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04/06/2014 | LUXEMBOURG | N°33746

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 juin 2014, 33746


Tribunal administratif N° 33746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2013 Ire chambre Audience publique du 4 juin 2014 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’homologation de diplômes

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33746 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2013 par Maître Léon Gloden, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…,

tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Enseignement su...

Tribunal administratif N° 33746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 décembre 2013 Ire chambre Audience publique du 4 juin 2014 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’homologation de diplômes

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33746 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2013 par Maître Léon Gloden, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 25 octobre 2013, lui refusant l’homologation du diplôme de « master Arts, Lettres, Langues à finalité recherche mention lettres, spécialité lettres modernes », décernée en septembre 2013 par l’Université de Bourgogne.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 2014 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 février 2014 par Maître Léon Gloden au nom de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Léon Gloden et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives.

Madame … introduisit en date du 8 octobre 2013 une demande auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dénommé ci-après « le ministre », tendant à l’homologation de son diplôme de « master Arts, Lettres, Langues à finalité recherche mention lettres, spécialité lettres modernes » délivré pour l’année universitaire 2012-2013 par l’Université de Bourgogne suite à des études par correspondance auprès de cette même université au cours des années universitaires 2011-2012 et 2012-2013.

En date du 16 octobre 2013, le diplôme susvisé fut soumis pour avis à la commission d’homologation pour les lettres et en date du 25 octobre 2013, le ministre refusa l’homologation sollicitée aux motifs suivants :

« Considérant que d’après les dispositions de l’alinéa 5 du règlement grand-ducal du 10 septembre 2004 fixant les critères d’homologation des titres et grades étrangers en sciences humaines et en philosophie et lettres « Les diplômes finals sanctionnant des études portant respectivement sur les langues ou [lettres] anglaises, allemandes et françaises doivent être obtenus dans un pays ou une région d’un pays de langue respectivement anglaise, allemande, française, après des études accomplies dans un tel pays pendant au moins deux années ;

Attendu que l’intéressée a effectué les deux années universitaires constituant le diplôme de master à distance ;

Attendu que la condition exigée par l’alinéa 5 de l’article 10 du règlement grand-

ducal du 10 septembre 2004 que les études portant sur les langues ou les lettres françaises doivent être obtenus après des études accomplies dans un pays de langue française ne se trouve donc pas remplie » Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 décembre 2013, Madame … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la décision de refus visée ci-avant.

Aucun recours au fond n’étant prévu dans la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision déférée.

Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse conteste l’exigence de résidence lui opposée par le ministre, condition qui ne serait prévue ni par le texte réglementaire cité dans la décision, ni par la loi modifiée du 18 juin 1969 sur l’enseignement supérieur et l’homologation des titres et grades étrangers d’enseignement supérieur, dénommée ci-après « la loi du 18 juin 1969 ». Elle souligne que les travaux parlementaires seraient également muets quant à un éventuel critère de résidence. Elle invoque finalement un jugement du tribunal administratif du 28 janvier 2008 inscrit au rôle sous le n° 23069 suivant lequel il n’appartiendrait pas au tribunal d’insérer des distinctions qui ne figurent pas dans un texte règlementaire clair et précis. Elle conclut partant à l’annulation de la décision pour violation de la loi.

La partie demanderesse fait plaider qu’en soulignant que le diplôme aurait été obtenu suite à des études à distance, la décision attaquée procèderait à la mise en place d’une distinction qui ne figurerait pas dans la loi ne faisant pas de différentiation entre une formation à distance et une formation « présentielle ». Par ailleurs, l’attestation de réussite ne mentionnerait pas que la formation se serait faite par correspondance. Instaurer une différenciation entre une formation « présentielle » et une formation à distance, prévue ni par les textes légaux ni par l’Université elle-même, équivaudrait à la discriminer par rapport aux étudiants ayant obtenu le même diplôme, alors que la présence aux cours ne serait pas obligatoire et que, dans le cadre d’une formation à distance, seule la présence aux travaux dirigés serait dispensée.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, estime que le principe inscrit à l'article 10, alinéa 5 du règlement grand-ducal du 10 septembre 2004 fixant les critères d'homologation des titres et grades étrangers - en droit, médecine, médecine dentaire, médecine vétérinaire et en pharmacie et, en vue de l'admission au stage pour le professorat de l'enseignement secondaire, - en sciences humaines et en philosophie et lettres, ainsi qu' - en sciences naturelles et en sciences physiques et mathématiques, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 10 septembre 2004 », que les études en langues ou lettres françaises devraient être accomplies dans un pays de langue française pendant au moins deux années impliquerait, forcément, une condition de résidence d'une durée de deux années dans le pays de langue française.

En l’espèce, la demanderesse aurait certes obtenu un diplôme final de master dans un pays de langue française, mais étant donné qu’elle aurait travaillé depuis le 16 novembre 2010 comme chargé d’éducation de français à durée déterminée dans un lycée à Luxembourg, elle aurait préparé ses deux dernières années d’études à distance, de sorte qu’elle n’aurait pas accompli l’essentiel de ses années d’études en France.

Il explique qu’il ressortirait de l’exposé des motifs du règlement grand-ducal du 21 février 1976 modifiant les articles 1er et 4 du règlement grand-ducal du 18 décembre 1970 fixant les critères d’homologation des titres et grades étrangers en lettres en vue de l’admission au stage pour le professorat de l’enseignement secondaire que « les experts et le bon sens s’accordent pour attacher une importance certaine à la connaissance intime de la civilisation servant de toile de fond à toute langue et littérature. Seul un séjour suffisant dans un pays permet à l’étudiant de s’imprégner de cette ambiance culturelle et historique » Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse fait valoir que l’article 10 alinéa 5 du règlement grand-ducal du 10 septembre 2004 exigerait non pas la résidence dans le pays d’études mais seulement l’accomplissement des études auprès d’un établissement scolaire respectivement universitaire d’un pays de langue française. Par l’inscription, le suivi du programme universitaire dispensé et l’obtention d’un diplôme auprès d’une université française, elle aurait rempli les conditions réglementaires.

En ce qui concerne les travaux parlementaires invoqués par le délégué du gouvernement, la demanderesse fait plaider que les extraits cités ne seraient pas pertinents en l’espèce, alors que cet exposé des motifs s’appliquerait uniquement au règlement grand-

ducal de 1976 et ne pourra dès lors pas être invoqué pour le règlement grand-ducal du 10 septembre 2004 d’autant plus que ce dernier ne reprendrait plus l’exposé de motifs du règlement de 1976. Par ailleurs, en 1976 la possibilité des études par correspondance n’aurait quasiment pas existée.

La demanderesse souligne que si le législateur avait voulu imposer une condition de résidence sur le sol de l’Etat où les études sont accomplies, il l’aurait fait, ce qui ne serait pourtant pas le cas. Il n’appartiendrait pas au ministre d’imposer des critères qui ne figureraient pas dans le règlement grand-ducal.

Elle s’oppose encore à l’argumentation du délégué du gouvernement suivant laquelle le fait d’avoir séjourné au Luxembourg pendant ses études à l’Université de Bourgogne ne lui aurait pas permis de s’imprégner de l’ambiance culturelle et historique de la civilisation servant de toile de fond à toute langue et littérature, alors que le Luxembourg serait, en tant que membre de l’Organisation internationale de la francophonie, un pays où la langue française serait couramment parlée et écrite, tant par les résidents que par les frontaliers venant travailler au Luxembourg, de sorte que la résidence au Luxembourg suffirait pour s’imprégner de l’ambiance culturelle et linguistique française, d’autant plus que la langue française serait une des langues de la législation administrative et judiciaire en vertu de la loi du 24 février 1984 sur le régime des langues.

En vertu de l’article 4, paragraphe 2 de la loi du 18 juin 1969, tel que modifié par la loi du 17 décembre 2003 : « L'homologation ne pourra être accordée que si les études supérieures des postulants et leurs diplômes ou titres d'examens finals étrangers répondent aux critères généraux définis comme suit :

- la durée minimale des études supérieures, qui pour chacune des disciplines est fixée par règlement grand-ducal ;

- la nature et l'étendue des enseignements théoriques et/ou pratiques, dont les spécificités sont définies par règlement grand-ducal pour chaque discipline.

Les diplômes finals sanctionnant des études portant respectivement sur les langues ou lettres anglaises, allemandes et françaises doivent être obtenus dans un pays ou une région d'un pays de langue respectivement anglaise, allemande, française, après des études accomplies dans un tel pays pendant au moins deux années. » L’article 10 du règlement grand-ducal du 10 septembre 2004 dispose :

« L’homologation des titres et grades étrangers sanctionnant les études en « sciences humaines » et en « philosophie et lettres » se fait conformément aux critères généraux et aux conditions fixés par le présent règlement.

Dans le présent règlement les termes « philosophie et lettres » et « sciences humaines » sont employés pour désigner la philosophie, les langues ou lettres, l’histoire et la géographie.

Les diplômes finals étrangers présentés à l’homologation dans les domaines précités doivent conférer un grade d’enseignement supérieur reconnu par le pays d’origine ou y donner accès soit à la fonction de professeur, soit au stage de formation pratique. Ces diplômes finals doivent sanctionner un cycle d’études, à temps plein d'une durée minimale de quatre années ou huit semestres ou douze trimestres, ou à temps partiel, prévu par les autorités compétentes, à condition que le volume total, le niveau et la qualité de cette formation ne soient inférieurs à ceux de formations à temps plein.

Les matières doivent être pour l’essentiel des matières enseignées dans l’enseignement secondaire luxembourgeois selon les lois et règlements en vigueur.

Les diplômes finals sanctionnant des études portant respectivement sur les langues ou lettres anglaises, allemandes et françaises doivent être obtenus dans un pays ou une région d’un pays de langue respectivement anglaise, allemande, française, après des études accomplies dans un tel pays pendant au moins deux années. » Force est de constater que l’article 10 du règlement grand-ducal du 10 septembre 2004, s’il impose, tout comme l’article 4 de la loi du 18 juin 1969, explicitement des critères de situation du lieu des études, ne prévoit pas explicitement de critère de résidence.

Il est constant en l’espèce que les diplômes soumis à l’homologation ont été émis par une université française et qu’ils sanctionnent des études s’échelonnant sur deux années académiques.

Contrairement à ce qui est prétendu par la partie étatique, le texte réglementaire litigieux ne prévoit pas une obligation pour les étudiants de résider dans le pays dans lequel les études sont poursuivies, de sorte que la remise de diplômes et le suivi de l’enseignement dispensé par une université du pays de la langue étudiée suffisent à remplir les critères règlementaires.

Il n’appartient pas au ministre de rajouter des critères d’homologation qui ne sont ni prévus par la loi ni par son règlement d’exécution, de sorte qu’en se basant sur une obligation de résidence dans le pays dans lequel les études sont poursuivies, la décision a violé les textes légaux applicables dont les termes ne laissent pas de marge d’interprétation.

Or devant le texte réglementaire clair et précis, il n’appartient pas au tribunal d’insérer des distinctions qui n’y figurent point ou d’interpréter une disposition règlementaire au-delà des termes y employés, des réflexions d’opportunité pédagogique n’entrant plus particulièrement pas en ligne de compte, étant entendu qu’il appartient au seul pouvoir règlementaire de modifier une disposition règlementaire, s’agissant là d’une décision exclusivement politique, échappant au champ de compétence des juridictions1.

La référence à des travaux parlementaires d’un règlement précurseur à celui actuellement en vigueur, et selon lequel il aurait été de l’intention du législateur d’imposer comme condition d’homologation d’études portant principalement sur le français un séjour minimal de deux ans dans un pays de langue française, ne saurait être invoqué à l’appui de l’interprétation du texte règlementaire actuellement applicable, qui, comme il a été retenu ci-

avant, ne prête pas à interprétation, et ceci, abstraction faite de la question de savoir si un exposé de motifs ou un commentaire des articles peut déroger à un texte clair et précis.

Partant, la décision déférée encourt l’annulation pour violation de la loi pour avoir refusé l’homologation sollicitée au motif que Madame … ne remplirait pas une condition de résidence qui n’est prévue ni par un texte légal, ni par un texte règlementaire.

Il suit de ce qui précède que le recours en annulation est à déclarer fondé, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués.

La demanderesse sollicite finalement une indemnité de procédure d’un montant de 2.000,- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le délégué du gouvernement s’oppose à l’indemnité de procédure sollicitée par la partie demanderesse.

Eu égard à l’issu du litige, ainsi qu’à l’attitude récalcitrante et manifestement erronée de l’Etat, et eu égard au fait que la demanderesse a dû recourir aux services d’un avocat pour soutenir sa demande, le tribunal fixe ex aequo et bono une indemnité de procédure à la somme de 1.500,- euros.

1 trib. adm. 28 janvier 2008, n°23069 du rôle, publié sur www.jurad.etat.lu Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié, partant annule la décision déférée du 25 octobre 2013 et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en prosécution de la cause ;

condamne l’Etat à payer à Madame … une indemnité de procédure de 1.500,- euros ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Laurent Lucas, juge, Olivier Poos, juge, et lu à l’audience publique du 4 juin 2014 par le premier vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5/6/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 33746
Date de la décision : 04/06/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-06-04;33746 ?

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