Tribunal administratif N° 34259 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mars 2014 1re chambre Audience publique du 21 mai 2014 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34259 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2014 par Maître Marc LENTZ, avocat à la Cour, assisté par Maître Sam RIES, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant à L-… , tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 12 mars 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2014 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Marc LENTZ déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2014 pour compte de la demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc LENTZ et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 mai 2014.
Le 13 septembre 2013, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le 17 septembre 2013, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Madame … fut entendue les 29 janvier et 4 février 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 12 mars 2014, expédiée par courrier recommandé le 13 mars 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2014, Madame … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 12 mars 2014 dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
En fait, Madame … explique qu’elle aurait dû fuir son pays d’origine parce qu’elle aurait fait l’objet de menaces et d’agressions, sinon d’une tentative de viol, de la part du copropriétaire de son magasin, un dénommé …. Alors même qu’elle aurait immédiatement dénoncé les agissements de son agresseur à la police, elle aurait été obligée de quitter la Serbie le jour même de la tentative de viol et ce en raison de la « corruption apparente et bien connue des forces de l’ordre serbes » en lesquelles elle aurait perdu toute confiance.
Comme elle aurait risqué soit d’être victime des agissements de Monsieur …, qui resteraient impunis, soit de subir des poursuites, sinon d’être incarcérée arbitrairement par les autorités serbes sous l’effet de la « tentation de la corruption par Monsieur … » qui semblerait être impliqué dans le trafic international de drogues et de stupéfiants, elle n’aurait pas eu d’autre choix que de quitter son pays d’origine.
1) Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Madame … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Si la demanderesse admet que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale, à savoir des atteintes à son intégrité physique, sont des problèmes d’ordre privé, elle insiste toutefois sur le fait que son problème résiderait non seulement dans les actes de violence dont elle aurait fait l’objet mais surtout dans l’absence de protection effective et efficace de la part des autorités policières serbes qui seraient largement corrompues.
Elle souligne à cet égard que les dénonciations de violences et d’actes punis par la loi pénale ne seraient pas prises au sérieux par les forces de l’ordre en raison d’une « influence signifiante, voir même de la mainmise effective sur ces services par Monsieur … ». La demanderesse précise à cet égard, en se basant sur l’index de la perception de la corruption tel qu’établi par l’organisation non gouvernementale internationale dédiée à la lutte contre la corruption des gouvernements et des institutions gouvernementales, que la Serbie n’aurait figuré en 2013 que sur la 72e place et dès lors en dessous de la moyenne.
La demanderesse en conclut que contrairement à ce qui aurait été retenu à tort par le ministre, les problèmes invoqués et la peur dont elle ferait état ne manqueraient pas de pertinence et ne seraient pas insignifiants pour justifier le recours à une procédure accélérée.
La demanderesse estime ensuite que ce serait par une interprétation erronée des faits que le ministre aurait conclu qu’il apparaîtrait clairement qu’elle ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
La demanderesse conteste finalement, eu égard à son vécu, que la Serbie puisse être considérée comme un pays d’origine sûr. Elle met à cet égard plus particulièrement en exergue l’absence de protection et de recours efficaces contre les violations de ses droits et libertés en raison de la corruption massive que connaîtrait la Serbie. Il se poserait également la question de la valeur d’un texte international, tel que la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003, signée et ratifiée par la Serbie, dans la mesure où ce texte aurait également été signé par des pays comme l’Afghanistan et le Soudan alors que ces pays figurent sur les dernières places de l’ « Index de la Perception de la Corruption » établi par « Transparency International 2013 ».
La demanderesse renvoie encore à un rapport d’Amnesty International concernant la Serbie de 2011 selon lequel la Serbie serait caractérisée par « l’impunité lamentable des auteurs de mauvais traitements y compris les actes de torture » et ayant mis en exergue l’absence de mise en place d’un mécanisme de protection internationale qui aurait pourtant été l’une des mesures exigées par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations Unies contre la torture. A cela s’ajouterait que les autorités serbes n’auraient pas réagi aux menaces de mort et d’attaques verbales haineuses contre les défenseurs des droits de l’Homme et les journalistes. Ce même rapport aurait fait état pour 2012 de violences et de traitements inégalitaires à l’égard des femmes.
La demanderesse estime qu’en tout état de cause il existerait des doutes sérieux quant au caractère « sûr » de la Serbie, doutes qui ne seraient pas levés du seul fait que le pays aurait obtenu le statut de candidat officiel à l’Union européenne en date du 1er mars 2012.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant la liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, la République de Serbie a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que la demanderesse a la nationalité serbe et qu’elle avait sa résidence habituelle en Serbie avant de venir au Luxembourg.
Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, indépendamment de la question de la crédibilité du récit de la demanderesse, l’examen de la situation personnelle décrite par cette dernière lors de son audition, ne permet pas au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, de sorte à ne pas pouvoir tenir compte des faits nouveaux invoqués dans le seul recours en annulation sous analyse - d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.
En effet, lors de son audition, la demanderesse a expliqué qu’elle aurait quitté son pays d’origine après avoir été agressée par un dénommé … qui aurait été son associé et qui aurait tenté de la violer dans le magasin leur appartenant à tous les deux. Après le départ de la demanderesse vers le Luxembourg, cet homme serait aussi allé au domicile de ses parents qu’il aurait menacés. Il aurait par ailleurs tenté de kidnapper la fille de la demanderesse une semaine après le départ de cette dernière. Il serait même venu dans le foyer de la demanderesse au Luxembourg où il aurait menacé de la tuer, la demanderesse n’ayant toutefois pas été présente à ce moment-là. Finalement, il aurait encore proféré des menaces contre l’actuel fiancé de la demanderesse et les sœurs de ce dernier.
Force est à cet égard de relever que la demanderesse a déclaré qu’immédiatement après la tentative de viol, elle aurait signalé l’agression à la police de Belgrade, tout en précisant qu’elle ne se serait pas rendue auprès de la police de Novi Pazar parce que cette dernière serait corrompue. Il ressort encore de son récit que le jour où elle a dénoncé cette tentative de viol, le dénommé … aurait été arrêté par la police qui aurait par la même occasion confisqué neuf paquets de cigarettes qui auraient été trouvés dans sa voiture. Par ailleurs, la police aurait informé la demanderesse « qu’il y aurait une plainte » contre le dénommé ….
Le tribunal est dès lors amené à constater que la demanderesse a bien eu accès à la police et que cette dernière n’est pas restée inactive puisqu’elle a arrêté son agresseur immédiatement après avoir été informée de l’agression et que ce dernier a été inculpé. La demanderesse a toutefois également déclaré qu’elle ignorerait les suites réservées à cette affaire dans la mesure où elle aurait quitté le pays dès le lendemain de son agression. Au vu de ce qui précède, la demanderesse ne saurait en tout état de cause reprocher une quelconque inaction ou incapacité des autorités policières de son pays à lui fournir une protection, ce d’autant plus qu’elle-même ne semble pas avoir jugé nécessaire de s’enquérir depuis son départ de l’avancement de son dossier. L’inaction de la demanderesse est d’autant plus manifeste qu’elle n’a pas jugé utile de prendre contact avec la personne qui aurait été témoin de l’agression dont elle aurait été victime. En effet, afin de permettre aux autorités de faire correctement leur travail, il aurait également appartenu à la demanderesse de leur fournir tous les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité et a fortiori à la condamnation de son agresseur. En tout état de cause, au vu du désintérêt manifeste de la demanderesse quant à l’évolution de son dossier, elle est malvenue d’accuser gratuitement les autorités d’avoir mis son dossier de côté parce qu’elles seraient corrompues.
En effet, si la demanderesse affirme certes qu’elle ne se serait pas sentie en sécurité dans son pays en raison de la corruption régnant au sein des autorités policières serbes et notamment des connaissances qu’aurait son agresseur au sein de ces mêmes autorités, force est toutefois de relever qu’hormis cette affirmation tout à fait générale, la demanderesse n’a pas fait état d’une quelconque expérience négative qu’elle aurait personnellement vécue avec la police en termes de corruption Au contraire, outre que, tel que relevé ci-avant, la police de Belgrade a accueilli sa plainte et a procédé rapidement à l’arrestation de son agresseur, il ressort encore du récit de la demanderesse qu’après que le dénommé … aurait tenté de kidnapper sa fille, son ex-mari aurait porté plainte et une ordonnance restrictive aurait été prononcée à l’encontre de Monsieur … qui n’aurait plus le droit de s’approcher à moins de 1000 mètres de sa fille.
Il y a à cet égard encore lieu de rappeler que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Or, tel que relevé ci-avant, le fait même que l’agresseur de la demanderesse ait été arrêté immédiatement après qu’elle ait signalé son agression à la police et que la justice serbe ait prononcé à son égard une interdiction de s’approcher de sa fille est de nature à conforter l’existence en Serbie d’un système policier et judiciaire d’une efficacité suffisante pour pouvoir également assurer aux citoyens serbes une protection appropriée et à infirmer la thèse suivant laquelle aucune protection ne pourrait être assurée à la demanderesse en raison des connaissances qu’aurait le dénommé … au sein des autorités de police.
La demanderesse n’a donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 1er avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la Serbie est à considérer comme pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que la demanderesse n’invoque pas de faits démontrant que la Serbie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’elle est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce volet du recours, la demanderesse, se basant sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, insiste sur le fait qu’en Serbie, elle aurait été victime d’actes de violence commis par le dénommé … et que lorsqu’elle aurait voulu dénoncer ces faits à la police, elle ne se serait pas sentie prise au sérieux par la police qui serait restée inactive, inaction qui s’expliquerait par la corruption régnant au sein des autorités policières et de l’influence exercée par son agresseur. Sa demande de protection internationale serait dès lors davantage fondée sur l’impuissance, sinon le manque de volonté de l’Etat serbe de lui assurer une protection adéquate et la corruption apparente au sein des forces de l’ordre.
Elle met encore en exergue que le dénommé … essaierait de la discréditer par le biais d’une série de plaintes et autres diffamations et dénonciations infondées que le conseil juridique de son agresseur aurait même transmis au ministère des Affaires étrangères et européennes par l’intermédiaire d’un avocat luxembourgeois. Dans la mesure où les documents transmis au ministère manqueraient toutefois indubitablement d’authenticité, ils seraient en tout état de cause à écarter des débats. Dans son mémoire en réplique, la demanderesse donne encore à considérer que le fait même que son agresseur se serait donné la peine de faire transmettre ces documents par le biais d’un avocat au ministère témoignerait de sa volonté de continuer à exercer des pressions et menaces psychologiques sur elle.
La demanderesse insiste encore sur le fait que la gravité et le sérieux des menaces émanant de la part de son agresseur se trouveraient confortés par le fait que ce dernier se serait même déplacé jusqu’au foyer de la demanderesse à … pour l’y menacer et essayer de l’agresser. Une plainte aurait d’ailleurs été déposée auprès de la police de Luxembour-Ville et actuellement cette affaire ferait l’objet d’une instruction de la part du juge d’instruction de Luxembourg.
La demanderesse est en tout état de cause d’avis que dans la mesure où elle ne pourrait se prévaloir d’une protection de la part des autorités de son pays, notamment en raison de la corruption qui régnerait au sein des autorités serbes, elle risquerait de subir des persécutions en cas de retour en Serbie.
Pour ce qui est du volet de la décision ministérielle refusant à la demanderesse l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, cette dernière donne à considérer que le risque de subir des menaces de mort, voire des tentatives de viol correspondrait à la définition de traitement ou sanction inhumain ou dégradant au sens de la loi, ce d’autant plus que les autorités serbes ne seraient pas disposées à lui fournir une protection adéquate. Ce serait dès lors à tort que le ministre ne lui aurait pas accordé le statut conféré par la protection subsidiaire.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse conteste encore le fait que ses déclarations seraient truffées d’invraisemblances, sinon d’incohérences, son litismandataire mettant notamment les incohérences entre certains points de son récit lors de son audition et ses déclarations telles qu’actées dans la fiche de données personnelles sur le compte d’un « malentendu linguistique ».
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.
En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale1. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des 1 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut2.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, tel que c’est le cas en l’espèce, la crainte d’être persécuté ou de subir des atteintes graves est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, tel que relevé ci-avant, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Or, la demanderesse n’apporte aucun élément de nature à démontrer que la Serbie ne prend pas des mesures raisonnables pour empêcher la commission des actes dont elle fait état, ni qu’elle ne dispose pas d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes.
2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
En effet, comme le tribunal vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la demanderesse a bien eu accès aux autorités policières et judiciaires serbes qui ont non seulement enregistré sa plainte mais qui ont par ailleurs arrêté son agresseur le jour même de son agression. A cela s’ajoute qu’après la tentative de kidnapping de la fille de la demanderesse, qui aurait eu lieu une semaine après son départ pour le Luxembourg, la justice serbe a réagi rapidement en prononçant une ordonnance restrictive à l’égard de Monsieur ….
Force est encore de constater que dans le cadre de la procédure contentieuse, la demanderesse n’a fourni aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités serbes seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, si elle insiste certes sur l’incapacité des autorités policières locales à pouvoir lui assurer une protection adéquate, et ce, en mettant l’accent sur leur corruptibilité, il n’en demeure pas moins qu’au vu de la réactivité affichée par les autorités policières et judiciaires serbes face aux actes dénoncés par la demanderesse et sa famille, le tribunal est amené à conclure qu’il s’agit d’affirmations qui restent à l’état de pure allégation. Ce même constat s’impose en ce qui concerne les soi-disant autres raisons mises en avant par le litismandataire de la demanderesse pour tenter d’expliquer le prétendu « refus des autorités serbes de fournir une protection adéquate à la requérante », à savoir son appartenance à l’ethnie bosniaque ou encore le fait que son père serait le cousin de l’actuel vice-président du gouvernement serbe et ministre du Commerce international et national et des Télécommunications.
Il ressort par ailleurs des explications du ministre, sources internationales à l’appui, que si la demanderesse devait avoir estimé que les autorités policières ne font pas correctement leur travail - ce qui aurait supposé qu’elle s’enquière du sort de sa plainte, ce qu’elle n’a toutefois pas fait -, elle aurait pu se plaindre du comportement des policiers qui ont accueilli sa plainte auprès du ministère serbe de l’Intérieur ou bien s’adresser au Médiateur dont la mission consiste à protéger les droits et libertés des civils et à contrôler l’administration et les autres organes législatifs.
En ce qui concerne plus particulièrement le reproche de corruption, il ressort des rapports et sources internationales citées par les parties que, bien que la corruption des autorités policières et judiciaires dénoncée par la demanderesse ne soit pas totalement endiguée, l’Etat serbe peut se targuer d’une amélioration exponentielle de la situation dans ce domaine, la Serbie disposant même d’un conseil anti-corruption.
A cet égard, le tribunal relève à titre liminaire que le « corruption perception index 2013 » invoqué par la demanderesse se fonde exclusivement sur la perception qu’ont les membres de la population d’un Etat de la corruption qui pourrait y régner, comme le précise le site internet y dédié : « The perceptions of country analysts, business people or the general public form the basis of our corruption indices »3. Or, force est au tribunal de considérer non pas le ressenti subjectif de la population sur la protection qu’offrent les autorités serbes, mais bien la réalité de cette protection, telle qu’elle est décrite dans les textes juridiques et les rapports internationaux pertinents.
Or, il ressort des explications du ministre et de la partie étatique, sources 3 http://www.transparency.org/whoweare/organisation/faqs_on_corruption/2/ internationales à l’appui, que l’Etat serbe a mis en place un cadre juridique efficace contre la corruption et les abus de pouvoir de la part des policiers, le ministère de l’Intérieur serbe étant en effet chargé de prendre des mesures disciplinaires contre les agents suspectés d’abus de pouvoir et de corruption, ainsi que de veiller à l’effectivité des poursuites judiciaires si nécessaire. Il ressort encore des développements contenus dans la décision ministérielle que l’Etat serbe n’a de cesse de mettre en place de nouvelles stratégies pour lutter encore davantage contre la corruptibilité au sein des autorités judiciaires. Il s’ensuit qu’en l’absence d’éléments pertinents à cet égard relatifs à la situation personnelle de la demanderesse - qui n’a en effet elle-même jamais vécu d’expériences négatives, notamment en termes de corruption, avec les autorités judiciaires et policières de son pays -, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption pour discréditer la protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions.
Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de conclure que la demanderesse ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
En l’espèce, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif qu’un retour en Serbie mettrait sa vie gravement en danger. Elle serait en effet enceinte et le seul stress et l’anxiété devant le fait d’être rapatriée de force et d’être de nouveau exposée à des menaces et agressions pourraient mettre son enfant à naître en danger.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 12 mars 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 mars 2014 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 12 mars 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 mai 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
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