Tribunal administratif Numéro 32859 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2013 3e chambre Audience publique du 23 avril 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire Vu la requête inscrite sous le numéro 32859 du rôle et déposée le 12 juin 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Frédéric Krieg, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 12 mars 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … s.àr.l. ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frédéric Krieg en ses plaidoiries à l’audience publique du 26 février 2014.
Monsieur … conclut un contrat de travail à durée indéterminée avec la société à responsabilité limitée … s.àr.l., ci-après désignée par « la société … », avec effet au 26 avril 2011.
Par un jugement du 28 février 2012, le tribunal du travail de et à Luxembourg déclara abusif le licenciement oral de Monsieur … intervenu le 17 novembre 2011 et dit fondées les demandes de ce dernier en paiement d’une indemnité pour préjudice moral à hauteur de 250,- EUR, d’une indemnité de préavis de 3.602,98 EUR, d’une indemnité pour congé non pris de 1.183,35 EUR et d’arriérés de salaires pour les mois de juin à novembre 2011, d’un montant total de 9.748,09 EUR. Dans le même jugement, le tribunal du travail évalua la créance de Monsieur … à l’égard de la société … au montant de 11.181,44 EUR.
La société … fut déclarée en état de faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 25 janvier 2013.
Par une déclaration de créance déposée le 13 février 2013 au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, Monsieur … réclama l’admission au passif privilégié de la faillite de la société … d’une créance salariale à hauteur de 10.931,44 EUR, correspondant aux salaires des mois de juin à novembre 2011 et à une indemnité pour congé non pris.
Le 22 février 2013, la créance de Monsieur … fut admise au passif privilégié de la faillite à hauteur du montant déclaré.
Son dossier fut par la suite soumis à l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignée par « l’ADEM », aux fins de bénéficier du mécanisme de la garantie salariale tel que prévu par l’article L.126-1 du Code de travail.
Par une décision du 12 mars 2013, le directeur de l’ADEM, ci-après désigné par « le directeur », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, au motif qu’il n’aurait pas été affilié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois, de sorte que les cotisations obligatoires en matière de sécurité sociale n’auraient pas été encaissées par ces organismes.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du directeur du 12 mars 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société ….
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être exercé contre la décision déférée du 12 mars 2013.
Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est par ailleurs recevable, pour avoir été introduit dans les formes et délais de la loi.
Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse dans le délai légal, bien que la requête introductive d’instance ait été notifiée par les soins du greffe à l’Etat en date du 12 juin 2013. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur affirme avoir été salarié auprès de la société …, suivant un contrat de travail qui aurait pris effet le 2 mai 2011. Il soutient que l’existence d’un contrat de travail valable entre parties serait incontestable, dans la mesure où, dans son jugement du 28 février 2012, le tribunal du travail aurait déclaré abusif le licenciement oral dont il aurait fait l’objet le 17 novembre 2011 et aurait condamné son employeur au paiement des arriérés de salaire lui redus. Sa déclaration de créance aurait été acceptée par le curateur, qui aurait transmis son dossier à l’ADEM aux fins de prise en charge des créances garanties.
Il reproche au directeur d’avoir commis une erreur au niveau de l’exactitude des faits matériels et de leur appréciation, ainsi que dans l’application de la loi. Par conséquent, la décision déférée devrait encourir l’annulation pour incompétence, excès de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, sinon pour erreur manifeste d’appréciation.
En s’appuyant sur une pièce intitulée « Informations concernant une déclaration d’entrée », émise par le Centre commun de la sécurité sociale le 15 juillet 2011, il fait valoir que ce serait à tort que le directeur a soutenu qu’il n’aurait pas été affilié auprès des organismes de sécurité sociale. Dès lors, si ces organismes n’avaient pas encaissé les cotisations sociales obligatoires, la cause en résiderait non pas dans un défaut d’affiliation, mais dans le fait que la société … ne lui aurait réglé aucun salaire.
Dans la mesure où il serait ainsi établi qu’il aurait eu la qualité de salarié, de sorte que les dispositions de l’article L.126-1 du Code du travail lui seraient applicables, la décision déférée devrait être annulée pour erreur manifeste d’appréciation.
L’article L.126-1 du Code du travail dispose que :
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
(2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
[…] (5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-
quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2).
[…]. » Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail, étant précisé que la mise à disposition des sommes garanties se fait à la demande du curateur et après vérification par l’ADEM.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée est motivée par la seule considération que l’intéressé n’aurait pas été affilié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois, de sorte que les cotisations sociales obligatoires n’auraient pas été encaissées par lesdits organismes.
Or, il se dégage de la pièce intitulée « Informations concernant une déclaration d’entrée », émise par le Centre commun de la sécurité sociale le 15 juillet 2011 et versée par le demandeur, que ce dernier a été affilié auprès des organismes de sécurité sociale luxembourgeois à compter du 26 avril 2011, soit à compter du début de l’exécution de son contrat de travail, contrairement à ce qui est soutenu par le directeur.
Par ailleurs, il n’est pas contesté que la créance invoquée résulte de l’exercice, par le demandeur, d’une activité salariée pour le compte de la société …. Il n’est par ailleurs pas contesté que les conditions inscrites à l’article L.126-1 du Code du travail ayant trait à la nature de la créance et à la période visée sont remplies en l’espèce. Dès lors, la créance litigieuse est a priori susceptible d’être garantie par le Fonds pour l’emploi en application de l’article L.126-1 du Code du travail.
Si, malgré l’affiliation du demandeur auprès des organismes de sécurité sociale, ces derniers n’avaient pas encaissé les cotisations obligatoires, cette seule circonstance ne saurait exclure la créance en question du bénéfice de la garantie instituée par l’article L.126-1, précité, du Code du travail. En effet, cette circonstance est sans incidence sur l’existence de la créance litigieuse, le demandeur ayant presté ses services pour la société en faillite et la réalité du contrat de travail n’étant par ailleurs pas remise en question. Il s’ensuit que le demandeur a droit à rémunération pour le travail presté par lui, indépendamment de la circonstance, non imputable à l’intéressé, que son employeur ait manqué à son obligation de payer les cotisations sociales obligatoires lui incombant en vertu de l’article 428, alinéa 2 du Code de la sécurité sociale, aux termes duquel : « Si l’assuré exerce pour le compte d’autrui une occupation […], l’employeur […] doit effectuer le versement et de la part de la cotisation incombant à l’assuré et de la part incombant […] à l’employeur […]. A cet effet, l’employeur […] retient la part des cotisations qui est à supporter par les assurés sur la rémunération […]. […]. ». A cela s’ajoute qu’il résulte du jugement du tribunal du travail du 28 février 2012 qu’à l’exception du salaire du mois de mai 2011, la société … n’a payé aucun salaire à Monsieur …, de sorte que, par la force des choses, les retenues des cotisations sociales correspondantes n’ont pas été effectuées.
Il s’ensuit que la décision déférée encourt l’annulation.
Monsieur … demande encore la condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure de 2.500,- EUR sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.
Compte tenu de l’issue du litige et de l’attitude de la partie étatique consistant à refuser à Monsieur … le bénéfice de la garantie instituée par l’article L.126-1 du Code du travail sur base d’une considération de fait manifestement inexacte, à savoir un défaut d’affiliation du demandeur auprès des organismes de sécurité sociale, obligeant ce dernier à recourir aux services d’un mandataire professionnel pour faire valoir ses droits, sans déposer de mémoire en réponse, il est inéquitable de laisser à la charge de la partie demanderesse l’intégralité des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, de sorte que la demande en obtention d’une indemnité de procédure est fondée en son principe. Le tribunal évalue ex æquo et bono l’indemnité à allouer au demandeur à un montant de 500,- EUR.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant, annule la décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 12 mars 2013 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … s.àr.l. et acceptée par le curateur et le juge-commissaire et renvoie l’affaire devant le directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi ;
condamne l’Etat à payer à Monsieur … la somme de 500,- EUR à titre d’indemnité de procédure sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, Daniel Weber, attaché de justice et lu à l’audience publique du 23 avril 2014 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24.04.2014 Le Greffier du Tribunal administratif 6