Tribunal administratif N° 34281 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er avril 2014 2e chambre Audience publique extraordinaire du 30 avril 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23, L. 5.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34281 du rôle et déposée le 1er avril 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Serbie), et de son épouse Madame ………, née le …. à …. (Kosovo), agissant en leur nom personnel et au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …., né le …. à …. et ….., née le …. à …., tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à …., tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 mars 2014 ayant déclaré leur demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 25 mars 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 avril 2014.
Le 5 juillet 2011 Monsieur ….. et son épouse Madame ………, agissant en leur nom personnel et au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …. et ….., ci-après désignés par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Cette demande fut rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 23 août 2012. Le recours contentieux introduit contre cette décision fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 22 octobre 2013 (numéro 32609C du rôle).
En date du 18 février 2014, les consorts ….. n’ayant été ni expulsés du Luxembourg, ni rapatriés dans leur pays d’origine, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.
Les déclarations des consorts ….. sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
Monsieur ….. et Madame ……… furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en date du 25 février 2014 sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur nouvelle demande de protection internationale.
Par décision du 13 mars 2014, notifiée par courrier recommandé envoyé le 17 mars 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts ….. que leur nouvelle demande de protection internationale avait été déclaré irrecevable sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos nouvelles demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que le service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes a enregistrées en date du 18 février 2014.
Il ressort de votre dossier que vous avez déposé des premières demandes de protection internationale, en date du 5 juillet 2011, qui ont été rejetées comme non fondées en date du 23 août 2012. Madame, Monsieur, vous aviez invoqué à la base de ces demandes que vous seriez membres du parti politique « LDP » et que vous auriez été membres du bureau exécutif. Vous dites que vous vous seriez engagés pour recruter de nouveaux membres et vous auriez été dans la commission électorale pendant les élections. De même, depuis 2000, vous seriez membres de l'association « Urban-In ». Vous indiquez que vous auriez travaillé volontairement et vous auriez mis en place un projet qui aurait consisté à observer le fonctionnement des autorités communales et la dépense de l'argent de la commune. Ce projet aurait néanmoins échoué par manque de collaboration de la part de la commune et vous auriez alors organisé une manifestation devant la commune en 2007. Vous dites que des membres du « SDA » seraient venus et vous auraient demandé méchamment ce que vous feriez. Selon vos dires, vous auriez à plusieurs reprises reçu des invitations des partis « SDA » et « SDP » pour devenir leur membre. Vous déclarez que vous auriez vécu dans une maison que vous auriez voulu rénover. Vous auriez déposé l'autorisation et vous auriez reçu l'acte d'urbanisation en 2007. Monsieur, vous auriez commencé à construire et le 5 février 2008, vous auriez été appelé pour vous dire que votre père serait le seul propriétaire du terrain et que le cadastre aurait commis une faute. Suite à cela, le terrain aurait été partagé avec votre voisin qui est votre oncle, mais ce dernier n'aurait pas accepté. L'affaire serait passée au tribunal et vous dites que l'Etat aurait envoyé deux inspecteurs, deux policiers et cinq prisonniers pour détruire la maison. Vous auriez porté plainte et un agent vous aurait dit de porter plainte au tribunal. A la fin du compte vous auriez néanmoins reçu la confirmation que votre autorisation de construction serait en règle mais votre oncle ne serait pas d'accord. Vous indiquez que votre oncle, qui travaillerait au sein d'un bureau de finances, et son fils seraient la cause de tous vos problèmes parce qu'ils auraient des contacts au niveau communal et national.
Votre oncle serait décédé entretemps. Vous ajoutez que vous auriez sollicité l'agence contre la corruption en mai 2010 qui aurait essayé que l'affaire s'arrange entre vous et la commune. Selon vos dires, lors de la réunion convoquée, des agents communaux vous auraient dit qu'ils croiraient en leurs collaborateurs et vous seriez alors partis parce que vous auriez eu peur. La décision finale du tribunal aurait été en votre faveur mais la commune n'aurait pas voulu vous parler. Vous dites que votre implication au sein de « Urban-In » et du « LSP » aurait provoqué vos problèmes de construction.
Madame, Monsieur, vous avez été déboutés de votre première demande par un jugement de la Cour Administrative du 22 octobre 2013 aux motifs que: « (…) Cependant, la Cour retient, par confirmation des premiers juges, que les événements vécus par les appelants dans leur pays d'origine et invoqués à l'appui de leur demande de protection internationale ne sont pas suffisants pour répondre à la définition de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social.
En effet, les premiers juges ont correctement analysé le récit des appelants pour en déduire que le principal problème rencontré dans leur pays d'origine concerne un litige avec leur commune au sujet d'une autorisation de construire, les appelants affirmant que le motif sous-jacent au retrait, par la commune, de cette autorisation d'agrandir leur maison, ainsi que derrière le refus de se conformer aux jugements reconnaissant leurs droits relatifs à la construction envisagée, résiderait, d'un côté, dans le fait que les époux …-… seraient membres respectivement du parti politique d'opposition «…» et de l'association «…» et, de l'autre côté, dans le fait que leur voisin, qui serait en même temps l'oncle de Monsieur …, aurait corrompu les autorités communales pour agir en sa faveur. Les premiers juges ont judicieusement retenu qu'il ne ressort d'aucun élément concret du dossier que le litige avec les autorités communales aurait un lien avec les opinions politiques des appelants et que, faute d'un quelconque élément concret en sens contraire, la motivation des autorités communales doit dès lors être mise en rapport de manière exclusive avec l'intervention du voisin, les premiers juges ayant correctement relevé à l'appui de cette appréciation que, malgré leur convictions politiques, les appelants affirment avoir obtenu, dans un premier temps, et sans le moindre problème, leur autorisation de construire de la part des autorités communales et que la commune n'aurait changé de position qu'après le commencement du chantier suite à une plainte de leur voisin. En ce qui concerne la corruption alléguée des autorités communales par le propriétaire voisin, la Cour rejoint les premiers juges dans leur position qu'il ne ressort d'aucun élément concret du dossier que celle-ci serait motivée par un des critères de fond définis à l'article 2, sub c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, l'opinion politique, la nationalité ou l'appartenance à un certain groupe social. En effet, le litige opposant les appelants à leur voisin et oncle est de nature purement privé et lié à des arrangements familiaux de la génération précédente. En outre, les appelants n'ont pas concrètement établi qu'il ne leur aurait pas été possible de rechercher une protection auprès des autorités de leur pays, vu que le recours à la justice de leur pays d'origine leur a permis d'obtenir gain de cause, au moins de manière théorique dans un premier temps, et que, face au refus de la commune de se conformer à la décision de justice, ils n'ont plus poursuivi la procédure entamée par la saisine de l'agence contre la corruption dès après l'échec de la première réunion. Par rapport à la situation générale de la minorité … en Serbie, les appelants n'ont pas fait état d'éléments suffisants dont il se dégagerait que l'Etat serbe ne dispose pas d'un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner de tels actes et que les instances étatiques serbes ne soient pas disposées ou capables d'assurer à la population … une protection efficace. Par voie de conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté comme étant non fondé le recours des appelants en ce qui concerne le volet du statut de réfugié. ».
Vous n'êtes par la suite pas retournés en Serbie et avez déposé des nouvelles demandes de protection internationale en date du 18 février 2014.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 18 février 2014, les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 25 février 2014 ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes.
Madame, Monsieur, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous n'avez été ni expulsés, ni rapatriés après le refus de vos premières demandes de protection internationale le 23 août 2012.
Monsieur, il ressort de vos déclarations auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que votre deuxième demande de protection internationale repose sur les mêmes motifs que ceux exposés lors de votre première demande. Ainsi, vous connaîtriez toujours des « problèmes politiques » en Serbie même si vous n'êtes plus retourné dans votre pays d'origine depuis deux ans et demi. Vous expliquez que des procès seraient en cours en Serbie contre votre personne pour plus loin dire l'inverse, aucun procès serait en cours.
Vous avez versé plusieurs documents pour étayer vos dires:
1. Un témoignage d'une certaine ….., qui serait une journaliste du quotidien de Belgrade « Danas » et qui aurait voulu publier un article concernant votre « situation ». Elle y affirme que vous seriez « victime de son (donc: le vôtre) engagement politique » puisqu'elle aurait reçu des « pressions » de la part des autorités locales à partir du moment où elle aurait commencé à écrire cet article. Cette pression aurait été transmise par des appels téléphoniques de certaines personnes « bienveillantes » et « proches du pouvoir ». …..
aurait alors décidé de reporter la publication dudit article. Elle ajoute que les autorités locales vous auraient causé des problèmes, même pendant votre absence, puisqu'elles auraient construit une route sur votre terrain dans la périphérie de ….. Vous avez ensuite remis un autre témoignage non traduit de ….. datant du 19 février 2014. Selon ce document, elle aurait reçu des menaces parce qu'elle aurait voulu publier un article en janvier ou février 2014 concernant votre « situation » avant les élections. Cela ne conviendrait pas aux politiciens puisque vous feriez partie du « LDP », le parti d'opposition. Vous seriez d'avis que ces menaces seraient également proférées envers votre personne, raison pour laquelle vous ne pourriez pas retourner en Serbie.
Vous dites que les gens voudraient se venger parce que vous n'auriez jamais voulu adhérer à leurs partis. Finalement, ….. n'aurait pas publié cet article. Vous avez également remis un témoignage non traduit d'une certaine ….., qui serait l'ex-directrice de l'« Urban-In ».
2. Des copies des cartes d'identité de Madame ….. et de ….. ainsi qu'une copie de la carte de journaliste de Madame …… Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Hormis les témoignages versés, vous ne pourriez pas invoquer de nouveaux faits ou problèmes dans votre pays d'origine. « Depuis 3 ans nous ne sommes plus là-bas et il n'y a rien de concret qui nous est arrivé » (p. 3/4).
Il s'agit de noter que l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que: « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. ».
Or, Madame, Monsieur, force est de constater que les soucis que vous invoquez ont déjà été traités dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale. En effet, vous aviez déjà fait part de vos problèmes avec les autorités locales concernant une autorisation de construction au cours de vos premières demandes de protection internationale. Le simple fait que vous avez remis un témoignage d'une journaliste qui aurait voulu écrire un article sur votre situation et qui affirme qu'elle aurait reçu des « pressions » de la part des « autorités locales » ne saurait en tout cas augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions pour prétendre à une protection internationale. En tous cas, un litige avec les autorités communales au sujet d'une autorisation de construire ne revêt pas un caractère de gravité tel à être assimilé à une persécution au sens de la Convention de Genève et ne tombe pas non plus sous un des critères prévus par cette Convention, qui garantit une protection à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social. Par ailleurs, comme retenu par le jugement de la Cour administrative, il n'est nullement démontré que vos problèmes avec la commune concernant cette autorisation de construire seraient basés sur votre affiliation politique. Cela vaut d'autant plus, Monsieur, que vous avez signalé lors de votre première demande que votre oncle et son fils seraient la cause de tous vos problèmes.
Les faits que vous avancez dans le cadre de vos deuxièmes demandes de protection internationale ne sont donc pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.
Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Vos nouvelles demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors déclarées irrecevables. […] » Par courrier de leur mandataire du 18 mars 2014, les consorts ….. firent introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle du 13 mars 2014, précitée.
Par décision du 25 mars 2014, le ministre confirma sa décision du 13 mars 2014.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2014, les consorts …..
ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 mars 2014 déclarant irrecevable leur demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, ainsi que de la décision ministérielle confirmative du 25 mars 2014 intervenue sur recours gracieux.
A l’audience des plaidoiries, le mandataire des demandeurs s’est rapporté à la sagesse du tribunal quant à la question de la recevabilité du mémoire en réponse de la partie étatique.
Force est au tribunal de constater que ledit mémoire en réponse a été déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2014, soit trois jours après l’expiration du délai afférent fixé par le tribunal administratif au 11 avril 2014 suivant calendrier du 1er avril 2014. Il échet de rappeler que dans la présente matière, aux termes de l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006, le tribunal doit statuer dans le mois de la requête introductive d’instance, ce qui conduit le tribunal, pour des raisons de bonne administration de la justice, et plus particulièrement afin de concilier les droits de la défense avec son obligation légale de statuer dans le mois de la requête, à fixer des délais d’instruction plus courts, par dérogation aux délais ordinaires. Une fois un calendrier pour la fourniture des mémoires ainsi établi, ce sont ces délais spécifiques qui s’imposent par rapport aux délais ordinaires et leur non-respect est sanctionné par analogie à la sanction de la forclusion prévue à l’article 4 (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives en cas de non-respect des délais ordinaires. Il s’ensuit que le mémoire en réponse de la partie étatique, déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2014, soit trois jours après l’expiration du délai afférent fixé par le tribunal, doit être écarté pour être tardif.
En ce qui concerne la recevabilité du recours, il convient de relever que dans la mesure où la décision déférée du 13 mars 2014 déclare irrecevable la demande en obtention d’une protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 et où l’article 23 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle attaquée.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que suite à l’arrêt de la Cour administrative du 22 octobre 2013, précité, qui n’aurait pas pris en considération le caractère politique de leur demande de protection internationale, ils se seraient adressés à l’association Caritas. Celle-ci se serait alors adressée aux autorités ministérielles et aurait été informée de la possibilité pour les demandeurs d’introduire une nouvelle demande de protection internationale.
Dans le cadre de leur deuxième demande de protection internationale, ils auraient invoqué, premièrement, le fait qu’une journaliste, dénommée ….., qui aurait voulu publier un article sur leur situation, aurait reçu des menaces, et deuxièmement, les menaces proférées à leur égard à cause de l’activité politique du demandeur. Ils se prévalent à cet égard d’une attestation testimoniale de Madame ….. et d’une attestation testimoniale de la directrice de l’ONG « Urban-
in » confirmant la motivation politique de ces menaces.
En droit, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir violé leurs droits de la défense protégés par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils se prévalent plus particulièrement de l’article 11 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », et relèvent qu’aucune suite n’aurait été réservée à la demande en communication du dossier administratif formulée par leur mandataire par télécopie du 24 février 2014, même pas après l’introduction de leur recours gracieux en date du 18 mars 2014 faisant déjà état d’une atteinte à leurs droits de la défense. Au regard de l’article 23 (1) de la loi du 5 mai 2006, cette atteinte serait d’autant plus grave que les faits sous-tendant le présent recours devraient être appréciés au regard des faits se trouvant à la base de leur première de demande de protection internationale. Or, leur mandataire, n’ayant pas défendu leurs intérêts lors de leur première demande de protection internationale, serait confronté à l’impossibilité d’effectuer cette analyse en raison du défaut de communication de leur dossier administratif.
L’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que : « Tout administré a droit à la communication intégrale de son dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être. […] ».
Si, aux termes de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, précité, tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être, encore faut-il que pareille communication ait été demandée. 1 Quant aux conséquences d’un éventuel défaut de communication du dossier administratif, un tel défaut ne saurait se résoudre impérativement en une annulation de la décision administrative, étant donné que cette omission est indépendante du contenu même de la décision prise et que, dès lors, le seul grief susceptible d’affecter le destinataire de la décision est celui de ne pas avoir pu exercer utilement les voies de recours. Par conséquent, la sanction adéquate et conforme à la finalité de la prescription est la suspension des délais de recours jusqu’à due notification de la décision2, respectivement jusqu’à la communication complète du dossier administratif, puisque la finalité de ces obligations est de permettre à l’administré de décider, en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur lesquels elle se base pour asseoir sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction.3 Il est constant en cause que le mandataire des demandeurs a demandé communication de leur dossier administratif par télécopie du 24 février 2014 et que la partie étatique a déposé le dossier administratif au greffe du tribunal administratif en date du 14 avril 2014 ensemble avec son mémoire en réponse et que ce mémoire, ainsi que le dossier administratif ont été transmis en 1 cf. trib. adm. 20 février 2008, n° 23734 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 111 2 cf. trib. adm. 20 mai 1999, n° 10913 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 190 et les autres références y citées 3 cf. trib. adm. 9 janvier 2013, n° 29894 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu copie au mandataire des demandeurs par les soins du greffe le même jour.
S’il s’impose dès lors de relever que le mandataire des demandeurs ne disposait du dossier administratif ni lors de la préparation de la requête introductive d’instance, ni lors du dépôt de celle-ci en date du 1er avril 2014, les demandeurs ont cependant encore disposé de la possibilité de déposer un mémoire en réplique jusqu’au 18 avril 2014, conformément au calendrier établi par les soins du greffe le 1er avril 2014, ainsi que de prendre position oralement à l’audience des plaidoiries et de solliciter, le cas échéant, l’autorisation pour le dépôt d’un mémoire supplémentaire, ceci en pleine connaissance de leur dossier administratif, possibilité dont ils n’ont cependant pas fait usage, de sorte qu’une violation des droits de la défense des demandeurs ne saurait être retenue en l’espèce. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant au fond, les demandeurs soutiennent que dans l’arrêt du 22 octobre 2013, précité, la Cour administrative se serait basée sur l’absence d’un élément concret permettant d’établir que leur litige avec les autorités communales présenterait un lien avec leurs opinions politiques pour rejeter leur demande de protection internationale. Or, la relation entre leurs opinions politiques et leurs problèmes rencontrés en Serbie se trouverait désormais établie à suffisance de droit par les attestations testimoniales versées en cause, de sorte que la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire aurait augmenté de manière significative. Ils relèvent plus particulièrement que l’attestation testimoniale de la journaliste Madame ….. établie le 19 février 2014 porterait sur des faits qui se seraient produits un mois avant la rédaction de cette attestation testimoniale, lorsqu’elle aurait tenté de publier un article sur leur situation afin de rendre le public attentif aux pratiques du pouvoir en place à l’approche des élections du 16 mars 2014. Ils affirment que la journaliste aurait rapporté que le demandeur serait victime de son engagement politique divergent de celui du parti au pouvoir et qu’elle aurait alors reçu des menaces de plus en plus hostiles afin de ne pas publier son article. Ils qualifient la déclaration de Madame ….. d’élément nouveau en ce qu’elle porte sur des faits survenus postérieurement à l’arrêt de la Cour administrative du 22 octobre 2013. Ils font valoir que les menaces proférées à l’égard de Madame ….. concerneraient leur dossier, de sorte qu’il serait raisonnable d’estimer qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils seraient eux-mêmes victimes de pareilles menaces, étant donné que l’on ne pourrait attendre d’eux qu’ils renoncent à leur combat visant à se voir rétablir dans leurs droits.
Les demandeurs invoquent ensuite que l’attestation testimoniale de la directrice de l’ONG « Urban-in », dénommée ….., du 21 février 2014 confirmerait la nature politique de leurs problèmes rencontrés en Serbie, ainsi que l’existence de pratiques de corruption auxquelles ils auraient été confrontés sans qu’il n’ait été possible d’y remédier malgré l’intervention de ladite ONG. Ils sont d’avis que les faits attestés par Madame ….. seraient non seulement nouveaux, mais seraient encore de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.
Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision.4 Aux termes de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 : « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) » Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est dès lors conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux, et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, le demandeur devant avoir été dans l’incapacité – sans faute de sa part – de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.
Il y a lieu de rappeler que le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction constitue une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de la chose décidée d’une décision non entreprise devant les juridictions, respectivement à l’autorité de la chose jugée dont est revêtue une procédure contentieuse antérieure.
Il appartient dès lors au ministre d’analyser si les éléments qui lui ont été soumis au cours d’une deuxième demande de protection internationale constituent effectivement des éléments nouveaux et sont susceptibles en même temps d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre des précédentes procédures.
Suivant l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a).
4 Cf. Tribunal administratif 27 février 2013, n° du rôle 30584, disponible sous www.jurad.etat.lu Force est d’abord au tribunal de constater qu’il ressort sans équivoque des rapports d’audition des demandeurs du 25 février 2014 que ces derniers n’ont pas invoqué de faits nouveaux à l’appui de leur deuxième demande de protection internationale. En effet, à la question de l’argent en charge des entretiens libellée comme suit : « Quels sont les faits nouveaux que vous introduisez pour justifier votre deuxième demande de protection internationale ? », le demandeur a répondu : « Les nouvelles raisons sont aussi les vieilles raisons. […] »5, et la demanderesse a indiqué : « Tous les problèmes sont restés pareils comme avant. […] »6. En outre, la demanderesse a indiqué que : « […] Depuis 3 ans nous ne sont plus là-bas et il n’y a rien de concret qui nous est arrivé. »7 S’il est encore vrai que les recherches menées par Mesdames ….. et ….., telles qu’elles en ont fait état dans leurs attestations testimoniales respectives des 19 février 2014 et 21 février 2014, ainsi que les menaces reçues par Madame ….. afin de ne pas publier son article sur la situation des demandeurs constituent des éléments nouveaux, le tribunal est cependant amené à retenir que des menaces perçues par une tierce personne, ainsi que les recherches de Mesdames ….. et ….., portant sur des problèmes déjà analysés dans le cadre de la première demande de protection internationale des demandeurs, ne sont, en l’absence d’autre éléments, pas de nature à augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié pour ne pas répondre au degré de gravité exigé par l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, précité.
Pareillement il ne ressort pas non plus des déclarations des demandeurs qu’ils risqueraient dans l’hypothèse d’un retour en Serbie, des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. En effet les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils y risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants sinon des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision litigieuse, de sorte que la nouvelle demande de protection internationale des demandeur a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006, les demandeurs ne fournissant aucun nouvel élément suivant lequel il existe de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’atteinte grave augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
5 Cf. rapport d’audition du demandeur du 25 février 2014, p.2 6 Cf. rapport d’audition de la demanderesse du 25 février 2014, p.2 7 Cf. rapport d’audition de la demanderesse du 25 février 2014, p.3 écarte des débats le mémoire en réponse de la partie étatique déposé le 14 avril 2014 au greffe du tribunal administratif ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Andrée Gindt, juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 30 avril 2014 par le premier juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30/4/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 11