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06/05/2014 | LUXEMBOURG | N°34165

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 mai 2014, 34165


Tribunal administratif N° 34165 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 6 mai 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34165 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2014 par Maître Isabelle Ferand, avocat à la Cour

, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … ...

Tribunal administratif N° 34165 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 6 mai 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34165 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2014 par Maître Isabelle Ferand, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, représenté par son administratrice, la Fondation Caritas, elle-même représentée par son conseil d’administration, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en sa plaidoirie à l’audience publique du 23 avril 2014.

En date du 4 octobre 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur … fut entendu le 22 janvier 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

A l’occasion de son audition, Monsieur …, déclarant être mineur et de nationalité albanaise, exposa qu’il aurait fui son pays d’origine pour échapper aux menaces de mort pesant sur lui et sa famille en raison d’une dette contractée par son père.

Il affirma qu’il serait menacé par trois personnes originaires comme lui de Kukës dont il ne connaîtrait pas l’identité et auprès desquelles son père aurait contracté une dette de jeu pour un montant de 15 millions de leks albanais, soit environ 12 000 euros. Son père ne pouvant rembourser cette somme d’argent aurait fui l’Albanie en 2011. Il expliqua qu’étant le seul homme restant de la famille, il serait tenu personnellement responsable du remboursement de la dette par les créanciers de son père, depuis la fuite de ce dernier.

En septembre 2012, il aurait été victime des premières menaces alors qu’il se rendait à l’école. Les trois hommes l’auraient forcé à monter à bord d’une voiture sous la menace d’une arme et, une fois arrivés en dehors de la ville, ils l’auraient frappé avant de le laisser repartir.

Ils auraient également menacé de le tuer ainsi que sa mère et ses deux sœurs si la dette n’était pas remboursée. Il aurait été blessé, mais ne serait pas allé à l’hôpital. Deux semaines après cette agression, il se serait adressé à la police pour dénoncer ces faits, mais l’agent auquel il se serait adressé lui aurait répondu qu’il ne pourrait pas porter plainte car il s’agirait de problèmes familiaux. L’attitude de la police l’aurait dissuadé d’entreprendre ultérieurement toute autre démarche. Il ajouta qu’à partir de ce moment, il n’aurait plus osé sortir de chez lui et aurait été contraint d’interrompre ses études.

Entre septembre 2012 et septembre 2013, les créanciers de son père se seraient rendus à une vingtaine de reprises au domicile familial et les auraient menacés, lui, sa mère et ses sœurs, avec une arme. Ils auraient également saccagé la maison et emporté des objets de valeur. Ces faits n’auraient jamais été signalés à la police, par peur de représailles. Il indiqua qu’il n’aurait pas non plus recherché l’aide d’autres institutions que la police et qu’il ignorerait l’existence d’organismes aidant les mineurs.

Comme sa mère n’aurait pas les moyens de rembourser la dette, elle l’aurait incité à partir seul dans un premier temps. En septembre 2013, il se serait ainsi réfugié pendant trois semaines chez des cousins vivant à Tirana avant de quitter l’Albanie. Durant cette période, il déclara n’avoir rencontré aucun problème avec les auteurs des menaces. Toutefois, il indiqua qu’il ne pourrait pas envisager de s’y installer durablement, car, compte tenu de la faible étendue du pays, il pourrait être retrouvé rapidement. Depuis son départ, il serait resté en contact téléphonique avec sa mère qui lui aurait rapporté qu’elle aurait encore reçu la visite et les menaces des créanciers de son père.

Par ordonnance du 19 novembre 2013, rendue par le juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, la Fondation Caritas Luxembourg a été désignée, en application de l’article 12 (1) de la loi du 5 mai 2006, comme administrateur ad hoc pour assister le demandeur, mineur non accompagné, dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale.

Par décisions du 19 février 2014, notifiées à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 20 février 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) sous a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de l’Albanie ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner.

S’agissant d’apprécier le bien-fondé de la demande en obtention du statut de réfugié, la décision de refus est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », Monsieur … proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Cette analyse de la situation générale en Albanie serait d’ailleurs confortée par les déclarations du Président de la Commission européenne qui aurait salué en septembre 2012 les progrès accomplis par l’Albanie dans son programme de réformes, se rapprochant ainsi des normes européennes pour accéder au statut de pays candidat à l’Union européenne.

Le ministre observa ensuite que les faits ayant provoqué le départ du demandeur de son pays d’origine seraient dépourvus de tout lien avec les motifs de persécution prévus par les dispositions de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève et par les articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. En effet, sa demande reposerait uniquement sur des motifs d’ordre privé et, tant l’agression qu’il aurait subie, que les menaces de mort le visant avec sa famille, ainsi que le vol et la détérioration de biens mobiliers au domicile familial, seraient constitutifs de crimes et délits de droit commun punissables en tant que tels selon la loi albanaise, et non de persécutions.

En outre, l’incapacité des autorités albanaises à lui assurer une protection en rapport avec les agissements allégués ne serait pas établie, dès lors que, sur une période de trois ans, il n’aurait sollicité qu’une seule fois l’aide de la police et n’aurait donné aucune raison valable justifiant l’absence de démarches ultérieures. Sa peur de subir des représailles de la part des auteurs des menaces, bien que légitime, ne saurait en effet justifier son inaction. Quant à la circonstance que la plainte qu’il aurait voulu déposer contre son agression n’aurait pas été recueillie, elle ne suffirait pas à remettre en cause le fonctionnement de la police albanaise dans son ensemble. L’accès à une protection effective serait d’ailleurs garanti par la présence d’une direction régionale de la police et d’un commissariat à Kukës selon l’organisation fixée par la loi de 2007 sur la police d’Etat. Le ministre mentionna encore la possibilité pour le demandeur de s’adresser, avec l’aide d’un adulte membre de sa famille, à l’Ombudsman, qui est compétent pour connaître des abus commis par des policiers.

Finalement, le récit du demandeur, qui ne serait corroboré par aucun élément concret et probant, ne serait pas crédible. Il paraîtrait en effet surprenant qu’il puisse être réellement tenu pour responsable du remboursement de la dette de son père, alors qu’il serait encore mineur et ne disposerait d’aucune source de revenus le rendant solvable. Ainsi, les faits allégués n’étant pas crédibles, la crainte de persécution qui en découlerait ne serait pas fondée. Il s’agirait plutôt d’un sentiment d’insécurité ne reposant sur aucun fait concret. La circonstance que la mère et les sœurs du demandeur soient restées seules à Kukës, bien qu’elles aient également été visées par les menaces, viendrait au soutien de cette analyse.

Le ministre estima qu’en tout état de cause, le demandeur n’aurait pas besoin d’une protection internationale, dès lors qu’il disposerait d’une alternative de fuite interne dans son pays d’origine lui permettant de mettre un terme à ses difficultés. Le ministre fit observer que le demandeur aurait en effet vécu à Tirana chez des cousins sans rencontrer aucun problème et qu’il n’aurait présenté aucune raison valable pour justifier l’impossibilité de s’y installer.

Le ministre en conclut que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande ne permettraient pas d’établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine pour l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève et la loi du 5 mai 2006.

S’agissant de la protection subsidiaire, le récit du demandeur ne comporterait aucun motif sérieux et avéré permettant de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, en cas de retour dans son pays d’origine.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 19 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, et à l’annulation de la décision du même jour portant ordre de quitter le territoire.

Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation contre le refus d’une demande de protection internationale prise dans un tel cadre et, enfin, un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître des trois recours précités introduits contre les trois décisions ministérielles du 19 février 2014.

Les trois recours sont encore recevables pour avoir été introduits dans le délai de quinze jours fixé par l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006.

A ce stade de l’examen de la requête introductive d’instance, il convient d’examiner la question soulevée par le ministre relative à la crédibilité des faits invoqués par le demandeur, en vue de déterminer s’il y a lieu de considérer le récit de ce dernier comme établi pour les besoins de la présente instance. Le ministre a mis en doute la crédibilité du récit de l’intéressé au motif qu’il y aurait lieu de douter qu’il puisse être tenu pour responsable du remboursement de la dette contractée par son père, comme il le prétend, alors qu’il est mineur et ne dispose d’aucun revenu. De plus, la circonstance que sa mère et ses deux sœurs, également visées par les menaces de mort alléguées, soient restées seules en Albanie, enlèverait toute vraisemblance quant au caractère sérieux des menaces dont il déclare faire l’objet ensemble avec sa famille.

Il ressort toutefois du dossier que les déclarations du demandeur lors de son audition permettent d’étayer la véracité de son récit sur ces deux points, l’intéressé ayant expliqué que s’il était particulièrement visé par les menaces, bien qu’étant mineur, c’est en sa qualité de seul membre de la famille de sexe masculin, qualité qui suffit à lui conférer, aux yeux des créanciers, un rôle prépondérant sur celui de sa mère ou de ses deux sœurs et à l’exposer davantage au danger invoqué. Ce qui justifie également qu’il ait quitté en premier l’Albanie, sa mère n’ayant d’ailleurs pas renoncé à le rejoindre, ainsi qu’il ressort de ses déclarations.

Il en résulte que le tribunal est amené à retenir que les réserves émises par la partie étatique doivent être écartées comme n’étant pas de nature à ébranler la crédibilité du récit du demandeur dans sa globalité, dont les déclarations devront par suite être réputées avérées dans le cadre de l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 19 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée A l’appui de son recours, le demandeur soutient que ce serait une appréciation des faits manifestement erronée qui aurait conduit le ministre à statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement juridique de l’article 20 (1) points a) et c) de la loi du 5 mai 2006.

En ce qui concerne l’application de l’article 20 (1) point a) de la loi précitée, le demandeur fait valoir qu’il ne pourrait pas lui être reproché de n’avoir exposé que des faits soulevant des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, alors qu’il ressortirait des déclarations faites lors de son audition qu’il aurait fait état, selon ses propres termes, d’un effroi terrible face à une réelle persécution.

Quant à l’application de l’article 20 (1) point c) de la même loi, le demandeur considère avoir fourni des raisons valables de penser que l’Albanie ne serait pas un pays d’origine sûr, ce qui justifierait qu’il ne soit pas fait application de la procédure accélérée dans son cas.

Ainsi, l’augmentation importante du nombre de demandeurs d’asile provenant d’Albanie témoignerait tant de l’existence de persécutions dans ce pays, que de l’inefficacité du système de recours contre les violations des droits et libertés existant. Il s’appuie à cet égard sur le rapport de 2013 d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde, duquel il ressortirait que les droits de l’Homme et les libertés fondamentales ne seraient pas respectés dans son pays d’origine. En ce qui concerne sa situation personnelle, il fait valoir que son récit mettrait en évidence que les auteurs d’actes de persécutions, de torture ou de traitements inhumains ou dégradants ne seraient pas jugés pour ces faits et ne feraient l’objet d’aucune sanction.

Le délégué du gouvernement estime que ce serait à juste titre que le ministre a statué sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre de la procédure accélérée et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

[…] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) points a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande, soit s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ou, encore, si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a désigné la République d’Albanie comme pays d’origine sûr.

Il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité albanaise et qu’il a habité en Albanie avant de rejoindre le Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée.

Au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21 (2) de la même loi oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale de Monsieur … a conclu qu’il provenait d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Or, l'analyse de la situation décrite par le demandeur lors de ses auditions ainsi que dans le cadre du présent recours ne permet pas au tribunal d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption en ce qui le concerne et pour conclure en conséquence à l’illégalité de la décision ministérielle.

En effet, il ressort des déclarations du demandeur que, concernant l’ensemble des incidents survenus entre septembre 2012 et septembre 2013, il ne s’est adressé qu’une seule fois à la police pour dénoncer l’agression dont il a déclaré avoir été victime en septembre 2012 et n’a pas insisté pour porter plainte contre les personnes le harcelant, expliquant qu’il s’était heurté à un refus de protection du policier auquel il s’était adressé et que les défaillances dans le fonctionnement de la police et de la justice dans son pays d’origine permettraient aux auteurs de méfaits de bénéficier d’une totale impunité, ce qui l’aurait finalement dissuadé d’entreprendre ultérieurement toute autre démarche.

Cependant, la seule attitude du policier auquel il s’est adressé ne saurait être interprétée comme un refus définitif de protection des autorités en place, ni être suffisante pour rejaillir sur la capacité de l’institution policière dans son entier à le protéger, alors qu’il résulte par ailleurs des explications fournies par la partie étatique, documentées par un rapport de la « Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada »1, que les citoyens de la municipalité de Kukës peuvent s’adresser non seulement à la direction régionale de la police, mais également à plusieurs commissariats. Face à une inconduite policière avérée, il lui aurait ainsi été possible de s’adresser à un autre bureau de police, respectivement à une entité policière ou administrative hiérarchiquement supérieure, ce qu’il n’a pas fait. A ce sujet, il résulte également du rapport précité qu’une plainte contre un policier peut être introduite dans n’importe quel poste de police en Albanie, ainsi qu’auprès de la Direction générale de la police, qui comporte un « Secteur des plaintes et de la discipline », ou encore auprès du bureau du procureur. En tout état de cause, tout citoyen albanais peut recourir à la possibilité de protester contre les abus de policiers auprès de l’Ombudsman, connu en Albanie sous le nom d’« Avokati Populitt », et présenté comme le garant des droits des citoyens et un acteur incontournable de la responsabilisation de l’action de l’administration2.

Or, force est de constater que le demandeur, se résignant à ne plus rien entreprendre, n’a pas cherché à s’adresser à d’autres policiers pour signaler les faits survenus avant son départ, de sorte qu’en l’absence de démarches concrètes accomplies par l’intéressé, il est vain d’invoquer une situation générale défaillante pour discréditer la protection que les autorités en place peuvent apporter aux victimes d’agressions.

Au demeurant, il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que les autorités albanaises, qui se sont engagées dans d’importantes réformes, ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection en rapport avec les difficultés qu’il a invoquées. En effet, dès octobre 2012, la Commission européenne s’est félicitée des progrès accomplis par l’Etat albanais dans la réforme du système judiciaire qu’il a entreprise3. La structure de la police d’Etat a également été modifiée en vue d’améliorer la poursuite des crimes et délits et de garantir la sécurité des citoyens. Le gouvernement poursuit actuellement ses réformes de restructuration des forces de police avec une augmentation du budget de la police de plus de 25% en 20144.

A cet égard, l’intéressé ne saurait se borner à alléguer un défaut de confiance dans l’efficacité du système de recours contre les violations des droits de l’homme, en l’absence d’éléments concrets tenant au fonctionnement dudit système et permettant de justifier son manque d’insistance. Cette analyse n’est pas infirmée par les extraits du rapport de 2013 d’Amnesty International cités par le demandeur et relatifs au non-respect des droits de l’Homme dans son pays d’origine, étant donné que les informations auxquelles il se réfère ne présentent pas de similitude avec sa situation personnelle. Il ne saurait davantage induire de la seule augmentation du nombre de demandeurs d’asile de nationalité albanaise, un défaut de protection suffisant dans son pays d’origine, dès lors que l’évolution de ce chiffre est corrélée à une pluralité de facteurs, également d’ordres économique et sociaux.

1 Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada, 5 octobre 2011, « Albanie : information sur la force policière, y compris sa structure et son emplacement ; la corruption policière ; l’inconduite policière ; la procédure à suivre pour déposer une plainte contre la police et les actions entreprises à la suite du dépôt d’une plainte ».

2 European Commission, Communication from the Commission to the European Parliament and the Council, Albania 2012 Progress report, avril 2012 3 European Commission, Communication from the Commission to the European Parliament and the Council, Albania 2011 Progress report.

4 Article publié dans la revue « Balkan Insight » le 11 octobre 2013 et intitulé « New Albania government restructures police force ».

Enfin, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, certes mineur au moment de son départ, mais pouvant le cas échéant bénéficier de l’aide de sa mère et d’une de ses sœurs mariée, il ne paraît pas non plus déraisonnable d’envisager qu’il ait pu accomplir un certain nombre de démarches pour signaler ses difficultés avant de se résoudre à quitter son pays pour demander une protection internationale. Par suite, il ne résulte pas de ses déclarations et du dossier qu’il soit dans l’impossibilité d’accéder à la protection des autorités, alors même que, selon ses propres dires, il a pu organiser lui-même son trajet en bateau jusqu’en Italie, puis en train jusqu’au Luxembourg qu’il a pu rejoindre sans rencontrer de difficultés. Il a également accompli des démarches lui permettant d’obtenir une attestation du maire de Shistavec relative aux problèmes qu’il rencontre.

Ainsi, à défaut pour le demandeur d’avoir recherché activement une protection ou, à tout le moins, d’avoir avancé des explications plausibles justifiant de ne pas l’avoir fait, le tribunal ne dispose pas d’éléments susceptibles de remettre en cause dans son chef, le constat selon lequel les autorités albanaises disposent d’un système de recours efficace contre les violations des droits fondamentaux de l’Homme permettant de le considérer comme un pays d’origine sûr au titre des dispositions de l’article 21 (4) c) de la loi du 5 mai 2006.

Le demandeur n’ayant pas fourni d’éléments de nature à renverser en ce qui le concerne le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 selon lequel la République d’Albanie est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur de protection internationale, c’est par conséquent à bon droit que le ministre a pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) sous a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 19 février 2014 portant refus d’une protection internationale A l’appui de ce volet de la requête, le demandeur soutient que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il ne remplirait pas les conditions pour obtenir une protection internationale, alors qu’il ressortirait des déclarations faites lors de son audition qu’il serait exposé à un danger de mort sans pouvoir compter sur la protection des autorités de son pays d’origine. A cet égard, il insiste sur l’incapacité des autorités policières et du système judicaire à lui offrir une protection effective en raison de leur inefficacité. Il n’aurait d’ailleurs bénéficié d’aucune aide des autorités albanaises avant son départ contre les menaces dont il aurait été l’objet. Il exclut également l’éventualité d’une fuite interne pour échapper à ses difficultés, étant donné qu’il ne disposerait d’aucunes ressources et que le taux de chômage serait élevé en Albanie. De plus, ses agresseurs seraient suffisamment déterminés pour entreprendre des recherches sur le territoire albanais afin de le retrouver. Dans ces conditions, il n’aurait pas eu d’autre solution pour mettre un terme à ses problèmes que de fuir son pays d’origine pour solliciter une protection internationale. Concernant la protection subsidiaire, le demandeur ajoute qu’en cas de retour en Albanie, il risquerait de subir un traitement inhumain en étant assassiné.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » L’article 31 (2) précise que : « Les actes de persécution, au sens du paragraphe (1), peuvent notamment prendre les formes suivantes :

a) violences physiques ou mentales, y compris les violences sexuelles ; » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection conte les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par l’un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier d’acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption simple que des persécutions antérieures d’ores et déjà subies se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les difficultés rencontrées par le demandeur n’ont pas pour origine l’un des motifs de persécution énoncés à l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève, à savoir sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social et repris par l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.

Force est au tribunal de constater qu’il ressort sans équivoque des déclarations de Monsieur … que les menaces dont il affirme être la victime avec sa mère et ses deux sœurs trouvent leur seule origine dans les difficultés rencontrées pour rembourser une dette contractée par son père auprès de trois personnes privées, suite à des pertes aux jeux de casino. Le demandeur est ainsi confronté à un conflit personnel d’ordre privé sans aucun rapport avec sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social et ne relevant pas du champ d’application de ladite Convention, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Le tribunal relève tout d’abord que les faits invoqués ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, ni ne se rapportent au risque de subir la peine de mort, l’exécution, la torture ou des sanctions inhumaines ou dégradantes, de sorte que la demande de protection subsidiaire n’est pas fondée à ce titre.

S’agissant ensuite du risque avancé par le demandeur de subir des atteintes graves sous forme de traitements inhumains ou dégradants, le tribunal rappelle que la notion de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire implique, outre nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine de la part des autorités visées par l’article 29 de la loi du 5 mai 2006, soit que lesdites autorités ne soient pas en mesure d’offrir cette protection, soit qu’elles ne soient pas disposées à le faire, soit enfin, que la victime ait de bonnes raisons de ne pas recourir à cette protection.

Or, en l’espèce, si des menaces de mort sont certes susceptibles d’être considérées comme un indice sérieux du risque de subir des traitements inhumains et dégradants, force est toutefois au tribunal de constater, ainsi qu’il a été retenu ci-avant dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur n’a pas établi un défaut de protection des autorités albanaises, et que, par ailleurs, il n’a fourni dans le cadre de la procédure contentieuse aucun élément complémentaire pertinent sur ce point, de sorte qu’il ne saurait, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Par suite, c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder au demandeur la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 19 février 2014 portant ordre de quitter le territoire En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire au motif qu’il aurait établi ci-avant l’existence d’une crainte fondée de subir des persécutions sinon des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, ainsi que pour violation des dispositions de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et à l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Il estime en effet qu’un retour en Albanie l’exposerait immanquablement à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, tels que décrits lors de son audition.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, il a également pu valablement assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 […] ».

L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) prévoit que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, fait obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise à l’encontre de non-nationaux lorsqu’il est établi qu’il existe pour eux un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants dans le pays de renvoi, encore faut-il que le risque concerne des souffrances physiques ou mentales présentant une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risque de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés.

S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques invoqués par le demandeur en cas de retour en Albanie, le tribunal a conclu ci-avant à l’existence d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités de son pays d’origine, de sorte que le tribunal ne saurait se départir, à ce niveau-ci de son analyse, de cette conclusion.

Par suite, le tribunal est amené à conclure à l’absence de motif sérieux et avéré de penser que la décision du ministre ordonnant au demandeur de quitter le territoire luxembourgeois à destination de l’Albanie l’expose aux traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH.

A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 19 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 19 février 2014 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 19 février 2014 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 6 mai 2014, à 11 heures, par le vice-

président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 06.05.2014 Le Greffier du Tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 34165
Date de la décision : 06/05/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-05-06;34165 ?

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