Tribunal administratif N° 33919 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 janvier 2014 1re chambre Audience publique du 19 mars 2014 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33919 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2014 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en leur qualité de représentants légaux de leur enfant mineur …, née le … à … (Luxembourg), tous de nationalité monténégrine, demeurant ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 janvier 2014 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 8 janvier 2014 refusant de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 février 2014 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2014 pour compte des demandeurs ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mars 2014.
Le 25 octobre 2013, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineur commun …, ci-après désignés par « les consorts …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts …furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leurs identités et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur …fut encore entendu le 20 novembre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que son épouse, Madame… fut entendue pour les mêmes raisons le 6 janvier 2014.
Par décision du 8 janvier 2014, expédiée par courrier recommandé le 10 janvier 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts …qu’il avait statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2014, les consorts …ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 8 janvier 2014 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur les demandes de protection internationale des consorts …dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours concernant ce volet de la décision, les demandeurs estiment d’abord que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que le Monténégro figure sur la liste des pays d’origine sûr fixés par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Ils considèrent en effet que ledit règlement serait contraire à l’article 95 de la Constitution. Ainsi, ils s’emparent de la volonté affichée par l’Union européenne d’harmoniser la politique d’asile pour considérer qu’à défaut de liste commune minimale, il ne pourrait y avoir aucune harmonisation, puisque l’établissement d’une liste nationale de pays d’origine sûr conduirait nécessairement à une discrimination tant du point de vue du pays d’origine que du point de vue des Etats chargés d’instruire la demande d’asile. Dans cet ordre d’idées, ils exposent que ce serait surprenant que le Luxembourg ait pu établir une telle liste, alors que les Etats membres de l’Union européenne ont échoué à établir une liste commune dans ce sens.
Par ailleurs, ils affirment que la notion de « pays d’origine sûr » aurait toujours été fortement critiquée et rappelle que l’UNHCR aurait estimé que l’application de cette notion devrait être limitée et inclure la possibilité réelle de réfuter une présomption de sécurité. Les demandeurs soulignent que l’UNHCR aurait dès lors retenu que chaque cas devrait être examiné individuellement quant au fond et qu’il faudrait des critères clairs pour déterminer à quel moment un pays peut être inclus dans une liste commune des pays d’origine sûrs. Dans le même ordre d’idées, les demandeurs rappellent que la Commission consultative des Droits de l’Homme aurait souligné que l’adoption d’une liste des pays d’origine sûrs serait contraire à l’article 3 de la Convention de Genève, alors qu’elle conduirait à une discrimination entre réfugiés en raison de leur nationalité. Par ailleurs, la Commission consultative des Droits de l’Homme aurait mis en évidence la difficulté matérielle pour le demandeur de renverser cette présomption et aurait constaté que souvent le seul critère utilisé pour dresser une telle liste serait l’adhésion des pays à des instruments internationaux de droits de l’Homme, mais non pas le respect effectif des doits de l’Homme par ces pays. Ils soulignent encore que dans son avis du 3 mai 2005 sur le projet de loi relatif au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, le Conseil d’Etat a proposé de supprimer la possibilité de fixer une liste de pays d’origine sûrs. Les demandeurs reprochent également au règlement grand-ducal de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste a été établie, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée. Finalement, les demandeurs affirment que d’après l’article 21 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006, la désignation de pays d’origine sûr se ferait pour chaque pays après un examen détaillé de la situation particulière dudit pays. Le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité ne désignerait cependant pas un pays, mais il établirait une liste de pays d’origine sûrs sans indiquer clairement avec une motivation requise par des dispositions légales applicables en la matière pour quels motifs valables le Monténégro doit être considéré comme un pays sûr, de sorte qu’il n’existerait pas de garantie qu’il y a effectivement eu un examen pays par pays comme le prévoit la loi.
Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs donnent encore à considérer que l’actualité récente au Monténégro témoignerait d’extrêmes tensions sociales qui règneraient dans le pays et d’une dégradation des droits de l’Homme, de sorte que le pays ne présenterait en tout état de cause pas de garanties suffisantes quant au respect des mesures édictées par l’article 21 (4) a), b) et c). Par ailleurs, le seul fait que les négociations en vue de l’adhésion du Monténégro au sein de l’Union européenne auraient été récemment ouvertes ne serait pas de nature à conférer à ce pays les caractéristiques de pays d’origine sûr. Ils soulignent finalement que la présomption que le Monténégro serait un pays d’origine sûr serait susceptible d’être renversée par les éléments d’appréciation tirés de la situation actuelle du pays.
Au vu des développements qui précèdent, les demandeurs sollicitent en tout état de cause que sur base de l’article 95 de la Constitution le tribunal n’applique pas ledit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, qui serait illégal et inapplicable, tant pour violation de l’article 3 de la Convention de Genève que pour des dispositions communautaires dont la directive 2005/85/CE.
Ensuite, et en se basant en substance sur le contenu de leurs déclarations auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu à tort et par le biais d’une fausse application de la loi, sinon d’une appréciation erronée des faits de l’espèce qu’ils seraient originaires d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, alors pourtant qu’il ressortirait de leurs récits qu’ils n’auraient pas eu accès aux instances judiciaires, leurs plaintes auprès de la police n’ayant plus particulièrement pas été enregistrées ni instruites.
Ils insistent à cet égard sur le fait que le refus d’instruire leurs plaintes auquel ils auraient été confrontés ne leur aurait pas permis « de jouir des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, valeurs dont seul le respect permet de consacrer l’existence d’un pays d’origine sûr ».
Ce serait encore à tort que l’autorité ministérielle aurait conclu au défaut de pertinence des faits de l’espèce, puisque ces derniers revêtiraient de par leur nature et de leur gravité une pertinence manifeste au regard des critères visant à déterminer s’ils remplissent les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, sinon au moins à celui conféré par la protection subsidiaire. Les demandeurs donnent à cet égard à considérer qu’ils auraient fait état de diverses formes de persécutions dont ils auraient été victimes notamment en raison de l’origine albanaise du demandeur et par rapport auxquelles les autorités policières monténégrines auraient été incapables de lui fournir une protection.
Ils estiment encore que ce serait à tort que le ministre aurait considéré qu’ils ne remplissent manifestement pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale alors que le départ de leur pays d’origine aurait été motivé par les maltraitances et avant tout les menaces de mort répétées qu’aurait perpétrées le père de la demanderesse, plus particulièrement à l’encontre de cette dernière et de l’enfant à naître des demandeurs, parce qu’il n’aurait pas accepté la relation de sa fille avec un Albanais. Ils insistent à cet égard sur le fait que le père de la demanderesse n’aurait pas seulement proféré des menaces mais qu’en raison de l’attitude affichée par ce dernier au lieu de travail du demandeur, il aurait également été responsable du licenciement du demandeur Finalement, les demandeurs font valoir que leurs tentatives d’obtenir une protection de la part de la police seraient restées infructueuses. En effet, alors même que le demandeur aurait signalé les menaces de son beau-père à la police, cette dernière n’y aurait pas donné de suite en prétendant qu’il faudrait des preuves de blessures ou de coups. Ils insistent à cet égard encore sur les problèmes de corruption qui existeraient au Monténégro.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.
Le tribunal rappelle que les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance. En l’espèce, le ministre en a soulevées trois pour justifier le recours à une procédure accélérée :
« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
(…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Plus particulièrement, tout d’abord, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal. (…) » Dans ce cadre, s’agissant du moyen tendant à ce que le tribunal n’applique pas le règlement grand-ducal précité dans la présente affaire, il échet tout d’abord de rappeler que le rôle du tribunal consiste à vérifier, dans le cadre de l’article 95 de la Constitution, que la norme réglementaire incriminée est conforme aux lois, et le cas échéant, d’en écarter l’application, mais non de contrôler l’exactitude matérielle des faits pris en considération et d’annuler le cas échéant la disposition réglementaire. Ainsi, à défaut de violation alléguée d’une quelconque disposition légale par un règlement grand-ducal, le tribunal n’est pas autorisé à en refuser l’application dans un cas concret.
Or, aux termes de l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 : « Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr : a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; b) le respect du principe de non-
refoulement prévu par la Convention de Genève ; c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés ».
Au vu de l’habilitation légale accordée par la disposition légale précitée au pouvoir réglementaire de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, au vu des moyens et arguments développés par une partie demanderesse, de vérifier si le règlement grand-ducal a été pris en conformité à l’article 21, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 fixant le champ d’application de ladite disposition.
En ce qui concerne les développements des demandeurs consistant à affirmer que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 ne serait pas conforme à l’article 3 de la Convention de Genève, il y a lieu de rappeler que cet article consacre le principe de non discrimination des réfugiés et dispose que « Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». Or, s’il peut certes y avoir une discrimination prima facie, alors qu’il peut sembler que les personnes cherchant refuge dans un pays disposant d’une liste de pays sûrs ne bénéficieraient plus d’un examen individuel de la situation actuelle de leur pays d’origine, il convient cependant de relever que, d’une part, l’inscription d’un pays sur une telle liste constitue l’aboutissement de l’examen de la situation de ce pays, certes non pas à un niveau individuel, mais à un niveau réglementaire et, d’autre part, qu’en l’espèce, le ministre, au-delà du constat de l’inscription du Monténégro sur la liste des pays d’origine sûrs, a procédé à une analyse in specie de la situation actuelle des demandeurs dans le contexte de la situation générale de ce pays.
Ainsi, il résulte de la lecture de la décision ministérielle déférée que la demande des consorts …a fait l’objet d’un examen individuel et que tant en ce qui concerne la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’en ce qui concerne le refus de leur accorder la protection internationale, le ministre a non seulement pris en compte l’origine des demandeurs, mais a fait un examen précis de leur situation individuelle, notamment sur la toile de fond de la situation sécuritaire et légale du Monténégro. En effet, la décision ministérielle entreprise n’est pas basée sur le simple motif que les demandeurs proviennent d’un pays considéré comme étant d’origine sûr, mais bien au contraire sur de nombreux motifs différents, correspondant aux critères contenus dans la Convention de Genève.
Les demandeurs, comme relevé ci-avant, reprochent en outre au règlement grand-ducal en cause de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste est à établir, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée.
De même, ils reprochent au règlement grand-ducal de contrevenir aux dispositions de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, alors qu’en établissant une liste des pays d’origine sûrs, il n’existerait pas de garantie qu’il y ait eu effectivement un examen pays par pays comme l’exigerait la loi. Sur base de ces affirmations, les demandeurs invoquent dès lors un manque de motivation du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Force est au tribunal de rappeler que contrairement à ce qui est imposé pour les décisions administratives individuelles par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, inapplicable en matière réglementaire, aucun texte n’oblige l’administration à formuler de manière expresse et explicite les motifs gisant à la base d’un acte à caractère réglementaire, dont toutefois le motif doit être légal et à cet égard vérifiable par la juridiction administrative1. S’agissant en l’espèce d’un acte à caractère réglementaire, il peut valablement contenir sa motivation dans son exposé des motifs et son commentaire des articles, lesquels contiennent par ailleurs une motivation explicite en ce qui concerne les sources et critères retenus pour qualifier certains pays comme pays d’origine sûrs, motivation qui n’a pas fait l’objet de critiques de la part des demandeurs2, ces derniers se contentant d’affirmer de manière tout à fait générale qu’au regard de l’actualité récente au Monténégro et des tensions sociales extrêmes qui y règneraient, la situation des droits de l’Homme s’y serait dégradée à un point tel que le pays ne présenterait plus les garanties nécessaires quant au respect des mesures édictées par l’article 21, paragraphe 4, points a), b) et c).
Au vu des développements qui précèdent, le moyen quant à la contrariété du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 aux dispositions de la directive 2005/85/CE et à l’article 3 de la Convention de Genève laisse d’être fondé. Le tribunal se doit donc d’appliquer le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 précité.
En l’espèce, il est constant en cause que ce dernier retient le Monténégro comme constituant un pays d’origine sûr. Or, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité monténégrine et qu’ils ont habité au Monténégro avant de venir au Luxembourg.
Comme le tribunal vient de le rappeler au niveau des principes, dès lors que l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, l’examen de la situation personnelle décrite par les demandeurs lors de leurs auditions, ne permet pas au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, de sorte à ne pas pouvoir tenir compte des faits nouveaux invoqués dans le seul recours en annulation sous analyse - d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.
En effet, bien qu’il ressorte des propos de Monsieur …, qui sont confirmés en grandes lignes par son épouse, qu’il se serait rendu à cinq ou six reprises auprès de la police pour signaler les menaces proférées par son beau-père à son encontre ainsi qu’à l’encontre de son épouse et de son enfant à naître3, force est de relever que le demandeur a également déclaré ne jamais avoir essayé de déposer une plainte contre son beau-père au motif qu’il n’aurait jamais 1 Cour adm. 23 février 2006, n° 20173C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 92.
2 Trib. adm. 24 septembre 2009, n°25522 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n° 94, et autres références y citées 3 Page 4/9 du rapport d’audition de Monsieur Djokovic.
pu prouver suffisamment ses accusations4. Il ne ressort d’ailleurs pas de son récit que, malgré sa volonté de déposer une plainte, un tel dépôt lui aurait été refusé par la police.
Dès lors, il appert que les demandeurs n’ont jamais requis officiellement et formellement la protection des autorités monténégrines en déposant une plainte à l’encontre du père de la demanderesse. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces régulières, communément la forme d’une plainte.
Par ailleurs, si le demandeur prétend certes que la police le traiterait différemment parce qu’il serait d’origine albanaise et qu’il ne serait pas pris au sérieux, cette allégation tout à fait générale est contredite par les déclarations du demandeur lui-même suivant lesquelles, lorsqu’il se serait adressé à la police, les policiers présents l’auraient bien écouté et lui auraient à chaque fois dit qu’ils allaient régler cette affaire5. Ils lui auraient même transmis un numéro de téléphone direct afin qu’il puisse les joindre en cas de nouvel incident. Le demandeur a également déclaré que les policiers lui auraient dit de revenir si quelque chose de plus grave devait arriver6. Force est dès lors de relever que le demandeur a bien eu accès à la police et que cette dernière a non seulement pris ses déclarations au sérieux mais lui a également donné la possibilité de la contacter directement en cas de problème sérieux. Il ne fait par ailleurs état d’aucun acte de discrimination dont il aurait concrètement été victime. Le tribunal ne saurait dès lors conclure à une quelconque incapacité ou absence de volonté de la part des autorités monténégrines à assurer la protection des demandeurs.
A cela s’ajoute que si le demandeur devait vraiment avoir eu le sentiment que les policiers qui ont pris ses dépositions n’ont pas fait correctement leur travail, respectivement qu’ils ont sciemment refusé de l’aider, il lui aurait été loisible de se plaindre de leur comportement auprès d’une autorité supérieure ou bien de s’adresser à d’autres policiers, ce qu’il n’a toutefois pas fait. Au contraire, lorsque, suite à leur déménagement, le père de la demanderesse serait venu les importuner à Bar, les demandeurs sont en aveu qu’ils ne se seraient même pas adressés à la police locale de Bar.
Finalement, il y a encore lieu de rappeler que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Or, le fait même que le demandeur ait été encouragé à s’adresser à la police dès que son beau-père devait franchir les limites des simples menaces et que plus particulièrement la police lui ait transmis un numéro de téléphone direct sur lequel il était possible de la joindre rapidement en cas de problème, semble a priori, témoigner d’une capacité suffisante des autorités policières monténégrines, voire en tout état de cause d’une disponibilité et d’une volonté manifestes d’aider les demandeurs. A cela s’ajoute que les demandeurs n’ont pas fait état d’actes concrets 4 Pages 4/9 et 6/9 du rapport d’audition de Monsieur Djokovic.
5 Page 5/9 du rapport de Monsieur Djokovic.
6 Page 5/9 du rapport de Monsieur Djokovic.
dont auraient été suivies les menaces dénoncées à la police, ce qui permet a priori de penser que les démarches entreprises par la police - qui se serait en effet à chaque fois engagée auprès du demandeur à régler cette affaire - semblent avoir porté leurs fruits en ce sens que le père de la demanderesse semble avoir été dissuadé de mettre ses menaces à exécution.
Si le demandeur a encore invoqué de manière générale les problèmes de corruption qui existeraient à tous les niveaux au Monténégro, force est toutefois de relever qu’il n’a fait état d’aucune expérience négative qu’il aurait personnellement vécue avec les autorités policières monténégrines, notamment en termes de corruption. Il s’agit dès lors d’allégations sans fondement qui sont d’ailleurs contredites tout comme la décision ministérielle l’explique, sources internationales à l’appui, par le bilan satisfaisant du Monténégro en matière de réformes, ainsi que de lutte contre la corruption et le crime organisé.
Les demandeurs n’ont donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la République du Monténégro est à considérer comme pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs n’invoquent pas de faits démontrant que le Monténégro ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de leur situation concrète, a conclu qu’ils sont originaires d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs, qui se rapportent à prudence de justice quant à l’application de la Convention de Genève au cas d’espèce, invoquent en substance les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et plus particulièrement la circonstance qu’ils n’auraient pas pu bénéficier d’une protection efficace dans leur pays d’origine. Les demandeurs se prévalent en outre plus particulièrement d’une violation de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, dans la mesure où leur crainte perpétuelle d’être poursuivis par le père de la demanderesse devrait être qualifiée d’une « persécution » qui, de par son caractère répété et son accumulation, serait constitutive d’une atteinte à leurs droits fondamentaux et notamment à leur droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants, ainsi qu’à leur droit de circuler librement, les demandeurs insistant encore sur le fait que les « persécutions » dont plus particulièrement le demandeur aurait été victime seraient motivées par son appartenance à la minorité albanaise du Monténégro qui devrait s’analyser en un groupe social au sens de la loi.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale au demandeur.
En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale7. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut8.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, tel que c’est le cas en l’espèce, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables 7 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
8 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, tel que relevé ci-avant, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Comme le tribunal vient ci-avant de le retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, les demandeurs n’ont pas eu recours à tous les moyens à leur disposition pour bénéficier d’une protection des autorités compétentes face aux agissements du père de la demanderesse, et ce, alors même qu’ils avaient accès à la police monténégrine. Dans le cadre de la procédure contentieuse, les demandeurs tentent de mettre en cause l’efficacité des forces de police monténégrines en soulignant plus particulièrement que du fait de la corruption qui règnerait au Monténégro, les citoyens auraient de grandes difficultés pour demander une protection.
Outre que les demandeurs restent toujours en défaut de faire état de la moindre expérience négative qu’ils auraient personnellement vécue en termes de corruption, le tribunal est encore amené à constater à cet égard qu’il ressort des explications du ministre, confirmées par les déclarations du délégué du gouvernement, que bien que la corruption des autorités policières dénoncée par les demandeurs ne soit pas totalement endiguée, le Monténégro peut se targuer d’une amélioration exponentielle de la situation dans ce domaine. Ainsi, les autorités monténégrines ont fait de la lutte contre la corruption une des priorités à l’agenda politique du pays, notamment en renforçant le cadre légal et institutionnel destiné à lutter contre la corruption. Ces dispositions semblent d’ailleurs porter leur fruit comme en atteste non seulement le rapport de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de juin 2012 cité par le ministre, qui relève plusieurs arrestations pour faits de corruption et abus de fonctions, et ce tant au niveau des autorités judiciaires que policières, mais également l’extrait du Human Rights Council de mars 2013 cité par le ministre suivant lequel un nouveau plan d’action de deux ans pour lutter contre la corruption et le crime organisé a été préparé et qu’en décembre 2012 déjà, le GRECO (« Council of Europe’s Group of States against Corruption ») a retenu que toutes ses recommandations en termes d’incrimination avaient été suivies par le Monténégro.
Force est à cet égard encore au tribunal de relever que les extraits de rapports cités par le litismandataire des demandeurs dans le mémoire en réplique en vue de mettre en évidence la corruption régnant au sein des autorités policières monténégrines datent tous de 2006 ou 2007, de sorte qu’ils ne tiennent forcément pas compte des progrès réalisés depuis lors, notamment en termes de corruption, tel que cela ressort des sources internationales récentes citées par la partie étatique.
Finalement, il ressort encore des explications de la partie étatique que si les demandeurs devaient effectivement avoir vécu des mauvaises expériences en termes de corruption ou de discrimination avec les autorités de police monténégrines, il auraient pu s’adresser à l’Ombudsman qui est l’instance compétente pour faire valoir ses droits et doléances en relation avec les problèmes de discrimination et de mauvais traitements de la part des autorités publiques, dont notamment la police, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait.
En résumé, au regard des éléments à la disposition du tribunal, il n’est pas établi que les autorités monténégrines seraient dans l’incapacité de leur fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006. Plus particulièrement, au vu des explications fournies par la partie étatique, sources internationales à l’appui, quant aux progrès caractérisant la lutte contre la corruption au Monténégro, la seule affirmation des demandeurs qu’ils ne bénéficieraient d’aucune protection dans leur pays d’origine est insuffisante pour emporter le constat qu’aucune protection n’est disponible au Monténégro. Les demandeurs ne sauraient dès lors, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.
Il s’ensuit que les demandeurs ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal, statuant par rapport à ce volet en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, le Monténégro n’étant pas seulement à considérer abstraitement comme pays d’origine sûr du fait de son énumération sur la liste des pays d’origine sûrs, mais également concrètement, compte tenu de la situation individuelle des demandeurs et des moyens contenus dans leur requête introductive d’instance, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En l’espèce, les demandeurs, en se basant sur leurs récits, sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire pour violation de la loi.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale des demandeurs comme non justifiées, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 janvier 2014 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts …dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 janvier 2014 portant refus d’une protection internationale aux consorts …;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 janvier 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mars 2014 par :
Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, Olivier Poos, attaché de justice délégué, en présence du greffier Michèle Hoffmann s. Michèle Hoffmann s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19/3/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 13