Tribunal administratif N° 34131 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 25 avril 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34131 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2014 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mariana Lunca, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 avril 2014.
En date du 6 janvier 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en date des 14 et 27 janvier 2014 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Lors de ses entretiens, Monsieur …, déclarant être d’origine serbe et de religion orthodoxe, relata qu’il aurait été victime d’une agression de la part de trois personnes inconnues d’origine albanaise en août ou en septembre 2013 à la sortie du café appartenant à son frère et dans lequel il aurait travaillé comme serveur. Ces trois individus auraient commencé à le frapper sans raison. Il aurait reçu un coup à la tête et puis des coups de pieds.
Un groupe de jeunes se serait alors approché et les agresseurs auraient pris la fuite. Par la suite, il aurait été menacé de mort à deux ou trois reprises par ces mêmes individus sur son lieu de travail. Il n’aurait jamais signalé ces agissements à la police, car la police ne ferait rien.
Par une décision du 10 février 2014, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 12 février 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire endéans un délai de trente jours.
La décision du ministre est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », Monsieur … proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».
Ensuite, le ministre releva que les faits invoqués ne sauraient être considérés comme susceptibles d’établir une crainte raisonnable d’être persécuté pour l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. En effet, les incidents relatés seraient constitutifs de délits de droit commun punissables selon la loi kosovare et ne sauraient être qualifiés de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.
En tout état de cause, s’agissant de faits imputés à des personnes privées, ils ne pourraient fonder une crainte légitime de persécution que si le demandeur établit que les autorités étatiques de son pays d’oigine sont en défaut de lui fournir une protection adéquate contre les agissements allégués. Or, tel ne serait le cas en l’espèce, puisque, d’une part, le demandeur n’aurait jamais dénoncé à la police les incidents dont il se dit victime et que, d’autre part, il n’aurait fourni aucun motif valable justifiant son inaction. Dans ces conditions, aucun reproche ne pourrait être adressé à la police kosovare. Par ailleurs, d’après les informations du ministre, il ressortirait de rapports internationaux que la police kosovare serait multiéthnique et aurait fait des progrès en matière de sécurité.
Quant aux allégations que la police n’entreprendrait rien, le ministre rappela notamment une évolution positive au Kosovo et considéra que la crainte de Monsieur … s’analyserait en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité face à des individus non identifiés. Or, de simples craintes hypothétiques, qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève.
Enfin, le ministre ajouta que le demandeur n’aurait présenté aucune raison valable pour justifier de son impossibilité de s’installer dans une autre partie du Kosovo afin d’échapper aux difficultés rencontrées. Le ministre observa que le demandeur aurait habité à Ranilug, dans la région de Gnjilane qui serait connue comme région paisible.
S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre releva que Monsieur … n’aurait invoqué aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays d’origine, dans la mesure où seules des raisons d’ordre privé seraient à la base de sa demande de protection internationale.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 10 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Quant aux faits, le demandeur renvoie le tribunal à ses déclarations telles que consignées dans son rapport d’audition du 27 janvier 2014. Il relève par ailleurs que le ministre n’aurait pas remis en cause sa crédibilité dans sa décision, de sorte que les faits invoqués devraient être tenus pour avérés par le tribunal.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
S’agissant de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement des articles 20 a) et b), le demandeur souligne qu’à ce stade de l’examen d’une demande en obtention de la protection internationale par l’autorité ministérielle, il ne s’agirait pas de déterminer s’il peut obtenir la protection internationale, mais seulement s’il a fait état d’éléments suffisamment pertinents pour y prétendre, ce qui serait le cas en l’espèce. A cet égard, il fait valoir que les faits relatés seraient d’une pertinence manifeste au regard des conditions à réunir pour prétendre en particulier au bénéfice de la protection internationale, étant donné qu’il aurait été victime d’une agression physique et, à plusieurs reprises, de menaces de mort de la part de trois personnes albanaises et que ces éléments seraient parfaitement pertinents au regard de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. Le demandeur donne encore à considérer que le fait de décider qu’il ne remplirait pas de toute évidence les conditions requises pour seulement prétendre au statut conféré par la protection internationale relèverait d’une erreur d’appréciation.
De prime abord, le demandeur sollicite que le tribunal sursoie à statuer en attendant l’issue d’un recours en annulation qu’il a introduit contre le règlement grand-ducal du 19 juin 2013, modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, désignant le Kosovo comme pays d’origine sûr et portant le numéro 33.385 du rôle.
Le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre, pour traiter sa demande dans le cadre d’une procédure accélérée, se serait basé sur le fait que le Kosovo figurerait sur la liste des pays d’origine sûr établir par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Il réfute la qualification de pays d’origine sûr en ce qui le concerne. Il estime en effet avoir soumis plusieurs raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agirait pas d’un pays d’origine sûr dans son chef. Par ailleurs, il soutient que les critères fixés au points a) et c) de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour désigner un pays comme sûr ne seraient pas remplis en ce qui concerne le Kosovo, eu égard aux constatations se dégageant de différents rapports internationaux, concernant le fonctionnement du système judiciaire kosovar et développés ci-après dans le cadre de son recours en réformation contre le refus d’octroi de la protection internationale. Au vu de ces rapports, il ne serait pas possible de conclure à l’existence d’un système de recours efficace contre les violations des droits fondamentaux de l’homme. Il en déduit qu’il y aurait lieu d’écarter, par voie de l’exception, l’application du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 en tant qu’il désigne le Kosovo comme pays d’origine sûr.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée.
De prime abord, force est au tribunal de constater que la partie étatique ne conteste pas la crédibilité du récit du demandeur, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les faits invoqués par lui sont avérés.
Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :
« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
[…] Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne plus particulièrement le point b) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, force est au tribunal de constater, dans le cadre et les limites d’un recours en annulation, que c’est à bon droit que le ministre a décidé, d’une part, que l’agression ainsi que les menaces subséquentes dont fait état le demandeur constituent des infractions de droit commun et que le demandeur n’a pas établi, d’une part, de liens suffisants avec un des critères de fond de la Convention de Genève et, d’autre part, dans son chef une crainte fondée d’être confronté, en cas de retour en son pays d’origine, à la réalisation de ces menaces.
En effet, en ce qui concerne les conditions d’obtention du statut de réfugié, force est au tribunal de constater que le demandeur ne mentionne à aucun moment dans ses auditions que son agression et les menaces subséquentes aient un quelconque lien avec l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève ou à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, ne s’étant simplement contenté de relater s’être fait agresser « sans raison ».
D’autre part, en ce qui concerne la protection subsidiaire, il apparait encore clairement que l’agression isolée et les menaces verbales dont a été victime le demandeur ne sont en l’espèce pas suffisamment graves pour être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y a lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, cet examen, y compris l’exception d’illégalité du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, devenant surabondant.
S’agissant de la demande de surseoir à statuer, celle-ci est à rejeter, étant donné que, au-delà du constat qu’en l’espèce le tribunal est tenu par des délais endéans lesquels le jugement doit être prononcé, la question de la légalité du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 est sans pertinence en l’espèce, puisque l’analyse du tribunal ne s’étant point portée sur le point c) de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 10 février 2014 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur relève que la situation générale au Kosovo serait tendue et que les membres de minorités ethniques, notamment les Serbes en seraient les principales victimes et cite dans ce contexte un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, intitulé « La situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe », du 7 janvier 2013, un rapport de l’organisation Human Rights Watch, intitulé « World Report 2013 », un rapport de l’ONG Freedom House, intitulé « Freedom in the World 2012-
Kosovo », du 22 août 2012, un rapport de l’United States Department of State, intitulé « 2011-
Human Rights Reports : Kosovo » du 24 mai 2012, un autre rapport de l’ONG Freedom House intitulé « Freedom in the World 2013 – Kosovo » du 22 août 2012, un rapport du HCR du 9 novembre 2009, pour conclure que les membres de la minorité serbe au Kosovo se trouveraient dans une situation extrêmement difficile et préoccupante et que ces éléments devraient être pris en compte au titre des faits pertinents concernant son pays d’origine dans le cadre de l’examen individuel de sa demande.
A cet égard, il se prévaut de la présomption inscrite à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour faire valoir que le risque de subir des persécutions serait établi par la circonstance qu’il aurait d’ores et déjà subi avant son départ des persécutions et qu’il craindrait la réalisation des menaces en cas de retour au Kosovo. Il conteste l’analyse ministérielle selon laquelle les raisons l’ayant poussé à quitter son pays d’origine ne seraient pas motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève et la loi du 5 mai 2006, puisque selon lui il aurait été physiquement agressé et menacé de mort à plusieurs reprises de la part de trois personnes albanaises sans aucune autre raison que celle de son appartenance à la minorité ethnique des Serbes du Kosovo, de sorte qu’il ferait état de craintes de persécutions en raisons de sa race, de sa nationalité et de son appartenance au groupe social des Serbes du Kosovo.
Le demandeur met ensuite l’accent sur l’impossibilité de solliciter utilement les autorités kosovares en vue d’obtenir leur protection contre ces atteintes et estime que ce serait à tort que le ministre lui reprocherait son absence de démarches en ce sens, pour fonder son refus d’octroi d’une protection internationale.
Le demandeur précise qu’il n’aurait pas requis de la protection de la police kosovare, d’une part, parce qu’il n’aurait pas confiance en celle-ci, eu égard du fait que ses trois agresseurs seraient connus des services de la police, mais continueraient tout de même à sévir en toute impunité et, d’autre part, parce qu’il craindrait une aggravation de la situation en cas de dénonciation de sa part auprès des autorités nationales.
A l’appui de son argumentation, le demandeur procède à un examen du système judiciaire kosovar, incluant celui de la police, qui serait caractérisé par l’incapacité institutionnelle de celle-ci de gérer les tensions, par des problèmes de corruption tel que cela ressortirait du rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaires des Nations Unies au Kosovo dans un rapport du 3 août 2012, d’un rapport de l’United States Departmenet of State du 24 mai 2012, d’un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, intitulé « La situation au Kosovo et le rôle du Conseil de l’Europe » du 7 janvier 2013, et d’un rapport de l’ONG Human Rights Watch, intitulé « World Report 2013 ».
Au vu de ces rapports, il ne serait pas possible de conclure que les autorités kosovares seraient en mesure de lui apporter une protection effective au sens des dispositions de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les persécutions ou atteintes graves qu’il subirait de la part d’auteurs non étatiques en cas de retour dans son pays d’origine.
S’agissant enfin de la possibilité de fuite interne mentionnée par le ministre dans sa décision, le demandeur estime que, selon les dispositions de l’article 30 de la loi du 5 mai 2006, il incomberait au ministre de prouver qu’il existe une partie du territoire de son pays d’origine dans laquelle il pourrait vivre sans courir aucun risque, ce que le ministre n’aurait pas positivement prouvé en ce qui concerne la région de Gnjilane, se contentant d’envisager la possibilité de son maintien dans la région de Gnjilane. Or, lui-même aurait démontré qu’une telle solution ne serait pas envisageable au vu de ses explications concernant l’incapacité de la police kosovare à prendre des mesures raisonnables afin d’empêcher des actes de persécutions ou des atteintes graves. Par suite, les conditions légales permettant de lui opposer l’exception de fuite interne ne seraient pas réunies.
Le délégué du gouvernement fait valoir pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que le recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Il y a d’abord lieu de relever que le demandeur a déclaré lors de ses auditions « En allant à la maison, une voiture s’est arrêtée. Trois personnes sont sorties et ils m’ont agressé sans raison. Ils m’ont arrêté et sans raison, ils m’ont frappé » […] « Ce sont des Albanais et ils habitent dans le village voisin à 5 kilomètres. Ce sont des personnes problématiques. Ils mettaient souvent la musique très forte pendant la nuit et ils renversaient aussi des poubelles » A la question de l’agent pour quelles raisons il a été menacé et frappé, le demandeur a répondu « Je ne sais pas. Sans raison ». Sur question afférente de l’agent ce qu’il risquerait en cas de retour au Kosovo, il a répondu : « Je ne sais pas ». Le tribunal est amené à conclure, que le fait que les agresseurs soient albanais ne permet pas ipso facto d’en conclure que le demandeur a été agressé en raison de son origine serbe, d’autant plus qu’il a déclaré lui même ne pas connaître la raison de son agression et que ces personnes étaient connues par les services de police pour être « problématiques », de sorte que les faits relatés par lui ne peuvent être rattachés à un des critères de la Convention de Genève, et de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, mais davantage du droit commun.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a déclaré non fondée la demande en obtention du statut de réfugié, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant la question de la gravité des faits commis ou d’une protection éventuelle du demandeur au Kosovo, le seul constat que les faits dont il fait état ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève pour être qualifiés de persécution et ne permettent partant pas de justifier une crainte fondée de persécutions pour le futur, étant suffisant.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Comme il n’y a pas de conflit armé au Kosovo et que le demandeur n’allègue pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont il fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants. Tel n’est pas le cas concernant les difficultés rencontrées avec une bande de trois albanais, ces faits, si condamnables qu’ils soient, n’étant pas d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, dans la mesure où ils ne sauraient être considérés comme des violations graves des droits fondamentaux de l’homme, ni comme une accumulation de mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, les craintes de Monsieur … que les menaces se réalisent en cas de retour au Kosovo ne sont pas appuyées par un quelconque élément concret, de sorte que le tribunal ne dispose pas d’éléments suffisants pour retenir que ce sentiment d’insécurité repose sur un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour au Kosovo.
Dès lors, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de Monsieur … en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision portant refus de lui conférer la statut conféré par la protection international.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en annulation.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, et que par conséquent un retour dans son pays d’origine ne le soumet ni à des persécutions ni à des atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.
Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.
A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 10 février 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée :
rejette la demande de surseoir à statuer telle que formulée par le demandeur ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 10 février 2014 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 10 février portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 25 avril 2014 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25.04.2014 Le Greffier du Tribunal administratif 12