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13/03/2014 | LUXEMBOURG | N°33880

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mars 2014, 33880


Tribunal administratif N° 33880 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 13 mars 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33880 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2014 par Maître Olivier Lan

g, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 33880 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 janvier 2014 3e chambre Audience publique extraordinaire du 13 mars 2014 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33880 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2014 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Bosnie-

Herzégovine), et de son épouse Madame …..-….., née le …. à …., agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs, ….. ….., né le …. à …., et ….. ….., née le …. à …., tous de nationalité bosnienne et demeurant actuellement ensemble à …. tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 décembre 2013 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2014 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem Kutlar, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 février 2014.

Le 11 octobre 2013, Monsieur ….. et Madame …..-….., accompagnés de leurs enfants mineurs, ….. et ….. ….., ci-après désignés par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts ….. sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur ….. et Madame …..-….. furent entendus respectivement le 6 et le 7 novembre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

A cette occasion, Monsieur ….., déclarant être de nationalité bosnienne, exposa qu’il aurait quitté son pays d’origine pour échapper aux menaces dont il ferait l’objet avec sa femme et ses deux enfants de la part d’un dénommé ….. auquel il n’aurait pas remboursé à temps la somme de 5000 KM (mark convertible) que ce dernier lui aurait prêtée.

Il expliqua que début février 2013, un de ses collègues de travail l’aurait mis en contact avec un dénommé ….. auquel il aurait emprunté la somme de 5000 KM pour une période de dix jours, le temps d’obtenir un prêt de 10 000 KM auprès de sa banque en vue de rénover le nouvel appartement qu’il occuperait avec sa famille. Il aurait été convenu qu’il restitue cette somme, augmentée des intérêts -soit un total de 6000 KM-, dès qu’il aurait obtenu son prêt bancaire. Il se serait ensuite avéré qu’….. travaillerait en réalité pour le compte d’un membre de la mafia très influent connu sous le nom …… Il indiqua qu’il n’aurait pas pu respecter son engagement car son épouse aurait dû être hospitalisée en urgence et il aurait dû s’occuper de ses jeunes enfants tout en travaillant, si bien qu’il aurait été débordé et aurait laissé passer l’échéance du remboursement. Il n’aurait rendu la somme d’argent empruntée que vingt jours plus tard, ce qui aurait déclenché ses problèmes. …..

aurait exigé le paiement d’intérêts de retard, ce que Monsieur ….. n’aurait tout d’abord pas pris au sérieux. Puis il aurait commencé à être menacé au téléphone par ….. dès le mois de février 2013, celui-ci lui réclamant son dû et augmentant la somme à rembourser de 1000 KM tous les dix jours. Ce dernier le menacerait continuellement au téléphone et lui réclamerait des sommes d’argent toujours plus importantes. Il ajouta que ….. aurait indiqué « qu’il allait [lui] pourrir la vie. ». Il ne pourrait plus faire face à la situation, la somme réclamée augmentant sans cesse. Sa dette s’élèverait à présent à 20 000 KM.

Il ajouta qu’il soupçonnerait fortement ….. d’être également responsable de son licenciement en avril 2013. Il aurait été licencié sans raison valable par le magasin d’électroménager dans lequel il aurait travaillé depuis huit ans. Il aurait ensuite été employé par une société qui loue et installe des machines automatiques à café.

Des individus à bord d’une voiture auraient également menacé sa femme d’enlever leur bébé.

Vers le mois de mai ou juin 2013, il se serait adressé en vain à la police, qui n’aurait rien entrepris et craindrait la mafia.

Pour faire face à la situation, il aurait ensuite vendu sa voiture, sa moto ainsi que la télévision, ce qui lui aurait permis de rembourser encore 7000 KM. Il indiqua qu’il aurait ainsi déjà versé la somme totale de 13 000 KM.

Comme il aurait dit à ….. qu’il n’avait plus d’argent à lui donner, celui-ci l’aurait menacé au téléphone de s’en prendre à sa femme et à ses enfants. L’état de santé de son épouse se serait dégradé suite aux menaces reçues et son avocat lui aurait également conseillé de partir. Pour toutes ces raisons, il aurait finalement décidé de quitter son pays d’origine le 2 octobre 2013 par crainte que les menaces ne se réalisent.

Il expliqua qu’il ne pourrait pas envisager de s’installer ailleurs en Bosnie-Herzégovine pour échapper aux menaces, car ….. serait très influent non seulement à Tuzla, mais aussi dans la région de Sarajevo et de Zenica.

Il précisa qu’une procédure serait en cours concernant son licenciement, qu’il serait défendu par un avocat et qu’il aurait de grandes chances de gagner son procès.

Madame ….. confirma les dires de son mari. Elle précisa que ….. aurait harcelé son mari au téléphone pour qu’il lui rende son argent et aurait menacé de lui envoyer ses hommes pour le frapper. Ils n’arriveraient plus à faire face à la situation alors que la somme réclamée continuerait de s’accroître. Elle ajouta que ni son mari ni elle n’auraient jamais rencontré personnellement …… En cas de retour dans son pays d’origine, elle déclara craindre de se retrouver à la rue.

Par décisions du 20 décembre 2013, notifiées aux intéressés par une lettre recommandée envoyée le 23 décembre 2013, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 20 (1) sous a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Bosnie-Herzégovine ou de tout autre pays dans lequel ils seraient autorisés à séjourner.

La décision du ministre est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, les consorts ….. proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Ensuite, les faits invoqués ne sauraient être considérés comme susceptibles d’établir une crainte raisonnable d’être persécutés pour l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et par l’article 32 de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. En effet, les menaces dont ils déclarent avoir déjà fait l’objet de la part d’un dénommé ….., appartenant à la mafia, seraient constitutives de délits de droit commun punissables en tant que tels selon la loi bosnienne et non de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006. Elles ne seraient pas suffisamment graves en outre pour fonder avec raison leur crainte de persécution en cas de retour en Bosnie-Herzégovine.

En tout état de cause, s’agissant de faits imputés à des personnes privées, ils ne pourraient fonder une crainte légitime de persécution que si les demandeurs établissent que les autorités étatiques de leur pays d’origine sont en défaut de leur fournir une protection adéquate contre les agissements allégués. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce, puisqu’il ressortirait des déclarations des demandeurs que Monsieur ….. aurait introduit un recours contre son licenciement, dont il aurait de bonnes raisons de penser que l’issue lui sera favorable, et que la police aurait essayé d’obtenir des informations sur …… Quant à Madame …..-….., elle ne saurait valablement se plaindre de ce que les autorités de police n’agiraient que lorsque survient un événement, puisque cela serait conforme à leur mission. Dans ces conditions, aucun reproche ne pourrait être adressé à la police bosnienne. Le ministre fait également valoir à cet égard, en s’appuyant sur un rapport de la Commission européenne du 12 octobre 2011 intitulé « Bosnia and Herzegovina 2011 Progress Report », que la police bosnienne aurait fait des progrès institutionnels, notamment grâce à l’application des lois sur la réforme de la police.

Le ministre releva que la demande serait également motivée par des raisons économiques et financières, liées au fait que Monsieur ….. devrait de l’argent à un membre de la mafia et qu’il aurait été licencié en avril 2013. Or de telles considérations matérielles ne seraient pas susceptibles d’être prises en compte, faute de se rattacher à l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève.

Enfin, le ministre ajouta que les demandeurs n’auraient présenté aucune raison valable pour justifier leur impossibilité de s’installer dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine afin d’échapper aux difficultés rencontrées. Le ministre fit observer que les difficultés rencontrées ne présenteraient qu’un caractère local et que leur ampleur ne serait pas telle qu’ils ne puissent envisager de s’y soustraire qu’en fuyant à l’étranger.

S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre releva que les demandeurs n’auraient invoqué aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courraient un risque réel de subir les atteintes graves définies par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2014, les consorts …..

ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 20 décembre 2013 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’un procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

S’agissant des faits, les demandeurs renvoient le tribunal à leurs déclarations telles que consignées dans les rapports d’auditions en date des 6 et 7 novembre 2013.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 20 décembre 2013 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre cette décision du ministre. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

S’agissant de la légalité externe de la décision attaquée, les demandeurs soutiennent qu’elle serait entachée d’un défaut de motivation. Ils estiment en effet que, dans la mesure où elle ne ferait qu’énumérer les dispositions légales sur lesquels le ministre s’est basé pour décider de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, sans aucune précision quant aux faits, la décision ne permettrait pas aux demandeurs de savoir sur quels éléments le ministre s’est fondé pour retenir que les faits exposés lors de leurs auditions n’étaient pas pertinents et que les conditions d’obtention de la protection internationale n’étaient clairement pas remplies. Par suite, la décision déférée encourrait l’annulation pour vice de forme.

En ce qui concerne le moyen d’annulation tiré d’un défaut de motivation de la décision ministérielle sous analyse, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, disposition spéciale applicable à la présente matière, « Le ministre statue par une décision motivée qui est communiquée par écrit au demandeur. ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que la décision soit motivée en droit, puisqu’elle comprend la mention des trois cas de figure de l’article 20 (1) lui servant de fondement. En revanche, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir omis d’indiquer concrètement en quoi les conditions posées par l’article 20 (1) sous a) et b) seraient remplies et, plus précisément, en quoi les faits exposés manqueraient de pertinence ou feraient clairement apparaître que les demandeurs ne remplissent pas les conditions d’octroi de la protection internationale.

Force est cependant de constater que la motivation fournie dans la lettre en date du 20 décembre 2013, lequel écrit sert de support matériel unique aux trois décisions juridiques prises le même jour à l’égard des demandeurs, est suffisante pour satisfaire aux exigences posées par l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, en ce qu’elle permet aux demandeurs de contester utilement la décision ministérielle dans le cadre du présent recours.

S’il est vrai que, d’un point de vue formel, la partie de la lettre intitulée « Quant au bien-

fondé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée », dans laquelle un demandeur de protection internationale peut s’attendre de façon légitime à voir figurer les éléments de fait ayant conduit le ministre à statuer sur son cas dans le cadre d’une procédure accélérée, ne comporte aucune motivation en fait, il résulte de la lecture de l’écrit du 20 décembre 2013 dans son ensemble que le ministre a fourni les explications suffisantes à la compréhension de sa décision dans les développements qu’il consacre au refus d’octroi de la protection internationale, les raisons de sa décision étant encore éclairées par les précisions apportées par la partie étatique dans le cadre de la procédure contentieuse. Or, ce sont ces mêmes raisons qui, en tout ou partie, conduisent le ministre à prendre la décision de statuer dans le cadre de la procédure accélérée.

Il convient par ailleurs de rappeler que l’obligation de motivation prévue par les textes ne constitue pas une fin en soi, mais a pour raison d’être de permettre à son destinataire de pouvoir, le cas échéant, utilement contester la décision qui le concerne. En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que, cet objectif étant atteint, la motivation de la décision attaquée est conforme aux exigences prévues par la loi. En toute hypothèse, la motivation peut être valablement produite ou complétée en cours d’instance par la partie étatique, l’absence de motivation n’ayant alors d’incidence que sur le déclenchement des délais de recours contre la décision et non sur sa légalité.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de retenir que le moyen tiré du défaut de motivation de la décision ministérielle attaquée est à rejeter comme non fondé.

S’agissant de la légalité interne, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leur demande dans le cadre d’une procédure accélérée, se serait basé sur le fait que la République de Bosnie-Herzégovine figurerait sur la liste des pays d’origine sûr établie par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Les demandeurs réfutent la qualification de pays d’origine sûr en ce qui les concerne. Ils estiment en effet avoir soumis plusieurs raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agirait pas d’un pays d’origine sûr dans leur chef et renvoient à différents passages de leurs auditions qu’ils jugent pertinents à cet égard. Par ailleurs, ils soutiennent que les critères fixés aux points a) b) et c) de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour désigner un pays comme sûr ne seraient pas remplis en ce qui concerne la Bosnie-

Herzégovine, eu égard aux constatations se dégageant de différents rapports internationaux concernant le fonctionnement du système judiciaire bosnien et développées ci-après dans le cadre de leur recours en réformation contre le refus d’octroi de la protection internationale. Au vu de ces rapports, il ne serait pas possible de conclure à l’existence d’un système de recours efficace contre les violations des droits fondamentaux de l’homme. Ils en déduisent qu’il y aurait lieu d’écarter, par la voie de l’exception, l’application du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 en tant qu’il désigne la Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr.

En ce qui concerne la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement des articles 20 a) et b), les demandeurs soulignent qu’à ce stade de l’examen d’une demande en obtention de la protection internationale par l’autorité ministérielle, il ne s’agirait pas de déterminer s’ils peuvent obtenir la protection internationale, mais seulement s’ils ont fait état d’éléments suffisamment pertinents pour y prétendre, ce qui serait le cas en l’espèce. A cet égard, ils font valoir que les faits relatés seraient d’une pertinence manifeste au regard des conditions à réunir pour prétendre en particulier au bénéfice de la protection subsidiaire, notamment compte tenu des menaces répétées d’atteintes graves dont ils auraient déjà été la cible et qui permettraient d’établir l’existence dans leur chef d’un risque d’être victimes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Bosnie-Herzégovine.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait statué à juste titre sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée et conclut au rejet de ce volet du recours.

Tel que relevé ci-avant, la décision ministérielle déférée est fondée sur les dispositions des points a) b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquelles « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

[…] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) sous a) b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande, soit s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ou, encore, si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 a désigné la République de Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr.

A ce stade, il convient tout d’abord d’examiner le moyen tiré de l’illégalité du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, en tant qu’il a désigné la République de Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr, en vue de déterminer s’il y a lieu d’en écarter l’application sur base de l’article 95 de la Constitution qui prévoit que « Les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois ».

Au vu de l’habilitation légale accordée au pouvoir réglementaire par la disposition légale précitée de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal de vérifier, au vu des moyens et arguments développés par la partie demanderesse, si le règlement grand-ducal a été pris en conformité à l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 et, plus particulièrement si le critère fixé au point c) de cet article pour désigner un pays comme sûr est rempli.

Force est de constater qu’il ressort des rapports cités par les parties que, bien que des progrès restent à accomplir dans certains domaines, un système de recours efficace contre les violations des droits fondamentaux de l’Homme est prévu en Bosnie-Herzégovine.

Ainsi, le rapport de la Commission européenne cité par les deux parties met en exergue la ratification par la Bosnie-Herzégovine de la majorité des Conventions internationales de protection des droits fondamentaux1. La plupart des droits et libertés repris dans ces instruments sont également constitutionnellement ou légalement protégés2. Si, certes, leur mise en œuvre pourrait être améliorée dans certains domaines, il n’en demeure pas moins que l’Etat a mis en place des voies de recours contre les violations de ces droits. Ainsi, le rapport de la Commission européenne précité relève la mise en place de la Commission et de la Chambre des droits de l’Homme dont les décisions en la matière sont appliquées sous le contrôle de la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, les individus qui se trouvent sous la juridiction de la Bosnie-

Herzégovine ont la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme non seulement 1 European Commission, Commission staff working paper – Bosnia and Herzegovina 2011 Progress Report, 12 octobre 2011 2 United States Department of State, 2011 Country Reports on Human Rights Practices, 24 mai 2012 si les décisions rendues par les organes internes leur paraissent contraires à leurs droits conventionnels, mais également s’ils devaient constater qu’ils ne bénéficient pas de recours internes effectifs pour faire valoir leurs droits fondamentaux. A cet égard, le rapport de l’United States Department of State du 24 mai 2012 intitulé « 2011 Country Reports on Human Rights Practices » cité par les demandeurs relève que « the government generally complied with domestic and regional courts decisions pertaining to human rights », tandis que le rapport précité de la Commission européenne souligne les efforts fournis par la Bosnie-Herzégovine dans l’exécution de décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Le tribunal considère par conséquent qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de l’article 1er du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 en tant qu’il désigne la République de Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr.

Le constat de pays d’origine sûr n’est pas non plus contredit par l’examen de la situation personnelle des demandeurs.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité bosnienne et qu’ils ont habité en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée en application des dispositions précitées de l’article 20 c).

Toutefois, au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21 (2) de la même loi oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale des intéressés, a conclu qu'ils provenaient d'un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si les demandeurs lui soumettent, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle.

Or, l'analyse de la situation décrite par les demandeurs lors de leurs auditions ainsi que dans le cadre de leur requête introductive d’instance ne permet pas au tribunal d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption en ce qui les concerne et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision ministérielle. En effet, la situation des demandeurs n’est pas telle que, par rapport aux faits qu’ils invoquent, ils ne puissent bénéficier d’une protection appropriée de la part des autorités de leur pays d’origine, de sorte à conclure qu’ils ne disposeraient d’aucun système de recours efficace contre les violations de leurs droits les plus élémentaires.

En effet, il se dégage du dossier qu’après son licenciement en avril 2013, Monsieur ….. a pu déposer plainte contre son ancien employeur et qu’une procédure judiciaire est actuellement en cours dans laquelle ses intérêts sont défendus par un avocat et dont l’issue, selon ses propres dires, aurait de grandes chances de lui être favorable. En mai 2013, la police, sollicitée par Monsieur ….., a également interrogé ce dernier et enregistré sa déposition concernant les menaces reçues. Par la suite, le demandeur a cessé toute démarche en expliquant qu’il n’aurait pas apprécié que la police lui pose des questions personnelles, ce qui ne peut constituer un motif valable pour ne plus rien entreprendre. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, le fait que les policiers leur aient posé des questions ne permet pas non plus d’en déduire que les autorités ne seraient pas en mesure de mener d’enquête effective par elles-mêmes et qu’elles seraient incompétentes. En toute hypothèse, cette circonstance est insuffisante pour rejaillir sur la capacité de l’institution policière dans son entier à protéger les demandeurs, alors qu’il résulte par ailleurs des explications fournies par la partie étatique, documentées par un rapport de la Commission européenne3, que la police bosnienne a fait des progrès institutionnels. Or, force est de constater que les demandeurs, se résignant à ne plus rien entreprendre, n’ont pas cherché à s’adresser à d’autres policiers ou à des autorités supérieures pour faire valoir leurs droits. Dans ces conditions, aucun reproche ne peut être adressé aux autorités bosniennes.

Quant aux allégations selon lesquelles ces autorités ne pourraient leur apporter aucune aide parce qu’elles seraient sous influence de la mafia, il s’agit là de simples suppositions non étayées. Il ressort par ailleurs des explications fournies par la partie étatique, documentées par des sources internationales, que la lutte contre la corruption constitue une priorité importante des gouvernements successifs, y compris au sein des institutions publiques. Un plan de lutte contre la corruption a d’ailleurs été adopté pour la période 2009-2014 et il ne se dégage pas du dossier que les autorités en place tolèreraient des agressions, notamment de la part de bandes mafieuses. Il s’ensuit qu’en l’absence d’éléments circonstanciés relatifs à leur situation personnelle, le reproche de corruption fait aux autorités bosniennes reste à l’état de simple allégation dont le bien-fondé ne peut être vérifié et ne constituant pas, au demeurant, un motif valable pour ne rien entreprendre. Il convient encore de relever que s’ils soupçonnaient les policiers de ne pas faire correctement leur travail, ils pouvaient s’adresser, comme tout citoyen bosnien, au Bureau public des plaintes et à la Section de contrôle interne, compétents pour traiter des plaintes contre les fonctionnaires de police auxquels est reproché un comportement non professionnel, ce qu’ils n’ont pas fait.

Ainsi, il ne ressort pas des éléments à la disposition du tribunal que les autorités bosniennes ne seraient pas en mesure d’apporter aux demandeurs une protection en rapport avec l’ampleur des difficultés qu’ils déclarent rencontrer et qu’ils n’auraient finalement pas eu d’autre solution que de solliciter une protection internationale pour y mettre un terme.

Les demandeurs n’ayant pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 selon lequel la République de Bosnie-

Herzégovine est à considérer comme pays d’origine sûr pour les demandeurs de protection internationale, c’est par conséquent à bon droit que le ministre, après analyse de la situation 3 European Commission, “Commission staff working paper Bosnia and Herzegovina 2011 Progress Report”, octobre 2011 concrète, a pu statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) sous a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 20 décembre 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que les demandeurs ayant expressément renoncé par écrit le 13 janvier 2014 à l’obtention du statut de réfugié et ayant limité leur recours à la réformation de la décision du 20 décembre 2013 en tant que cette décision leur refuse l’octroi de la protection subsidiaire, il échet de leur donner acte de la limitation de leur recours en réformation et d’en examiner le bien-fondé sous le seul volet de la protection subsidiaire.

A l’appui de leur recours, les demandeurs estiment avoir fait état lors de leurs auditions de motifs sérieux et avérés de croire qu’ils courent un risque réel de subir des atteintes graves de la part d’un membre de la mafia, sans pouvoir compter sur la protection des autorités de leur pays d’origine.

A cet égard, ils se prévalent de la présomption inscrite à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour faire valoir que ce risque serait établi, d’une part, par la circonstance qu’ils auraient d’ores et déjà subi avant leur départ des menaces directes de faire l’objet de telles atteintes, caractérisées en l’espèce par des menaces d’enlèvement de Madame …..-….. et d’….. et ….. …..

ainsi que par des menaces répétées de recourir à des violences physiques afin de contraindre Monsieur ….. à payer sa dette et, d’autre part, par le fait que le ministre n’aurait apporté aucune bonne raison de penser que de telles atteintes ne se produiraient pas en cas de retour en Bosnie-

Herzégovine. Dès lors, ce serait à tort que le bénéfice de la protection subsidiaire leur aurait été refusé.

Les demandeurs mettent ensuite l’accent sur l’impossibilité de solliciter utilement les autorités bosniennes en vue d’obtenir leur protection. A l’appui de leur argumentation, ils procèdent à un examen du fonctionnement du système judiciaire bosnien, incluant celui de la police, qui serait caractérisé par des problèmes de corruption, tel que cela ressortirait du rapport de la Commission européenne du 12 octobre 2011, également cité par la partie étatique, ainsi que de rapports d’Amnesty International du 24 mai 2012 intitulé « Annual Report 2012 – Bosnia and Herzégovina », de l’United States Department of State du 24 mai 2012 intitulé « 2011 Country Reports on Human Rights Practices », du Freedom House du 6 juin 2012 intitulé « Nations in Transit 2012 – Bosnia-Herzegovina », ainsi que du 12 juillet 2012 intitulé « Freedom in the world 2012 – Bosnia and Herzegovina ».

Au vu de ces rapports, il ne serait pas possible de conclure que les autorités bosniennes seraient en mesure d’apporter aux demandeurs une protection effective au sens des dispositions de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les atteintes graves qu’ils subiraient de la part d’auteurs non étatiques en cas de retour dans leur pays d’origine.

L’attitude de la police, lorsqu’ils ont effectué des démarches pour signaler leurs problèmes, serait d’ailleurs révélatrice à cet égard, puisque les policiers ne se seraient pas intéressés à leur cas et se seraient bornés à poser des questions à Monsieur ….. sur ….. sans entreprendre de recherches par eux-mêmes ni mener d’enquête. Aussi les demandeurs sont-ils d’avis que la police craindrait finalement elle aussi les agissements de …… A contrario, la police n’aurait accepté d’enregistrer la plainte contre l’employeur de Monsieur ….. que parce qu’elle ne concernerait pas …… Dans ces conditions, les demandeurs estimeraient inutile de rechercher la protection des autorités de leur pays d’origine, alors qu’il paraîtrait évident que toute tentative en ce sens serait vouée à l’échec, compte tenu à la fois de leur expérience personnelle et de la situation actuelle en Bosnie-Herzégovine, caractérisée par la corruption au sein des institutions publiques et l’inefficacité des mécanismes mis en place pour lutter contre elle.

S’agissant enfin de la possibilité de fuite interne mentionnée par le ministre dans sa décision, les demandeurs estiment que, selon les dispositions de l’article 30 de la loi du 5 mai 2006, il incomberait au ministre de prouver qu’il existe une partie du territoire de leur pays d’origine dans laquelle ils pourraient vivre sans courir aucun risque, ce que le ministre n’aurait pas fait en l’espèce, se contentant de relever que les difficultés rencontrées n’auraient qu’un caractère local. Or, les demandeurs auraient quant à eux démontré qu’une telle solution ne serait pas envisageable, puisque l’influence de l’auteur des menaces s’étendrait à Sarajevo, Tuzla, Zenica et même Orasio où se situerait le siège de la société ayant licencié Monsieur …… Par suite, les conditions légales permettant d’opposer aux demandeurs l’exception de fuite interne ne seraient pas réunies.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) précités de l’article 37, et qu’ils émanent de personnes qualifiées d’acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des atteintes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre lesdites atteintes et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection dans son pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs dans le cadre de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à constater que le risque de subir des traitements inhumains ou dégradants invoqué par les demandeurs en cas de retour dans leur pays d’origine, manque de fondement et ne saurait justifier l’octroi de la protection subsidiaire, et ce d’autant plus qu’il n’a pas été démontré que les autorités bosniennes ne seraient pas en mesure de leur offrir une protection adéquate au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 précité.

Le tribunal relève tout d’abord que les faits invoqués ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, ni ne se rapportent au risque de subir la peine de mort, l’exécution ou la torture, de sorte que la demande de protection subsidiaire n’est pas fondée à ce titre.

Force est ensuite de constater que, tant les intimidations verbales subies par les demandeurs entre février et octobre 2013, que le licenciement du demandeur ne revêtent pas à eux seuls un caractère de gravité suffisant pour être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Dès lors, ils ne permettent pas d’établir l’existence d’un risque réel de subir de telles atteintes en cas de retour dans leur pays d’origine.

Certes, les menaces verbales d’enlèvement de la femme et des enfants du demandeur, ainsi que de recours à des violences physiques pour les contraindre à s’acquitter de leur dette, eu égard à leur contenu non équivoque, constituent un indice sérieux dont il faut tenir compte pour apprécier s’ils seraient réellement exposés à des atteintes à leur intégrité physique, voire à leur liberté en cas de retour en Bosnie-Herzégovine. Toutefois, de simples éventualités ne suffisent pas. Il faut des indices concrets faisant apparaître réel le risque de subir des atteintes graves.

Or, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés de nature à emporter la conviction du tribunal quant à l’existence d’un risque effectif pour leur liberté ou leur intégrité physique en cas de retour dans leur pays d’origine. A cet égard, il convient de relever que les menaces, qui se sont répétées durant la période comprise entre février et octobre 2013, n’ont jamais pris la forme d’agressions physiques et que, s’agissant du seul acte concret imputé à ….., à savoir le licenciement du demandeur, il s’agit d’une simple supposition faite par les demandeurs non étayée par aucun élément se dégageant de leur vécu. S’ils prétendent également que ….. serait très connu à Tuzla et qu’il aurait prêté de l’argent dans différentes régions de Bosnie-Herzégovine et mentionnent que leur avocat aurait entendu « beaucoup d’histoires sur ….. », ils restent en défaut d’apporter aucune précision à cet égard.

A titre superfétatoire, comme le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, que les demandeurs n’ont pas établi un défaut de protection des autorités albanaises, et que, par ailleurs, ils n’ont fourni dans le cadre de la procédure contentieuse aucun élément complémentaire pertinent sur ce point, ils ne sauraient, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Par suite, le recours en réformation sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation la décision du ministre du 20 décembre 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 20 décembre 2013 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, à titre principal comme conséquence de la réformation de la décision portant refus de leur octroyer le statut conféré par la protection internationale et, à titre subsidiaire, quel que soit le sort réservé par la juridiction administrative au recours en réformation, comme étant contraire tant aux dispositions de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et à l’immigration, ci-après désignée « la loi du 29 août 2008 », qu’à celles de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH ». Ils estiment en effet avoir établi que leur retour en Bosnie-Herzégovine les exposerait immanquablement à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants, compte tenu des menaces qu’ils auraient déjà subies et de l’absence de protection des autorités judiciaires de leur pays d’origine.

Ils soutiennent également que les sentiments d’angoisse et de détresse qu’ils éprouveraient inévitablement au quotidien en raison de l’absence de protection de la part des autorités de leur pays d’origine contre les menaces dont ils sont victimes, seraient constitutifs à eux seuls de traitements inhumains ou dégradants prohibés par l’article 3 de la CEDH.

Les demandeurs estiment que le champ d’application des dispositions précitées de l’article 129 de la loi du 5 mai 2006 et de l’article 3 de la CEDH serait plus large que celui de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré de gravité des mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance de la protection internationale subsidiaire serait plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’intéressé vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait par conséquent conclure de façon automatique qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine interdisant finalement son éloignement vers ce pays.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 […] ».

L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) prévoit que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, fait obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise à l’encontre de non-nationaux lorsqu’il est établi qu’il existe pour eux un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants dans le pays de renvoi, encore faut-il que le risque de subir des souffrances physiques ou mentales présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risque de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments ont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques invoqués en cas de retour en Bosnie-

Herzégovine, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ainsi qu’à l’existence d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités de leur pays d’origine, de sorte que le tribunal ne saurait se départir, à ce niveau-ci de son analyse, de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH4, le tribunal est amené à conclure à l’absence de motif sérieux et avéré de penser que la décision du ministre ordonnant aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois à destination de la Bosnie-Herzégovine les expose aux traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 décembre 2013 de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 20 décembre 2013 portant refus de la protection subsidiaire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

4 Cour E.D.H., arrêt Lorsé et autres c/Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 décembre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Hélène Steichen, attaché de justice, Daniel Weber, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 13 mars 2014 à 11:00 heures par le vice-

président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.3. 2014 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 33880
Date de la décision : 13/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-03-13;33880 ?

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