Tribunal administratif Numéro 32824 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juin 2013 3e chambre Audience publique du 21 mai 2014 Recours formé par Monsieur …, … (France), contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire Vu la requête inscrite sous le numéro 32824 du rôle et déposée le 11 juin 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 12 mars 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … S.àr.l. ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2013 par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Simans, en remplacement de Maître Pascal Peuvrel, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbrück en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 avril 2014 ;
Par requête déposée au greffe du tribunal du travail de et à Luxembourg en date du 25 octobre 2012, Monsieur … sollicita entre autre la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, ainsi que la condamnation de la société à responsabilité limitée … S.à r.l., ci-après désignée par « la société … » au paiement de la somme de … EUR à titre d’arriérés de salaires pour les mois de novembre 2010 à septembre 2011 et à titre d’indemnité pour congés non pris.
La société … fut déclarée en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2013.
Par une déclaration de créance déposée au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, Monsieur … réclama l’admission au passif privilégié de la faillite de la société … d’une créance salariale à hauteur de … EUR.La créance telle qu’elle a été admise par le curateur et le juge-commissaire fut par la suite soumis à l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignée par « l’ADEM », aux fins de bénéficier du mécanisme de la garantie salariale tel que prévu par l’article L.126-1 du Code de travail.
Par une décision du 12 mars 2013, le directeur de l’ADEM informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, au motif qu’il n’aurait pas été affilié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois, de sorte que les cotisations obligatoires en matière de sécurité sociale n’auraient pas été encaissées par ces organismes.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur de l’ADEM du 12 mars 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société ….
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être exercé contre la décision déférée du 12 mars 2013.
Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est par ailleurs recevable, pour avoir été introduit dans les formes et délais de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur cite un arrêt de la Cour supérieure de justice du 3 janvier 19791, aux termes duquel l’admission d’une créance au passif d’une faillite impliquerait soit un contrat judiciaire, soit une décision équivalente par l’effet desquels cette créance serait désormais à l’abri de toute contestation nouvelle tendant à l’anéantir, la réduire ou la modifier. Il fait valoir que l’admission de sa créance au passif privilégié de la faillite attribuerait à celle-ci un caractère irrévocable.
Par ailleurs, il fait valoir que l’obligation d’affiliation d’un salarié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois incomberait à l’employeur, de sorte qu’il ne serait pas responsable des manquements commis dans ce contexte par la société … et qu’il n’existerait aucune raison valable de lui refuser le bénéfice de la garantie instituée par l’article L.126-1 du Code du travail.
En tout état de cause, les cotisations obligatoires que l’employeur aurait dû verser aux organismes de sécurité sociale ne représenteraient qu’une faible partie des sommes réclamées. Dès lors, la partie étatique aurait tout au plus pu imputer le montant des cotisations sociales non payées du montant de la créance litigieuse, de sorte que ce serait à tort que l’intégralité de la garantie prévue par l’article L.126-1 du Code du travail lui a été refusée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours. Il souligne qu’en l’espèce, le demandeur n’aurait pas été affilié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois, contrairement à l’article 1er du Code de la sécurité sociale. Il en déduit 1 Cour supérieure de justice, 3 janvier 1979, Pas. 24, p. 275.
que ce serait à juste titre que l’ADEM aurait refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance litigieuse.
L’article L.126-1 du Code du travail dispose que :
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
[…] (5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-
quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2).
[…]. » Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail, étant précisé que la mise à disposition des sommes garanties se fait à la demande du curateur et après vérification par l’ADEM.
Le tribunal est de prime abord amené à retenir que ’argumentation du demandeur selon laquelle la créance litigieuse serait irrévocable étant donné qu’elle a été admise au passif privilégié de la faillite de la société … revient à remettre en cause le pouvoir de l’ADEM de procéder à son propre examen de la créance en question.
Il est certes exact que la décision du juge-commissaire, qui vérifie les créances du curateur en application de l’article 500 du Code de commerce, consignée au procès-
verbal de vérification des créances, met la créance à l’abri de toute modification et empêche le créancier de demander ultérieurement un changement de la quotité ainsi fixée. La vérification des créances en cas de faillite ayant pour but de déterminer définitivement les droits respectifs des créanciers, il s’ensuit que l’admission pure et simple d’une créance, qu’elle ait eu lieu amiablement ou par autorité de justice, implique ou un contrat judicaire ou une décision équivalente par l’effet desquels cette créance est désormais à l’abri de toute contestation nouvelle tendant à l’anéantir, la réduire ou la modifier.2 Il n’en reste pas moins qu’un jugement n’est pas opposable à une personne qui n’y a pas été partie et n’est pas non plus considérée comme y ayant été représentée. Dans la mesure où un tel jugement crée des obligations à l’égard d’une personne, celle-ci peut en contester les effets dans une procédure ultérieure si elle n’a pas été partie ou représentée dans la procédure originaire.3 Il en résulte que l’ADEM, en sa qualité de tiers tant par rapport à la décision prise par le juge-commissaire au cours de la vérification des créances dans le cadre de la faillite de la société …, ne saurait se voir refuser son droit de vérifier la créance litigieuse, de sorte que le moyen tendant à dénier à l’ADEM tout pouvoir de contester la créance salariale lui soumise est à rejeter pour ne pas être fondé.
Cependant, en cas de refus par l'ADEM du remboursement d'une créance dûment acceptée par le curateur et le juge-commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l'Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l'examen par le juge administratif de l'existence et de l'exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement.4 En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée est motivée par la seule considération que l’intéressé n’a pas été affilié auprès des organismes de 2 Cour supérieure de justice, 9 mars 1966, Pas. 20, p. 83 et 3 janvier 1979, Pas. 24, p. 275.
3 Cass. 21 janvier 1999, Pas. 31, p. 45.
4 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2012, v° Travail, n°5 réformé par Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle sans que le principe énoncé ci-dessus n’ait été remis en cause pas la Cour administrative ; Trib. adm., 30 septembre 2013, n° 31400 du rôle, www.jurad.public.lu sécurité sociale luxembourgeois, de sorte que les cotisations sociales obligatoires n’ont pas été encaissés par lesdits organismes.
Or, il n’est pas contesté que la créance invoquée résulte de l’exercice, par le demandeur, d’une activité salariée pour le compte de la société …. Dès lors, la créance litigieuse est a priori susceptible d’être garantie par le Fonds pour l’emploi en application de l’article L.126-1 du Code du travail.
La seule circonstance que l’intéressé n’ait pas été affilié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois et que, de ce fait, les cotisations sociales obligatoires n’aient pas été encaissées par lesdits organismes ne saurait exclure la créance en question du bénéfice de la garantie instituée par l’article L.126-1, précité, du Code du travail. En effet, cette circonstance est sans incidence sur l’existence de la créance litigieuse, le demandeur ayant presté ses services pour la société en faillite et la réalité du contrat de travail n’étant par ailleurs pas remise en question. Il s’ensuit que le demandeur a droit à rémunération pour le travail presté par lui, indépendamment de la circonstance qu’il n’ait pas été affilié au Centre commun de la sécurité sociale, cette circonstance ne lui étant d’ailleurs pas imputable, puisqu’il résulte de l’article 425 du Code de la sécurité sociale, aux termes duquel « Toutes déclarations d’entrée ou de sortie ainsi que tout changement généralement quelconque ayant une influence sur les modalités de l’assurance sont adressés au Centre commun de la sécurité sociale dans un délai de huit jours. Ces déclarations sont faites par l’assuré, ou par l’employeur si l’assuré exerce pour le compte d’autrui une occupation donnant lieu à assurance », que l’obligation de procéder à l’affiliation d’un salarié auprès du Centre commun de la sécurité sociale incombe à l’employeur.
Il s’ensuit et à défaut d’autres moyens de la partie étatique de nature à justifier la décision de refus déférée, que cette dernière encourt l’annulation, l’unique motif de refus invoqué n’étant pas de nature à la motiver légalement.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 12 mars 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … S.àr.l. et renvoie l’affaire devant le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, juge, et lu à l’audience publique du 21 mai 2014 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 mai 2014 Le Greffier du Tribunal administratif