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03/02/2014 | LUXEMBOURG | N°33695

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 février 2014, 33695


Tribunal administratif N° 33695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 3 février 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre trois décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2013 par

Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

Tribunal administratif N° 33695 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 3 février 2014 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre trois décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33695 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2013 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Bosnie-Herzégovine), et de son épouse Madame …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), tous les deux de nationalité bosnienne et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-

fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem Kutlar, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2014.

Le 3 octobre 2013, Monsieur … et Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Les consorts … furent entendus séparément le 21 octobre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

A cette occasion, Monsieur …, déclarant être de nationalité bosnienne, exposa qu’il ne pourrait plus vivre en Bosnie-Herzégovine en raison des menaces exercées par la famille de son épouse qui désapprouverait leur union. Il aurait, par crainte pour sa sécurité ainsi que celle de sa femme et de leur enfant à naître, quitté la Bosnie-Herzégovine en septembre 2013.

Il expliqua que peu de temps après le début de leur relation, en août 2012, les parents de sa femme auraient interdit à cette dernière de le fréquenter et auraient cherché à la dissuader de l’épouser, sans qu’elle en sache jamais la raison. Ils l’auraient enfermée et menacée de mort pour qu’elle renonce à le voir. Ils l’auraient également insultée et frappée quotidiennement pendant plusieurs semaines. Quant à son frère, …, il l’aurait menacée de mort au téléphone. Elle aurait feint de se soumettre à leur volonté pour réussir à prendre la fuite et se serait réfugiée le 29 septembre 2012 chez ses futurs beaux-parents, à Simin Han.

Les menaces auraient continué, dirigées cette fois également à l’encontre de Monsieur … et de leur enfant à naître. Ils auraient ainsi reçu des menaces, d’abord de la part des parents de sa compagne par téléphone, puis de la part d’individus appartenant à la mafia et envoyés rôder autour de leur domicile par le frère de celle-ci. Il expliqua que ce dernier aurait des liens avec …, le chef de la mafia, et serait actuellement en prison. Les freins de la voiture de Monsieur … auraient également été sabotés. Un délai de deux jours aurait finalement été donné à Madame … pour qu’elle regagne le domicile de ses parents, faute de quoi elle serait tuée, ce qui les aurait décidés à partir précipitamment.

Ainsi, fin 2012, ils auraient déménagé à Lukavac, un village de la municipalité de Tuzla, pour échapper aux menaces de la mafia. Ils y auraient vécu pendant neuf mois sans être retrouvés. En revanche, les parents de Monsieur … auraient à leur tour été menacés et frappés régulièrement dans le but de leur soutirer des informations concernant la localisation de leur fils.

Monsieur … déclara que malgré les pressions subies, ils se seraient mariés le 3 mai 2013.

Comme sa femme serait sur le point d’accoucher de leur premier enfant et que la libération de son beau-frère serait proche, ils auraient décidé de fuir leur pays par crainte que les menaces ne soient mises à exécution. Il redouterait que lui et son enfant ne soient tués pour supprimer tout lien entre les deux familles.

Il expliqua en outre que les relations entre leurs deux familles seraient mauvaises depuis longtemps et qu’il se pourrait que cette situation soit en relation avec un problème de vendetta et que la famille de sa femme agisse par tradition.

Il n’aurait jamais signalé ces agissements à la police, car il aurait été menacé de représailles sur sa famille par les membres de la mafia. D’après lui, les autorités bosniennes ne pourraient pas les aider car elles seraient corrompues. Même le président du pays serait mêlé dans des affaires.

Il ne pourrait pas non plus envisager de rester à Lukavac car son beau-frère, grâce au réseau mafieux, serait en mesure de les retrouver partout en Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, il indiqua que son revenu aurait été insuffisant pour permettre de payer le loyer et d’y vivre dignement.

S’agissant des problèmes financiers évoqués par son épouse dans le cadre du dépôt de sa demande de protection internationale, il déclara qu’ils ne seraient pas la raison principale de leur venue au Luxembourg et que ce serait les problèmes familiaux qui auraient déclenché leur départ.

Madame … confirma les dires de son mari. Toutefois elle indiqua que l’incident avec les freins de la voiture de son mari serait survenu à Lukavac et non lorsqu’ils résidaient chez ses beaux-parents à Simin Han.

Elle expliqua aussi qu’ils n’auraient pas porté plainte car les procédures seraient longues dans leur pays et que la police n’agirait pas, pour preuve la circonstance que le chef de la mafia ne resterait jamais longtemps en prison. Dans ces conditions, elle déclara que les chances d’être protégés par la police seraient minimes.

Par décisions du 30 octobre 2013, notifiées en mains propres aux intéressés le 18 novembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 20 (1) sous a) b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Bosnie-Herzégovine ou de tout autre pays dans lequel ils seraient autorisés à séjourner.

La décision du ministre est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, les consorts … proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Ensuite, les faits invoqués ne sauraient être considérés comme susceptibles d’établir une crainte raisonnable d’être persécutés pour l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et par l’article 32 de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social. En effet, leur demande reposerait uniquement sur des raisons d’ordre privé, familial et économique. Tous les incidents relatés dans le cadre du conflit qui les oppose à la famille de Madame … seraient constitutifs de délits de droit commun punissables en tant que tels selon la loi bosnienne et non de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.

En tout état de cause, s’agissant de faits imputés à des personnes privées, ils ne pourraient fonder une crainte légitime de persécution que si les demandeurs établissent que les autorités étatiques de leur pays d’origine sont en défaut de leur fournir une protection adéquate contre les agissements allégués. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce puisque, d’une part, les demandeurs n’auraient jamais dénoncé à la police les incidents dont ils se disent victimes et que, d’autre part, ils n’auraient fourni aucun motif valable justifiant leur inaction. Dans ces conditions, aucun reproche ne pourrait être adressé à la police bosnienne, d’autant plus que, d’après les déclarations des demandeurs, …, le frère de Madame …, ainsi que …, le chef de la mafia, se trouveraient en prison. Par ailleurs, d’après les informations à la disposition du ministre, il ressortirait d’un rapport de la Commission européenne d’octobre 2011 intitulé « Bosnia and Herzegovina 2011 Progress Report », que la police bosnienne aurait fait des progrès institutionnels, notamment grâce à l’application de la loi sur la réforme de la police. Les progrès réalisés en matière de sécurité par les autorités, ainsi que leur détermination à poursuivre dans cette voie, auraient également été soulignés par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa résolution 2074 de novembre 2012. Quant aux allégations de corruption de la police, le ministre rappela notamment l’existence de la Section de contrôle interne et du Bureau public des plaintes, compétents pour sanctionner les comportements non-professionnels des fonctionnaires de police.

Le ministre releva que la demande serait également motivée par des raisons économiques, liées au fait que les demandeurs auraient bientôt un enfant à charge. Or de telles considérations matérielles ne seraient pas susceptibles d’être prises en compte, faute de se rattacher à l’un des motifs énoncés par la Convention de Genève.

Enfin, le ministre ajouta que les demandeurs n’auraient présenté aucune raison valable pour justifier leur impossibilité de s’installer dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine afin d’échapper aux difficultés rencontrées. Le ministre observa que les demandeurs auraient habité à Lukavac pendant les neuf mois précédant leur départ, sans y être retrouvés par les auteurs des menaces.

S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre releva que les demandeurs n’auraient invoqué aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courraient un risque réel de subir les atteintes graves définies par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine, dans la mesure où seules des raisons d’ordres privé, familial et économique seraient à la base de leur demande de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2013, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’un procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que les demandeurs limitent leur recours en réformation de la décision du 30 octobre 2013 au seul volet portant refus de leur accorder le statut conféré par la protection subsidiaire.

Quant aux faits, les demandeurs renvoient le tribunal à leurs déclarations telles que consignées dans les rapports d’auditions en date du 21 octobre 2013 en rappelant qu’ils auraient fait l’objet de menaces de mort directes et répétées et que Madame … aurait été séquestrée pendant plusieurs semaines par ses parents au cours desquelles elle aurait été insultée, frappée et maltraitée. Ils insistent encore sur le fait que les difficultés économiques qu’ils auraient rencontrées en Bosnie-Herzégovine ne constitueraient pas l’unique, ni même la principale raison de leur venue au Luxembourg. Pour finir, ils relèvent que le ministre n’aurait pas remis en cause leur crédibilité dans sa décision, de sorte que les faits invoqués devraient être tenus pour avérés par le tribunal.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre cette décision du ministre. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En droit, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leur demande dans le cadre d’une procédure accélérée, se serait basé sur le fait que la République de Bosnie-Herzégovine figurerait sur la liste des pays d’origine sûr établie par le règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007. Les demandeurs réfutent la qualification de pays d’origine sûr en ce qui les concerne. Ils estiment en effet avoir soumis plusieurs raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agirait pas d’un pays d’origine sûr dans leur chef et renvoient à différents passages de leurs auditions qu’ils jugent pertinents à cet égard. Par ailleurs, ils soutiennent que les critères fixés aux points a) b) et c) de l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour désigner un pays comme sûr ne seraient pas remplis en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, eu égard aux constatations se dégageant de différents rapports internationaux, concernant le fonctionnement du système judiciaire bosnien et développées ci-après dans le cadre de leur recours en réformation contre le refus d’octroi de la protection internationale. Au vu de ces rapports, il ne serait pas possible de conclure à l’existence d’un système de recours efficace contre les violations des droits fondamentaux de l’homme. Ils en déduisent qu’il y aurait lieu d’écarter, par la voie de l’exception, l’application du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 en tant qu’il désigne la Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr.

S’agissant de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement des articles 20 a) et b), les demandeurs soulignent qu’à ce stade de l’examen d’une demande en obtention de la protection internationale par l’autorité ministérielle, il ne s’agirait pas de déterminer s’ils peuvent obtenir la protection internationale, mais seulement s’ils ont fait état d’éléments suffisamment pertinents pour y prétendre, ce qui serait le cas en l’espèce. A cet égard, ils font valoir que les faits relatés seraient d’une pertinence manifeste au regard des conditions à réunir pour prétendre en particulier au bénéfice de la protection subsidiaire, notamment compte tenu de la gravité de ces faits.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait statué à juste titre sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée et conclut au rejet de ce volet du recours.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les dispositions des points a) b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquelles « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

[…] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) sous a) b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande, soit s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ou, encore, si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Concernant plus particulièrement le point c) de l’article 20 (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 a désigné la République de Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr.

A ce stade, il convient tout d’abord d’examiner le moyen tiré de l’illégalité du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, en tant qu’il a désigné la République de Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr, en vue de déterminer s’il y a lieu d’en écarter l’application sur base de l’article 95 de la Constitution qui prévoit que « les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois ».

Au vu de l’habilitation légale accordée au pouvoir réglementaire par la disposition légale précitée de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal de vérifier, au vu des moyens et arguments développés par la partie demanderesse, si le règlement grand-ducal a été pris en conformité à l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006 et, plus particulièrement si le critère fixé au point c) de cet article pour désigner un pays comme sûr est rempli.

Force est de constater qu’il ressort des rapports cités par les parties que, bien que des progrès restent à accomplir dans certains domaines, un système de recours efficace contre les violations des droits fondamentaux de l’Homme est prévu en Bosnie-Herzégovine.

Ainsi, le rapport de la Commission européenne cité par les deux parties met en exergue la ratification par la Bosnie-Herzégovine de la majorité des Conventions internationales de protection des droits fondamentaux1. La plupart des droits et libertés repris dans ces instruments 1 European Commission, Commission staff working paper – Bosnia and Herzegovina 2011 Progress Report, 12 octobre 2011 sont également constitutionnellement ou légalement protégés2. Si, certes, leur mise en œuvre pourrait être améliorée dans certains domaines, il n’en demeure pas moins que l’Etat a mis en place des voies de recours contre les violations de ces droits. Ainsi, le rapport de la Commission européenne précité relève la mise en place de la Commission et de la Chambre des droits de l’Homme dont les décisions en la matière sont appliquées sous le contrôle de la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, les individus qui se trouvent sous la juridiction de la Bosnie-

Herzégovine ont la possibilité de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme non seulement si les décisions rendues par les organes internes leur paraissent contraires à leurs droits conventionnels, mais également s’ils devaient constater qu’ils ne bénéficient pas de recours internes effectifs pour faire valoir leurs droits fondamentaux. A cet égard, le rapport de l’United States Department of State du 24 mai 2012 intitulé « 2011 Country Reports on Human Rights Practices » cité par les demandeurs relève que « the government generally complied with domestic and regional courts decisions pertaining to human rights », tandis que le rapport précité de la Commission européenne souligne les efforts fournis par la Bosnie-Herzégovine dans l’exécution de décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Le tribunal considère par conséquent qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application de l’article 1er du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 en tant qu’il désigne la République de Bosnie-Herzégovine comme pays d’origine sûr.

Le constat de pays d’origine sûr n’est pas non plus contredit par l’examen de la situation personnelle des demandeurs.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité bosnienne et qu’ils ont habité en Bosnie-Herzégovine avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée en application des dispositions précitées de l’article 20 c).

Toutefois, au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21 (2) de la même loi oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale des intéressés, a conclu qu'ils provenaient d'un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si les demandeurs lui soumettent, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle.

2 United States Department of State, 2011 Country Reports on Human Rights Practices, 24 mai 2012 Or, l'analyse de la situation décrite par les demandeurs lors de leurs auditions ainsi que dans le cadre de sa requête introductive d’instance ne permet pas au tribunal d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption en ce qui les concerne et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision ministérielle.

En effet, force est de constater que les demandeurs n’ont apporté aucune raison valable de penser que leurs droits et libertés fondamentaux seraient bafoués en cas de retour en Bosnie-

Herzégovine, sans qu’aucun recours efficace ne soit possible.

A cet égard, les demandeurs ne sont pas fondés à soutenir que les autorités de leur pays ne seraient pas à même de leur offrir une protection effective contre les menaces reçues, dès lors qu’ils n’ont jamais tenté de solliciter cette protection et n’ont donné aucune raison valable pour justifier leur absence totale de démarche en ce sens. Le reproche de corruption fait aux autorités policières bosniennes ne constitue pas en l’espèce un motif valable pour ne rien entreprendre, alors qu’il résulte par ailleurs des explications fournies par la partie étatique, documentées par des sources internationales, que la lutte contre la corruption constitue une priorité importante des gouvernements successifs et que, si des progrès restent à accomplir, le cadre légal pour la combattre est largement en place. Un plan de lutte contre la corruption a également été adopté pour la période 2009-2014. Force est également au tribunal de constater, au vu des éléments fournis par la partie étatique, que le président de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, …, auquel le demandeur fait allusion lors de son audition, a été interpellé au mois d’avril 2013 par la police qui le soupçonne, avec 19 autres personnalités publiques, d’avoir touché des pots-de-vin. Il s’ensuit qu’en l’absence d’éléments circonstanciés relatifs à leur situation personnelle, le reproche de corruption fait aux autorités bosniennes, et la peur qui en résulterait, restent à l’état de simple allégation dont le bien-fondé ne peut être vérifié et ne constituant pas un motif valable pour ne pas recourir à la protection des autorités policières. Les demandeurs ne sauraient davantage arguer de la longueur des procédures dans leur pays pour ne rien tenter.

Les demandeurs n’ayant pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 selon lequel la République de Bosnie-

Herzégovine est à considérer comme pays d’origine sûr pour les demandeurs de protection internationale, c’est par conséquent à bon droit que le ministre, après analyse de la situation concrète, a pu statuer sur leur demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 octobre 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Les demandeurs ayant expressément renoncé par écrit le 28 novembre 2013 à l’obtention du statut de réfugié prévu par la protection internationale et ayant limité leur recours à la réformation de la décision du 30 octobre 2013 en tant que cette décision leur refuse l’octroi de la protection internationale subsidiaire, il échet de leur donner acte de la limitation de leur recours en réformation et d’en examiner le bien-fondé sous le seul volet de la protection subsidiaire.

A l’appui de leur recours, les demandeurs estiment avoir fait état lors de leurs auditions de motifs sérieux et avérés de croire qu’ils courent un risque réel de subir des atteintes graves de la part d’individus non identifiés mandatés par la famille de Madame …, sans pouvoir compter sur la protection des autorités de leur pays d’origine.

A cet égard, ils se prévalent de la présomption inscrite à l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 pour faire valoir que ce risque serait établi, d’une part, par la circonstance qu’ils auraient d’ores et déjà subi avant leur départ de telles atteintes, ainsi que des menaces directes de faire l’objet de telles atteintes, caractérisées en l’espèce par les menaces de mort proférées à leur encontre ainsi que par le sabotage des freins de la voiture de Monsieur … et, d’autre part, par le fait que le ministre n’aurait apporté aucune bonne raison de penser que de telles atteintes ne se reproduiraient pas en cas de retour au Kosovo. Dès lors, ce serait à tort que le bénéfice de la protection subsidiaire leur aurait été refusé.

Les demandeurs mettent ensuite l’accent sur l’impossibilité de solliciter utilement les autorités bosniennes en vue d’obtenir leur protection contre ces atteintes et estiment que ce serait à tort que le ministre leur reprocherait leur absence de démarches en ce sens, pour fonder son refus d’octroi de la protection subsidiaire.

A l’appui de leur argumentation, les demandeurs procèdent à un examen du fonctionnement du système judiciaire bosnien, incluant celui de la police, qui serait caractérisé par des problèmes de corruption, tel que cela ressortirait du rapport de la Commission européenne du 12 octobre 2011, également cité par la partie étatique, ainsi que de rapports d’Amnesty International du 24 mai 2012 intitulé « Annual Report 2012 – Bosnia and Herzégovina », de l’United States Department of State du 24 mai 2012 intitulé « 2011 Country Reports on Human Rights Practices », du Freedom House du 6 juin 2012 intitulé « Nations in Transit 2012 – Bosnia-Herzegovina », ainsi que du 12 juillet 2012 intitulé « Freedom in the world 2012 – Bosnia and Herzegovina ».

Au vu de ces rapports, il ne serait pas possible de conclure que les autorités bosniennes seraient en mesure d’apporter aux demandeurs une protection effective au sens des dispositions de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les atteintes graves qu’ils subiraient de la part d’auteurs non étatiques en cas de retour dans leur pays d’origine.

Dans ces conditions, les demandeurs estiment que ce serait à tort qu’il leur aurait été reproché par le ministre de ne pas avoir recherché la protection des autorités de leur pays d’origine avant de solliciter une protection internationale, alors qu’il paraîtrait évident que toute tentative en ce sens serait vouée à l’échec compte tenu de la situation actuelle en Bosnie-

Herzégovine, caractérisée par la corruption au sein des institutions publiques et l’inefficacité des mécanismes mis en place pour lutter contre elle.

S’agissant enfin de la possibilité de fuite interne mentionnée par le ministre dans sa décision, les demandeurs estiment que, selon les dispositions de l’article 30 de la loi du 5 mai 2006, il incomberait au ministre de prouver qu’il existe une partie du territoire de leur pays d’origine dans laquelle ils pourraient vivre sans courir aucun risque, ce que le ministre n’aurait pas fait en l’espèce, se contentant d’envisager la possibilité de leur maintien dans le village de Lukavac pour échapper aux difficultés rencontrées. Or, les demandeurs auraient quant à eux démontré qu’une telle solution ne serait pas envisageable, puisqu’ils pourraient être retrouvés en tout point du territoire par les auteurs des menaces et qu’ils étaient contraints d’y vivre en se cachant. Par suite, les conditions légales permettant d’opposer aux demandeurs l’exception de fuite interne ne seraient pas réunies.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours. Il met en outre en doute la crédibilité des demandeurs, au vu des incohérences qui émailleraient leurs récits respectifs.

Aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) précités de l’article 37.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Il y a également lieu de préciser que le tribunal statuant en tant que juge du fond en matière de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

S’il est vrai que le ministre n’a pas mis en doute la crédibilité du récit des demandeurs, le tribunal constate que le délégué du gouvernement a, dans son mémoire en réponse, relevé plusieurs incohérences l’amenant à douter de sa véracité, de sorte que les faits invoqués ne pourraient être tenus pour établis, ce qui ferait obstacle à l’examen du bien-fondé de la demande.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 26 (5) de la loi modifiée du 5 mai 2006 si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du doute étant en droit des réfugiés d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves3.

Or, le tribunal ne partage pas les doutes de la partie étatique en ce qui concerne la crédibilité générale du récit des demandeurs.

Ainsi, Monsieur … aurait tout d’abord affirmé avoir été personnellement menacé par le chef d’un gang mafieux dénommé …, pour finalement admettre qu’il n’aurait jamais eu à faire directement à cette personne. Il aurait ensuite déclaré avoir été amené à quitter son pays d’origine uniquement par crainte pour sa sécurité, tandis que son épouse aurait indiqué dans la fiche manuscrite des motifs qu’elle a transmise à l’autorité ministérielle, avoir également quitté la Bosnie-Herzégovine en raison d’une situation financière difficile.

S’agissant du premier point, s’il est vrai que le demandeur s’est contredit lors de son audition, indiquant que … serait venu le menacer chez lui avant d’expliquer qu’il s’agissait en fait de personnes que le chef de la mafia aurait mandatées 4, cette circonstance ne remet pas en cause l’existence des menaces.

La confrontation des déclarations des époux ne permet pas de retenir une contradiction 3 Trib.adm. 16 avril 2008, Pas. adm. 2012, V°Etrangers, n°101 et autres références y citées 4 Rapport d’audition du 21 octobre 2013 de Monsieur …, p. 4/10 s’agissant du second point. Le demandeur a reconnu avoir effectivement rencontré des difficultés financières dans son pays d’origine, mais ne pas les avoir mentionnées car elles ne seraient pas à l’origine de leur départ, qui aurait été déclenché par les problèmes rencontrés avec sa belle-

famille. Il ajouta que s’il avait dû partir seulement pour des raisons économiques, il l’aurait fait plus tôt.

Même si un doute est constaté concernant l’auteur des menaces, compte tenu de la nature de ce doute et de ce que la réalité de la menace elle-même n’est pas mise en cause, ce doute n’est pas à lui seul suffisant pour remettre en cause la crédibilité du récit.

En l’espèce, même en faisant abstraction des incohérences qui ont pu être relevées, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs dans le cadre de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils n’ont pas faits état de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, sans que les autorités de leur pays d’origine soient en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

Le tribunal relève tout d’abord que les faits invoqués ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, ni ne se rapportent au risque de subir la peine de mort, l’exécution ou la torture, de sorte que la demande de protection subsidiaire n’est pas fondée à ce titre.

S’agissant ensuite du risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006 plus particulièrement invoqué par les demandeurs, le tribunal est amené à constater que les difficultés matérielles et financières auxquelles ils seraient susceptibles d’être confrontés en cas de retour en Bosnie-Herzégovine ne sauraient justifier à elles seules qu’ils puissent se prévaloir des dispositions protectrices de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006. De telles considérations matérielles ne s’analysent pas comme constituant un traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions de l’article 37 b) précité de la loi du 5 mai 2006.

En effet, force est de constater, d’une part, que l’article 37 b) précité se réfère à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants « infligés » au demandeur, tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu pour responsable. Il en résulte que des difficultés matérielles et économiques telles que la difficulté à subvenir aux besoins de sa famille et d’en supporter les dépenses de santé, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’elles auraient été infligées ou qu’elles résulteraient d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constituent pas à elles seuls un motif valable d’obtention de la protection internationale subsidiaire.

Quant aux mauvais traitements subis par Madame … de la part de ses parents, aux menaces verbales de mort dont les demandeurs ont fait l’objet ainsi qu’à l’incident avec leur véhicule, le tribunal relève que, s’il s’agit d’incidents présentant une certaine gravité, leurs auteurs sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, de sorte que les demandeurs ne peuvent se réclamer de la protection internationale qu’en l’absence de protection effective de la part des autorités de leur pays d’origine, soit que lesdites autorités ne puissent pas offrir cette protection, soit qu’elles ne soient pas disposées à le faire, soit enfin, que la victime ait de bonnes raisons de ne pas recourir à cette protection.

Or, comme le tribunal vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, que les demandeurs n’ont pas recherché la protection des autorités bosniennes et n’ont pas fourni d’éléments justifiant valablement cette attitude et que, par ailleurs, ils n’ont fourni dans le cadre de la procédure contentieuse aucun élément complémentaire pertinent sur ce point, ils ne sauraient, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Par suite, le recours en réformation sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation la décision du ministre du 30 octobre 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 30 octobre 2013 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, à titre principal comme conséquence de la réformation de la décision portant refus de leur conférer le statut conféré par la protection internationale, à titre subsidiaire, et quel que soit le sort réservé par la juridiction administrative au recours en réformation, comme étant contraire tant aux dispositions de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et à l’immigration, ci-après désignée « la loi du 29 août 2008 », qu’à celles de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH ». Ils estiment en effet que leur retour en Bosnie-Herzégovine les exposerait immanquablement à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants. En l’espèce, ils soutiennent que les sentiments d’angoisse et de détresse qu’ils éprouveraient inévitablement au quotidien en raison de l’absence de protection de la part des autorités de leur pays d’origine contre les menaces de mort dont ils sont victimes, seraient constitutifs de traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la CEDH.

Les demandeurs estiment que le champ d’application des dispositions précitées de l’article 129 de la loi du 5 mai 2006 et de l’article 3 de la CEDH serait plus large que celui de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré de gravité des mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance de la protection internationale subsidiaire serait plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’intéressé vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait par conséquent conclure de façon automatique qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine interdisant finalement son éloignement vers ce pays.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 […] ».

L’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) prévoit que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, fait obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise à l’encontre de non-nationaux lorsqu’il est établi qu’il existe pour eux un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants dans le pays de renvoi, encore faut-il que le risque de subir des souffrances physiques ou mentales présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risque de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments ont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques invoqués en cas de retour en Bosnie-

Herzégovine, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ainsi qu’à l’existence d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités de leur pays d’origine, de sorte que le tribunal ne saurait se départir, à ce niveau-ci de son analyse, de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le tribunal est amené à conclure à l’absence de motif sérieux et avéré de penser que la décision du ministre ordonnant aux demandeurs de quitter le territoire luxembourgeois à destination de la Bosnie-Herzégovine les expose aux traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 octobre 2013 de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 30 octobre 2013 portant refus de la protection subsidiaire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 octobre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, Daniel Weber, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 3 février 2014 par le premier juge, en présence du greffier André Weber.

5 Cour E.D.H., arrêt Lorsé et autres c/Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.

s. André Weber s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 06.02.2014 Le Greffier du Tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 33695
Date de la décision : 03/02/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2014-02-03;33695 ?

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