Tribunal administratif N° 31599 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2012 2e chambre Audience publique du 3 février 2014 Recours formé par Monsieur AAA, contre une décision du Commandant du Centre militaire en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31599 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2012 par Maître Arsène Kronshagen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur AAA, né le …., demeurant à …., tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du Commandant du Centre Militiaire, le colonel BBB , du 1er août 2012, statuant en appel d’une décision rendue par le Capitaine CCC du 2 juillet 2012, et prononçant la peine disciplinaire de la réprimande à son encontre;
Vu le mémoire en réponse déposé le 9 janvier 2013 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 8 février 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène Kronshagen au nom et pour le compte de Monsieur AAA ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 6 mars 2013 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Philippe Wadlé, en remplacement de Maître Arsène Kronshagen et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 novembre 2013.
Par décision du 2 juillet 2012 rendue par le capitaine CCC, Monsieur AAA fit l’objet d’une peine disciplinaire sous forme d’un avertissement.
En date du 5 juillet 2012, appel fut interjeté par le mandataire de Monsieur AAA contre la décision précitée.
Par décision du 1er août 2012, le Commandant du Centre Militaire, le colonel BBB , statuant en appel de la décision rendue par le capitaine CCC du 2 juillet 2012, prononça la peine disciplinaire de la réprimande à l’encontre de Monsieur AAA.
Cette décision est libellée comme suit : « Par la présente, je tiens à vous faire part de la décision prise en appel quant à l'affaire notée sous rubrique.
Etaient présents lors de la séance d'appel : Col BBB (Commandant du Centre militaire); LtCol … (Officier du Personnel du Centre militaire ff) ; AdjMaj …. (Adjudant de Corps du Centre militaire) ; Maj … (Commandant de la Compagnie A) et le mis en cause, le SgtCh AAA, assisté de son conseil Maître WADLÉ Philippe.
Le conseil juridique n'a pas fait d'interventions et n'a pas présenté d'objections quant à la façon de procéder et n'a pas soulevé une incompétence ou irrégularité dans la procédure, mais s'est contenté d'écouter et de prendre note de la présence des participants.
Le Col BBB a expliqué au SgtCh AAA les raisons de l'affaire disciplinaire.
Il a constaté que le concerné n'avait pas répondu au fond des questions soulevées par le Capt CCC dans sa demande d'explications justificatives. Interpellé à ce sujet, le concerné a avancé à titre de défense la liberté syndicale et s'est retranché derrière ses droits en tant que membre actif d'un syndicat.
Le Col BBB a remémoré que tout militaire ayant à sa disposition des éléments qui prouvent que la sécurité de ces camarades est en jeu, a l'obligation d'en faire part en premier lieu à ses supérieurs (Loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires Art. 9.4 :. Lorsque le fonctionnaire estime qu'un ordre reçu est entaché d'irrégularité, ou que son exécution peut entraîner des inconvénients graves, il doit, par écrit, et par la voie hiérarchique, faire connaître son opinion au supérieur dont l'ordre émane. Si celui-ci confirme l'ordre par écrit, le fonctionnaire doit s’y conformer, à moins que l'exécution de cet ordre ne soit pénalement répressible. Si les circonstances l'exigent, la contestation et le maintien de l'ordre peuvent se faire verbalement. Chacune des parties doit confirmer sa position sans délai par écrit). Force est de constater que le SgtCh AAA n'en a jamais transmis à ses supérieurs.
D'autre part, la hiérarchie n'a pas été avertie au préalable par une représentation professionnelle quelconque concernant des informations supplémentaires de sécurité, apparemment seules aux mains de quelques personnes et qui laisseraient présager l'existence de risques tels qu'exprimés par l'intéressé. Partant, la hiérarchie non confrontée avec ces renseignements n'a pas pu les fournir au Ministre de la Défense. Il est donc pervers de priver la hiérarchie de telles données pour l'accuser par après d'avoir mal conseillé le Ministre en question.
A ce jour, la hiérarchie n'a pas reçu ces recommandations complémentaires en la possession du concerné ainsi que les sources y relatives.
Le Col BBB a évoqué que la publication d'informations spécifiques à l'opérationnalité, respectivement à la sécurité militaire est strictement interdite à tout moment à tout un chacun travaillant dans une institution étatique (Loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires Art. 11. 1. Il est interdit au fonctionnaire de révéler les faits dont il a obtenu connaissance en raison de ses fonctions et qui auraient un caractère secret de par leur nature ou de par les prescriptions des supérieurs hiérarchiques, à moins d'en être dispensé par le ministre du ressort. Ces dispositions s'appliquent également au fonctionnaire qui a cessé ses fonctions.).
L'intéressé a même signé avant d'entrer dans la mission, une déclaration par laquelle il s'est engagé à ne divulguer aucune information opérationnelle à des tierces personnes, que ce soit avant, pendant ou après la mission (D/0339/09 signé le 21Avr09 ; ANNEXE A de l'ordre de justification C1/0380/12). Etaler sur la place publique le degré de protection des véhicules luxembourgeois ainsi que divulguer des indications quant à leur lieu de déploiement et leur emploi sont des éléments qui relèvent certainement de cet aspect. D'ailleurs, le Ministre de la Défense lui-même a souligné clairement l'obligation de la discrétion à ce sujet lorsqu'il s'est adressé aux députés le 16 mars 2012 en réponse à une question parlementaire sur l'engagement en Afghanistan. Par surcroît, de telles annonces par un cadre de l'institution entravent les bonnes relations existantes entre l'Armée et les proches des militaires devant être déployés.
Toutes les personnes présentes ayant été entendues et ayant été libres de présenter le cas échéant leurs observations, le Col BBB a noté qu'il allait réexaminer à tête reposée l'affaire et prendre une décision quant aux suites à donner au présent appel.
Considérant que le SgtCh AAA n'a pas accepté de s'exprimer quant au fond des demandes.
Considérant qu'en tant que militaire, il n'a pas fait parvenir les informations supplémentaires touchant à la protection de notre personnel à sa hiérarchie et s'obstine à ne pas les relever au détriment de ses camarades.
Considérant qu'il a ouvertement fourni des renseignements sensibles touchant à la sécurité et opérationnalité militaire et au secret professionnel (Art. 11, loi modifiée du 16 avril 1979 et Art 10, loi du 16 avril 1979 concernant la discipline dans la Force publique).
Considérant que ce dernier n'a pas mis en évidence des données complémentaires qui attestent que ses chefs militaires ont mal conseillé le Ministre de la Défense, comme il l'affirme.
Considérant que les propos publiés de l'intéressé expriment des doutes quant à l'honnêteté et l'intégrité des chefs militaires sans preuve aucune et ont nui à la bonne renommée de l'Armée.
Considérant que le concerné ne voit sa responsabilité nullement engagée en se retranchant derrière son droit de membre d'un syndicat.
Je confirme dès lors les motifs retenus par le Capt CCC (- Discours publics non-
autorisés (sujets militaires) - Violation du secret professionnel.- Propos publics préjudiciables à l'image de l'Armée.) et au vu de la gravité des faits, je prononce une réprimande à l'encontre du SgtCh AAA.
Subsidiairement, je tiens également à réfuter les arguments émis dans votre courrier du 13 juillet 2012 :
1. quant à l'application de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, en effet, il s'agit dans le cas en espèce d'une procédure disciplinaire en application de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique à l'encontre d'un membre de l'Armée et non pas d'une procédure judiciaire devant un tribunal devant statuer sur le fond d'une accusation au sens dudit article 6.
2. quant à ma compétence légale pour siéger en appel dans l'affaire en objet, il y a lieu de noter que la procédure disciplinaire en soi a été engagée le 18 avril 2012 au niveau de la compagnie. De ce fait, en application des textes légaux en vigueur, je suis l'autorité hiérarchique supérieure devant trancher en appel. (…) » Par requête déposée en date du 29 octobre 2012, Monsieur AAA a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation sinon en réformation, inscrit sous le n° 31599 du rôle, et dirigé contre cette décision disciplinaire du 1er août 2012.
Quand bien même une partie ait formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
En l’espèce Monsieur AAA base son recours subsidiaire en réformation sur l’article 56 de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, ci-
après désignée par la « loi du 16 avril 1979 », qui dispose dans son alinéa 2 que : « Si le Conseil d´Etat [lire : tribunal administratif] juge que le militaire a été frappé d´une sanction plus sévère que celle qui aurait dû lui être infligée, il annule la décision attaquée et substitue une sanction moins grave à celle qui avait été prononcée. Il ordonne, le cas échéant, que le militaire sera rétabli dans ses droits et qu´il sera dédommagé. » Force est cependant au tribunal de retenir que cet article se trouve inséré dans la partie de la loi du 16 avril 1979 réglementant la procédure relative aux demandes de révision prévue aux articles 52 à 56 de ladite loi, de sorte que cet article 56, qui ensemble avec l’article 55 prévoient une compétence de juge de fond à la juridiction administrative, ne trouve pas application dans le cadre de la procédure disciplinaire originaire dont a fait l’objet Monsieur AAA.
Il en est de même en ce qui concerne le recours au fond prévu par l’article 30 de la loi du 16 avril 1979, alors que ce dernier n’est applicable qu’en ce qui concerne les peines dépassant la compétence du chef de corps.
En effet, la peine litigieuse retenue en l’espèce contre Monsieur AAA, à savoir la réprimande, est visée par l’article 19, A. 2) de la loi du 16 avril 1979 et l’article 25, I. A. de la même loi et confère la compétence pour prononcer cette peine disciplinaire à la fois au chef de compagnie, chef de bataillon, au commandant de l’armée et au ministre ayant dans ses attributions la Force publique, ainsi qu’au Grand-Duc.
Il s’ensuit qu’une peine de réprimande ne dépasse pas la compétence du chef de corps et que la voie de recours instaurée par l’article 30 alinéa 2 de la loi du 16 avril 1979 n’est pas ouverte en l’espèce. La peine litigieuse rentre en effet dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 16 avril 1979 qui ne prévoit pas de voie de recours contentieuse spécifique contre une telle décision. Par voie de conséquence, la décision confirmative sur appel déférée peut uniquement faire l’objet d’un recours en annulation par application de la règle générale de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996.
Il en résulte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.
Le recours principal en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur explique qu’en date du 8 mars 2012, lors de l’assemblée générale annuelle ordinaire du Syndicat Professionnel de l’Armée Luxembourgeoise, dénommé ci-après le « SPAL », association dont il serait le secrétaire général, il aurait tenu un discours couvrant différents sujets et, notamment, la question parlementaire du 13 février 2012 posée par le député DDD au ministre de la Défense au sujet de l’utilisation, lors de la nouvelle mission de l’armée luxembourgeoise de protection de l’aéroport de Kandahar dans le cadre de la mission ISAF, de véhicules de l’armée américaine « HUMVEE » en lieu et place des véhicules de l’armée luxembourgeoise « DINGO » offrant un meilleur blindage pour résister aux explosions de mines et d’engins explosifs.
Il ressort de l’exposé versé par le demandeur en tant que pièce qu’à cette occasion, il se serait exprimé de la façon suivante :
« Mir begreissen dass den Här DDD eng parlamentaresch Fro iwwert den Gebrauch vun eisen Dingo’en gestallt huet. Mir fannen et och net normal dass mir eis Dingo’en aus dem ISAF zeréck zéien wann mir lo op Kandahar plënneren, wou mir fir méi Secherheet um Flughafen an zesummen Arbescht mat de Belsch zoustänneg sinn.
Statistiken beweisen dass all zweet Woch eng Roquette um Flughafen aschléit. Mir hun lo Ween déi fir eng maximal Secherheet kenne garantéieren, an wat man mir, mir leasen Ween bei den Amerikaner, an zwar Hummer’en deenejéinege déi mir hei Heem deklasséieren well se der Secherheet net méi entspriechen. Eisen Informatiounen no ass den Dingo Secherheets Level 5 an den Hummer Level 2.
Mir mussen et jo net drop ukommen loosen bis een an der Kescht Heem kennt!! Mir mengen dass de Minister sech dem Risiko net bewosst ass, andeems en och schlecht vun eise Cheffen beroode get.” Par la suite le demandeur explique avoir été convoqué en date du 19 mars 2012 devant le lieutenant colonel EEE en présence de son supérieur hiérarchique Madame le capitaine CCC, ainsi que Monsieur l’adjudant-major …, entrevue ayant fait l’objet d’un compte rendu à Monsieur le colonel BBB en date du 21 mars 2012.
Suite à l’ordre de ce dernier, le capitaine CCC aurait fait parvenir au demandeur un ordre de justification en date du 18 avril 2012, ainsi qu’une demande d’explications justificatives en date du 10 mai 2012.
Refusant par le biais d’un courrier de son mandataire, toute prise de position quant à ces faits au nom de l’exercice légitime de ses libertés syndicales garanties par la Constitution, le demandeur aurait été convoqué au rapport devant le capitaine CCC, qui aurait prononcé oralement une peine disciplinaire sous la forme d’un avertissement pour les motifs suivants :
discours publics non-autorisés (sujets militaires); violation du secret professionnel ; et propos public préjudiciables à l’image de l’armée.
Sur appel relevé en date du 5 juillet 2012, le commandant du Centre Militaire, le colonel BBB, aurait confirmé les griefs formulés à l’encontre du demandeur et aurait prononcé la peine disciplinaire de la réprimande, décision qui fait l’objet du présent litige.
En droit, le demandeur soulève en premier lieu plusieurs irrégularités de la procédure disciplinaire dont il a fait l’objet.
Il fait ainsi plaider la nullité de l’ordre de justification qui lui aurait été adressé en date du 18 avril 2012, au motif qu’un tel ordre de justification ne serait pas prévu par la loi du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique, mais seulement par le règlement d’exécution de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires, dénommé ci-après « le statut général», à savoir le règlement grand-ducal du 5 mars 2004 fixant les conditions et modalités de l’ordre de justification à adresser aux fonctionnaires de l’Etat, désigné ci-après par « le règlement du 5 mars 2004 », et qui s’appliquerait aux membres de la Force publique à titre résiduel et complémentaire, dans la mesure de sa compatibilité avec la loi spéciale.
La circonstance suivant laquelle aucune disposition de la loi du 16 avril 1979 ne s’opposerait à l’application du règlement du 5 mars 2004, et le fait que ses supérieurs hiérarchiques auraient décidé de lui faire parvenir un tel ordre de justification donneraient à considérer que ledit règlement serait applicable en l’espèce.
En application de l’article 1er, alinéa 2 du précité règlement, en vertu duquel un tel ordre de justification devrait être expédié dans les 7 jours ouvrables à partir du moment où le chef d’administration aurait eu connaissance des faits reprochés, l’ordre de justification daté au 18 avril 2012 relatif à des propos tenus en date du 8 mars 2012 serait à considérer comme nul et non avenu pour ne pas avoir respecté le délai de 7 jours précité.
Le délégué du gouvernement rétorque tant dans son mémoire en réponse que dans le mémoire en duplique qu’eu égard à son caractère de loi spéciale, et en application du principe « specialia generalibus derogant », la loi du 16 avril 1979 serait seule applicable à la procédure disciplinaire des militaires alors qu’elle dérogerait sur ce point à la loi générale que constitue le statut général, de sorte que l’ordre de justification y prévu ne serait pas applicable en l’espèce.
Quant au formulaire nommé « ordre de justification » adressé au demandeur en date du 18 avril 2012, ce dernier ne serait pas, nonobstant son intitulé, à confondre avec celui qui serait prévu par le statut général, étant donné qu’il s’agirait d’un document interne à l’armée visant à rassembler par écrit, avant toute poursuite disciplinaire, la position d’une personne susceptible d’avoir commis une faute ou une négligence dans l’exécution de sa mission.
L’ordre de justification litigieux ne ferait, par ailleurs, pas référence ni au statut général ni au règlement du 5 mars 2004.
Le délégué du gouvernement estime qu’il aurait seulement importé à la hiérarchie de recueillir la prise de position de Monsieur AAA quant aux questions lui soumises, de sorte que, pour couper court à toute discussion y relative, ils auraient réitéré cette demande en adressant le 10 mai 2012 une « demande d’explications justificatives » au demandeur.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où cet ordre de justification devrait être considéré comme celui qui serait visé par le statut général des fonctionnaires d’Etat, la partie étatique donne à considérer que le règlement du 5 mars 2004 ne poserait pas comme condition obligatoire à toute procédure disciplinaire l’émission d’un tel ordre de justification.
L’article 1er 4. du statut général dispose que : « Le présent statut s’applique sous réserve des dispositions spéciales établies pour certains corps de fonctionnaires par les lois et règlements. » Il s’ensuit qu’il a été la volonté du législateur de donner au statut général des fonctionnaires un champ d’application général, tout en se réservant, pour certains corps de fonctionnaires, la possibilité d’édicter des règles spéciales qui peuvent y déroger.
La loi du 16 avril 1979, venue abroger les dispositions concernant la discipline militaire prévue initialement à l’article 32 de la loi du 23 juillet 1952 concernant l´organisation militaire, et qui, en application de son article 1er, selon lequel « les principes généraux de la discipline militaire s´appliquent à tout militaire de la force publique et à toute autre personne portant l´uniforme militaire », constitue un corps de règles précises relatif à un régime disciplinaire spécifique pour certaines catégories de fonctionnaires spécialement visés, en établissant un catalogue de peines, en attribuant à certaines fonctions des pouvoirs de poursuite disciplinaire et en spécifiant une procédure disciplinaire propre spécialement adaptée à la Force publique, même si cette dernière est calquée sur les principes de base tels qu’ils se dégagent du régime disciplinaire de droit commun du statut général.
Il s’ensuit que le statut général a vocation à s’appliquer à titre résiduel et complémentaire, dans la mesure où ses dispositions ne sont pas écartées par le régime spécial de la loi du 16 avril 19791.
Force est de constater que la loi du 16 avril 1979 vise à régler le volet de la discipline de la Force publique dans son intégralité, en établissant un régime autonome et indépendant par rapport au régime de droit commun prévu par les articles 44 et suivants du statut général, qui devrait partant être écarté dans son intégralité en application du principe de la prédominance des règles spéciales sur les règles générales, consacré par l’adage « specialia generalibus derogant ».
1 Trib. adm. du 30 novembre 2005, n°20039 du rôle, Pas. adm.2012, V° Fonction publique, n°308.
Force est cependant au tribunal de constater que la loi du 16 avril 1979 ne connaît pas d’instrument intitulé «ordre de justification».
Un tel instrument est seulement prévu à l’article 16bis du statut général des fonctionnaires d’Etat, qui dispose que « Sans préjudice des dispositions de l’article 44 ci-
dessous, et en cas de manquement du fonctionnaire à ses devoirs, le chef d’administration ou son délégué peut lui adresser un ordre de justification dans les conditions et selon les modalités à fixer par règlement grand-ducal.», l’article 44 du statut disposant que «Tout manquement à ses devoirs au sens du présent statut expose le fonctionnaire à une sanction disciplinaire » Aux termes de l’article 1er du règlement du 5 mars 2004 : « Lorsqu’une infraction aux devoirs du fonctionnaire a été constatée, le chef d’administration ou son délégué peut adresser un ordre de justification à l’agent présumé fautif concernant le ou les faits qui lui sont reprochés.
Sous peine de nullité, l’ordre de justification est expédié dans les sept jours ouvrables à partir du moment où le chef d’administration ou son délégué a eu connaissance des faits qui sont reprochés au fonctionnaire fautif. Cette expédition se fait moyennant la formule annexée au présent règlement, sous enveloppe fermée, au lieu de service du fonctionnaire concerné ou, s’il est en congé pour plus de deux jours, par lettre recommandée à son domicile. » Le statut général ainsi que son règlement d’application du 5 mars 2004 soulignent expressément que l’emploi d’un tel ordre de justification est facultatif, mais peut avoir une influence sur une éventuelle poursuite disciplinaire. Ainsi, le règlement précité prévoit que l’ordre de justification facultatif, doit, s’il y est fait recours, sous peine de nullité, être expédié dans les 7 jours ouvrables depuis la connaissance des faits reprochés, et que, faute pour le destinataire d’un tel ordre de justification d’y répondre dans le délai imparti, ce dernier est à considérer, sauf circonstances exceptionnelles, en aveu des ces faits.
Force est au tribunal de constater que le mécanisme de cet instrument est susceptible d’être appliqué dans le cadre d’une procédure disciplinaire de droit commun prévue au statut général, nonobstant le fait que les dispositions sur la discipline proprement dite, figurant sous les articles 44 à 79 du statut général, n’en font pas mention expresse.
Il y a dès lors lieu de conclure que le fait que le régime de la procédure disciplinaire spécifique instauré par la loi du 16 avril 1979 n’y fasse pas référence non plus, ne saurait pas être interprété comme valant exclusion de cet instrument en matière de discipline dans la force publique.
Par ce caractère indépendant de la procédure disciplinaire proprement dite, la disposition du statut général des fonctionnaires d’Etat et son règlement d’exécution relatifs à l’ordre de justification et à ses modalités sont dès lors d’application générale et s’imposent également, faute de disposition contraire, en matière de la discipline dans la Force publique.
En ce qui concerne le moyen de nullité invoqué basé sur l’article 1er alinéa 2 du règlement du 5 mars 2004, en vertu duquel, l’ordre de justification est expédié, sous peine de nullité, dans les sept jours ouvrables à partir du moment où le chef d’administration ou son délégué a eu connaissance des faits qui sont reprochés au fonctionnaire fautif, force est de constater, au vu des pièces versées par le demandeur, et notamment du compte-rendu du lieutenant-colonel EEE du 21 mars 2012, et en l’absence de toute autre pièce y relative versée par la partie étatique, que le demandeur a été convoqué une première fois en relation avec les faits qui lui ont finalement été reprochés en date du 19 mars 2012. Il s’ensuit que la connaissance par la hiérarchie des faits reprochés remonte au moins à cette date, de sorte qu’en application de l’article 1er alinéa 2 du règlement du 5 mars 2004, même si le tribunal n’est pas compétent pour procéder à son annulation, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un acte administratif final faisant grief, l’ordre de justification du 18 avril 2012 est cependant à considérer comme nul et non avenu au sens de l’article 3 alinéa 1 du règlement du 5 mars 2004 pour motif de tardivité.
En conséquence le fait pour le demandeur de n’y avoir pas donné de suite, ne pourra pas faire jouer le mécanisme de la présomption d’aveu des faits reprochés au sens de l’article 3 alinéa 1 du règlement du 5 mars 2004.
Le demandeur se prévaut encore de l’existence de cet ordre de justification pour considérer qu’une instruction disciplinaire au sens des articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979 aurait été déclenchée, instruction qui lui serait plus favorable, alors qu’en application de l’article 31 (2) alinéa 2 de cette même loi, cette dernière devrait être diligentée à sa charge et à sa décharge. Dans ce contexte, il s’empare encore du constat que la loi du 16 avril 1979 n’interdirait pas de poursuivre des faits susceptibles des peines mineures par le biais de la procédure des articles 30 et suivants de cette même loi, ainsi que de la circonstance que le colonel BBB aurait demandé au capitaine CCC de recueillir sa prise de position sur les faits lui reprochés.
Le demandeur explique que si le colonel BBB avait voulu entamer une procédure simplifiée au sens de l’article 29 de la loi du 16 avril 1979, il aurait pu le convoquer directement et prendre lui-même une décision. Par le fait de charger le capitaine CCC de procéder à une instruction, le colonel BBB aurait clairement manifesté sa volonté d’enclencher la procédure prévue par l’article 31.
Le demandeur s’empare encore du fait qu’il aurait auparavant déjà été entendu par le lieutenant-colonel EEE lors d’une entrevue du 19 mars 2012, fait, qui, suite au compte-rendu adressé au colonel BBB , aurait amené ce dernier à demander au capitaine CCC de diligenter une instruction.
Etant donné que l’article 29 de la loi du 16 avril 1979 ne prévoirait pas toutes ces consultations préalables, le demandeur estime avoir fait l’objet d’une véritable instruction selon la procédure prévue par les articles 31 et suivants de la même loi.
Cette circonstance serait encore corroborée par le fait que le capitaine CCC aurait elle-
même fait référence dans ses écrits à une instruction disciplinaire.
En partant ainsi de l’hypothèse qu’il aurait fait l’objet d’une procédure au sens des articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979, le demandeur fait plaider que les garanties procédurales y prévues n’auraient pas été respectées.
Dans ce contexte, il souligne d’abord qu’il n’aurait pas fait l’objet d’une instruction à charge et à décharge en violation de l’article 31 paragraphe 2 de la loi du 16 avril 1979, étant donné que le capitaine CCC et le colonel BBB n’auraient enquêté qu’à sa charge, sans prendre en considération des éléments de nature à relativiser les faits reprochés.
Le non respect de cette obligation d’instruction à charge et à décharge aurait pour conséquence que les décisions prises par le capitaine CCC respectivement par le colonel BBB seraient entachées d’un vice de forme substantiel entraînant leur illégalité.
Le demandeur se prévaut ensuite de son affirmation selon laquelle il aurait fait l’objet d’une procédure disciplinaire au sens des articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979, pour invoquer la violation de l’article 31 paragraphe 3 de ladite loi qui exigerait la notification par écrit des reproches de la part du chef hiérarchique, exigence qui serait d’ordre public pour toucher aux droits de la défense et qui s’imposerait particulièrement dans l’hypothèse où l’une des peines les plus faibles prévues par la loi serait prononcée. A cet égard, il cite deux jugements rendus par le tribunal administratif le 22 juillet 1998 respectivement le 17 janvier 2000.
En l’absence d’une telle notification écrite, qui, du fait de son formalisme, ne serait par ailleurs pas à confondre avec la simple information prévue par la procédure disciplinaire régie par le statut général, la procédure disciplinaire engagée à son encontre serait à annuler pour violation des dispositions essentielles destinées à sauvegarder ses droits en tant que militaire concerné et, par conséquence, l’annulation des décisions disciplinaires précitées intervenues à son encontre.
Le demandeur est d’avis que l’ordre de justification, ainsi que la demande d’explications justificatives ne contiendraient aucune énumération des faits lui reprochés et ne mentionneraient pas qu’il serait présumé fautif et qu’une instruction disciplinaire aurait été engagée à son encontre, de sorte que les exigences de l’article 31 paragraphe 3 ne seraient pas respectées.
Dans le même contexte, le demandeur, estimant s’être trouvé engagé dans le cadre d’une procédure disciplinaire au sens des articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979, invoque l’incompétence du capitaine CCC, chargée de l’instruction, à prendre la décision du 12 juillet 2012 retenant un avertissement à son encontre et partant l’incompétence du colonel BBB à statuer en appel de cette décision, alors que l’article 31 paragraphe 5 disposerait que les conclusions du supérieur hiérarchique ayant mené l’instruction devraient être continuées au chef de corps auquel il aurait alors appartenu de prendre une décision en premier ressort concernant la peine disciplinaire à appliquer.
Toujours dans l’optique d’une procédure au sens des articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979 diligentée à son encontre, le demandeur invoque la nullité de la décision du capitaine CCC et par conséquent celle de la décision en appel du colonel BBB , pour ne pas avoir été motivées et arrêtées par écrit en violation des prescriptions de l’article 32 paragraphe 1 de la même loi, en soulignant que la décision du capitaine CCC n’aurait pas été arrêtée par écrit, mais simplement notifiée par voie orale.
Le délégué du gouvernement estime qu’il serait évident que le demandeur aurait fait l’objet d’une procédure disciplinaire au sens de l’article 29 de la loi du 16 avril 1979, de sorte que les garanties prévues pour la procédure en application des articles 30 et suivants ne seraient pas applicables en l’espèce.
A titre subsidiaire, il estime que les droits de la défense de Monsieur AAA auraient de toute façon été respectés.
Quant au choix de la procédure disciplinaire diligentée, il échet de rappeler les dispositions légales applicables de la loi du 16 avril 1979 qui font dépendre ce choix de la gravité de la peine a priori envisagée pour sanctionner les faits reprochés.
Ainsi, d’un côté, l’article 29 de la loi du 16 avril 1979 dispose que : « Les peines prévues à l´article 25 sous I. A 1 à 3, B 1 et C 1 à 3, ainsi que sous II. 1 à 3, sont prononcées par décision motivée, après que le militaire inculpé a été entendu. » D’un autre côté, l’article 30 de cette même loi retient que : « Les peines dépassant la compétence du chef de corps sont prononcées par décision motivée et après instruction préalable, dans laquelle le militaire inculpé est entendu sur les faits mis à sa charge. » La différence entre ces deux régimes de procédure disciplinaire réside dès lors, en ce qui concerne la phase préparatoire, dans une instruction plus formaliste, régie par l’article 31 de la loi du 16 avril 1979, pour les faits susceptibles d’entraîner, pour les sous-officiers notamment de l’armée, une peine plus grave que l’avertissement, la réprimande, ou un arrêt de 4 jours au plus.
S’il a effectivement été jugé qu’il n’est pas interdit d’examiner les faits reprochés susceptibles d’une sanction mineure dans le cadre d’une instruction disciplinaire2 au sens de l’article 31 de la loi du 16 avril 1979, qui prévoit notamment dans son paragraphe 5 que le chef de corps peut appliquer directement la sanction lorsqu´il est d´avis que les faits établis par l´instruction constituent un manquement à sanctionner de l´avertissement, de la réprimande ou des arrêts, le choix initial du régime de procédure disciplinaire à engager appartient clairement au supérieur hiérarchique compétent en matière disciplinaire.
Etant donné que les parties sont en désaccord quant à la question du régime disciplinaire appliqué en l’espèce, il appartient au tribunal de déterminer au vu des éléments lui soumis si Monsieur AAA a fait l’objet d’une procédure disciplinaire régie par l’article 29 ou de la procédure prévue par les articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979 prescrivant une instruction disciplinaire au sens de son article 31.
A titre liminaire, et en application du règlement du 5 mars 2004, force est de retenir que l’envoi d’un ordre de justification, respectivement d’une demande d’explications justificatives, ne vaut pas d’office engagement d’une procédure disciplinaire, alors qu’il a été jugé que, même dans l’hypothèse d’un ordre de justification en bonne et due forme en application du règlement du 5 mars 2004, un tel document constitue un préalable facultatif permettant à son destinataire de prendre position par rapport à des faits qui lui sont reprochés par le chef d’une administration, sans que ce dernier recourt tout de suite à la procédure disciplinaire3.
2 Trib. adm. du 16 décembre 2009, n°26686 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n°188.
3 Trib. adm. du 22 mai 2006, n°20419 du rôle, Pas. adm.2012, V° Fonction publique, n°187.
Il résulte également des dispositions du règlement du 5 mars 2004 que l’utilisation d’un ordre de justification n’entraîne pas nécessairement une poursuite disciplinaire, étant donné que dans son article 4 ledit règlement dispose que « Selon la gravité des faits et la pertinence de la justification, le chef d’administration ou son délégué décide, soit de verser le document au dossier personnel de l’agent soit d’en saisir l’autorité investie du pouvoir disciplinaire. » Force est dès lors de retenir que l’envoi d’un ordre de justification ne permet pas de conclure ipso facto à l’ouverture d’une procédure disciplinaire, et encore moins à l’ouverture d’une procédure dite lourde au sens des articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979.
En ce qui concerne la mise en route de la poursuite disciplinaire, force est au tribunal de constater qu’il ne résulte pas des circonstances de l’espèce qu’il était de l’intention des supérieurs hiérarchiques d’entamer une procédure disciplinaire au sens des articles 30 et suivants.
En effet, il ne résulte pas du fait que le colonel BBB ait demandé au capitaine CCC de continuer au demandeur les questions reprises sur l’ordre de justification, relatives à ses déclarations faites dans le cadre de son activité syndicale, qu’il aurait chargé cette dernière d’une instruction au sens de l’article 31 de la loi du 16 avril 1979, ni même d’entamer une poursuite disciplinaire.
En effet, il ressort du courrier du 10 avril 2012 adressé par le colonel BBB au capitaine CCC, que ce dernier estime que les déclarations du demandeur comprendraient des affirmations assez graves nécessitant d’entamer une enquête plus approfondie visant à recueillir les informations sur les faits connus par ce dernier et qui l’intéresseraient au plus haut niveau dans le but de les prendre en compte dans le cadre de l’instruction pour la préparation de la nouvelle mission en Afghanistan.
Le fait d’avoir été entendu une première fois par le lieutenant-colonel EEE, ainsi que la circonstance que le colonel BBB ait été informé de ces faits et que le capitaine CCC ait été chargée de recueillir de plus amples explications de la part du demandeur sur les tenants et aboutissements de son discours du 8 mars 2012, n’amène pas ipso facto à la conclusion qu’une instruction au sens de l’article 31 de la loi du 16 avril 1979 aurait été entamée, et ce, même si toutes ces consultations préalables ne sont pas expressément prévues par la procédure dite légère prévue par l’article 29 précité, exigeant seulement que le militaire concerné soit entendu avant qu’une décision motivée sur l’application des peines disciplinaires y prévues soit prise.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que, dans la mesure où la convocation auprès du lieutenant-colonel EEE, l’envoi d’un ordre de justification et d’une demande d’explications justificatives visaient principalement à mettre le demandeur en mesure de connaître et de prendre position quant aux faits lui reprochés tel que cela ressort de la décision disciplinaire du 2 juillet 2012 versée au dossier, ils n’avaient pas pour objectif à rassembler des éléments à sa charge et à sa décharge au sens de l’article 31 de la loi du 16 avril 1979.
Force est en effet de constater que la poursuite disciplinaire proprement dite a finalement été lancée par le capitaine CCC par le biais de la convocation au rapport du demandeur pour le 2 juillet 2012 par courrier du 26 juin 2012, conformément à son annonce y relative dans son courrier du 10 mai 2012, par laquelle le demandeur a été mis en garde qu’à défaut d’une réponse écrite quant aux explications demandées, il serait fait recours à l’article 29 de la loi du 16 avril 1979.
Il en résulte que le demandeur a bien fait l’objet d’une procédure disciplinaire au sens de l’article 29, de sorte que les moyens tirés d’une violation des articles 30, 31 et 32 de la loi du 16 avril 1979 sont à écarter pour manquer de pertinence, alors que ces articles ne trouvent application que dans le cadre de la procédure disciplinaire dite lourde au sens de l’article 30 et suivants.
Pour autant que de besoin, force est au tribunal de retenir qu’il ressort des éléments factuels revus en amont que, même dans le cadre de la procédure disciplinaire au sens de l’article 29, les garanties du contradictoire et des droits de la défense ont été respectés en l’occurrence, étant donné que le demandeur a été valablement informé des faits lui reprochés et mis en mesure de prendre position par écrit et à l’oral quant à ces faits.
C’est également à tort que le demandeur invoque le non respect de l’obligation prévue à l’article 29 de la loi du 16 avril 1979 de prononcer les peines y prévues par une décision motivée. Si, à l’inverse de l’article 32 paragraphe 1 de la même loi, l’article 29 précité n’exige pas expressément une décision arrêtée par écrit, la décision disciplinaire du 2 juillet 2012 a néanmoins fait l’objet d’un écrit notifié au demandeur en mains propres en date du même jour, tel qu’il figure parmi les pièces versées par ce dernier, de façon à y consigner la motivation y relative.
Le demandeur invoque ensuite une violation des principes généraux de droit sinon de l’article 27 de la loi du 16 avril 1979, en soutenant que la procédure disciplinaire n’aurait pas respecté le principe général d’ordre public de l’impartialité, tiré de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, désignée ci-après la « CEDH », en ce que l’autorité qui prononce une peine disciplinaire ne pourrait pas être partie à la cause, ni celle qui aurait participé à l’instruction du dossier.
En l’espèce, le demandeur estime que le capitaine CCC aurait prononcé une peine disciplinaire alors même qu’elle aurait été chargée de l’instruction du dossier, d’autant plus qu’il serait certain que cette dernière se serait sentie personnellement visée par les propos litigieux du 8 mars 2012. Ayant en plus été présente lors de la première entrevue du demandeur avec le lieutenant-colonel EEE du 19 mars 2012, le capitaine CCC pourrait légitiment être soupçonnée d’impartialité objective.
En ce qui concerne le rôle du colonel BBB, le demandeur estime que ce dernier aurait définitivement perdu son impartialité tant subjective qu’objective, en statuant en appel, alors qu’il aurait été l’initiateur de la procédure disciplinaire lancée à son encontre.
Le demandeur fait plaider que même s’il concède que le colonel BBB en tant que supérieur hiérarchique du capitaine CCC a, en application de l’article 29 paragraphe 4 théoriquement compétence pour statuer sur l’appel interjeté, il aurait cependant dû s’abstenir de ce faire, étant donné qu’en l’occurrence il aurait été l’initiateur de la procédure disciplinaire, et qu’il aurait pris position à plusieurs reprises quant aux faits litigieux. Ainsi, il aurait, dans son courrier du 10 avril 2012 adressé au capitaine CCC, jugé les propos litigieux d’« affirmation assez grave afin d’entamer une enquête plus approfondie. », de même qu’il aurait fait une réflexion à haute voix au cours de la séance d’appel visant à se poser la question de savoir si « mentalement [Monsieur AAA] était à la bonne administration pour faire sa carrière », tout en rappelant lui-même que colonel BBB se serait apparemment considéré comme personnellement visé par les déclarations litigieuses du 8 mars 2012.
Le manque d’impartialité, que le demandeur aurait déjà soulevé avant toute défense au fond au stade de l’appel, serait encore souligné par la circonstance que le colonel BBB, dans sa décision sur appel du 1er août 2012, aurait passé sous silence les objections en fait et en droit présentés par le demandeur et son conseil, tant en ce qui concerne la régularité de la procédure disciplinaire en cause, que quant au fond de l’affaire.
A titre subsidiaire, le demandeur rappelle que l’article 27 de la loi du 16 avril 1979 dispose que « le supérieur hiérarchique indirect le plus proche est comptent lorsque a) le supérieur disciplinaire direct est lui-même en cause (…) », de sorte que, tant le capitaine CCC que le colonel BBB, se sentant directement visés par les propos litigieux, auraient dû décliner leur compétence en faveur de celle du ministre de la Force publique.
La partie étatique s’accorde avec la partie demanderesse à soutenir que colonel BBB aurait été compétent pour statuer sur l’appel interjeté par Monsieur AAA, mais fait valoir que ce dernier ne serait pas à considérer comme l’initiateur direct de la procédure disciplinaire ouverte à l’égard du demandeur, étant donné que par courrier du 10 avril 2012 au capitaine CCC, il aurait seulement demandé à cette dernière de recueillir de plus amples informations quant aux affirmations tenues lors du discours litigieux du 8 mars 2012. Le délégué du gouvernement estime dès lors que le colonel BBB n’aurait jamais exigé l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de Monsieur AAA. Ni le courrier précité au capitaine CCC ni l’ordre de justification respectivement la demande d’explications justificatives n’auraient fait référence à l’ouverture d’une éventuelle procédure disciplinaire. Il soulève encore que le demandeur aurait souligné lui-même dans son recours que ledit ordre de justification respectivement la demande d’explications justificatives n’auraient pas fait l’énumération des faits reprochés ni indiqué qu’il ferait l’objet d’une procédure disciplinaire.
Il en conclut que le fait, que le colonel BBB ait statué en appel, répondrait aux exigences de l’article 6 de la CEDH et que ce dernier aurait ainsi parfaitement pu siéger en appel, étant donné qu’il n’aurait pas siégé en première instance et qu’il ne serait pas à considérer comme l’initiateur de la procédure disciplinaire.
Il est de jurisprudence que l’article 6 de la CEDH n’a pas vocation à s’appliquer à la procédure disciplinaire administrative précontentieuse aboutissant à une réprimande, une telle sanction ne touchant pas à des droits et obligations de nature civile, et ne constituant pas une accusation en matière pénale.4 Il est cependant admis que si l’autorité administrative n’est pas formellement soumise au respect de l’article 6 CEDH, elle est néanmoins tenue d’observer les principes généraux du droit, tels que le principe de procédure équitable, le principe de respect des droits de la défense ou encore le principe général d’impartialité, et ce, même en l’absence d’un texte 4 Trib. adm. 2 juin 1999, n° 10957 du rôle, c. Cour adm. 20 janvier 2000, n° 11374C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n° 198 et autre référence y citée.
exprès. Ainsi, en vertu du principe général de l’impartialité, l’autorité qui prononce une peine disciplinaire ne peut pas être partie à la cause, ni être celle qui a participé à l’instruction du dossier. A part le fait que l’autorité qui prononce la sanction, doit être impartiale d’un point de vue subjectif, en ce qu’elle ne doit pas avoir procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire, il est exigé que ladite autorité ne puisse pas être soupçonnée de partialité objective, la partialité objective pouvant découler de conditions structurelles ou organisationnelles qui autoriseraient à suspecter l’impartialité d’un organe. Enfin, le principe général de l’impartialité est d’ordre public5.
Il a été retenu par le tribunal en amont que le demandeur n’a pas fait l’objet d’une procédure disciplinaire au sens de l’articles 30 et suivants de la loi du 16 avril 1979 impliquant une phase d’instruction formelle, mais que la sanction a été prise à l’issue d’une procédure dite légère au sens de l’article 29 de la même loi, ne passant pas par une phase d’instruction au sens formel du terme, mais pour laquelle il suffit d’entendre l’agent impliqué sur les faits lui reprochés. En l’absence d’une instruction proprement dite, il ne peut dès lors pas être reproché à un quelconque intervenant dans le processus décisionnel d’avoir participé à l’instruction du dossier.
Il ne résulte pas non plus du courrier du colonel BBB du 10 avril 2012 au capitaine CCC qu’il aurait exigé de manière expresse l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du demandeur. Ce courrier est en effet libellé comme suit : « (…) la deuxième partie est une affirmation qui est assez grave afin d’entamer une enquête plus approfondie.
En toute logique, un tel constat comme étayé par le SgtCh AAA ne peut être basé que sur des faits connus par lui seul.
Partant, il doit disposer d’un côté de la liste des recommandations- incomplètes, voire mauvaises selon le SgtCh AAA – faites par les « Chefs » à Monsieur le Ministre de la Défense et d’un autre côté de données supplémentaires sur la situation sécuritaire sans quoi il n’aurait pas pu faire la déclaration en question.
Il est donc notoire que ses conseils érudits m’intéressent au plus haut niveau afin que je puisse les prendre en compte dans le cadre de l’instruction pour la préparation de cette nouvelle mission.
Ainsi je vous demande de vouloir bien intervenir auprès du SgCh AAA afin qu’il fournisse des explications quant aux questions suivantes :
a) quelles sont les éléments supplémentaires et quelles sont ses sources qui le conduisent à l’affirmation en question ? b) Comment s’est-il procuré ces informations ? c) Pourquoi n’a-t’il pas fait part de ses données sécuritaires supplémentaires à son hiérarchie en temps utile afin de compléter les renseignements à soumettre par les « Chefs » précités à Monsieur le Ministre de la Défense dans le cadre de la prise de décision de cette nouvelle mission ? d) Au vu du paragraphe en question (voir annexe 2 page 4 : « Dingo’en am ISAF »), comment justifie-t-il la diffusion sur la place publique des 5 Trib. adm. 28 octobre 2009, n° 25278 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n° 196 informations à caractère confidentiel concernant la sécurité des contingents ? Une réponse s’impose endéans les dix jours calendriers dès la réception de ce courrier. » Il y a lieu de constater que ce courrier qui a été à l’origine de l’envoi d’un ordre de justification au demandeur, n’est pas à considérer comme un acte d’ouverture d’une procédure disciplinaire, étant rappelé qu’il a été retenu plus en amont que c’est le capitaine CCC qui a elle-même initié la procédure disciplinaire au sens de l’article 29 de la loi du 16 avril 1979 par convocation au rapport datée au 26 juin 2012.
Quand bien-même si par ce courrier le colonel BBB avait déclenché une procédure disciplinaire, il y a lieu de retenir que par le simple fait d’initier une enquête disciplinaire, un directeur ne prend en aucune manière position quant aux éventuels reproches, qui au cours de l’enquête, sont susceptibles d’être retenus à l’encontre du fonctionnaire en question6. En l’espèce, force est de constater qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier que ce dernier serait intervenu à un quelconque stade de la procédure disciplinaire précédant la séance d’appel.
Force est dès lors de retenir que ni le colonel BBB pour la phase d’appel, ni le capitaine CCC, en ce qui concerne le premier degré, ne sont à considérer comme objectivement partiaux, les empêchant de prononcer une sanction à l’encontre du demandeur.
Quant au manque d’impartialité subjective du colonel BBB soulevé par le demandeur, il ne résulte pas du courrier précité du 10 avril 2012 qu’il aurait, de quelque manière que ce soit, préjugé du résultat de la procédure disciplinaire non encore officiellement déclenchée. A cet effet, il est rappelé que le tribunal a été amené à juger que l’existence d’un ordre de justification n’implique pas nécessairement le déclenchement d’une procédure disciplinaire7.
Il s’ensuit que le principe général d’impartialité n’a pas été violé par la procédure disciplinaire administrative à l’encontre du demandeur, de sorte que ce moyen doit être rejeté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l’article 27 de la loi du 16 avril 1979, force est au tribunal de constater qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que ni le capitaine CCC, ni le colonel BBB n’auraient été d’une quelconque manière impliqués dans les faits reprochés. Pour autant que de besoin, il échet de préciser que le fait de se sentir éventuellement personnellement visé par des propos tenus par un de leurs subordonnés n’entraîne pas automatiquement leur mise en cause au sens de l’article 27 précité. Il s’ensuit que le moyen afférent doit être rejeté pour ne pas être fondé.
En second lieu et au fond, le demandeur estime que les décisions disciplinaires prises à son encontre violeraient la loi et seraient entachées d’erreurs manifestes d’appréciation.
Il explique, à cet effet, qu’il n’aurait pas été tenu de fournir des explications sur des propos relevant exclusivement de la sphère syndicale, pour avoir été prononcés lors de l’assemblée générale ordinaire du SPAL, et partant pendant l’exercice légitime de ses libertés 6 Voir en ce sens : trib. adm. 31 décembre 2003, no 16579 du rôle, Pas. adm. 2012, Vo Fonction publique, no 313 7 Trib. adm. du 22 mai 2006, n°20419 du rôle, Pas. adm.2012, V° Fonction publique, n°187.
syndicales, garanties par l’article 11 paragraphe 4 de la Constitution et les articles 36 du statut général, ainsi que 3 alinéa 2 de la loi du 16 avril 1979.
Le demandeur fait valoir qu’au moment de son discours, il se serait trouvé en dehors de l’enceinte de la caserne et en sa qualité de représentant d’un syndicat il aurait notamment pour mission de promouvoir les intérêts communs tant moraux que matériels et de défendre les droits de ses membres.
En effet, aux vœux du statut général, toute représentation du personnel aurait notamment pour mission de formuler des propositions relatives à l’amélioration des conditions de travail et de proposer des mesures de sécurité et de prévention des accidents.
Quant au reproche de refus de collaboration, le demandeur fait plaider qu’il ne saurait être retenu qu’il n’aurait pas voulu répondre à la demande d’explications de la part de sa hiérarchie, alors qu’il résulterait du courrier du lientenant-colonel EEE du 21 mars 2012 au colonel BBB , que la sécurité du personnel serait une préoccupation légitime de la délégation du personnel. Ainsi, la déclaration du 8 mars 2012 aurait visé à donner des éléments de réflexion pour garantir la sécurité maximale du personnel déployé.
En ce qui concerne le reproche d’avoir privé sa hiérarchie d’une quelconque information liée à la sécurité du personnel de l’armée, le demandeur estime que ce reproche ne résulterait d’aucun élément du dossier, alors qu’il n’aurait jamais eu connaissance de nouvelles informations relatives à la sécurité des troupes, étant donné qu’il se serait basé exclusivement sur les informations diffusées, librement accessibles pour le public. Il fait encore remarquer que l’article 9 paragraphe 4 du statut général cité dans la décision d’appel ne concernerait que la situation où un « ordre reçu » aurait des conséquences graves, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. En tout état de cause, il explique que le discours du 8 mars 2012 visait justement à attirer l’attention de la hiérarchie militaire sur les problèmes sécuritaires liés à la nouvelle mission de l’armée luxembourgeoise à l’aéroport de Kandahar. Il fait remarquer qu’au lieu de lancer immédiatement une poursuite disciplinaire à son encontre, l’armée luxembourgeoise aurait mieux fait d’engager par son biais un dialogue constructif avec le SPAL afin d’améliorer la sécurité des soldats luxembourgeois dans le cadre de la mission projetée, notamment en utilisant les véhicules DINGO dont tout le monde s’accorderait pour les considérer disposant d’un niveau de protection plus élevé que les véhicules HUMVEE, peu importe l’ampleur réelle de la différence au niveau de protection des deux véhicules.
D’après le demandeur, le but du SPAL n’aurait pas été de semer la panique, mais d’ouvrir un dialogue avec la hiérarchie sur cette question. Il estime encore « effarant » que le délégué du gouvernement lui reproche d’avoir accru le risque pour le personnel de l’armée en incitant des auteurs potentiels d’un attentat sur un véhicule DINGO d’augmenter leur charge.
Quant au reproche d’avoir révélé des informations confidentielles, le demandeur souligne, en s’appuyant sur les pièces versées, que le ministre de la Défense aurait lui-même informé le 7 février 2012 la presse sur la nouvelle mission du contingent de l’armée luxembourgeoise en Afghanistan, donc avant que les soldats eux-mêmes en aient été informés au cours du briefing tenu le 10 février 2012 par le capitaine CCC, et que Monsieur le député DDD aurait, dans sa question parlementaire publique du 13 février 2012, abordé exactement la même problématique liée à l’emploi, dans le cadre de la nouvelle mission, des véhicules de l’armée américaine HUMVEE offrant apparemment une protection moindre que des véhicule DINGO de l’armée luxembourgeoise. Il souligne encore que le discours litigieux ferait d’ailleurs expressément référence à la question parlementaire de Monsieur le député DDD. Il donne ainsi à considérer que les propos litigieux se seraient exclusivement appuyés sur des informations publiquement accessibles. Les informations sur les niveaux de protection offerts par les différents véhicules militaires seraient librement disponibles sur Internet, de sorte qu’il n’aurait pas violé un quelconque secret professionnel.
Le demandeur estime encore qu’il n’aurait pas violé son engagement signé en date du 21 avril 2009 au moment de son départ en mission ISAF en Afghanistan, lui interdisant de divulguer des informations opérationnelles à des tierces personnes avant, pendant et après la mission, alors que les informations visées par cet engagement n’auraient concerné que la mission spécifique à laquelle il aurait été brièvement affecté jusqu’en octobre 2009, et non les informations sur une mission future, comme en l’espèce.
Il n’aurait pas non plus violé une obligation de réserve et de discrétion que l’article 3 alinéa 6 de la loi du 16 avril 1979 mettrait d’ailleurs uniquement à charge des « supérieurs militaires ».
Dans ce contexte, le demandeur rappelle encore qu’il n’aurait relaté que des informations publiquement accessibles, qui ne seraient pas visées par l’obligation de confidentialité prévue par l’article 11 du statut général qui concernerait uniquement les faits qui auraient un caractère secret par leur nature ou de par les prescriptions des supérieurs hiérarchiques.
En ce qui concerne le dernier reproche consistant dans le fait d’avoir exprimé des doutes quant à l’honnêteté et à l’intégrité des chefs militaires qui auraient mal conseillé le ministre de la Défense, en affirmant que « mir mengen dass de Minister sech dem Risiko net bewosst ass, andeems en och schlecht vun eise Cheffe beroode get. », le demandeur fait valoir que, s’il ne conteste pas la teneur exacte de ses propos, la déclaration litigieuse serait d’abord à nuancer alors qu’il s’agirait non pas d’une simple affirmation de sa part, mais d’une opinion propre au comité du SPAL, soulignée par le début de phrase « mir mengen dass », et qu’il se serait limité à exprimer en sa qualité de secrétaire général.
Le demandeur estime qu’en tout état de cause les propos émis lors du discours du 8 mars 2012 seraient couverts par la liberté d’expression garantie tant par la CEDH que par l’article 24 de la Constitution. S’il admet que la liberté d’expression doit être exercée dans des limites raisonnables, il est d’avis que ces limites n’auraient pas été dépassées en l’espèce, d’autant plus que le discours aurait été prononcé dans le cadre de l’exercice d’une activité syndicale et qu’il aurait été limité à la discussion d’informations d’ores-et-déjà diffusées dans la presse et connues du monde politique. A défaut de la preuve contraire par la partie étatique, la liberté syndicale aurait été exercée dans les limites fixées par le statut général, étant donné qu’elle n’aurait pas porté atteinte au bon fonctionnement du service.
Il considère que l’énonciation d’un tel reproche dévoilerait le motif réel de la sanction disciplinaire lui infligée, lequel résiderait dans le fait que les chefs militaires, habitués à se comporter « en patriarche » avec leurs subordonnées, se seraient sentis vexés par les propos légitimes contenus dans le discours qu’il aurait tenu le 8 mars 2012.
Finalement, le demandeur donne à considérer qu’en application de l’article 22, alinéa 1 de la loi du 16 avril 1979, l’application des sanctions disciplinaires devrait se faire en prenant notamment en considération les antécédents disciplinaires du militaire, antécédents qui n’existeraient pas dans son chef, alors qu’il aurait effectué 14 années de service irréprochable.
Il en conclut que la sanction de la réprimande serait à considérer comme disproportionnée.
Quant aux motifs de la sanction encourue, le délégué du gouvernement estime que le demandeur aurait manifestement commis une faute disciplinaire en divulguant, dans le discours litigieux du 8 mars 2012, des informations confidentielles qu’il n’aurait pu obtenir que dans le cadre d’un briefing interne organisé par le capitaine CCC en date du 10 février 2012 et dont les informations auraient été couvertes par le secret professionnel. D’après la partie étatique, le demandeur aurait ainsi violé son obligation de réserve et de discrétion d’autant plus qu’il aurait signé un engagement de ne pas divulguer des informations opérationnelles avant son départ en mission en Afghanistan le 21 avril 2009. Il explique que le simple fait que Monsieur le député DDD ait posé une question parlementaire au sujet du niveau de protection des véhicules employés dans le cadre de la nouvelle mission en Afghanistan, tout en se gardant par ailleurs de mettre au conditionnel les informations y relatives, ne ferait pas en sorte, en l’absence d’une réponse du ministre au jour de l’assemblée litigieuse, que son contenu relatif aux détails opérationnelles serait vérifié et à considérer comme information publique.
Il fait encore remarquer qu’il résulterait des notes personnelles du capitaine CCC au sujet du briefing du 10 février 2012, que l’armée luxembourgeoise aurait fait tout son possible pour garantir la sécurité maximale pour ses soldats, mais qu’elle devrait se plier, quant au choix des véhicules, à celui de la nation cadre de la mission, en l’occurrence les Etats-Unis d’Amérique. Il serait encore faux de prétendre que l’armée aurait déclassé tous les véhicules HUMVEE, alors que ce serait seulement le cas des véhicules non blindés, les HUMVEE blindées seraient toujours en service. La différence de niveau de protection entre les véhicules HUMVEE blindés et les DINGO ne serait pas connue, de sorte que l’affirmation y relative serait dénuée de tout fondement, et ne viserait qu’à semer la panique, et, par le fait de la divulgation de détails opérationnels de la mission, qu’à augmenter les risques pour les soldats déployés.
La partie étatique estime que le demandeur aurait violé l’article 3, alinéa 6 de la loi du 16 avril 1979 mettant à charge du supérieur militaire une obligation de réserve et de discrétion, ainsi que l’interdiction prévue à l’article 11 du statut général de divulguer des informations secrètes dont les fonctionnaires peuvent avoir eu connaissance dans le cadre de leurs fonctions. Même en admettant que les fonctionnaires de l’Etat, dans le cadre de leur activités syndicales, jouissent de la liberté d’expression, cette dernière serait toujours encadrée par une obligation de réserve incombant spécialement aux représentants de la force publique et devrait être exercée dans des limites raisonnables, ce qui n’aurait pas été le cas des propos litigieux du 8 mars 2012, qui n’auraient pas été préalablement soumis à la connaissance des supérieurs hiérarchiques, mais directement livrés au public et à la presse.
En ce qui concerne la gravité de la sanction encourue, le délégué du gouvernement fait valoir que l’ancienneté et l’absence d’antécédents disciplinaires auraient été prises en compte lors de la fixation de la peine disciplinaire de l’avertissement respectivement de la réprimande, tout en soulignant que ces deux peines seraient, en application de l’article 50 de la loi 16 avril 1979 à considérer comme non avenues si aucune nouvelle condamnation ne venait à être encourue dans les trois ans à venir. Il fait encore valoir que le demandeur aurait, nonobstant cette procédure disciplinaire, été nommé au grade d’adjudant avec effet au 19 novembre 2012.
Il conclut au rejet du recours.
La décision d’appel condamnant le demandeur à un peine de réprimande est motivée par les faits suivants : « -discours publics non autorisés (sujets militaires) - violation du secret professionnel - propos publics préjudiciables à l’image de l’Armée » Force est à cet égard de constater que l’absence de divulgation aux supérieurs hiérarchiques de donnés relatives à la sécurité de la nouvelle mission en Afghanistan, même si la décision déférée en fait référence dans ses propos introductifs n’a pas fait l’objet d’une sanction, la réprimande étant expressément et exclusivement motivée par les trois faits précités.
Il y a dès lors lieu de rejeter les moyens relatifs à un tel reproche.
A titre superfétatoire, force est au tribunal de constater que, contrairement à ce qui est affirmé par le délégué du gouvernement à ce sujet, le demandeur n’a effectivement pas violé ses devoirs professionnels tels que prévus par l’article 9.4 du statut général, selon lequel :
« Lorsque le fonctionnaire estime qu’un ordre reçu est entaché d’irrégularité, ou que son exécution peut entraîner des inconvénients graves, il doit, par écrit, et par la voie hiérarchique, faire connaître son opinion au supérieur dont l’ordre émane », alors que cette obligation, relative aux ordres de service potentiellement négatifs pour le service, n’est, en l’absence d’un tel ordre, pas applicable à l’espèce.
Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés8.
Il est constant que Monsieur AAA, en sa qualité de secrétaire du syndicat professionnel SPAL, a tenu le discours litigieux, dont l’extrait pertinent est cité en amont du présent jugement, dans le cadre du rapport d’activité du syndicat.
A titre liminaire, il échet de retenir, quant à la responsabilité pour le contenu des propos litigieux, que si le rapport d’activités, présenté au nom du comité du SPAL, est à considérer comme reflétant la volonté et les opinions dudit comité, ce discours a néanmoins été préparé, signé et présenté par son secrétaire général en la personne de Monsieur AAA.
8 Cf. Cour adm. 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 21 et autres références y citées.
Le droit disciplinaire, tendant à assurer la cohérence interne à l’administration en sanctionnant un agent qui a manqué à ses obligations et à sauvegarder sa crédibilité9, a mis en place un système de répression disciplinaire sur base de fautes disciplinaires individuelles.
Le demandeur ayant lui-même rédigé, signé, et prononcé les propos litigieux, force est au tribunal de retenir que, même si les propos sont censés refléter l’avis du comité du SPAL, Monsieur AAA est à considérer, en tant que membre dudit comité, comme faisant siens les propos tenus, de sorte que sa responsabilité personnelle est susceptible d’être engagée sur le plan disciplinaire.
Quant au premier reproche lié à la tenue d’un discours public sur des sujets militaires non autorisé, force est d’abord au tribunal de constater qu’il n’existe a priori aucune disposition légale ou réglementaire interdisant, par principe et de manière générale, à un militaire de tenir un discours public, sans en avoir préalablement obtenu la permission.
L’inexistence d’une telle interdiction va de pair avec la liberté d’expression et la liberté syndicale, invoquées par le demandeur et consacrées à l’article 3, alinéa 2 de la loi du 16 avril 1979 qui dispose que « le militaire a les mêmes droits constitutionnels que tout citoyen, sans préjudice de ses devoirs militaires légalement définis ».
L’article 11 (4) de la Constitution dispose que « (…) La loi garantit les libertés syndicales (…) » Aux termes de l’article 36 du statut général : « Les fonctionnaires jouissent de la liberté d’association et de la liberté syndicale » L'article 11 de la CEDH dispose comme suit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (…) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (…).» Les seules restrictions à la liberté syndicale prévue par l’article 11 de la CEDH doivent être prévues par la loi, dans un but légitime et nécessaire dans une société démocratique.
Tel que constaté ci-avant par le tribunal, aucun texte ne prévoit a priori une telle restriction voire interdiction.
C’est dès lors à tort que Monsieur AAA s’est vu reprocher d’avoir tenu un discours public, même sur des thèmes militaires, alors que la liberté syndicale dans le cadre de l’Armée ne peut se concevoir sans possibilité d’aborder des thèmes militaires au sens général.
9 Trib. adm. 12 mars 2008, n°22010a, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n° 180.
En ce qui concerne l’interdiction de traiter en public certains sujets spécifiques, force est de relever que ce n’est plus la liberté syndicale en tant que telle qui est mise en cause, mais essentiellement l’exercice excessif du droit à la liberté d’expression qui fait l’objet des deux autres faits reprochés au demandeur dans le cadre de la décision entreprise.
En effet, en ce qui concerne le reproche lié à la tenue non autorisée de discours, le libellé retenu dans la décision déférée met l’accent sur le caractère militaire du discours. Force est de constater que ce reproche se confond finalement avec celui de la violation du secret professionnel également libellé dans la décision déférée.
Quant au reproche tiré de la violation du secret professionnel, deux prescriptions légales sont invoquées, à savoir l’article 11 du statut général et l’article 10 de la loi du 16 avril 1979.
Quant à l’application des dispositions du statut général au militaire, il est rappelé, comme il a été retenu plus en amont, que le statut général est d’application générale pour tous les fonctionnaires dont les militaires font partie, et a vocation à s’appliquer à titre subsidiaire en l’absence de disposition spécifiques contraires.
Aux termes de l’article 11 alinéa 1er du statut général : « Il est interdit au fonctionnaire de révéler les faits dont il a obtenu connaissance en raison de ses fonctions et qui auraient un caractère secret de par leur nature ou de par les prescriptions des supérieurs hiérarchiques, à moins d’en être dispensé par le ministre du ressort. » L’article 10 de la loi du 16 avril 1979 dispose quant à lui que : « le militaire est tenu à la sauvegarde du secret. Il n´en est dispensé que par décision expresse de l´autorité compétente ».
Dans ce contexte, la partie étatique invoque encore l’article 3, aliéna 6 de la loi du 16 avril 1979, suivant lequel « Le supérieur observe, tant dans le service qu´en dehors du service, la réserve et la discrétion qui lui assureront la confiance de ses subordonnés. » Aux termes de l’article 5 de la loi du 16 avril 1979, la qualité de « supérieur » se définit en général par rapport au grade, de sorte que tout militaire est à considérer comme le supérieur de celui qui se trouve classé dans un grade inférieur du sien.
Monsieur AAA, doté du grade de sergent-chef, est à considérer comme supérieur hiérarchique des grades inférieurs au sien, à savoir, en application de l’article 18 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l'organisation militaire, les grades des premiers sergents, des sergents, ainsi que des hommes de troupe.
Alors que l’obligation de discrétion libellée à l’article 3 précité n’est pas expressément visée par la décision disciplinaire déférée et que l’obligation au secret professionnel est plus spécialement en cause en l’espèce, il y a lieu de limiter l’analyse sur la portée de l’article 10 précité de la loi du 16 avril 1979 et celle de l’article 11 précité du statut général, portant précisément sur l’obligation au secret professionnel.
Le champ d’application de ces deux dispositions est identique, alors qu’elles interdisent au fonctionnaire de divulguer des informations considérées comme secrètes, sauf autorisation expresse de la part de la hiérarchie.
Force est dès lors au tribunal de retenir que l’article 11 du statut général n’est pas écarté par les prescriptions de l’article 10 de la loi du 16 avril 1979 qui ne constitue qu’un rappel du principe général relatif au secret professionnel, de sorte que ces deux dispositions sont applicables au demandeur.
Il ressort dès lors de la combinaison de ces deux articles, que, sauf autorisation préalable contraire de la part de ses supérieurs hiérarchiques, le militaire est tenu de garder le silence sur les faits considérés comme secrets et dont il aurait eu connaissance dans le cadre de son activité professionnelle.
Les parties sont en désaccord sur la question du caractère secret des informations relatées dans le cadre du discours litigieux du 8 mars 2012, de sorte qu’il appartient au tribunal de porter son analyse sur cette question.
Il résulte de la combinaison des dispositions de l’article 10 précité de la loi du 16 avril 1979 et de l’article 11 du statut général, que les faits tombant sous l’obligation du secret sont ceux qui ont un caractère secret de par leur nature ou par prescription hiérarchique.
Il est constant qu’en l’occurrence les propos litigieux ont trait à des informations sur le lieu de déploiement des soldats luxembourgeois, ainsi que sur l’organisation logistique de la nouvelle mission leur octroyée, et notamment sur le type de véhicules mis à leur disposition à cet effet.
Force est au tribunal de retenir que de telles informations de stratégie militaire sont à considérer comme des informations à caractère secret de par leur nature, alors que la réussite et la sécurité de toute mission militaire dépend par essence de la confidentialité attachée à son organisation.
Par ailleurs, il échet de constater qu’en ce qui concerne le lieu de déploiement des soldats pour la nouvelle mission, il ressort du communiqué de presse, émanant du ministre de la Défense, relaté par l’organe de presse RTL, informant le public que « le contingent en Afghanistan de 9 soldats ts sera transféré en septembre avec l’armée belge de Kaboul à Kandahar » où il « assurera la surveillance de l’Aéroport », que le ministre n’avait pas tenu secret le lieu et le but de la nouvelle mission en Afghanistan.
En ce qui concerne l’équipement militaire, et notamment les véhicules prévus pour l’accomplissement de la mission de protection de l’aéroport de Kandahar, cette information ne ressort pas de l’article de presse en question.
Le ministre de la Défense n’avait dès lors pas divulgué, à ce stade, le type de véhicules mis à la disposition des militaires luxembourgeois dans le cadre de leur nouvelle mission.
S’il est vrai que la problématique du remplacement des véhicules de type DINGO par ceux de type HUMVEE a été rendue publique par la question parlementaire de Monsieur le député DDD en date du 13 février 2012, la partie étatique est à suivre en ce qu’elle souligne que la question du remplacement des véhicules n’y est évoquée qu’à la forme conditionnelle, dans l’objectif de solliciter du ministre de la Défense une prise de position sur la véracité de cette information.
Force est encore à constater qu’au jour du discours litigieux, à savoir le 8 mars 2012, le ministre n’avait pas encore répondu à la question parlementaire, laissant cette supposition ouverte au jour de l’assemblée générale du SPAL, dans le cadre de laquelle le demandeur s’y est référé non pas en soulignant le caractère hypothétique d’une telle affirmation, mais en traitant publiquement cette information comme vérifiée.
Dans la mesure où le demandeur, ensemble avec ses camarades, avait obtenu ces informations au cours d’un briefing de service de la part du capitaine CCC en date du 10 février 2012, et dans la mesure où le demandeur, en mettant personnellement un terme au caractère hypothétique du remplacement des véhicules mis à la disposition pour la nouvelle mission, il est à considérer comme ayant divulgué une information jusqu’alors secrète de par sa nature.
C’est dès lors à bon droit que la décision déférée s’est basée sur une violation de l’obligation au secret professionnel.
En ce qui concerne le troisième reproche, à savoir le fait d’avoir tenu des propos préjudiciables à l’image de l’armée, il est constant que le demandeur a prononcé la phrase suivante : « Mir mengen dass de Minister sech dem Risiko net bewosst ass, andeems en och schlecht vun eise Cheffen beroode get ».
S’il est vrai que la première partie de cette phrase commence par l’expression « mir mengen dass », laissant ainsi sous-entendre que l’affirmation selon laquelle le ministre ne serait pas conscient du risque encouru ne constitue qu’une simple impression personnelle du SPAL, force est au tribunal de constater que la deuxième partie de la phrase, relative au fait que le ministre serait mal conseillé par les supérieurs militaires et commençant par « andeems en och schlecht vun eise Cheffe beroode gett », n’est plus tempérée par l’expression d’une appréciation personnelle, mais dénote un caractère affirmatif certain.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier si une telle affirmation rentre dans le cadre de la liberté d’expression garantie par la CEDH à tout administré et plus particulièrement à celui qui s’engage dans le cadre d’une activité syndicale.
L'article 10 de la CEDH est libellé ainsi :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (…).
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (…) à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (…) ».
Il est rappelé que les restrictions à cette liberté d’expression, tout comme à la liberté syndicale, peuvent consister en des sanctions postérieures à un exercice excessif de ce droit, de sorte que la sanction disciplinaire, qui comme en l’espèce, se base sur un excès dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, est susceptible d’être analysée par le tribunal au regard des critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme10.
Dans son arrêt du 8 décembre 2009 dans une affaire Aguilera Jiménez et autres contre Espagne, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que les exceptions sont à interpréter de manière stricte par le juge national dans le cadre de sa marge d’appréciation des circonstances de l’espèce lui soumise11.
D’après les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, les restrictions à la liberté d’expression doivent être prévues par la loi, dans un but légitime et être nécessaires dans une société démocratique.
Le droit disciplinaire des militaires a pour objet de sanctionner les violations des obligations leur incombant du chef des règles qui leur sont applicables, à savoir en l’occurrence la loi du 16 avril 1979, prévoyant notamment en son article 9 que « les militaires doivent tenir compte de l’intérêt du service et s’abstenir de tout ce qui pourrait nuire à la bonne renommée de la force publique en général et du corps dont ils font partie », de sorte que la restriction à la liberté d’expression est à considérer comme prévue par la loi.
Cette restriction est également prévue dans un but légitime, à savoir la sauvegarde de l’image d’autrui, en l’occurrence la renommée de la force publique et du corps auquel le militaire est affecté.
En ce qui concerne la nécessité de la restriction à la liberté d’expression, cette dernière se résout par une analyse de la proportionnalité de la mesure de restriction prise par rapport au but légitime poursuivi12.
En l’espèce, le demandeur a publiquement affirmé que les cadres supérieurs de l’armée luxembourgeoise auraient mal conseillé le ministre de la Défense dans le cadre de la planification de la nouvelle mission en Afghanistan, et notamment quant au choix des véhicules militaires mis à disposition des soldats luxembourgeois dans le cadre de la protection de l’aéroport de Kandahar.
Force est au tribunal de retenir que, même si ces propos ont été tenus dans le cadre d’une activité syndicale, dont le but même est de pouvoir exprimer librement ses idées dans le souci d’une amélioration des conditions de travail, le discours ne peut cependant pas être excusé par un écart verbal dans le cadre d’un débat animé13, alors qu’il a été préparé à l’avance. Il contient également des accusations assez graves relatives à la compétence technique des hauts responsables militaires à conseiller judicieusement le ministre de la Défense dans le cadre de la préparation de la nouvelle mission militaire en Afghanistan. Or, s’il paraît légitime qu’un militaire, surtout dans le cadre de son activité syndicale, relève la o 10 Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 53, série A n 202.
11 Aguilera Jiménez et autres c. Espagne, 8 décembre 2009 o 12 Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 53, série A n 202.
13 Aguilera Jiménez et autres c. Espagne, 8 décembre 2009 question de l’opportunité d’utiliser des véhicules apparemment moins sécurisés que d’autres, il ne lui appartient toutefois pas, dans un tel contexte, de jeter publiquement le discrédit sur ses supérieurs hiérarchiques en mettant en doute leurs compétences professionnelles. Ainsi, l’exercice de la liberté d’expression peut valablement être restreint dans le souci de la protection de la réputation d’autrui.
Il est encore constant que le demandeur s’est abstenu, tant dans la phase précontentieuse qu’au cours des débats devant le tribunal, de fournir de plus amples détails quant à ce reproche exprimé à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques, de sorte que cette affirmation relative aux mauvais conseils donnés par les supérieurs militaires au ministre de la Défense reste à l’état de pure allégation mettant publiquement en doute leurs compétences professionnelles, discréditant ces derniers et nuisant ainsi fortement à la renommée de l’armée.
Il s’ensuit de ces considérations que la poursuite disciplinaire est à considérer comme pleinement justifiée sur base de la violation de secret professionnel et la tenue de propos préjudiciables à l’image de l’armée.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction retenue par la décision déférée, à savoir la peine de la réprimande, force est au tribunal de retenir que le demandeur est resté en défaut de fournir des éléments d’appréciation à cet égard de nature à pouvoir mettre en échec la motivation de la décision disciplinaire litigieuse, alors que cette dernière a pris en compte non seulement la gravité des faits reprochés, mais également l’ancienneté de service du demandeur et l’absence d’antécédents disciplinaire, de sorte qu’en l’état actuel du dossier, le tribunal, dans le cadre du recours en annulation, n’est pas en mesure de mettre en question la régularité de la décision à ce niveau.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de l’ordre de 1.500 euros formulée par le demandeur sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation, reçoit en la forme le recours principal en annulation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en réformation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 3 février 2014, par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 février 2014 Le greffier du tribunal administratif 27