Tribunal administratif N° 32120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2013 3e chambre Audience publique du 19 mai 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32120 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2013 par Monsieur ….., demeurant à ….., tendant à la réformation sinon à l’annulation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu des personnes physiques de l’année 2010, établi en date du 11 juillet 2012 ainsi que contre la décision de refus implicite du directeur suite à la réclamation introduite en date du 27 juillet 2012 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2013 ;
Vu la lettre du 19 juin 2013 de Maître Gérard Schank, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats informant le tribunal administratif qu’il se constitue avocat au nom et pour le compte de Monsieur …..;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2013 par Maître Gérard Schank au nom de Monsieur …..;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin entrepris ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Vincent Isitmez en remplacement de Maître Gérard Schank ainsi que Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2014.
Par courrier du 30 septembre 2010, la société à responsabilité limitée AAA, ci-après dénommée « la société AAA», demanda au bureau RTS 1 de l'administration des Contributions directes de l'autoriser « à considérer comme revenu extraordinaire au titre de l'article 132 alinéa 4 de la loi de l'impôt sur le revenu et l'article 11 alinéa 2 de la loi de l'impôt sur le revenu, l'indemnité payée à Monsieur …..et déterminée suite à l'abandon de son activité professionnelle » ;
Par courrier du 18 octobre 2010, le préposé du bureau RTS 1 informa la société AAA que « l'indemnité allouée n'est pas exonérée d'impôt suivant l'article 115 alinéa 9 L.I.R. resp. l'article 115 alinéa 10 L.I.R. et ne remplit pas les conditions des articles 131(1)b, 132(1)2a et 141(2)a L.I.R. » et que le montant de 567.655,76 euros serait « à imposer comme rémunération ordinaire suivant barème de la retenue d'impôt sur les rémunérations non-périodiques ».
Par courrier du préposé du bureau d'imposition Luxembourg 3 du 4 juillet 2012, cette position fut confirmée en les termes suivants: « (…) l'indemnité de départ d'un montant brut de …. euros est à imposer comme rémunération ordinaire aux taux normal (…) » ;
Le bulletin de l'impôt sur le revenu pour l'année 2010 qui fut émis par l'administration des Contribution directes en date du 11 juillet 2012 indique que « l’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants : Revenu d’une occupation salariée : l’indemnité de départ d’un montant de …. euros est à imposer comme rémunération ordinaire au taux normal (…) ».
Par courrier recommandé du 27 juillet 2012, Monsieur …..introduisit une réclamation contre ce bulletin auprès du directeur de l'administration des Contributions directes, laquelle est demeurée sans réponse.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2013, Monsieur …..introduisit un recours en réformation sinon en l'annulation contre le bulletin d'impôt sur le revenu de l'année 2010, émis le 11 juillet 2012 ainsi que contre la décision de refus implicite du directeur résultant de son silence suite à la réclamation introduite en date du 27 juillet 2012.
Il résulte de la lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, dite « Abgabenordnung » (AO) et de l’article 8 (3) 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif que le tribunal est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des personnes physiques en l’absence d’une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un tel bulletin. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu des personnes physiques étant donné qu’une telle réclamation a été introduite en l’espèce et qu’aucune décision définitive n’étant intervenue dans un délai de six mois à partir de la demande, qui est venu à expiration le 27 janvier 2012, il y a lieu de la considérer comme rejetée. Il s’ensuit que le tribunal administratif doit se déclarer incompétent dans la mesure où le recours est dirigé à titre subsidiaire contre une prétendue décision implicite de rejet du directeur qui résulterait de son silence gardé à la suite de l’introduction de la réclamation du 27 juillet 2012.
Il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour obscuri libelli en ce qu’il n’aurait pas été introduit conformément à l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 », dès lors que l’objet de la demande ainsi que les faits et moyens invoqués ne seraient pas clairement exposés et feraient défaut, Monsieur …..s’étant limité à la simple contestation de l’imposition, à savoir, le fait de ne pas avoir bénéficié des articles 132 (4) et 11 (2) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, dénommée ci-après « LIR », sans apporter de précisions en droit ou en fait quant à l’objet exact de cette contestation alors qu’il serait comptable et, dès lors, supposé être spécialisé en matière de fiscalité.
Il y a lieu de rappeler qu’une partie demanderesse doit faire valoir ses moyens dans la requête introductive d’instance et ne peut, sous peine de forclusion, faire valoir d’autres moyens après l’expiration du délai de recours, sous réserve des moyens d’ordre public.1 En l’espèce, force est de constater que Monsieur …..a clairement précisé tant dans sa réclamation que dans son recours introductif d’instance qu’il entend contester le refus lui opposé par le préposé des bureaux d’imposition RTS 1 et 3 de se prévaloir des dispositions des articles 132 (4) et 11 (2) LIR permettant de considérer l’imposition de l’indemnité de départ transactionnelle perçue comme revenu extraordinaire dès lors que les conditions afférentes à un tel report seraient remplies dans son chef et non comme rémunération ordinaire ainsi que l’aurait décidé le préposé.
Il s’ensuit que l’objet de la demande et les faits et moyens invoqués étant clairement exposés dans la requête introductive d’instance, le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement est à écarter.
Le recours en réformation, ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu'en vertu d'une convention transactionnelle signée en date du 25 septembre 2010 avec son ancien employeur, la société Sofinter, il se vit accorder la somme de …. euros à titre d'indemnité transactionnelle qui constituerait, selon les termes mêmes de la convention, « un dédit pour l'abandon d'une activité comme revenu extraordinaire au sens de l'article 132(1)4. LIR ». Il explique que la convention transactionnelle du 25 septembre 2010 ferait suite à l'avenant à la convention de cession signée en date du 18 décembre 2009 (lequel avenant ferait, lui-même, suite à une convention de cession du 6 décembre 2006), avenant dont l'article 3-a. disposerait que son contrat de travail serait résilié en date du 30 septembre 2010 et qu’au moment de son départ, il percevrait, suivant une convention transactionnelle entre parties, une indemnité brute de départ égale à une année de salaire, charges sociales patronales comprises (dont la référence serait le salaire perçu au titre de l'année 2009) dont le montant serait effectivement payé le 30 septembre 2010 et qui serait à considérer comme dédit prévu par l'article L.I.R. 11(2) pour l'abandon d'une activité professionnelle, les charges fiscales salariales y relatives restant à sa charge. Il indique qu’aux termes dudit avenant, il se serait engagé à démissionner de ses fonctions d'administrateur, respectivement de gérant de la société AAA au 31 décembre 2010. Il fait plaider que la convention de cession du 6 décembre 2006 prévoirait en son article 6.1, une clause de non concurrence aux termes de laquelle il se serait interdit jusqu'en février 2013 et pendant la période de 5 ans qui suit, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg « (i) de constituer ou de 1 Cour adm. 17 juin 1997, n° 9481C du rôle, et trib. adm. 17 mai 2010, n° 25926 du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu devenir associé, administrateur, consultant ou salarié, directement ou indirectement, d'une entreprise autre que les Sociétés, exerçant des activités similaires ; (ii) d'inciter ou de tenter d'inciter, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, des clients des Sociétés [la société anonyme AAA S.A. et la société à responsabilité BBB S.àr.l] ou du Cessionnaire [la société à responsabilité limitée CCC] à rompre leurs relations avec ces derniers ».
En droit, il critique tout d’abord le bulletin déféré en ce qu’il estime qu’aucun motif valable ou aucune explication ne lui aurait été donnés quant à la raison de l’imposition de l’indemnité concernée comme rémunération ordinaire.
Le paragraphe 211 (2) AO en retenant qu'un bulletin d'impôt obligatoirement écrit doit comporter l'indication des points sur lesquels l'imposition s'écarte de la déclaration d'impôt, érige l'existence et l'indication d'une motivation valable en question relative à la validité du bulletin2.
Il échet de constater en l’espèce que le bulletin déféré indique que « l’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants : Revenu d’une occupation salariée : l’indemnité de départ d’un montant de …. euros est à imposer comme rémunération ordinaire au taux normal (…) ». Il s’y ajoute que cette indication est à apprécier dans le cadre de l’échange de courriers intervenu entre le demandeur et le préposé du bureau RTS 1 aux termes desquels le demandeur fut informé, dans un premier courrier du 18 octobre 2010, que « l'indemnité allouée n'est pas exonérée d'impôt suivant l'article 115 alinéa 9 L.I.R. resp. l'article 115 alinéa 10 L.I.R. et ne remplit pas les conditions des articles 131(1)b, 132(1)2a et 141(2)a L.I.R. » et que le montant de 567.655,76 euros serait « à imposer comme rémunération ordinaire suivant barème de la retenue d'impôt sur les rémunérations non périodiques », courrier qui fut confirmé par lettre du préposé du bureau d'imposition Luxembourg 3 du 4 juillet 2012, dans les termes suivants: « l'indemnité de départ d'un montant brut de …. euros est à imposer comme rémunération ordinaire au(x) taux normal ». Enfin, il y a lieu de relever que le délégué du gouvernement a encore complété la motivation du bulletin déféré dans le cadre de son mémoire en réponse et de son mémoire en duplique ainsi que cette méthode est admise par la Cour administrative afin de remplir la condition de l’obligation de motivation d’une décision administrative3. Partant, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de l’absence de motivation du bulletin déféré pour ne pas être fondé.
En droit, le demandeur estime, après avoir critiqué la formulation par le délégué du gouvernement de propos qu’il qualifie de tendancieux à son encontre, que, contrairement à ce que ce dernier soutient, l'indemnité transactionnelle touchée par lui serait à qualifier de dédit et donc à considérer comme revenu extraordinaire, conformément à l'article 132 (1) numéro 4 et à l’article 11 LIR. Il donne à considérer, qu'en l'espèce, l'allocation de la somme de …. euros serait justifiée aux termes de la convention transactionnelle du 25 septembre 2010 par son engagement à abandonner son activité, ou à ne plus exercer d'activité ainsi que cette justification se retrouverait également indiquée dans l'avenant à la convention de cession signée en date du 18 décembre 2009 qui préciserait, en outre, que « le contrat de travail de M …..sera résilié au 30 septembre 2010 ». Il expose que la convention de cession du 6 décembre 2006 prévoirait une clause de non-
2 trib. adm. 3 mars 2005, n° 18186 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Impôts n° 602 et les autres références y citées.
3 Cour adm. 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, Pas.adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 77 et les autres références y citées.
concurrence lui interdisant, notamment, d'exercer des activités similaires sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg jusqu'en février 2013 et pendant la période de 5 ans qui suivrait.
Il insiste sur la circonstance selon laquelle il serait expert comptable de profession et gérant salarié de la société AAA dans laquelle il détiendrait, par ailleurs, une participation indirecte par le biais de la société anonyme DDD, lesquelles sociétés auraient été cédées à la société à responsabilité limitée CCC (également désignée comme Groupe ….). Il indique qu’il se serait agi d'une cession progressive des participations avec présentation de la clientèle au cessionnaire dans le cadre de laquelle il aurait, notamment, été convenu d’une clause de non concurrence ainsi que d'un terme à son activité pour être remplacé par un membre du Groupe …..
Il en conclut que l'existence dans son chef, au moment de la conclusion de la transaction du 25 septembre 2010, d'une perspective raisonnable de toucher dans le futur les recettes provenant d'une activité indépendante concurrente à celle de son ancien employeur à laquelle il aurait renoncé, n’étant âgé que de 61 ans et n’ayant ainsi pas atteint l’âge de la retraite, en contrepartie de l'allocation du dédit conventionnellement fixé, découlerait à suffisance de l'ensemble des éléments soumis en cause et que dès lors, dans la mesure où, d'après les stipulations conventionnelles, la somme de …. euros lui aurait été allouée en contrepartie de sa renonciation à exercer dans le futur une activité de nature à produire des revenus imposables, elle devrait rentrer dans la définition du dédit pour non-exercice d'une activité au sens de l'article 11 numéro 2 LIR et de l'article 132 (1) numéro 4 LIR. Enfin, il estime qu'en ce qui concerne le quantum du dédit à hauteur de …. euros cette somme correspondrait à environ quatorze mois de salaires, ce qu’il ne considère pas comme étant exagéré compte tenu de son dernier salaire brut mensuel du mois de septembre 2010, qui se serait élevé à …. euros (alors que sa pension de retraite anticipée mensuelle, touchée pour la première fois en octobre 2010 aurait été de …. euros) et que son âge au moment de la résiliation de son contrat de travail aurait été de 61 ans. Il réfute encore l’argument selon lequel l'indemnité litigieuse serait à considérer comme un « parachute doré » ou un « golden handshake » et serait imposable comme revenu salarié au sens de l'article 95 L.I.R.
en ce qu’il serait généralement admis que « le parachute doré » constitue un prix connu d'avance à payer par une société lorsqu'elle veut se défaire de son dirigeant alors que cela ne serait pas le cas en l'espèce étant donné qu’il n'aurait pas convenu à l'avance le montant et les conditions d'un parachute doré dans son contrat de travail. Il conclut que l'indemnité litigieuse ne serait pas imposable comme revenu salarié au sens de l'article 95 L.I.R. mais bien comme revenu extraordinaire rentrant dans le champ d'application de l'article 132 (1) numéro 4 LIR.
Le délégué du gouvernement soutient en substance que le bulletin litigieux serait établi conformément aux dispositions applicables en l’espèce. Il estime de surcroît que l’indemnité litigieuse accordée à l’appelant se traduirait par un « golden handshake » ou « parachute doré » qui aurait été déguisée pour les besoins de la cause fiscale en une indemnité en contrepartie d’une extension de la clause de non-concurrence, de manière à s’analyser en un « Scheingeschäft » au sens du § 5 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, dite « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », dès lors que la convention transactionnelle du 25 septembre 2010 serait extrêmement brève et ne contiendrait aucun élément qui laisserait conclure à l’existence d’une transaction mais relèverait bien plus d’un montage aux fins d’obtenir une exemption fiscale.
Il échet de constater que les parties sont en désaccord sur la qualification à donner à la somme de …. euros perçue par le demandeur aux termes des conventions transactionnelles signées avec son ancien employeur, le demandeur estimant qu’il s’agirait d’un revenu extraordinaire à imposer conformément aux dispositions de l'article 11 numéro 2 LIR et de l'article 132 (1) numéro 4 LIR alors que le délégué du gouvernement est d’avis que cette somme constituerait une simple indemnité de congédiement visée par l’article 95 (1) LIR et imposable à ce titre.
L’article 132 (1) 4 LIR qualifie de revenus extraordinaires imposables par application de l’article 131 (1) b) LIR « les indemnités et dédits visés respectivement aux numéros 1 et 2 de l’article 11 dans la mesure où ils remplacent des revenus se rapportant à une période autre que l’année d’imposition ».
L’article 11 LIR définit en ses points 1 et 2 les notions visées à l’article 132 (1) 4 LIR comme « 1. les indemnités et avantages accordés pour perte ou en lieu et place de recettes, à condition qu’il s’agisse de recettes qui, en cas de réalisation, auraient fait partie d’un revenu net passible de l’impôt ; (…) 2. le dédit alloué pour l’abandon ou le non-exercice d’une activité, ainsi que pour l’abandon d’une participation au bénéfice ou de la perspective de pareille participation, à condition qu’en cas de réalisation les recettes provenant de l’activité ou de la participation eussent fait partie d’un revenu net passible de l’impôt ; ».
Il résulte de l’économie des articles 11 points 1 et 2 ainsi que 132 (1) 4 LIR que tant l’indemnité au sens de l’article 11 point 1 LIR que le dédit au sens de l’article 11 point 2 LIR constituent une recette de substitution versée en remplacement d’autres recettes.
Cette exigence du caractère substitutif est par ailleurs posée d’une manière analogue en droit allemand sur base de la disposition correspondante du paragraphe 24, 1. de la loi sur l'impôt sur le revenu allemande, ayant conservé une teneur identique à celle de l’article 11 points 1 et 2 LIR (cf. Blümich, EStG-Kommentar, § 24, n° 6-s; Herrmann-Heuer-Raupach, EStGKommentar, § 24, Anm. 21-s; Schmidt, EStG-Kommentar, 17e édit., § 24, n° 5-s).
Quant aux recettes que le dédit est destiné à remplacer, il se dégage des documents parlementaires à la base de la LIR et plus particulièrement du commentaire de l’article 158, devenu par après l’article 132 LIR, qu’il faut « que les contribuables aient eu la perspective bien fondée d’entrer en possession des revenus remplacés par l’indemnité »4.
En l’espèce, il ressort des pièces et documents versés en cause que l’allocation de la somme de …. euros versée au demandeur fut fixée dans la convention transactionnelle du 25 septembre 2010 et que les parties contractantes prirent le soin d’indiquer « suivant article 11/2.
LIR, cette indemnité constitue un dédit pour l’abandon d’une activité, à considérer comme revenu extraordinaire au sens de l’article 132 (1) 4. LIR ». Il ressort encore desdites pièces et desdits documents que le versement de ladite somme s’inscrit dans le cadre de la conclusion d’une convention de cession du 6 décembre 2006 dont l’article 6.1 prévoit une clause de non concurrence aux termes de laquelle le demandeur s’est interdit jusqu'en février 2013 et pendant la période de 5 ans qui suit, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg « (i) de constituer ou de devenir associé, administrateur, consultant ou salarié, directement ou indirectement, d'une entreprise autre que les Sociétés, exerçant des activités similaires ; (ii) d'inciter ou de tenter d'inciter, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, des clients des Sociétés 4 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, commentaire des articles, doc. parl. 5714, ad article 158, p. 277 [la société anonyme AAA S.A. et la société à responsabilité BBB S.àr.l] ou du Cessionnaire [la société à responsabilité limitée CCC] à rompre leurs relations avec ces derniers » laquelle fut modifiée par avenant du 18 décembre 2009 dont l'article 3-a. dispose notamment ce qui suit :
« (…) le contrat de travail de M …..sera résilié au 30 septembre 2010. Au cours de la période du 1er janvier au 30 septembre 2010 la rémunération mensuelle de M …..sera la même que celle perçue mensuellement en 2009. M …..est disposé toutefois à prester quelques heures par semaine au cour de la période du 1er octobre au 31 décembre 2010. Sa rémunération pour cette période sera limitée au montant de EUR …. par mois.
La rémunération totale de M ….., pour l'année 2010, sera égale à celle perçue par lui au titre de l'année 2009. La différence par rapport à ce qui est prévue ci-dessus lui sera versée sous forme de prime, en complément de l'indemnité ci-après décrite.
Par ailleurs, au moment de son départ, M …..percevra, suivant une convention transactionnelle entre parties, une indemnité brute de départ égale à une année de salaire, charges sociales patronales comprises (la référence sera le salaire perçu au titre de l'année 2009). Ce montant sera effectivement payé le 30 septembre 2010 et cette indemnité sera à considérer comme dédit prévu par l'article L.I.R. 11/2 pour l'abandon d'une activité professionnelle. Les charges fiscales salariales y relatives seront à charge de M …… M …..démissionnera de ses fonctions d'administrateur, respectivement de gérant des Sociétés au 31 décembre 2010 (…) ».
Dès lors, dans la mesure où, d’après les dispositions des conventions sus-visées, la somme de …. euros fut payée au demandeur en contrepartie de sa renonciation à exercer dans le futur une activité indépendante de nature à produire des revenus imposables, elle peut a priori rentrer dans la définition du dédit pour non-exercice d’une activité au sens de l’article 11 point 2 LIR.
Il convient cependant d’examiner si, concrètement en l’espèce, les conditions relatives à l’abandon ou au non-exercice d’une activité sont remplies dans le chef du demandeur.
En vertu de l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 « la preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable (…) ».
Dans la mesure où le demandeur affirme que la somme perçue en vertu de la convention transactionnelle du 25 septembre 2010 s’inscrivant dans le cadre de la convention de cession du 6 décembre 2006 telle que modifiée par avenant du 18 décembre 2009 est à qualifier de revenu extraordinaire bénéficiant d’un taux d’imposition réduit, il lui appartient d’établir que ladite somme relève du champ d’application de l’article 132 (1) 4 LIR.
Tel que cela a été retenu ci-avant, afin que la somme payée à titre de dédit puisse être considérée comme une indemnité perçue en relation avec l’abandon ou le non-exercice d’une activité, il faut nécessairement qu’il existe une perspective raisonnable dans le chef du récipiendaire de ladite indemnité de toucher les recettes provenant de l’activité à laquelle il a renoncé. D’autre part, il appartient au contribuable de justifier non seulement le principe du paiement d’un dédit, mais, en cas de contestation, tel que cela est le cas en l’espèce, il lui appartient encore d’établir une relation économique réelle entre le montant alloué à titre de dédit et les recettes que ce dernier est censé remplacer, en démontrant le quantum des recettes envisagées et le titre auquel elles auraient été versées.
Force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut de rapporter tant la preuve qu’il existe dans son chef une perspective raisonnable de toucher les recettes provenant de l’activité à laquelle il a renoncé et, au regard des contestations du délégué du gouvernement, que de la relation économique réelle entre le montant alloué à titre de dédit et les recettes que ce dernier est censé remplacer.
En effet, si le demandeur affirme, certes, qu’il aurait été dans un lien de subordination avec la société BBB, qu’âgé de 61 ans il n’aurait pas atteint l’âge de la retraite au moment de la conclusion de la convention transactionnelle, que son départ aurait été souhaité et négocié par son employeur, qu’il aurait existé dans son chef une perspective raisonnable de toucher dans le futur des recettes provenant d’une activité indépendante concurrente à celle de son ancien employeur à laquelle il aurait renoncé en contrepartie de l’allocation de dédit conventionnellement fixée et que le quantum du dédit à hauteur de …. correspondrait à environ quatorze mois de salaire, il n’en demeure pas moins qu’il ressort de manière concordante et non équivoque des pièces et éléments versés en cause, ainsi que le relève à juste titre le délégué du gouvernement, que la qualité aux termes de laquelle le demandeur est intervenu en tant que partie contractante de la convention transactionnelle du 25 septembre 2010 et de la convention de cession du 6 décembre 2006 ainsi que de son avenant du 18 décembre 2009 fait tantôt référence à celle d’associé et donc d’employeur et tantôt à celle de salarié de sorte à laisser planer un doute sur la vraie nature de ses activités au sein du groupe AAA en ce qui concerne les conventions susmentionnées.
Ainsi, il ressort de la convention de cession du 6 décembre 2006 qu’il a agi « en sa qualité personnelle et en sa qualité d’ayant droit économique de la société cédante DDD (…) » et que « [il] est l’unique ayant droit économique et contrôle à 100% la société cédante DDD », convention dont l’objet était d’organiser le départ à la retraite des administrateurs et gérants des sociétés faisant l’objet de la convention à partir du 31 décembre 2012 et donc, le départ à la retraite du demandeur, par laquelle il fut cédé la totalité des actions de la société anonyme AAA S.A. et la totalité des parts de la société AAA. A titre superfétatoire, il échet encore de constater, à cet égard, que le délégué du gouvernement relève, à juste titre, que la société anonyme cédante DDD a été constituée le 26 novembre 2006 préalablement à la date de la conclusion de la convention de cession susvisée, que ladite constitution a été publiée au Mémorial C5 et que le demandeur actionnaire unique de la société anonyme DDD détenant 228 actions de la société anonyme AAA S.A. et 114 parts de la société Sofinter, ainsi cédées, n’aurait pas déclaré au bureau d’imposition compétent le produit de la vente de sa participation dans lesdites sociétés de sorte qu’il en conclut à l’existence d’une structure fiscale abusive.
Ensuite, il y a lieu de constater, ainsi que le relève le délégué du gouvernement, qu’alors que le demandeur a cédé sa participation dans la société anonyme AAA S.A. et la société AAA par le truchement de la convention de cession du 6 décembre 2006 telle que modifiée par l’avenant du 18 décembre 2009, la transaction conventionnelle du 25 septembre 2010 est, de manière singulière, précisément conclue entre le demandeur et la société AAA. Or, le demandeur intervient dans cette transaction en tant que cocontractant ayant deux qualités différentes, à savoir, d’un côté, en sa qualité de second gérant de la société AAA et, d’un autre côté, en sa qualité de récipiendaire de l’indemnité transactionnelle, tandis que la société AAA, second 5 Mémorial C, n° 109 du 3 février 2007 contractant intervenant dans ladite transaction, est un tiers par rapport à la clause de non-
concurrence visée dans la convention du 6 décembre 2006 telle que modifiée par l’avenant du 18 décembre 2009, clause qui n’a vocation à être opposable qu’au cessionnaire des actions et parts de la société anonyme AAA S.A. et de la société AAA, à savoir, la société à responsabilité limitée CCC, ci-après désignée par « la CCC ». Il s’ensuit que par application de l’adage res inter alios acta alliis nec prodesse, nec nocere potest, selon lequel la chose conclue entre les uns ne peut nuire ou profiter aux autres ou aux tiers, la clause de non-concurrence visée dans la convention du 6 décembre 2006 telle que modifiée par l’avenant du 18 décembre 2009 n’est pas être opposable à la société AAA, contractant de la transaction conventionnelle du 25 septembre 2010. Enfin, force est de constater que ladite convention transactionnelle est muette sur les motifs justifiant l’abandon de l’activité du demandeur.
Enfin, il est constant pour ressortir des pièces et éléments versés en cause, et notamment des extraits de publication au Mémorial C ainsi que le constate le délégué du gouvernement, que par décision de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société anonyme DDD du 17 janvier 2013, le nom et l’objet social de ladite société ont été modifiés de sorte à s’appeler désormais la société anonyme EEE S.A. ayant pour objet social « l'exploitation d'une agence d'affaires avec prestation de services commerciaux, ainsi que toutes opérations industrielles, commerciales ou financières, mobilières ou immobilières, se rattachant directement ou indirectement à son objet social ou qui sont de nature à en faciliter l'extension ou le développement » de sorte qu’eu égard à la circonstance que le demandeur est tant actionnaire unique qu’administrateur unique de ladite société pour une nouvelle période de 5 ans, expirant à l'issue de l'assemblée générale ordinaire à tenir en 2018, ainsi que cela fut décidé par l'assemblée générale extraordinaire de la société du 6 mars 2013, la clause de non-concurrence figurant dans la convention de cession du 6 décembre 2006 telle que modifiée par avenant du 18 décembre 2009 justifiant l’abandon de l’activité du demandeur et sous-tendant la qualification de l’indemnité perçue au titre d’indemnité de dédit au sens de l’article 11 point 2 LIR. a été manifestement violée étant donné que l’objet social de ladite société porte sur les mêmes activités que celles que le demandeur s’est engagé à ne pas exercer dans le cadre de la clause de non-
concurrence concernée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas établi que la somme touchée par lui en vertu des conventions concernées rentre dans la catégorie des dédits visés à l’article 11 point 2 LIR auquel renvoie l’article 132 (4) LIR, de sorte qu’à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter comme non fondé.
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros formulée par le demandeur dans son mémoire en réplique.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable en ce qu’il est dirigé contre la décision de refus implicite résultant du silence gardé suite à l’introduction de la réclamation de Monsieur …..du 27 juillet 2012 ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme pour le surplus ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Andrée Gindt, juge Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 19 mai 2014 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 mai 2014 Le greffier du tribunal administratif 10