Tribunal administratif Numéro 33415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 octobre 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 24 janvier 2014 Recours formé par Monsieur … et consort, France contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 333415 du rôle et déposée le 2 octobre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Rémi Chevalier, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au de nom de Monsieur …, demeurant à …, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de liquidateur de la société anonyme … S.A, en liquidation, ayant eu son siège social à …, tendant à l’annulation d’une décision prise en date du 28 août 2013 par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2013 ;
Vu l’ordonnance du 13 novembre 2013 autorisant la production de mémoires supplémentaires ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 12 décembre 2013 par Maître Rémi Chevalier pour le compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Rémi Chevalier, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2013.
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Le 28 août 2013, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-
après désigné par « le directeur », adressa à la société anonyme … S.A., en liquidation, ci-
après dénommée « la société … », une demande de fournir des renseignements en vertu de la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, ci-après désignée par la « loi du 31 mars 2010 », suite à une demande d’échange de renseignements du 6 août 2013 émanant des autorités françaises.
Par requête déposée en date du 2 octobre 2013 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …, pris tant en sa qualité de liquidateur de la société …, en liquidation, qu’en sa qualité de tiers concerné, a fait déposer un recours en annulation à l’encontre de la décision du directeur du 28 août 2013.
Etant donné que l’article 6 (1) de la loi du 31 mars 2010 dispose qu’un recours en annulation est prévu contre une décision portant injonction de fournir des renseignements, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée portant injonction de fournir des renseignements, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur demande à ce que l’affaire soit plaidée non pas en audience publique, mais en chambre du conseil, au motif qu’il y aurait lieu d’éviter que l’examen des moyens soulevés ne puisse être suivi par des représentants de l’autorité requérante, ce qui risquerait de porter atteinte à l’obligation au secret imposé à l’administration requise conformément à l’article 22, paragraphe 2 de la Convention conclue entre le Grand-Duché de Luxembourg et la France tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris, le 1er avril 1958, modifiée par un Avenant signé à Paris le 8 septembre 1970, par un Avenant signé à Luxembourg, le 24 novembre 2006 et par un Avenant signé à Paris le 3 juin 2009 et l’échange de lettres y relatif, ci-après dénommée « la Convention ». Il souligne que la tenue des débats en chambre du conseil s’imposerait jusqu’à la décision finale sur l’admission de l’entraide.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de cette demande en invoquant l’article 88 de la Constitution et en soutenant que la partie demanderesse resterait en défaut d’avancer un motif justifiant un huis clos.
En ce qui concerne le risque d’atteinte au secret avancé par le demandeur, ce moyen serait sans fondement au motif qu’il découlerait de l’article 22, paragraphe 2 de la Convention que tous les renseignements ainsi communiqués pourraient être révélés notamment au cours de l’audience publique des tribunaux.
A l’audience des plaidoiries du 22 janvier 2014, sur question afférente du tribunal, les parties se sont mises d’accord à limiter les débats sur cette question soulevée par le demandeur, de sorte que le tribunal se prononce par un jugement préalable sur la question de la publicité des débats à intervenir sur le bien-fondé du recours.
Aux termes de l’article 88 de la Constitution « Les audiences des tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l’ordre ou les mœurs, et, dans ce cas, le tribunal déclare par un jugement. » Pareillement, l’article 28 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999, dispose que « (1) Le tribunal prend ses décisions sur le rapport d’un de ses membres.
(2) Le rapport est fait en audience publique du tribunal par un de ses membres ;
après ce rapport, les mandataires des parties ainsi que les délégués du Gouvernement ou les mandataires par lesquels l’Etat est représenté à l’audience, sont entendus dans leurs observations orales.
(3) La délibération du tribunal n’est pas publique. […] » Le principe de la publicité des débats est dès lors ancré dans la Constitution, sous la réserve des hypothèses où cette publicité est dangereuse pour l’ordre ou les mœurs, hypothèse à retenir par le tribunal à travers un jugement, et est rappelé pareillement dans la loi du 21 juin 1999. A cet égard, il convient de préciser que la jurisprudence administrative retient que dans la mesure où la loi du 31 mars 2010 n’y déroge pas, les règles de procédure découlant de la loi du 21 juin 1999 doivent trouver application dans la présente matière1, partant y compris le principe de la publicité des débats tel que retenu par l’article 28 précité de cette même loi. Enfin, il convient de préciser que la loi du 31 mars 2010 ne prévoit aucune exception au principe de la publicité des débats.
Il s’ensuit qu’au regard du droit national applicable en la présente matière, la seule exception au principe de la publicité des débats se trouve inscrite à l’article 88 de la Constitution, à savoir l’hypothèse où cette publicité est dangereuse pour l’ordre ou les mœurs, hypothèse à apprécier par le tribunal.
Force est de constater qu’en l’espèce, le demandeur invoque comme seule cause de justification de la tenue des débats en chambre du conseil les dispositions de l’article 22, paragraphe 2 de la Convention, de sorte qu’il y a lieu de vérifier si cette disposition est susceptible d’être considérée comme cause de justification d’une exception au principe de la publicité des débats conformément à l’article 88 de la Constitution.
Aux termes de l’article 22, paragraphe 2 de la Convention, « Les renseignements reçus en vertu du paragraphe 1 par un Etat contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet Etat et ne sont communiqués qu’aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux ou les organes administratifs) concernés par l’établissement ou le recouvrement des impôts mentionnés au paragraphe 1, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts, par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts, ou par le contrôle de ce qui précède. Ces personnes ou autorités n’utilisent ces renseignements qu’à ces fins. Elles peuvent révéler ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements ».
1 Cf. Cour adm. 2 mai 2013, n° 32185C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu Cette disposition qualifiant de confidentiels « les renseignements reçus en vertu du paragraphe 1 par un Etat contractant », le paragraphe 1 du même article visant pour sa part de manière générale « les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente convention […] », il y a lieu d’en déduire que tous les renseignements échangés, c'est-à-dire non seulement ceux fournis par l’Etat requis, mais également ceux lui adressés par l’Etat requérant aux fins d’établir la pertinence vraisemblable y compris la demande de renseignement émanant de l’Etat requérant, sont couverts en principe par cette obligation de confidentialité.2 Force est cependant de constater que l’article 22, paragraphe 2 précité envisage expressément la possibilité de révéler les renseignements communiqués notamment « au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements ». En autorisant ainsi les autorités de l’Etat requis saisies de demandes de renseignements et celles de l’Etat requérant détentrices de renseignements obtenus à « révéler ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements », l’article 22, paragraphe 2, de la Convention admet implicitement, mais nécessairement que le contenu d’une demande de renseignements puisse être dévoilé dans le cadre d’une procédure contentieuse dirigée contre une décision nationale tendant à donner suite à une telle demande3, et n’exclut partant pas non plus que les débats sur le bien-fondé d’une telle procédure soient tenus en audience publique.
Il s’ensuit que contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, l’article 22, paragraphe 2 de la Convention ne constitue pas à un obstacle à la tenue des débats sur le bien-fondé de son recours en audience publique.
La circonstance, invoquée par le demandeur, que la Chambre du commerce dans son avis relatif au projet de la loi du n° 6072 a soulevé la question de la tenue des audiences à huis clos, ne permet pas, à défaut de dispositions législatives afférentes, de retenir une obligation de tenue des audiences en chambre du conseil.
Il s’ensuit que la demande tendant à ordonner la tenue des débats en chambre du conseil est à rejeter comme étant non fondée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
2 Voir TA 6 février 2012, n° 29592 du rôle disponible sous www.jurad.etat.lu 3 ibidem au fond, avant tout autre progrès, dit qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant voir ordonner que les débats soient tenus en chambre du conseil ;
fixe l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique du mercredi, 29 janvier 2014, à 9:00 heures ;
réserve les moyens ainsi que les frais ;
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 24 janvier 2014, à 11:00 heures, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24.01.2014 Le Greffier du Tribunal administratif 5