La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/02/2014 | LUXEMBOURG | N°32941

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 février 2014, 32941


Tribunal administratif N° 32941 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2013 2re chambre Audience publique du 27 février 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L. 5.5.2006)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32941 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2013 par Maître Isabelle Ferand, avocat à la Cour inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …..,

né le …. à ….

(Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant à ….., tendant...

Tribunal administratif N° 32941 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 juin 2013 2re chambre Audience publique du 27 février 2014 Recours formé par Monsieur ….., contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19 L. 5.5.2006)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32941 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2013 par Maître Isabelle Ferand, avocat à la Cour inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à ….

(Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant à ….., tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration 22 mai 2013 rejetant sa demande en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondée et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 février 2014.

________________________________________________________________________

En date du 5 novembre 2012, Monsieur ….., introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Monsieur….. fut entendu le 5 novembre 2012 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Ses déclarations furent actées dans un rapport du même jour.

Monsieur….. entendu les 11 mars, 9 et 26 avril 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 22 mai 2013, envoyée par courrier recommandé le 27 mai 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur….. de ce que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 5 novembre 2012.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 5 novembre 2012 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 11 mars 2013, du 9 avril 2013 et du 26 avril 2013.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays fin juillet 2011 pour passer au Maroc, où vous seriez resté pendant un mois. Un homme espagnol vous aurait alors transporté de façon illégale en Espagne où vous seriez resté pendant deux mois. Ensemble avec d'autres africains vous auriez pris un bus pour gagner la Grèce. Après trois semaines vous auriez pris la décision de retourner en Espagne, où vous seriez resté jusqu'en janvier ou février 2012. Vous auriez alors fait un aller-retour entre le Luxembourg et la France mais [le] manque de moyens d'existence vous aurait forcé à déposer une demande de protection internationale au Luxembourg.

Vous ne présentez aucune pièce d'identité.

Il résulte de vos déclarations que votre mère serait décédée depuis onze ou douze ans et que vous auriez habité chez votre grand-mère. Vous n'auriez plus eu de contact avec votre père depuis un an et quelques mois.

Quant aux motifs qui sous-tendent votre demande de protection internationale, vous auriez été membre du FPI (Front Populaire Ivoirien) depuis vos onze ans comme vous auriez pensé que le Président Gbagbo aurait fait un bon travail. Vous dites que vous auriez été « actif au sein du FPI mais je n'ai pas fait grand-chose. » (p. 5/12). Le but de votre parti aurait été de développer le pays. Vous pensez que Laurent Gbagbo, le président actuel du FPI, aurait créé le parti mais vous ne savez pas à quelle date. Vous ne connaissez pas la structure du parti et vous n'avez pas de carte de membre.

Vous continuez vos dires en racontant que vous auriez vendu des gadgets et des t-

shirts de votre parti et que vous auriez fait du gardiennage lors des réunions de recrutement dans votre quartier. Vous auriez aussi participé à des manifestations mais selon vos dires vous ne seriez pas « un gars de la politique » (p. 6/12).

Suite à la crise politique de 2010/2011 les gens auraient réclamé de nouvelles élections qui auraient eu lieu le 28 novembre 2010. Comme, selon vos dires, les résultats auraient été faussés, il y aurait eu des violences extrêmes qui auraient couté la vie à beaucoup de personnes. Vous vous seriez senti en danger comme vous auriez été un supporter de Gbagbo, qui aurait été traité de dictateur. Vous auriez essayé de défendre votre quartier en construisant de barrages en mars 2011 et vous auriez protesté contre les résultats incorrects. Les militaires pro-Alassane auraient ouvert le feu sur la population non armée et vous n'auriez eu aucun soutien international. Les politiciens pro-Gbagbo se seraient réfugiés au Ghana. Selon vos dires des étrangers auraient essayé d'enlever votre président comme « plus ils étaient étrangers, plus c'étaient des pro-

Alassane » (p. 7/12). Ils n'auraient d'ailleurs pas réussi.

Vous continuez votre histoire en affirmant que vous auriez été menacé de mort par les partisans d'Alasanne avant les élections. Ils seraient revenus à deux reprises et vous auraient dit « d'arrêter de faire du mal à leurs partisans » (p. 9/12) et de quitter le FPI. Vous dites que toutes les personnes menacées auraient été tuées tout de suite (p.

9/10). De plus, après les élections, les nouvelles autorités auraient tué chaque personne avec des noms propres ivoiriens. Des connaissances de vous auraient été tuées dans la rue. Vous auriez été dénoncé par vos voisins et vous auriez dû fuir votre pays par peur d'être tué vous-même. Vous n'auriez pas pu être protégé par les autorités.

Vous dites que vos documents se trouveraient à ….. mais vous n'auriez pas pu les prendre pour votre voyage comme vous auriez résidé à …. quand vos problèmes auraient commencé Quant à votre trajet au Luxembourg, vous dites que vous auriez quitté votre pays mi-juin 2011. Vous seriez parti avec trois amis vers le Mali en évitant les « barrages placés par les Rebelles » (p. 3/12). Vous auriez habité chez la famille d'un de vos copains pendant deux mois en vendant des CDs et des habits. Vous n'auriez à ce moment pas encore pensé à continuer votre trajet comme « le Mali était calme ce temps-là » (p. 4/12).

Vous auriez d'ailleurs fait connaissance d'un homme sur internet que vous auriez cru être manager d'une équipe de football au Maroc. Celui-ci vous aurait conseillé de venir au Maroc pour faire partie de son équipe. Vous auriez alors fait ce voyage en prenant le bus du Mali au Maroc. A la frontière du sud, vous auriez pris un train en destination de Casablanca. Ce manager que vous ne connaissiez que sous le nom d' AAA, ne vous aurait pas donné de travail comme footballer mais il vous aurait supporté financièrement. Fin novembre, début décembre 2011, vous l'auriez accompagné illégalement en Espagne comme il aurait habité à Getafe. Pendant votre voyage, AAA aurait essayé en vain de vous trouver un club de football. Pendant ce temps vous auriez réalisé qu'il aurait fait du commerce de voitures en Afrique. Vous seriez resté avec lui en Espagne jusqu'à fin avril 2012 comme il vous aurait soutenu financièrement. Vous l'auriez encore accompagné en Grèce lors d'un voyage d'affaire mais vous auriez eu peur de lui comme il serait devenu bizarre envers vous. En juillet 2012 vous l'auriez demandé de vous donner un ticket pour retourner au Mali et vous vous seriez échappé de sa maison.

Vous ne seriez d'ailleurs jamais retourné au Mali faute de moyens financiers et comme vous n'y auriez pas eu de famille. En septembre 2012 vous seriez arrivé en France en prenant le train de l'Espagne et vous y seriez resté pendant un mois et quelques semaines. Vous auriez pu travailler dans un night-club dans une sous-région de Paris. Selon vos dires : « Je n'ai pas eu l'idée de demander asile en France » (p. 8/12).

Un ami vous aurait d'ailleurs conseillé de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg ou en Belgique et vous auriez pris la décision de venir au Luxembourg.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

A défaut de pièces, un demandeur de protection internationale doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l'intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué.

Commençons dans ce contexte avec l'itinéraire que vous auriez pris afin d'arriver au Luxembourg. A la date du 5 novembre 2012, vous avez raconté au Service de la Police Judiciaire que vous auriez quitté votre pays en direction du Maroc alors que vous prétendez lors de l'entretien du 11 mars 2013 que vous auriez vécu 2 mois au Mali à … chez la famille d'un copain avant que vous auriez pris la décision de partir au Maroc. De même, vous dites que cette personne espagnole connue sous le nom d'AAA vous aurait accompagné en Grèce alors que vous avez dit auparavant que vous auriez fait ce même chemin en bus avec d'autres africains. De plus, il est très bizarre que vous ne connaîtriez pas le nom de famille de ce « Monsieur AAA », chez lequel vous auriez vécu pendant plusieurs mois. En effet, même si vous ne l'auriez pas demandé personnellement, vous auriez tout à fait eu la possibilité de vous renseigner sur son nom rien qu'en lisant le nom indiqué sur son domicile. De plus, vous avez écrit sur la fiche des données personnelles du 5 novembre 2011 que vous auriez quitté la Côte d'Ivoire à la date du 22 août 2011. A la même date vous avez dit à la police d'avoir quitté votre pays d'origine fin juillet 2011 et finalement lors de l'entretien du 11 mars vous prétendez d'avoir quitté votre pays mi-juin 2011. Des doutes sont donc à émettre quant à votre trajet au Luxembourg.

Relevons d'ailleurs aussi qu'il est très surprenant que vous ne semblez pas savoir à quelle ethnie vous appartenez. En effet, vous avez marqué sur votre fiche de données personnelles du 5 novembre 2011 que vous appartiendriez à la tribu des « Adjoukrous ».

Lors de l'audition du 11 mars 2013 vous prétendez d'ailleurs soudainement d'appartenir à la tribu des Guérés. Relevons que les « Guéré or Wè (318,000) are Krou people traditionally residing in west-central Côte d'Ivoire. Guéré is a designation developed by a colonial administrator for the people living south of the Dan », alors que « le peuple Adjoukrou (ou Adjukru, Adiourkrou, Adyukru, Boubouri, Odjukru), qui représente environ 1 % de la population de Côte d'Ivoire, est localisé dans le sud de ce pays, précisément dans la région de Dabou. ». Votre identité est donc sujette à caution.

A cela s'ajoute que vous ne présentez aucune pièce d'identification en prétendant que ces documents se trouveraient à ….. Ceci semble très étrange comme vous dites que vous résideriez à Abidjan et que vous n'iriez qu'à …. que pour faire des vacances. De même, vous avez écrit à la date du 5 novembre 2011 que vous veniez de l'Ouest de la Côte d'Ivoire alors que vous avez écrit sur votre fiche de données personnelles que vous résideriez à Abidjan, qui est d'ailleurs au Sud-Est de votre pays d'origine. Toutes ces contradictions entraînent de sérieux doutes quant à votre personne.

Des doutes sont aussi à formuler quant à votre adhésion au FPI. Tout d'abord vous n'auriez jamais eu une carte de membre et vous soulevez vous-même que « je ne suis pas un gars de la politique » (p. 6/12). Il est donc très contradictoire de prétendre de ne pas être un « gars » de la politique et en même temps être partisan de Laurent Gbagbo.

Vous soulevez même que celui-ci serait le président actuel du parti alors Pascal Affi N'guessan est « Président du FPI depuis juillet 2001. ». Pascal Affi N'guessan était donc déjà le président 10 ans avant votre départ de la Côte d'Ivoire! De même, vos explications concernant les buts et la structure du FPI ainsi que vos activités restent très vagues. Vous affirmez simplement que le FPI aurait comme but « de développer le pays » (p. 5/12) et que vous auriez été « actif au sein du FPI mais je n'ai pas fait grand-chose. » (p. 5/12). De plus, vous ne savez rien sur la structure interne du parti. Ces contradictions, incohérences et invraisemblances laissent planer des doutes concernant la véracité de votre récit ainsi que votre affiliation au Front Populaire Ivoirien.

Notons d'ailleurs aussi que vous ne mentionnez être membre du FPI que lors de votre audition du 9 avril 2013. Vous ne relevez à aucun moment antérieur à cette date que votre demande de protection internationale se baserait sur des motifs politiques dus à votre affiliation au FPI. En effet à la date du 5 novembre 2012 lors du dépôt de votre demande, vous avez écrit que vous auriez dû quitter votre pays d'origine car des rebelles des pays voisins auraient tenté d'enlever votre président et que vous seriez recherché pour avoir protégé votre population avec des barrages. Cette déclaration démontre que vos connaissances de la crise postélectorale de 2010/2011 étaient limitées comme les attaques dont vous avez fait état n'étaient pas commises par des rebelles venant des pays voisins. Ainsi selon la BBC : « What was the fighting about? Power - Laurent Gbagbo had refused to step down even though the United Nations, which helped organise the November 2010 election, said he lost and Alassane Ouattara won.

(…) The AU gave Mr Gbagbo until 24 March to step down but nothing happened.

A few days later, pro-Ouattara forces swept down from their northern strongholds in a relentless march towards the seat of power in Abidjan.

After days of fighting around the city centre, UN and French troops launched air strikes against pro-Gbagbo positions, saying they were trying to destroy heavy weapons which had been used against civilians areas and UN headquarters. ». Toutes ces remarques entraînent de sérieux doutes quant à votre personne et à votre récit.

De toute façon, même à supposer les faits que vous alléguez comme établis, ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Soulevons à cet effet la situation générale à la Côte d'Ivoire. Il est vrai qu'elle était précaire lors de votre départ en 2011 mais elle a nettement évolué et amélioré depuis. Relevons en premier lieu un article récent de « Jeune Afrique » du 20 avril 2013 qui dresse le rapport suivant en matière de sécurité: « Dans les rues, la police a retrouvé droit de cité, et l'insécurité a baissé. Depuis six mois, les attaques contre des bâtiments publics et les installations des forces de sécurité sont en régression. Une évolution positive attribuée à l'arrestation de plusieurs commanditaires de ces assauts, la mise en place du Conseil national de sécurité, le renforcement du dispositif sécuritaire aux frontières avec les pays voisins et les forces onusiennes.

L'armée compte environ 40000 hommes, dont 16000 gendarmes, un effectif que les autorités entendent stabiliser. Les casernes sont en cours de réhabilitation, l'armée a reçu de nouveaux uniformes, des véhicules d'intervention rapide ont été livrés, les programmes de formation ont repris. (…) ». Relevons ensuite le rapport du « Auswärtiges Amt » allemand sur la Côte d'Ivoire datant de 2012: « Seitdem hat sich die innenpolitische Lage beruhigt. Das Wirtschaftsleben und die Versorgungslage der Bevölkerung hat sich in kurzer Zeit normalisiert und es bestehen gute Wachstumsaussichten. Die meisten der Bürgerkriegsvertriebenen sind mittlerweile in ihre Häuser zurückgekehrt, auch wenn sich immer noch in Ghana und Liberia Flüchtlinge aus Côte d'Ivoire aufhalten. ». De plus, « Bert Koenders, the Secretary-General's Special Representative and the head of the UN peacekeeping operation in Côte d'Ivoire (UNOCI), said that the security situation in the country was progressively improving nine months after the end of the post-electoral crisis, allowing IDPs and refugees to return to their villages. Bien que la situation du pays reste fragile, il n'est pas établi que vous ne puissiez pas acquérir la protection des autorités ivoiriennes. Votre situation individuelle n'est donc pas telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Relevons d'ailleurs que selon vos dires toutes les personnes portant un nom ivoirien se feraient tuer par ces rebelles. Notons dans ce contexte qu'il existe 79 langues vivantes en Côte d'Ivoire et plusieurs tribus et ethnies : « Akan 42.1%, Voltaiques or Gur 17.6%, Northern Mandes 16.5%, Krous 11%, Southern Mandes 10%, other 2.8% (includes 130,000 Lebanese and 14,000 French) (1998) ». Les mêmes groupes ethniques et tribus peuvent d'ailleurs être présents dans plusieurs Etats comme leurs zones d'habitations dépassent souvent les frontières politiques. Il est donc bizarre que vous porteriez un nom qui soit uniquement trouvé à la Côte d'Ivoire. Il n'est donc pas établi que vous courriez un risque de vous faire assassiner dû à votre nom.

Vous mentionnez aussi que les personnes menacées par des pro-Alassane auraient été tuées tout de suite alors que vous auriez été menacé de mort à trois reprises sans faire état de quelconques agressions physiques. Cette déclaration laisse planer des doutes quant à ces menaces.

Indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité face à des individus non identifiés. Or, de simples craintes hypothétiques, qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient cependant constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

Relevons enfin que des raisons économiques sous-tendent votre demande de protection internationale. Or de tels motifs d'ordre matériel ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié. En effet, selon vos dires vous auriez quitté le Mali, où vous auriez vécu chez une famille d'un copain afin de joindre une équipe de football. De même, vous auriez accompagné un certain Monsieur AAA qui vous aurait soutenu financièrement en Europe en espérant qu'il vous trouve un club de football. Vous dites que « je voulais rentrer au Mali » (p. 7/12) mais la raison pour laquelle vous ne seriez plus retourné aurait été un manque de moyens financiers. Vous seriez resté pendant plus d'un mois en France et vous n'auriez jamais pensé à déposer une demande de protection internationale. Il est dans ce contexte peu surprenant que vous auriez eu un travail dans un night-club durant cette période et que vous étiez donc à même de subvenir à vos besoins par vos propres moyens. Ce n'est qu'un de vos copains qui vous aurait conseillé de déposer une demande de protection internationale en Belgique ou au Luxembourg. Selon le rapport du Service de la Police Judiciaire vous auriez d'ailleurs fait un aller-retour constant entre la France et le Luxembourg et que la seule raison pour laquelle vous auriez déposé une demande d'asile aurait été un manque de moyens d'existence.

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Ainsi, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour à la Côte d'Ivoire. Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. […] ».

Par requête déposée le 24 juin 2013 au greffe du tribunal administratif, Monsieur ….. a fait introduire, d’une part, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 22 mai 2013 portant refus de sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans le même document.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, de nationalité ivoirienne, déclare remplir les conditions pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale. Il explique que la Côte d’Ivoire aurait traversé une crise politico-militaire importante suite aux élections de 2010/2011. Cette crise aurait eu des répercussions sur l’ensemble du pays et aurait amené une grande partie de la population à fuir le pays. Les nombreux rapports de l’association Amnesty International démontreraient que l’insécurité, les assauts et les persécutions y seraient toujours d’actualité.

Le demandeur conteste encore que son récit contiendrait des incohérences. Ainsi, le ministre n’aurait relevé que quelques imprécisions, qu’il explique par la situation dramatique et traumatique qu’il aurait vécue. Il ajoute que son audition aurait eu lieu deux années après les faits ce qui aurait rendu difficile la présentation précise de certains détails.

Il ajoute qu’il n’aurait pas détenu de carte de membre de son parti politique, puisqu’en Côte d’Ivoire les militants actifs d’un parti politique n’en disposeraient pas. Par ailleurs, s’il avait affirmé lors de son audition au ministère qu’il ne serait pas un « gars de la politique », il aurait simplement voulu dire qu’il n’était pas un politicien professionnel, mais qu’il serait un militant actif du peuple qui se serait battu et aurait participé au développement sur le terrain en fonction de ses facultés et de ses moyens.

Enfin, le demandeur conteste que sa demande de protection internationale serait basée sur des motifs économiques.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait effectué une saine appréciation de la situation du demandeur. Il conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal constate que c’est à juste titre que le ministre a soulevé certaines incohérences dans le récit du demandeur, notamment au niveau de la date exacte de son départ de la Côte d’Ivoire, de son appartenance ethnique et du déroulement de son voyage, respectivement de son séjour en Grèce. Toutefois, les contradictions ainsi relevées portent essentiellement sur des questions de détail du récit du demandeur et ne concernent pas la raison l’ayant amené à quitter son pays d’origine, de sorte qu’elles ne sont pas de nature à ébranler la crédibilité de son récit dans son intégralité. D’ailleurs, si le ministre a soulevé des incohérences et invraisemblances dans les déclarations du demandeur, il n’a pourtant pas conclu à un rejet de sa demande de protection internationale pour défaut de crédibilité, mais il a en revanche procédé à une analyse du fond de la demande.

Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être:

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Dans la mesure où le demandeur déclare avoir quitté son pays d’origine puisqu’après les élections de 2010, gagnées par Alassane Ouattara il s’y serait senti menacé en tant qu’adhérent du président sortant Laurent Gbagbo et en raison des affrontements ayant eu lieu entre les adhérents d’Alassane et ceux de Gbagbo, il peut être considéré comme ayant invoqué des raisons motivées par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir ses opinions politiques, à la base de sa demande de protection internationale.

Toutefois, même si le demandeur fait état de la situation conflictuelle ayant régné en Côte d’Ivoire après les élections de 2010 et des affrontements violents entre les adhérents d’Alassane Ouattara et ceux de Laurent Gbagbo, ainsi que du fait qu’il se serait senti menacé en tant qu’adhérent du parti politique de Laurent Gbagbo et en raison du fait qu’il aurait participé à la construction de barrages autour de son quartier pour protéger la population, il échet de constater que ses déclarations portent sur la situation générale en Côte d’Ivoire et ne font ressortir aucun élément concret, ni aucun acte de persécution personnellement vécu pas le demandeur. Si la situation générale a été fortement déstabilisée en Côte d’Ivoire après les élections de 2010 et que le pays a certes traversé une période sanglante, les déclarations du demandeur ne font ressortir aucun acte de persécution subi personnellement, mais s’analysent plutôt en un sentiment général d’insécurité insuffisant pour fonder une demande en obtention du statut de réfugié. Les faits dont le demandeur fait état ne revêtent partant pas une gravité suffisante pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006.

Force est encore de constater au vu des explications du délégué du gouvernement que la situation générale en Côte d’Ivoire serait en voie de stabilisation. Ainsi, le délégué du gouvernement se réfère au rapport du Secrétaire général des Nations Unis du 28 mars 2013 sur l’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire, selon lequel la situation générale en Côte d’Ivoire resterait fragile mais serait dans une phase de consolidation depuis la fin de la crise ayant succédé aux élections de 2010. Ces constatations ne sont pas énervées par la simple affirmation nullement étayée du demandeur que l’insécurité, les assauts et persécutions seraient toujours d’actualité en Côte d’Ivoire. En effet, le demandeur se contente de soutenir que les « nombreux rapports d’amnesty international » confirmeraient ses affirmations, sans indiquer une quelconque référence à un rapport et sans verser un seul rapport de l’organisation Amnesty International à l’appui de son recours.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les faits invoqués par le demandeur à la base de sa demande ne sont pas à considérer comme actes de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».

L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons de supposer que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Or, en l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les faits invoqués par le demandeur puissent être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Plus particulièrement, dans la mesure où le demandeur n’a pas utilement mis en cause les explications du délégué du gouvernement sur la stabilisation de la situation générale en Côte d’Ivoire, il reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 22 mai 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

A cet égard, le demandeur expose que dans la mesure où il aurait fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.

Le tribunal vient cependant de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

Le demandeur fait encore exposer que l’ordre de quitter le territoire devrait encourir l’annulation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Il fait valoir qu’un retour en Côte d’Ivoire l’exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».

Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Côte d’Ivoire, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef du demandeur de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Côte d’Ivoire soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH.

A défaut d’un quelconque autre moyen, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision portant ordre de quitter le territoire.

1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 mai 2013 portant rejet d’un statut de protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 22 mai 2013 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Andrée Gindt, juge, et lu à l’audience publique du 27 février 2013 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 février 2014 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 32941
Date de la décision : 27/02/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-02-27;32941 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award