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31/03/2014 | LUXEMBOURG | N°32152

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 mars 2014, 32152


Tribunal administratif N° 32152 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2013 1re chambre Audience publique du 31mars 2014 Recours formé par l’association sans but lucratif GREENPEACE LUXEMBOURG a.s.b.l. et consorts contre une décision du bourgmestre de la Ville de Sanem en matière d’urbanisme

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32152 du rôle et déposée le 5 mars 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1.

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Tribunal administratif N° 32152 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2013 1re chambre Audience publique du 31mars 2014 Recours formé par l’association sans but lucratif GREENPEACE LUXEMBOURG a.s.b.l. et consorts contre une décision du bourgmestre de la Ville de Sanem en matière d’urbanisme

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32152 du rôle et déposée le 5 mars 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1.

l’association sans but lucratif GREENPEACE LUXEMBOURG a.s.b.l., inscrite au registre de commerce de Luxembourg sous le numéro F4727, établie et ayant son siège social à L-4261 Esch-sur-Alzette, 20, rue de Neudorf, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, 2.

et 7 consorts … tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 6 décembre 2012 du bourgmestre de la Ville de Sanem, par laquelle celui-ci a autorisé la société coopérative SOCIETE DE TRANSPORT D’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE DU GRAND-

DUCHE DE LUXEMBOURG, en abrégé SOTEL, établie et ayant son siège social à L-4321 Esch-sur-Alzette, 4, rue de Soleuvre, inscrite au registre de commerce de Luxembourg sous le numéro B 942, à enfouir un câble électrique de très haute tension (THT) de 225 kv sur le territoire de la commune de Sanem, Vu l’exploit de l’huissier de justice Roland FUNK, demeurant à Luxembourg, du 8 mars 2013, portant signification du prédit recours contentieux à la société SOTEL ainsi qu’à l’administration communale de la Ville de Sanem ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 mars 2013 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Sanem ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2013 par Maître Guy LOESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société SOTEL ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 juin 2013 par Maître Steve HELMINGER au nom de l’administration communale de la Ville de Sanem ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 juin 2013 par Maître Guy LOESCH au nom de la société SOTEL ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 juillet 2013 par Maître Jean-Paul NOESEN au nom des parties demanderesses ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 octobre 2013 par Maître Guy LOESCH au nom de la société SOTEL ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 octobre 2013 par Maître Steve HELMINGER au nom de l’administration communale de la Ville de Sanem ;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Jean-Paul NOESEN, Steve HELMINGER et Guy LOESCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2014.

___________________________________________________________________________

La société coopérative SOCIETE DE TRANSPORT D’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, en abrégé SOTEL, projetant de réaliser les travaux d’infrastructure nécessaires à la pose d’un câble électrique souterrain à destination de Moulaine, France, et transitant sur le territoire de la commune de Sanem, introduisit le 8 septembre 2010 auprès du bourgmestre de la commune de Sanem, ci-après « le bourgmestre », une demande en obtention d’une autorisation de construire dans laquelle elle souligna qu’elle était d’avis qu’elle n’avait pas besoin de l’obtention préalable d’une autorisation de construire pour réaliser son projet, mais qu’à titre conservatoire, elle sollicitait une telle autorisation.

Par décision du 8 octobre 2010, le bourgmestre refusa l’autorisation de construire sollicitée en soulignant que la ligne souterraine projetée devait s’approcher à différents endroits de respectivement moins de 10 ou 30 mètres des immeubles d’habitation existants et violait ainsi l’article 4.16 du plan d’aménagement général, partie écrite et règlement sur les bâtisses de la commune de Sanem, en abrégé le « PAG », qui impose, pour des raisons de prévention sanitaire, entre le centre du tracé des lignes à haute tension de 100 kV et plus et des constructions, une distance de 50 mètres. Le bourgmestre ajouta, « à toutes fins utiles et à titre de simple remarque », que le tracé de la ligne souterraine projetée n’était pas conforme à l’arrêté du ministre de l’Environnement numéro 1/08/0303 qui avait imposé une distance minimale de 20 mètres à observer entre le milieu du tracé des lignes et des habitations servant au séjour de personnes et qu’il ne pouvait de toute façon pas être réalisé, sous peine de violer cet arrêté. Il ajouta encore que le tracé de la ligne souterraine projetée traverse une zone d’intérêt paysager dans laquelle toute construction est interdite et dans laquelle tous les remblais ou déblais défavorables à l’écosystème au paysage sont interdits.

Par requête déposée le 21 décembre 2010 au greffe du tribunal administratif, SOTEL fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision de refus du 8 octobre 2010 et par requête déposée le 22 février 2011 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … et consorts … intervinrent volontairement à l’instance.

Par jugement du 14 novembre 2011, n° 27588 du rôle, le tribunal administratif accueillit le recours principal ainsi que l’intervention volontaire en la forme. Au fond, il rejeta les différents arguments de SOTEL et débouta celle-ci de sa demande.

Suite à l’appel interjeté par SOTEL à l’encontre de ce jugement, la Cour administrative, par arrêt du 7 juin 2012, n° 29650C du rôle, annula par réformation du premier jugement la décision du bourgmestre du 8 octobre 2010 par laquelle celui-ci avait refusé l’autorisation des travaux projetés par la société SOTEL en vue de relier, par la pose d’un câble électrique haute tension souterrain de 225 kV, son réseau électrique au poste de Moulaine, France, et renvoya le dossier devant le bourgmestre.

Suite à l’arrêt précité de la Cour administrative, le bourgmestre délivra en date du 7 décembre 2012 l’autorisation de construire sollicitée par SOTEL, autorisation référencée sous le n° 2012/346.

Par requête déposée le 5 mars 2013 au greffe du tribunal administratif, l’association sans but lucratif GREENPEACE LUXEMBOURG a.s.b.l. ainsi que 7 particuliers, voisins du tracé du câble électrique très haute tension souterrain, ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la prédite autorisation de construire du 7 décembre 2012.

Quant à la recevabilité Etant donné que la loi ne prévoit aucun recours de pleine juridiction en matière de permis de construire, seul un recours en annulation a pu être introduit : le tribunal n’est par conséquent pas compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre l’autorisation de construire déférée.

En ce qui concerne le recours subsidiaire en annulation tel qu’introduit par l’association sans but lucratif GREENPEACE LUXEMBOURG a.s.b.l., ci-après « GREENPEACE », SOTEL soulève l’irrecevabilité de ce recours pour erreur affectant l’indication de son organe représentatif, en exposant que GREENPEACE n’aurait pas été, au moment de l’introduction de son recours, valablement représentée en justice, GREENPEACE devant en effet, conformément à ses statuts, être représentée par son comité ou son gestionnaire, et non, comme indiqué, par son conseil d’administration actuellement en fonctions, SOTEL estimant que le défaut de pouvoir de l’organe représentatif indiqué constituerait une irrégularité de fond qui affecterait l’exercice du recours en justice ne pouvant être couverte par la preuve de l’absence d’un grief.

Toutefois, aux termes de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense », l’intention du législateur formulée par l’auteur de la proposition de loi numéro 4326 ayant abouti à la loi du 21 juin 1999 ayant été exprimée en ce sens que la disposition devenue l’article 29, qualifiée « d’importante », « constitue le reflet de l’article 173, alinéa 2 du code de procédure civile. Sa formulation s’entend plus large que celle du code de procédure civile, qui a conduit à des résultats très insatisfaisants en jurisprudence judiciaire, même après la réforme du texte en question par une loi du 7 février 1974. Les juges ne s’abstiendront de prononcer l’irrecevabilité des demandes que si l’omission ou l’irrégularité a effectivement porté atteinte aux droits de la défense. Sont visées, d’une manière générale, les irrégularités affectant la rédaction des mémoires, même des irrégularités qualifiées par les juridictions judiciaires comme étant des nullités de fond, comme les indications erronées ou lacuneuses concernant p. ex. les organes représentant des personnes morales. En tout cas la notion de nullité de fond est à interpréter très restrictivement et ne doit entrer en ligne de compte que s’il y a lésion des droits de la défense.

Le non-respect des délais prévus pour l’échange des mémoires et les délais pour exercer les voies de recours, emportant déchéance, est bien entendu excepté. Par ailleurs, l’absence de sanction d’un tel non-respect porterait atteinte aux droits - acquis à ce moment - de la partie adverse1».

Cette position a encore été corroborée par le Conseil d’Etat dans son avis retenant qu’il « ne saurait que soutenir toute initiative tendant à proscrire dans la mesure du possible le recours à des moyens de procédure pour rejeter des prétentions de justiciables. Il ne faut en effet pas perdre de vue que cette approche procédurière à outrance a pour résultat l’incompréhension des justiciables (…). Le Conseil d’Etat rend toutefois attentif au fait qu’il s’agit en l’espèce également d’une question d’approche des magistrats à l’égard de ces problèmes. Le problème, dit de la violation des principes de l’organisation judiciaire (ou administrative), des nullités de fond, irrecevabilités de fond, des fins de non-recevoir et des forclusions, restera entier tant qu’aucun texte n’interdira aux juridictions de prononcer une nullité, irrecevabilité ou forclusion, sauf si un texte déterminé le prévoit expressément2».

L’article 29 sous revue emporte dès lors pour la juridiction saisie une analyse consistant à examiner, au-delà du caractère vérifié d’une inobservation alléguée d’une règle de procédure, si celle-ci a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ; en l’absence de pareille atteinte, l’inobservation de la règle de procédure, quelle qu’en soit par ailleurs la qualification, ne saurait entraîner l’irrecevabilité de la demande, étant donné que ce n’est que dans l’hypothèse où l’inobservation vérifiée d’une règle de procédure a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense qu’une analyse supplémentaire s’impose à la juridiction saisie pour déterminer dans ce cas de figure précis dans quelle mesure cette inobservation doit entraîner l’irrecevabilité de la demande3.

En l’occurrence, devant le fait avéré que SOTEL a pu assurer sa défense de façon valable et complète, l’inobservation de la règle invoquée plus particulièrement au niveau de l’indication de l’organe représentatif dans l’acte introductif d’instance n’a pu entraîner une quelconque irrecevabilité de la demande, étant entendu qu’en l’absence de grief, l’analyse de la juridiction saisie est appelée à s’arrêter dès le premier stade par le constat tiré des dispositions de l’article 29 de la loi précitée du 21 juin 1999 en ce qu’aucune irrecevabilité du recours n’était à prononcer ; il convient dès lors de déclarer le recours recevable de ce point de vue.

SOTEL se rapporte encore à la sagesse du tribunal quant à l’intérêt à agir des demandeurs pour autant que ceux-ci se disent lésés par la décision du bourgmestre, en soulignant tout particulièrement que GREENPEACE ne serait pas un proche voisin de la ligne 1 Doc. parl. 4326, commentaire des articles, ad. article 26 (devenu l’article 29 de la loi) p.19.

2 Doc. parl. 4326², avis du Conseil d’Etat p.7.

3 Cour adm., 14 juillet 2009, n° 25414C ; voir aussi trib. adm. 6 avril 2006, n° 20964, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 350.

en discussion et partant que sa situation ne risquerait pas concrètement d’être aggravée par la construction en question.

S’il est certes vrai que GREENPEACE ne saurait tirer un intérêt à agir du fait de la localisation de la ligne haute tension litigieuse, ce qu’elle n’allègue de toute façon pas, GREENPEACE affirmant en l’espèce agir dans la présente affaire dans le but de défendre son intérêt collectif qui serait la défense de l’environnement, il convient toutefois de rappeler que les associations dont l’objet social est la défense de l’environnement et qui bénéficient de l’agrément ministériel prévu par l’article 63, alinéa 1er de la loi modifiée du 19 janvier 2004, ont intérêt à exercer des recours contentieux contre des décisions individuelles dans la mesure où lesdites décisions sont prises dans le cadre de la matière pour la défense de laquelle elles ont été agréées et que la violation d’une ou plusieurs dispositions de la législation afférente est alléguée4.

Or, en l’espèce, GREENPEACE, d’une part, bénéficie de l’agrément délivré par le ministre ayant l’Environnement en ses attributions en application de l’article 63 de la loi du 29 janvier 2004 précitée et, d’autre part, l’association agit, conformément à ses statuts, en vue de « la protection et la sauvegarde de la nature et de la vie humaine », notamment en défendant « les intérêts collectifs de ses membres associés et adhérents dans tout litige concernant un problème d’environnement ou d’écologie devant les juridictions civiles, commerciales, administratives et répressives ».

Le recours tel qu’introduit en l’espèce par GREENPEACE étant inscrit dans le cadre de la défense de l’environnement, encore que dans le contexte précis d’une autorisation de construire délivrée sur base de la règlementation urbanistique applicable, en raison des risques allégués pour l’environnement naturel et humain, l’association doit partant être considérée comme ayant un intérêt à agir suffisant.

Quant aux particuliers, co-demandeurs aux côtés de GREENPEACE, il n’est en l’espèce pas contesté qu’il s’agit de personnes physiques, habitant toutes à proximité immédiate, c’est-à-dire à une distance allant de 5 à 10 mètres, du tracé projeté de la ligne souterraine litigieuse, proximité qui leur confère intérêt à agir contre une décision qui a autorisé la réalisation de ladite ligne.

Le recours subsidiaire en annulation, non autrement critiqué, est partant recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond Les parties demanderesses font plaider à cet égard en substance que la décision portant autorisation de bâtir telle que déférée violerait l’article 3.5 du plan d’aménagement général de la commune de Sanem, ci-après « le PAG », relatif à la « zone tampon et d’intérêt paysager », sur différents points.

4 Cour adm. 15 juillet 2010, n° 26739C, ou encore Cour adm. 16 novembre 2010, n° 26852C, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 49.

C’est ainsi qu’en argumentant que le tracé de la ligne autorisée modifierait ladite zone par les travaux d’excavation de la tranchée nécessaire et par l’atteinte portée aux végétaux situés sur le tracé de la ligne, les parties demanderesses estiment que l’autorisation porterait atteinte tant au relief de la zone qu’à l’environnement naturel, en ce compris la végétation présente et la faune abritée par cette végétation, ainsi que, incidemment, à l’attrait touristique de cette zone, qui perdrait la faune et la flore habituelles et typiques à cette région.

Les parties demanderesses, toujours en tirant partie de l’article 3.5. PAG, exposent ensuite que l’enfouissement du câble à très haute tension porterait encore atteinte aux principes élémentaires écologiques.

Après avoir expliqué les problèmes liés aux lignes à très haute tension et aux rayonnements électriques et magnétiques engendrés, problèmes non évités par l’enfouissement des câbles, le sol n’étant pas un filtre adéquat pour les rayonnements magnétiques, elles relèvent le potentiel cancérigène des champs électromagnétiques en citant différentes études médicales, pour en conclure que les ondes électromagnétiques absorbées par les systèmes biologiques environnant le passage du câble SOTEL exposeraient ces organismes à des risques épidémiologiques.

Or, les demanderesses considèrent qu’en ayant autorisé la pose de ces câbles malgré ces risques, le bourgmestre de la commune de Sanem aurait violé le principe de précaution, principe qui serait applicable en l’espèce, compte tenu du risque potentiel mais étayé au vu de la classification des champs électromagnétiques basses fréquences comme étant possiblement cancérogènes pour l’homme.

Enfin, GREENPEACE ainsi que les autres parties demanderesses arguent d’une violation de l’article 3.5. PAG, pris en son 3e paragraphe, en affirmant que non seulement l’envergure des travaux mais aussi et surtout leur nature contreviendraient aux principes écologiques, les parties demanderesses considérant en effet qu’il serait difficile de prétendre vouloir respecter les « principes écologiques » préconisés par ladite disposition réglementaire en creusant un sillon qui extrairait toutes les racines sur son passage et compromettrait partant définitivement l’existence et une repousse normale de la végétation environnante, de sorte qu’il serait évident que les « principes écologiques » seraient sacrifiés sur l’autel de la raison économique privée.

L’administration communale de Sanem, ci-après « l’administration communale », entend résister à cette argumentation en relevant de prime abord le fait que le bourgmestre n’aurait pris l’autorisation de construire déférée que suite à l’annulation par la Cour administrative, par arrêt du 7 juin 2012, n° 29650C du rôle, de sa décision portant refus de la ligne litigieuse, laquelle reposait notamment sur une non-conformité du projet aux dispositions de l’article 3.5 du PAG, de sorte que cet argument aurait déjà été annulé de facto par la Cour administrative.

A titre subsidiaire l’administration communale rappelle que par arrêté du 25 août 2008, le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions a autorisé SOTEL à réaliser le projet de ligne litigieux ; partant, même à admettre les atteintes à l’environnement telles que mises en avant par les demanderesses, l’administration communale estime qu’elle ne saurait en aucun cas être plus restrictive dans sa réglementation qu’une loi, au risque d’outrepasser ses pouvoirs. Or, comme une ligne de haute tension, constituant une conduite d’énergie, serait expressément autorisable en zone verte en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, la réglementation communale, en ce qu’elle prohiberait toute construction en zone protégée, plus précisément, dans les zones tampons et d’intérêt paysager, ne saurait être appliquée, alors qu’elle ne saurait interdire en zone verte des installations expressément autorisées par la loi sur la protection de la nature.

Quant à la prétendue méconnaissance des principes élémentaires écologiques, l’administration communale relève que le principe de précaution relèverait du seul champ d’application de la législation relative aux établissements classés, le rôle du bourgmestre se limitant à vérifier la conformité de la demande d’autorisation uniquement par rapport au plan d’aménagement général et au règlement sur les bâtisses de la commune. Or, la réglementation communale n’interdisant pas de telles conduites souterraines et ne prévoyant aucune disposition spécifique à respecter, le bourgmestre aurait commis un abus de pouvoir en refusant son autorisation sur de telles bases.

SOTEL, de son côté, se rallie à titre principal aux développements de l’administration communale, en relevant à l’instar de celle-ci les conséquences à attacher à l’annulation par la Cour administrative du refus initial du bourgmestre d’accorder l’autorisation sous discussion, et en soulignant l’existence d’un arrêté d’autorisation du ministre de l’Environnement du 25 août 2008 pris dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées par la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, pour en conclure que le bourgmestre n’aurait pas pu, sous peine de violer les dispositions de la prédite loi et les compétences étatiques en découlant, baser un éventuel refus sur l’article 3.5 du PAG.

SOTEL conteste ensuite toute atteinte à l’environnement, en considérant qu’il aurait appartenu à GREENPEACE ainsi qu’aux 7 autres co-demandeurs de rapporter la preuve que la prétendue extraction des racines des végétaux modifierait l’environnement de la faune, SOTEL affirmant pour sa part que la pose de la ligne n’entraînerait aucun changement au niveau du relief du terrain naturel et, en ce qui concerne l’environnement naturel, que les inconvénients minimes qui pourraient se manifester à l’occasion des travaux seraient limités à la seule période de construction, SOTEL s’engageant d’ailleurs à remettre la partie en surface en son pristin état.

En ce qui concerne le pouvoir du bourgmestre, SOTEL rappelle à l’instar de l’administration communale que dans le cadre de l’examen d’une demande en autorisation de construire, le bourgmestre devrait uniquement vérifier la conformité d’un projet de construction avec les prescriptions du PAG et du règlement sur les bâtisses ; si le bourgmestre disposerait certes d’un pouvoir de police dans le cadre duquel il peut refuser des projets qui constituent un risque pour la sécurité ou la santé de la population, ce pouvoir trouverait toutefois une limite dans l’exercice parallèle de leur compétence par les autorités étatiques, en particulier par les ministres ayant dans leurs attributions respectivement l’environnement et le travail en matière d’établissement classés. Or, comme les considérations liées aux effets des rayonnements de l’installation litigieuse sur la santé humaine relèvent du champ de compétence du ministre de l’Environnement, il n’appartiendrait pas au bourgmestre d’en tenir compte.

En tout état de cause, SOTEL conteste les prétendus effets néfastes des champs magnétiques basses fréquences sur la santé humaine en critiquant l’argumentation des parties demanderesses qui demeurerait à l’état de pure allégation, les parties demanderesses s’appuyant en effet sur des études sans en préciser ni le contexte, ni les résultats et sources de celles-ci. De plus, les parties demanderesses ne feraient qu’exprimer des craintes générales et vagues quant à de prétendues nuisances sanitaires que risquerait de causer l’exploitation de la ligne à haute tension sans que SOTEL ne soit à même d’apprécier concrètement les résultats des études invoquées et donc le prétendu effet nocif.

De toute façon, SOTEL affirme que les champs magnétiques causés par la ligne litigieuse n’auraient pas d’incidence négative sur la santé humaine des riverains, étant donné que le champ électrique serait réduit à zéro pour une ligne souterraine, tandis que les influences électromagnétiques causées par les câbles souterrains litigieux seraient minimes et en tout cas très largement en-dessous des normes de sécurité au niveau des habitations.

Quant au principe de précaution, SOTEL souligne à nouveau qu’il appartiendrait aux parties demanderesses de fournir au tribunal une argumentation suffisamment précise et adaptée au cas présent sur base de pièces, alors qu’elles se contenteraient au contraire de procéder par pures pétitions de principe et de citer de manière vague et imprécise des études relatives aux effets des champs électromagnétiques sur la santé humaine, SOTEL réitérant ses explications selon lesquelles son projet n’impliquerait aucun dépassement du niveau de risque pouvant justifier l’application du principe de précaution, aucune autorité nationale ou internationale n’ayant d’ailleurs identifié un risque avéré lié à des lignes haute-tension souterraines, de sorte qu’il ne saurait être question de considérer que l’exploitation de pareilles lignes pourrait avoir un impact significatif sur la santé.

Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses, tout en maintenant leur argumentation initiale, la développent notamment en relevant la désorganisation des structures souterraines, la modification du drainage ou de l’écoulement de la nappe phréatique ainsi que la chaleur produite par la ligne, lesquelles auraient immanquablement des effets néfastes sur l’écosystème environnant, les parties demanderesses soutenant qu’en perturbant et en modifiant l’habitat de la faune qui s’y abrite et s’y niche, cette dernière soit périrait soit au mieux migrerait vers un autre écosystème. Par ailleurs, le tassement du terrain résultant des travaux entraînerait au minimum une altération de la croissance de la végétation et de l’activité des organismes du sol, tandis que les travaux de terrassement remueraient les différentes strates du sol, risquant ainsi de mélanger de l’humus fertile à des couches inférieures moins fertiles.

En ce qui concerne le risque électromagnétique, si les parties demanderesses admettent que le champ électrique est réduit par la masse de terre l’ensevelissant, le champ magnétique quant à lui persisterait même si la ligne est enfouie, et ce d’autant plus que la technique de pose particulière adoptée par SOTEL aurait pour conséquence de concentrer le champ électromagnétique, les parties demanderesses s’appuyant, en ce qui concerne le risque potentiel cancérogène du champ magnétique des lignes très haute tension, sur des données convergentes émanant d’institutions publiques et d’organismes internationaux indépendants.

Plus spécifiquement en droit, les parties demanderesses contestent toute autorité de la chose jugée à l’arrêt de la Cour administrative du 7 juin 2012, lequel n’aurait pas toisé la question du respect de l’article 3.5 du PAG.

Elles maintiennent que le bourgmestre aurait pleinement autorité pour intervenir dans ce dossier, alors qu’au pire ses pouvoirs interviendraient concurremment à ceux du ministre ayant l’Environnement en ses attributions : en matière de réglementation des bâtisses, le bourgmestre ne serait certainement pas « éclipsé » par le ministre de l’Environnement.

Partant, les parties demanderesses demandent à ce que soit constaté principalement la violation de l’article 3.5 du PAG ainsi que des dispositions contenues dans l’article 2 de la loi modifié du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, lequel consacrerait le droit de la population de la commune à des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal.

Quant au principe de précaution, consacré par l’article 174 du Traité CE, et faisant partant partie de l’ordre juridique luxembourgeois, celui-ci s’imposerait au bourgmestre, en particulier au vu des rapports scientifiques et médicaux émanant d’institutions indépendantes, tout comme d’ailleurs le principe du « pollueur-payeur », « corollaire » du principe de précaution.

Si le tribunal devait toutefois, tout en reconnaissant la soumission du bourgmestre au principe de précaution, soustraire l’application de ce principe du cadre de la réglementation des bâtisses, les parties demanderesses demandent que le tribunal soumette la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne : « le principe de précaution souffre-t-il d’une exception d’application en privant une autorité administrative nationale de l’exécuter en matière de délivrance/refus de permis de construire ?».

En ce qui concerne la violation alléguée par le bourgmestre de l’article 3.5 PAG, moyen articulé par les parties demanderesses en plusieurs volets, le tribunal constate que la décision de refus initiale, telle qu’opposée par le bourgmestre à SOTEL en date du 8 octobre 2010, était basée sur deux motifs de refus, à savoir, d’une part, une violation de l’article 4.16 du règlement sur les bâtisses de la commune de Sanem qui impose, pour des raisons de prévention sanitaire, entre le centre du tracé des lignes à haute tension de 100 kV et plus et des constructions une distance de 50 m, et, d’autre part, la non-conformité du tracé de la ligne souterraine projetée avec la zone d’intérêt paysager telle que définie par l’article 3.5 PAG.

Comme retracé ci-avant, le tribunal administratif a, par jugement du 14 novembre 2011, n° 27588 du rôle, débouté SOTEL de son recours dirigé contre ce refus d’autorisation, en confirmant la violation de l’article 4.16 du règlement sur les bâtisses par le projet de SOTEL.

Par arrêt du 7 juin 2012, n° 29650C du rôle, la Cour administrative toutefois, par réformation du premier jugement, a retenu que l’article 4.16 du règlement sur les bâtisses ne saurait servir de base, ni pour autoriser, ni pour refuser la construction d’une ligne électrique souterraine et que partant, en se basant sur le seul article 4.16 relatif aux seules lignes électriques aériennes pour refuser l’autorisation de construction sollicitée, le bourgmestre n’a pas donné une base légale à sa décision de refus de délivrance d’une autorisation de construire, la Cour administrative ayant partant annulé la décision de refus du bourgmestre du 8 octobre 2010.

La Cour administrative, ce faisant, n’a cependant pas explicitement toisé le second motif de refus opposé par le bourgmestre à SOTEL, à savoir la violation de l’article 3.5 PAG, pour annuler la décision.

Or, si l’administration communale et SOTEL estiment de concert que la question de la violation de l’article 3.5 PAG bénéficierait de l’autorité de la chose jugée, il convient toutefois de rappeler que l’autorité de chose jugée n’a lieu, aux termes de l’article 1351 du Code civil, qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, étant entendu qu’il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité, étant encore souligné que l’autorité de chose jugée ne s’attache qu’au dispositif d’une décision judiciaire, ensemble les motifs le sous-tendant directement5.

En l’espèce, si les parties aux deux litiges sont certes les mêmes et les moyens en fait et en droit échangés de part et d’autre largement similaires voire identiques, la question centrale des deux recours étant la légalité du projet de ligne électrique, force est cependant de constater que le recours ayant abouti à l’arrêt du 7 juin 2012 était dirigé contre une décision de refus du bourgmestre du 8 octobre 2010, tandis que le présent recours est dirigé contre une autorisation délivrée par le même bourgmestre en date du 6 décembre 2012, l’arrêt précité, outre de viser par conséquent à travers son dispositif une autre décision, n’ayant encore pas basé ses conclusions sur l’analyse de la violation alléguée de l’article 3.5 PAG.

L’arrêt du 7 juin 2012 ne revêt dès lors pas l’autorité de chose jugée au sens de l’article 1351 du Code civil à l’égard des parties demanderesses, de sorte qu’il appartient au tribunal de céans de toiser la question de la violation alléguée de l’article 3.5 PAG.

A cet égard, l’article 3.5 PAG, intitulé « La zone tampon et d’intérêt paysager », est libellé comme suit :

« Les zones tampon et d’un intérêt paysager englobent des aires qui par leur relief et leur végétation sont typiques pour la région et qu’il convient de sauvegarder en raison de leur valeur esthétique, touristique, récréative et écologique.

Toutes les constructions y sont interdites, sauf celles nécessaires à leur exploitation agricole ou forestière.

Tous les remblais et/ou déblais défavorables à l’écosystème et/ou au paysage sont interdits.

L’aménagement et la gestion de ces zones se fera selon des principes écologiques. Les biotopes existants et présentant un intérêt scientifique et écologique sont à sauvegarder. Si cette prescription ne peut être suivie, des mesures de compensation devront être exécutées.

Les arbres ou arbustes plantés seront des espèces indigènes à feuillage.

5 Voir trib. adm. 24 octobre 2001, n° 13634, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 746, et les autres références y citées.

Afin d’assurer l’intégration dans le site naturel des constructions existantes ou à construire, la modification de l’implantation de la construction et l’aménagement d’un rideau de verdure avec des arbres et/ou haies comprenant des espèces indigènes pourront être ordonnés par l’administration communale.

Les zones comme telles sont définies :

- la vallée de la "Brillbaach" et ses affluents, entre Soleuvre et Ehlerange, - le paysage à partir du "Gaalgebierg" jusqu’au "Ronnebierg", - les anciennes mines à ciel ouvert, - le "Kalkertsbësch", - le paysage, bocage, au nord du "Zolwerknapp"-Rousenuecht, - le paysage au nord de Sanem, du "Märtesbierg" à l’ouest au "Darheck" à l’est. » Il s’agit en l’occurrence d’une disposition destinée à fixer l’affectation générale de la zone tampon et d’intérêt paysager, en y excluant de manière générale et de prima facie toutes les constructions et en prévoyant certains critères généraux devant présider aux constructions et aménagements y autorisées.

Il convient toutefois de relever que ledit article 3.5 PAG s’insère dans le contexte des « zones à l’extérieur de l’agglomération » telles que définies à l’article 1.4.2. PAG, lequel reprend l’intégralité de ces zones sous la désignation globale de « zone verte », notion renvoyant nécessairement à la « zone verte » telle que définie aux articles 5 et 6 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

Or, aux termes de l’article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 précitée, « Dans les parties du territoire de ces communes situées en dehors des zones définies à l’alinéa qui précède, parties dénommées « zone verte » dans la présente loi, seules peuvent être érigées des constructions servant à l’exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole ou cynégétique ou à un but d’utilité publique », tandis que d’après l’article 6 de la même loi du 19 janvier 2004, « les installations de transport, de communication et de télécommunication, les installations de production d’énergie renouvelable, les conduites d’énergie, de liquide ou de gaz » sont encore autorisables en « zone verte », lesquelles ne constituent que des illustrations des activités servant à un but d’utilité publique tel que visé par l’article 5.

Il s’ensuit que si l’article 3.5 PAG relatif à la zone tampon et d’intérêt paysager exclut a priori toute construction, cette servitude non aedificandi doit toutefois être nuancée en ce qu’elle doit être interprétée à la lumière de ses contextes réglementaire (l’article 1.4.2. PAG) et légal (les articles 5 et 6 de la loi modifiée du 19 janvier 2004), à savoir celui de la zone verte, comportant une servitude non aedificandi admettant néanmoins des exceptions, notamment en ce qui concerne les constructions servant à un but d’utilité publique, et plus spécifiquement les conduites d’énergie.

Partant, le principe même de la construction, respectivement de la pose d’une conduite électrique très haute tension souterraine dans la zone tampon et d’intérêt paysager, est acquis.

Le tribunal, de manière surabondante, tient par ailleurs à souligner que même si la précision explicite que la zone tampon et d’intérêt paysager fait partie de la zone verte ne figurait pas dans le PAG, la définition de la zone tampon et d’intérêt paysager telle que prévue au seul article 3.5. PAG ne serait en tout état de cause pas de nature à invalider l’autorisabilité de principe d’une conduite d’énergie en cette zone, alors qu’une réglementation communale d’urbanisme ne saurait aboutir à exclure de plano la possibilité d’autoriser une construction servant à un but d’utilité publique dans la zone verte. En effet, si les communes sont habilitées à fixer des règles d’urbanisme pour les aménagements et les constructions à prévoir dans pareilles zones, il n’en reste pas moins que sous peine d’enfreindre la loi du 19 janvier 2004 en ses articles 5 et 6, elles ne sauraient rendre impossibles en leur principe dans la zone verte des constructions destinées à un but d’utilité publique, telles notamment celles prévues à son article 66.

Le tribunal constate ensuite que si l’article 3.5. PAG contient certes quelques préceptes supposés régir l’aménagement des constructions autorisables en la zone tampon et d’intérêt paysager, à savoir des « principes écologiques », ceux-ci ne sont pas autrement définis.

Or, dans la mesure où l’article 3.5. PAG ne donne pas d’autre définition et ne précise pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « principes écologiques », lesdits « principes écologiques » ne se retrouvant par ailleurs pas concrétisés par des prescriptions urbanistiques ou techniques figurant dans d’autres dispositions du règlement sur les bâtisses, il échet de constater que ladite disposition conditionne à elle seule la possibilité d’autorisation donnée au bourgmestre sans aucune référence ou critère objectif y relatif le précisant, ni aucune indication concrète, ce qui revient à donner plein pouvoir au bourgmestre dans un domaine où il aurait appartenu au conseil communal de définir les critères d’application et de référence encadrant et conditionnant d’après la loi le pouvoir ainsi conféré audit bourgmestre. Une telle disposition excéderait manifestement les limites posées par le législateur, notamment celles découlant des articles 9 et 39 de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, l’administration communale ne pouvant en effet se substituer au législateur communal7.

Ainsi, étant donné que le conseil communal est exclusivement compétent pour définir les règles auxquelles les projets de constructions doivent suffire, une subdélégation au bourgmestre qui lui permet de déroger, de manière générale, aux dispositions du règlement sur les bâtisses, afin de refuser ou de conditionner l’octroi d’un permis de construire relatif à une construction qui serait autorisable conformément aux règles générales définies par le conseil communal, devrait être considérée comme étant illégale8.

Partant, les parties demanderesses ne sauraient en tout état de cause se prévaloir de ce même précepte libellé de manière essentiellement vague, sans contenir la moindre référence objective précisant lesdites conditions écologiques pour obtenir l’annulation de l’autorisation déférée, le bourgmestre n’ayant pu, compte tenu précisément de ce libellé indistinct, assoire légalement et valablement une éventuelle décision de refus sur cette disposition.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne le préjudice allégué porté à la végétation, respectivement à l’environnement naturel, la formulation vague de l’article 3.5.

6 Cour adm. 22 janvier 2013, n° 30770C du rôle.

7 Voir par analogie trib. adm. 5 mai 2009, n° 24940, Pas. adm. 2012, V° Urbanisme, n° 35.

8 Voir par analogie trib. adm. 14 décembre 2009, n° 25482, Pas. adm. 2012, V° Urbanisme, n° 341.

PAG à ce titre ne permettant pas au bourgmestre, concrètement, de refuser l’autorisation sollicitée par SOTEL, ladite disposition ne contenant d’ailleurs pas d’interdiction stricte prohibant toute destruction, mais se contentant d’énoncer que la végétation et les biotopes seraient « à sauvegarder ».

Par ailleurs, il convient de rappeler que le pouvoir du bourgmestre, à supposer que celui-ci ait en l’espèce été encadré par des dispositions réglementaires contraignantes suffisamment précises, trouve une limite dans l’exercice parallèle de leurs compétences par les autorités étatiques, notamment par le ministre ayant dans ses attributions l’environnement en matière de protection de la nature et des ressources naturelles, alors que le bourgmestre ne saurait dans le cadre de l’exercice de son pouvoir général de police, tenir directement en échec, par une appréciation ayant le même objet que celle du ministre concerné, les décisions que celui-ci est appelé à prendre dans le cadre de sa compétence9.

Or, en l’espèce, le projet de SOTEL dispose d’une décision du ministre de l’Environnement du 25 août 2008 lui ayant accordé l’autorisation de procéder au raccordement 225 kV du poste de haute tension de SOTEL Réseau & Cie à Esch-sur-Alzette au poste de haute tension de Moulaine en France, le ministre compétent ayant à travers cette autorisation imposé à SOTEL des mesures tendant notamment à la sauvegarde de l’environnement naturel, décision ayant infructueusement été entreprise en justice par GREENPEACE10.

Enfin, en ce qui concerne l’invocation de l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004 par les parties demanderesses à l’appui de leur moyen d’annulation, cette disposition, telle que modifiée par la loi du 28 juillet 2011, précise que :

« Les communes ont pour mission de garantir le respect de l’intérêt général en assurant à la population de la commune des conditions de vie optimales par une mise en valeur harmonieuse et un développement durable de toutes les parties du territoire communal par :

(a) une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux ;

(b) un développement harmonieux des structures urbaines et rurales, y compris les réseaux de communication et d’approvisionnement compte tenu des spécificités respectives de ces structures, et en exécution des objectifs de l’aménagement général du territoire ;

(c) une utilisation rationnelle de l’énergie, des économies d’énergie et une utilisation des énergies renouvelables ;

(d) le développement, dans le cadre des structures urbaines et rurales, d’une mixité et d’une densification permettant d’améliorer à la fois la qualité de vie de la population et la qualité urbanistique des localités ;

(e) le respect du patrimoine culturel et un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage lors de la poursuite des objectifs définis ci-dessus ;

(f) la garantie de la sécurité, la salubrité et l’hygiène publiques ».

Il résulte de cette disposition légale que le législateur a confié une mission générale aux communes consistant à veiller au respect de l’intérêt général de leurs habitants, cet intérêt 9 Cour adm. 7 juin 2012, n° 29650C, Pas. adm. 2012, V° Urbanisme, n° 532.

10 Voir arrêt du 6 décembre 2011, n° 28581C.

général se traduisant en ce qui concerne l’aménagement communal et le développement urbain, par une mise en valeur harmonieuse, ainsi que par un développement durable de toutes les parties du territoire communal.

Or, si la mise en valeur harmonieuse et le développement durable visés au prédit article 2 constituent certes des objectifs de la loi sur l’aménagement communal et le développement urbain, ils ne sauraient cependant constituer, à défaut de concrétisation par voie réglementaire, des critères per se auxquels chaque construction, considérée isolément, doit répondre pour pouvoir être autorisée11.

Le moyen d’une violation de l’article 3.5. PAG, combiné à l’article 2 de la loi du 19 juillet 2004, par l’autorisation déférée, tel que développé par les parties demanderesses, est partant à rejeter.

En ce qui concerne la violation alléguée du principe de précaution, il convient de rappeler, à l’instar de l’administration communale et de SOTEL, que chaque autorité administrative statue dans le cadre de son champ de compétence propre se dégageant respectivement de chacune des législations par rapport aux dispositions desquelles elle est appelée à toiser la demande d’autorisation lui soumise, sans pouvoir fonder sa décision sur des éléments repris dans une législation dans le cadre de laquelle elle ne statue pas, sauf exception légale y afférente. Le bourgmestre, saisi d’une demande de permis de construire, est appelé à statuer dans le cadre de la réglementation communale d’urbanisme applicable et le cas échéant par rapport aux règles nationales d’urbanisme dans la mesure de leur interférence par rapport au projet présenté, sans pouvoir tirer argument de dispositions ayant trait notamment à la législation relative à la protection de la nature et des ressources naturelles relevant de la compétence du ministre ayant dans ses attributions l’administration des Eaux et Forêts, ni de dispositions relevant de la législation relative aux établissements classés12.

Par ailleurs, en vertu de l’article 67 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 le bourgmestre est chargé de l’exécution des lois et règlements de police. Dans la mesure où cette exécution se définit comme application de la disposition générale à un cas particulier, la compétence d’exécuter exclut a priori toute obligation d’interpréter13. Ainsi, s’il incombe de façon générale au bourgmestre dans le cadre de sa mission d’exécution des lois de police de faire jouir les habitants de la commune des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques, il n’empêche que le bourgmestre doit lors de la délivrance d’une autorisation en matière d’urbanisme, vérifier la conformité de la demande d’autorisation uniquement par rapport au plan d’aménagement général et au règlement sur les bâtisses de la commune, textes d’interprétation stricte. Le bourgmestre, appelé à statuer sur une demande en matière d’urbanisme, agit dès lors en organe d’exécution et s’il refusait un permis de construire pour une construction dont la mise en place ne serait point empêchée par la réglementation communale d’urbanisme existante, il suspendrait de ce fait l’exécution même de ladite réglementation, sinon encore rendrait de fait non constructible une parcelle ayant vocation à recevoir des constructions, pareille façon de 11 Trib. adm. 18 mars 2013, n° 29649 ; voir aussi par analogie trib. adm. 10 mars 2010 n° 25763 et 25780 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Etablissements classés, n° 84.

12 Voir notamment trib. adm. 7 janvier 2002, n° 13714, Pas. adm. 2012, V° Urbanisme, n° 541.

13 Voir avis complémentaire du Conseil d’Etat (25 septembre 2012) sur le projet de loi portant modification de la loi modifiée du 21 mai 1999 concernant l’aménagement du territoire, p.3 procéder n’étant pas seulement prohibée par la loi, mais encore contraire à l’essence même des attributions exécutives du bourgmestre en la matière14.

Ce principe a encore été rappelé dans l’arrêt précité de la Cour administrative du 7 juin 2012, n° 29650 en ces termes : « Il suit de ce qui précède que dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de police, le bourgmestre de la commune de Sanem était en droit de vérifier le caractère autorisable de la construction envisagée par SOTEL d’un point de vue de compatibilité avec la zone dans laquelle celle-ci doit être implantée, d’un point de vue de stabilité de la construction voire d’un point de vue sanitaire, à l’exclusion d’une vérification parallèle du caractère compatible de la construction envisagée avec les exigences de la législation sur les établissements classés, une telle vérification ayant été faite par les ministres compétents dans le cadre de la demande d’exploitation de la ligne dont ceux-ci avaient été saisis par SOTEL ».

Enfin, il convient de constater que le principe de précaution se trouve à la base des dispositions de la loi modifiée du 10 juin 1999 et plus particulièrement de son article 1er, sous l’aspect des objectifs à atteindre, et 13, du point de vue des moyens à déployer en vue de la réalisation de ces objectifs15.

Partant, conformément aux règles de séparation des polices relatives à l’urbanisme, d’une part, et à l’exploitation, d’autre part, séparation se justifiant notamment par la circonstance que l’autorisation de bâtir ne préjuge pas des conditions auxquelles l’exploitation sera subordonnée, la seule présence de la ligne à très haute tension n’empêche pas nécessairement que le principe de précaution tel qu’invoqué par les parties demanderesses soit sauvegardée par l’imposition par le ministre compétent pour les établissements classés de conditions d’exploitation strictes qui contiennent les inconvénients allégués de la ligne dans des limites telles que l’habitat naturel et humain environnant ne soit pas perturbé : c’est partant à tort que les parties demanderesses requièrent l’annulation de l’autorisation de bâtir litigieuse en se prévalant d’un prétendu non-respect du principe de précaution qui s’imposerait au bourgmestre16.

Quant à la question préjudicielle que les parties demanderesses entendent voir adressée à la Cour de Justice de l’Union européenne relative au principe de précaution, principe que les parties demanderesses entendent tirer de l’ancien article 174 du Traité CE, s’il est vrai que le droit communautaire donne une place importante au principe de précaution depuis que ce principe est expressément inscrit dans le traité de Maastricht17, le statut de ce principe reste toutefois en grande partie ambiguë, alors que le traité ne définit pas le principe de précaution, seule la Commission ayant publié une communication18 dépourvue de valeur juridique expliquant le sens de ce principe dans les instances communautaires.

14 Cour adm. 27 avril 2006 20250C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Urbanisme, n° 527, et plus récemment trib. adm.

30 septembre 2013, n° 30678 du rôle, ainsi que trib. adm 16 octobre 2013, n° 30781 du rôle, confirmé par arrêt du 20 mars 2014, n° 33658C du rôle.

15 Cour adm. 12 juillet 2007, n° 22717C, Pas. adm. 2012, V° Etablissements classés, n° 83.

16 Voir par ailleurs la jurisprudence française identique, notamment CE, 20 avril 2005, Société Bouygues Télécoms, concl. Yanna Aguila, AJDA, n° 21, 2005, p. 1191.

17 Article 174-2, actuel article 191 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne.

18 Communication du 2 février 2000/COM (2000)1 final.

L’article 191, ex-article 174 TCE, invoqué par les parties demanderesses, est libellé comme suit :

« 1. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :

- la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement, - la protection de la santé des personnes, - l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, - la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique.

2. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».

Or, si plusieurs actes de droit communautaire imposent expressément le respect du principe de précaution aux autorités internes, notamment le règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant les procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ou encore la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, l’article 191 TCE tel que cité ci-avant, qui s’adresse à la politique communautaire, ne constitue pour sa part pas une norme contraignante s’imposant aux autorités nationales internes.

Par ailleurs, il convient de rappeler que conformément à l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l’interprétation des traités, b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais »), outre qu’une juridiction nationale dont les décisions restent susceptibles de recours, hypothèse qui se trouve établie quant au tribunal administratif, n’est pas tenue impérativement de poser une question préjudicielle, une question préjudicielle ne saurait porter que sur l’interprétation du droit de l’Union, et non sur son application dans le litige pendant devant le juge de renvoi19, le rôle de la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle étant de fournir une interprétation du droit de l’Union ou de statuer sur sa validité, et non d’appliquer ce droit à la situation de fait qui sous-tend la procédure au principal. Ce rôle revient à la juridiction nationale et il n’appartient dès lors à la Cour ni de se 19 CJCE, 18 décembre 1986, VAG France, aff. 10/86, Rec. CJCE, 1986, p.4071 prononcer sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au principal, ni de trancher des divergences éventuelles d’opinion sur l’interprétation ou l’application des règles de droit national.

Or, en l’espèce, la question préjudicielle telle que suggérée (« le principe de précaution en tant que principe général du droit communautaire souffre-t-il d’une exception d’application en privant une autorité administrative nationale de l’exécuter en matière de délivrance/refus de permis de construire ? ») ne tend pas à voir interpréter le droit primaire de l’Union, la portée même du principe de précaution, respectivement son interprétation, n’étant pas en cause, mais à soumettre au juge communautaire son application in concreto par le juge national dans un cas d’espèce, et ce par ailleurs de manière partisane, en faisant abstraction de l’application de ce même principe par rapport au même objet dans le cadre de législations concurrentes.

Il n’y a dès lors pas lieu de poser ladite question.

Quant à l’invocation non autrement circonstanciée du principe du « pollueur-payeur », il convient de souligner, outre que ce principe, inscrit à l’article 15 de la loi modifiée du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets, ne trouvant application qu’en ce qui concerne la question de la prise en charge du coût de l’élimination des déchets, est fondamentalement étranger à la question litigieuse, que le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, sans être soutenu effectivement. Les parties demanderesses restent en effet en défaut d’expliquer dans quelle mesure l’autorisation de construire litigieuse violerait ce principe : or les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le moyen.

Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen que le recours formé par les parties demanderesses est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Les parties demanderesses sollicitent la condamnation de l’administration communale au paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui, au vu de l’issue du litige, est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié, partant en déboute, rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par les parties demanderesses, condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mars 2014 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Schmit s. Sünnen 18


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 32152
Date de la décision : 31/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-03-31;32152 ?

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