à l'abus d'autorité), y compris des dispositions de base sur la corruption dans le secteur public ainsi que des dispositions spécifiques relatives à la corruption de hauts fonctionnaires de l'Etat et élus locaux, juges, procureurs et employés des organes judiciaires, à la corruption active de témoins, experts ou traducteurs, à la corruption dans le cadre d'un processus électoral et à la corruption dans le secteur privé. L'EEG (Equipe d'Evaluation du GRECO) reconnaît l'esprit de coopération des autorités et leur volonté de s'adapter aux nouveaux défis, que reflète la vaste réforme judiciaire décrite plus haut et que la visite sur place a permis de constater. (…) A propos de l'application pratique des dispositions du droit albanais sur la corruption et le trafic d'influence, les incriminations contenues dans le Code pénal semblent établir une base assez solide pour les poursuites et les décisions concernant les infractions de corruption (…). (…) Le cadre juridique albanais d'incrimination de la corruption est dans une large mesure conforme aux exigences de la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173). Avec la réforme du Code pénal en 2004, qui a introduit des dispositions révisées à fond sur la corruption dans le secteur public ainsi que des dispositions tout à fait nouvelles sur la corruption dans le secteur privé et sur le trafic d'influence, l'Albanie a fait montre d'une volonté sérieuse d'adopter les normes établies par la Convention. » De ce fait, il n'est pas démontré que la police ou la justice ne veut ou ne peut pas vous offrir une protection à l'encontre de la famille de la victime.
Pour finir, il convient également de relever que le parlement albanais s'est engagé en 2001 dans une refonte législative visant à renforcer l'Etat de droit et à instaurer un cadre légal de lutte contre la vendetta. Depuis 2002, la criminalisation de la gjakmarrja (prise ou reprise de sang) fut concrétisée sur le terrain par de nombreuses opérations de police, dont les résultats sont indéniables. A noter également que, selon nos recherches, les vendettas ne se font que rarement de nos jours. Le cas échéant, elle s'applique seulement en cas de meurtre, d'homicide involontaire ou bien en situation de légitime défense, ou encore s'il existe une complicité de meurtre. Concernant l'homicide involontaire, le Kanun ne prévoit pas de poursuite à l'encontre de son auteur. Selon vos dires, votre frère aurait été agressé par des inconnus, sans que quelqu'un aurait trouvé la mort. Il en résulte que ces inconnus, non autrement identifiés, ne pourraient appliquer une vendetta envers vous. En outre, vous-même, vous auriez pu chercher protection devant les menaces qui pesaient sur vous auprès de membres de votre famille, notamment votre belle-sœur : «C'était un endroit sûr parce que la maison se trouvait un peu éloigné de la ville. C'était un village catholique et les gens se connaissent entre eux. Quand je sortais chez moi pour aller voir mes proches j'étais sûre. ».
Il y a également lieu de constater qu'indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. A cela s'ajoute que tous les faits relatés constituent en effet des délits de droit commun, commis par des personnes privées du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation albanaise. Ainsi, les menaces dont vous dites être victime ne relèvent pas du champ d'application de la Convention de Genève, étant donné qu'il n'existe aucune crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. En effet, la situation actuelle en Albanie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2012, les consorts ….. ont fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision précitée du ministre du 2 août 2012, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour, incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant au recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce.
Le recours subsidiaire en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation.
Il est toutefois loisible à un demandeur de conclure, dans le cadre du recours subsidiaire en réformation, principalement à l’annulation de la décision déférée et subsidiairement à la réformation, tel que cela a été fait en l’espèce par les demandeurs.
A l’appui de leur recours, les demandeurs, déclarant être de nationalité albanaise et de confession catholique, exposent que le 20 février 2010 le frère du demandeur les aurait appelés, suite à son agression par trois individus. Lors de cette altercation, des coups de feu auraient retenti et le frère du demandeur aurait été convaincu qu’un de ses agresseurs aurait été tué. Les demandeurs, par crainte d’être exposés à la vengeance de la famille de la victime sur le fondement de la loi du « Kanun », auraient décidé de se cacher pour échapper aux représailles. Ils précisent que le frère du demandeur aurait refusé de leur donner plus d’informations concernant l’incident survenu le 20 février 2010, de sorte que le demandeur se serait fâché contre lui et aurait rompu tout contact avec lui depuis cet incident. Ils relatent que le frère de la demanderesse aurait contacté l’association de réconciliation afin que celle-ci intervienne auprès de la famille du prédit agresseur, mais sans succès, la famille de la victime, qui n’aurait été que blessée à la jambe, étant intransigeante, notamment en raison du fait qu’elle serait musulmane et que la famille du demandeur serait catholique. Depuis cet incident, des inconnus auraient commencé à lancer des pierres contre la maison de la mère de la demanderesse pendant plusieurs nuits. Un commissaire de police alerté en raison de ces incidents, aurait indiqué aux demandeurs qu’il serait dans l’impossibilité de les protéger contre de tels agissements au motif que les auteurs des faits seraient inconnus et que ce genre d’incidents seraient trop fréquents en Albanie. Ils déclarent également que la demanderesse et leur fille auraient été accostées et agressées dans la rue par des inconnus qui leur auraient demandé de révéler l’endroit où le demandeur se serait caché. Avant son audition du 28 juillet 2011, la demanderesse n’aurait jamais mentionné cet incident par peur de la réaction de ses frères et parce qu’elle aurait su que la police n’aurait pas pu l’aider. Ils donnent finalement à considérer que le demandeur et leur fils n’auraient plus supporté de vivre enfermés et que la demanderesse et leur fille risqueraient à nouveau d’être victimes d’agressions, de sorte qu’ils auraient décidé de quitter leur pays d’origine, l’Albanie étant trop petite pour leur permettre une fuite interne. Ils auraient été obligés de voyager sous de fausses identités du fait de n’avoir eu aucune chance d’obtenir un visa.
En droit, les demandeurs concluent en ordre principal à l’annulation de la décision litigieuse en reprochant au ministre, en violation de l’article 2 (4) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », de ne pas s’être conformé au jugement du tribunal administratif du 13 juillet 2012, inscrit sous le numéro 30007 du rôle, qui avait annulé la décision du 9 février 2012 au motif que l’instruction de la demande de protection internationale des consorts ….. par le ministre aurait été viciée. Ils concluent ensuite à l’annulation de la décision déférée du 2 août 2012 pour avoir retenu un défaut de crédibilité de leur récit et en soutenant que cette décision serait le fruit d’une instruction viciée. Ainsi, ils se prévalent de l’article 26 (3) de la loi du 5 mai 2006, d’un article de « The Guardian » du 5 juillet 2011, intitulé « Ancient blood feuds cast [a] long shadow over hopes for a modern Albania », d’un rapport du 15 octobre 2010 du UNHCR pour démontrer la pertinence des faits invoqués à la base de leur demande de protection internationale et pour contester la conclusions du ministre quant au défaut de crédibilité de leur récit. Ils citent encore des développements du Professeur Christian Gut relatives à la loi du « Kanun » et en concluent qu’uniquement des experts, comme ledit professeur, pourraient maîtriser ce sujet, de sorte que le ministre ne saurait leur reprocher leurs connaissances limitées en la matière. Ils donnent à considérer que leur ville d’origine Shkodër serait tristement célèbre pour le nombre de familles concernées par la loi du « Kanun », et, en se prévalant encore des publications du Professeur Gut, d’un exposé de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de mai 2008 sur la vendetta en Albanie, d’un rapport du 26 juillet 2010 du secrétaire général de Justice et paix en Albanie, ainsi que du rapport conjoint de la « National Assembly of Reconciliation Missionnaries » et du « Commitee of Nationwide Reconciliation » du 7 juillet 2012, les demandeurs font valoir que les règles de la loi du « Kanun » ne seraient plus respectées à l’heure actuelle pour en déduire que le ministre ne pourrait pas mettre en cause leur crédibilité en ce qui concerne plus particulièrement les agressions subies par la demanderesse et leur fille. Ils reprennent ensuite des passages de l’article précité du journal « The Guardian », d’un rapport de l’« US Department of State » du 8 avril 2011, d’un article du journal « Gazeta Sqiptare » du 17 octobre 2011, de plusieurs articles de journaux et d’un rapport du 15 octobre 2010 du « Immigration and Refugee Board of Canada », pour démontrer que, contrairement au constat du ministre, la vendetta serait toujours d’actualité en Albanie et qu’elle ne se limiterait pas à des cas de meurtre et d’homicide. Ils font valoir que si le ministre avait estimé que leurs déclarations seraient trop vagues, en ce qui concerne leurs passeports comportant de faux noms, ainsi que les déclarations du frère du demandeur il aurait dû leur poser des questions supplémentaires. Ils soulignent encore qu’ils ne pourraient pas donner plus de précisions quant à l’incident du 20 février 2010 dans la mesure où le frère du demandeur aurait disparu. Concernant les conclusions du ministre quant à l’organisation de réconciliation ayant agi en leur faveur, ils relèvent qu’il existerait une seule organisation de réconciliation au niveau national et plusieurs autres au niveau régional. Ils s’appuient finalement sur une attestation délivrée par le Commissariat de la police de Shköder le 13 août 2010, que le ministre aurait considéré à tort comme n’étant pas crédible. En guise de conclusion, ils soutiennent que l’instruction menée par le ministre serait gravement viciée, puisqu’elle aurait été prise en violation des articles 18 a) et 26 (3) a) et b) de la loi du 5 mai 2006 et que la décision litigieuse devrait être annulée, en vertu de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, les demandeurs citant encore un jugement du tribunal administratif du 10 juin 2010, inscrit sous le numéro 25047 du rôle, ayant annulé une décision de refus d’octroi de la protection internationale pour n’avoir retenu qu’un défaut de crédibilité du demandeur sans se prononcer sur le fond de la demande.
En ce qui concerne le moyen d’annulation fondé sur l’article 2 (4) de la loi du 7 novembre 1996, par rapport auquel la partie étatique n’a pas pris position, en vertu duquel : « (4) Lorsque le jugement ou l’arrêt annule la décision attaquée, l’affaire est renvoyée en cas d’annulation pour incompétence devant l’autorité compétente et, dans les autres cas, devant l’autorité dont la décision a été annulée, laquelle, en décidant du fond, doit se conformer audit jugement ou arrêt. », ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il y a tout d’abord lieu de relever que la décision du 9 février 2012 refusant l’octroi de la protection internationale aux demandeurs a été annulée par le jugement du tribunal administratif du 13 mars 2012, inscrit sous le numéro 30007 du rôle, pour violation de l’article 26 de la loi du 5 mai 2006, au motif que le ministre n’avait pas tenu compte, dans sa décision susmentionnée du 9 février 2012, des documents remis par les demandeurs pour étayer leur demande de protection internationale, et au motif que ni le ministre, ni le délégué du gouvernement, n’avaient au cours de la procédure contentieuse subséquente, pris plus particulièrement position par rapport à l’attestation du 23 août 2010 de l’Association de la Paix et de la Réconciliation de l’Albanie et par rapport à celle du 13 septembre 2010 de la Direction de la Police de Shköder. Force est cependant au tribunal de constater que la décision actuellement déférée du 2 août 2012 prend position par rapport aux prédites attestations en les écartant pour défaut de pertinence et de crédibilité, conclusion qui ne viole pas le prescrit de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996, étant donné que l’autorité ministérielle s’est conformée au jugement précité du 9 février 2012 en prenant position par rapport aux documents lui soumis par les demandeurs, le bien-fondé de son constat sera examiné par le tribunal dans le cadre du contrôle du bien-fondé du refus de la demande de protection internationale des consorts …… Quant moyen tiré d’une violation des articles 18 et 26 de la loi du 5 mai 2006, en vertu desquels, d’une part, le « ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que: a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement » et, d’autre part, le « ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants: a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués; b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution ou d’atteintes graves (…) », par rapport auquel la partie étatique n’a pris position, le tribunal est amené à retenir, eu égard aux pièces versées au dossier administratif et à la décision ministérielle déférée, que ledit moyen laisse d’être fondé. En effet, le ministre a procédé dans sa décision à une analyse détaillée de la situation individuelle des demandeurs, à la lumière de la situation actuelle en Albanie, en se référant au récit des demandeurs, et à de nombreux rapports d’organisations gouvernementales et internationales, dont notamment l’« European Country of Origin Information Network », l’UNHCR, la « UK Border Agency », l’« Immigration and Refugee Board of Canada », ainsi que du Groupe d’Etats contre la corruption au sein Conseil de l’Europe.
Le ministre a donc adopté la décision déférée en prenant en considération des informations précises et actualisées provenant de différentes sources et les faits pertinents concernant l’Albanie au moment de statuer, de sorte qu’aucune violation des articles 18 et 26 de la loi du 5 mai 2006 ne peut être constatée.
En ce qui concerne le moyen d’annulation des demandeurs en ce que le ministre aurait considéré à tort que les attestations du 23 août 2010 de l’Association de la Paix et de la Réconciliation de l’Albanie et du 13 septembre 2010 de la Direction de la Police de Shköder ne seraient pas crédibles, force est tout d’abord au tribunal de relever qu’au regard, d’une part, des explications circonstanciées des demandeurs, et des sources internationales citées à l’appui, quant à l’association de réconciliation ayant tenté d’agir en leur faveur, et, d’autre part, de l’absence, de la part de la partie étatique, d’une procédure d’inscription en faux fondée sur l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu de retenir que les pièces litigieuses ne sont pas à écarter dans le cadre de l’analyse de la demande de protection internationale sous examen. Le constat ministériel erroné quant à l’absence de pertinence des prédites pièces n’entraîne cependant pas ipso facto l’annulation de la décision déférée, étant donné que le tribunal, dans le cadre du recours en réformation, devra apprécier si les éléments fournis par les demandeurs, dont font partie les attestations susmentionnées, leur permettent de prétendre à la protection internationale.
En ce qui concerne la crédibilité du récit des demandeurs, il échet de rappeler que l'article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006 dispose comme suit : « Lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies:
a) le demandeur s'est réellement efforcé d'étayer sa demande;
b) tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l'absence d'autres éléments probants;
c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande;
d) le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu'il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l'avoir fait; et e) la crédibilité générale du demandeur a pu être établie.» Si à l’instar du ministre, le tribunal peut relever certaines incohérences dans les déclarations des demandeurs, force est cependant de constater qu’elles ne sont pas de nature à énerver la crédibilité de leur récit dans son intégralité, d’autant plus qu’elles portent essentiellement sur la partie du récit concernant, de manière abstraite, la procédure de déclaration d’un conflit fondé sur la loi du Kanun et les victimes potentiels d’un tel conflit, ainsi que sur leurs documents de voyage, et non point sur les raisons ayant amené les demandeurs à quitter leur pays d’origine et se trouvant à la base de leur demande de protection internationale. Le tribunal est partant amené à considérer les déclarations des demandeurs comme étant avérées. D’ailleurs, si le ministre a soulevé des incohérences et invraisemblances dans les déclarations des demandeurs, il n’a pourtant pas conclu à un rejet de leur demande de protection internationale au motif que leur récit ne serait pas crédible, mais il a en revanche procédé à une analyse du fond de la demande, de sorte que le moyen d’annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au fond, les demandeurs affirment qu’ils devraient, en tant que famille victime, respectivement susceptible d’être victime d’actes de vengeance fondés sur la loi du Kanun, être considérés comme un groupe social au sens de l’article 32 (1) d) de la loi du 5 mai 2006 et que la décision ministérielle devrait être réformée au motif que la réalité des actes de persécution, respectivement des atteintes subis, respectivement le risque de subir de tels actes, seraient établis, au regard notamment de l’attestation du 23 août 2010 de l’Association de la Paix et de la Réconciliation de l’Albanie. Ils font encore valoir qu’ils ne pourraient pas bénéficier d’une protection conformément aux articles 28 c) et 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de la part des autorités étatiques albanaises, les demandeurs s’appuyant, pour corroborer leur conclusion, sur un article du journal « Gazeta Shqip » du 19 mars 2011, sur une attestation du Comité de réconciliation national du 15 août 2012, sur le rapport de l’« Immigration and Refugee Boradof Canada du 15 octobre 2010 », sur un article du « U.S. Department State » du 8 avril 2011, sur un rapport de la Commission européenne du 12 octobre 2011, ainsi que sur un rapport commun de la « National Assembly of Reconciliation Missionaries » et du « Committee of Nationalwide Reconciliation » du 7 juillet 2012. Finalement, les demandeurs contestent toute possibilité de fuite interne, au sens de l’article 30 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006, dans leur chef.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait fait une appréciation saine de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection (…) » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il y a lieu de constater au vu du récit des demandeurs, tel qu’acté aux rapports d’audition, que les craintes qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine sont a priori motivées par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006. En effet, force est de constater que les personnes ayant menacé et agressé les demandeurs ont agi de la sorte en raison de la race, de la religion, de la nationalité, de l’opinion politique ou de l’appartenance à un groupe social des demandeurs, à savoir en raison d’un esprit de vengeance fondé sur la religion des demandeurs. Il ressort, en effet, des auditions des demandeurs que les agresseurs du frère de Monsieur ….. voudraient se venger sur eux et refuseraient toute réconciliation en raison de leur appartenance religieuse, les potentiels agresseurs étant musulmans et les demandeurs chrétiens1.
Cependant, concernant les prétendues menaces et l’agression dont les demandeurs font état, le tribunal est amené à relever qu’ils n’ont pas apporté des éléments qui permettent de retenir que ces événements tant pris isolément que par leur effet cumulé aient pu atteindre le niveau de persécution au sens des articles 2 d) et 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 leur rendant la vie intolérable en Albanie, ces faits pris en leur globalité ne constituant en particulier pas une violation grave des droits fondamentaux de l’homme. Force est ainsi au tribunal de constater qu’il ressort des auditions des demandeurs que les menaces proférées par la famille de la personne blessée par le frère de Monsieur ….. se sont résumées à des insultes, respectivement à des jets de pierre contre la maison ou encore au fait de frapper contre les portes et les fenêtres de la maison des demandeurs. Par ailleurs, aucune menace de mort n’a été proférée directement à l’égard des demandeurs, en effet seule une menace de mort aurait été prononcée contre le beau-
frère du demandeur2, la prétendue menace proférée à l’encontre du demandeur ne constituant qu’un ouï-dire (« D’après ce qu’on a entendu ils ont prononcé ces mots : « on va garder au chaud celui qui a essayé d’assassiner mais on va se venger sur le frère de celui-là (…) »)3. Les demandeurs ne font par ailleurs état que d’un seul incident d’intimidation concret qui se serait déroulé au mois d’août 2010 et au cours duquel la demanderesse aurait été arrêtée dans la rue par deux hommes qui lui auraient demandé l’endroit où son mari aurait été caché et qui l’auraient menacée. Force est au tribunal de relever que cet incident, d’après les déclarations de la demanderesse, est resté isolé et que la demanderesse n’en a pas fait état, ni à sa famille, ni aux autorités albanaises4.
Par conséquent, les faits invoqués par les demandeurs à la base de leur demande de protection internationale ne sont pas à considérer comme actes de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par les demandeurs comme étant non fondée. Le recours des demandeurs est par conséquent à déclarer comme non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de leur accorder le statut de réfugié.
1 Page 7 du rapport d’audition de Monsieur ….du 13 juillet 2011 2 Page 8 du rapport d’audition de Monsieur …. du 13 juillet 2011 3 Page 8 du rapport d’audition de Monsieur …. du 13 juillet 2011 4 Page 8 du rapport d’audition de Madame …. du 28 juillet 2011 Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existent de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Or, en l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les faits invoqués par les demandeurs puissent être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 2 août 2012 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
En ordre subsidiaire, ils concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH ». Les demandeurs estiment en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 c) et e) de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. Les demandeurs soutiennent que la situation de détresse dans laquelle ils seraient plongés en cas de retour en Albanie, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Ils soutiennent encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, dans sa version applicable au jour de la décision ministérielle litigieuse, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. o) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose le problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Albanie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir sinon des persécutions présentant un degré de gravité suffisant, sinon des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs en Albanie soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
5 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre subsidiaire contre la décision ministérielle du 2 août 2012 portant rejet d’un statut de protection internationale aux consorts ….. ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 2 août 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais ;
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 5 juin 2014 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juin 2014 Le greffier du tribunal administratif 19