Tribunal administratif N° 33667 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2013 1re chambre Audience publique du 22 janvier 2014 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33667 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2013 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 8 novembre 2013 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du même ministre du 8 novembre 2013 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame la délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en ses plaidoiries à l’audience publique du 20 janvier 2014.
Le 5 septembre 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du même jour, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … fut également entendu le 21 octobre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 8 novembre 2013, envoyée par recommandé le 11 novembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006, laquelle avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2013, Monsieur … a introduit un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du « 11 octobre 2013 (…) notifiée le 16 octobre 2013 » de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du même ministre du « 11 octobre 2013 (…) notifiée le 16 octobre 2013 » refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision, le dispositif de la requête introductive d’instance pour sa part identifiant correctement la décision déférée comme étant datée du 8 novembre 2013.
A l’appui de ce recours et en fait, le demandeur expose être un ressortissant du Monténégro de confession musulmane, représentant une minorité ethnique, et avoir régulièrement fait l’objet de menaces non autrement précisées dans son pays d’origine, sans que la justice de son pays ait été capable, par laxisme, de le protéger. S’il concède qu’il s’agirait des « prémices d’une affaire de droit commun purement interne à son pays », il estime toutefois qu’il ne chercherait « ni plus ni moins qu’à protéger sa vie ».
1) Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours concernant ce volet de la décision, le demandeur critique le fait que le ministre aurait retenu que « la demande de protection internationale de Monsieur PEPIC (sic) ne soulèverait que des faits sans pertinence et qu’il ne remplirait pas clairement les conditions pour prétendre au statut de réfugié, ce pour justifier l’application d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 § 1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 ».
Après avoir cité l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 et les cinq motifs de persécution retenus par la Convention de Genève, il affirme être convaincu que la minorité qu’il représente ne serait pas suffisamment protégée par les autorités judiciaires et policières de son pays, de sorte qu’il sollicite que « le juge de la réformation, subsidiairement de l’annulation opère un contrôle plein et entier sur le respect des dispositions de la loi de 2006 ».
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de Monsieur … le cadre d’une procédure accélérée, dès lors que la situation du demandeur correspondrait aux deux hypothèses visées par le ministre au fondement de sa décision.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est en effet fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
(…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» En l’espèce, il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant la liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 retient la République du Monténégro comme constituant un pays d’origine sûr. Or, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité monténégrine et qu’il a vécu au Monténégro avant de venir au Luxembourg.
Dès lors que l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-
ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
Il convient à cet égard et de prime abord de relever que le demandeur n’a à ce sujet formulé aucun moyen, si ce n’est d’affirmer sans autre précision qu’il serait convaincu que la minorité qu’il représente ne serait pas suffisamment protégée par les autorités judiciaires et policières de son pays.
Or, force est de constater que cette seule affirmation non autrement précisée et circonstanciée laisse manifestement de rencontrer les exigences pourtant peu élevées relativement à la précision de l’exposé des moyens. S’il suffit en effet que cet exposé soit simplement sommaire pour satisfaire aux exigences légales afférentes, il ne saurait pour autant se réduire à une vague affirmation sans indication d’éléments concrets, spécifiques à la situation particulière du demandeur.
Par ailleurs, et au-delà de ce constat, l’analyse de la situation personnelle décrite par le demandeur lors de son audition ne permet pas au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise - de dégager les éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle. Bien qu’il ressorte des propos de Monsieur … -
ainsi que postérieurement - de sa requête introductive d’instance qu’à ses yeux les autorités judiciaires et policières du Monténégro ne seraient pas à même d d’assurer sa protection - encore que le demandeur évoque dans sa requête introductive d’instance les autorités de la Serbie, pays tiers - parce qu’elles seraient laxistes, il ne résulte pas de son récit qu’il n’aurait personnellement pas pu solliciter la protection des autorités nationales ou que celles-ci auraient refusé de l’aider. Il se dégage en effet du rapport d’audition du demandeur qu’il n’a tout simplement pas sollicité la protection des autorités monténégrines au prétexte que celles-ci n’auraient de toute façon pas pu ni voulu le protéger, le demandeur tirant prétexte que son père, dont il affirme craindre les menaces, condamné pour violences domestiques à un mois de prison, aurait été libéré après avoir purgé seulement la moitié de sa peine1, le demandeur, sans autre fondement, expliquant cette libération anticipée par le laxisme de la police eu égard au fait qu’il appartiendrait à l’ethnie minoritaire albanaise de son pays. Le tribunal relève cependant qu’il ne s’agit là que d’allégations sans fondement de la part du demandeur, qui n’a pas trait à sa situation particulière, tout en étant à l’inverse réfutées par les différents rapports citées par la décision ministérielle déférée, laquelle expose sur base de ces documents l’existence d’un système judiciaire indépendant au Monténégro, la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés ainsi que l’existence d’organisations de la société civile, tout comme la décision explique, pièces à l’appui, le bilan satisfaisant du Monténégro en matière de réformes, ainsi que de lutte contre la corruption et le crime organisé, voire les réels progrès réalisés en ce qui concerne l’Etat de droit et la lutte contre la corruption.
Enfin, la décision ministérielle, sans que le demandeur n’ait pris d’une quelconque façon position y relativement, démontre que les minorités sont respectées au Monténégro en droit et en pratique, tout comme elle explique la réalité et l’efficacité de la présence policière de proximité.
Par ailleurs, il appert, comme relevé ci-avant, que le demandeur n’a jamais requis officiellement et formellement la protection des autorités monténégrine en déposant une plainte à l’encontre de l’auteur des persécutions alléguées, en l’occurrence son propre père. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’agressions ou de menaces physiques, communément la forme d’une plainte. Par ailleurs, si le demandeur avait effectivement eu l’impression que les policiers le cas échéant contactés auraient refusé de lui accorder la protection requise, il lui aurait toujours été possible de se plaindre du comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure ou de porter sa plainte par-devant d’autres policiers, ce qu’il n’a toutefois pas fait. En effet, la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les 1 P.3/7 du rapport d’audition.
agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. A cet égard, il aurait appartenu au demandeur, avant de baisser tout simplement les bras et de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par ses propres autorités et institutions nationales, et non de s’abstenir de toute tentative en ce sens, pour ensuite prétendre que la police ne serait pas intéressée, de sorte que le demandeur ne saurait conclure à une absence, respectivement à un refus de protection effectif.
Le demandeur n’a donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la République du Monténégro est à considérer comme pays d’origine sûr.
Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’invoque pas de faits démontrant que le Monténégro ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’il est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
2. Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de ce volet du recours, Monsieur … invoque les mêmes faits imprécis que ceux avancés dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, pour affirmer péremptoirement qu’il ressortirait « de ce qui précède » que les conditions quant à l’attribution du statut de protection internationale « aux requérants » seraient remplies, sinon que les conditions pour octroyer la protection subsidiaire seraient remplies en l’espèce et pour prétendre à la réformation de la décision ministérielle pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.
Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale du demandeur.
En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale2. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut3.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation 2 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions -
cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Comme le tribunal vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur n’a jamais, à quelque niveau que ce soit, tenté d’obtenir la protection des autorités monténégrines, le demandeur n’ayant en particulier pas porté plainte à l’encontre de son père le menaçant. Quant au niveau de la procédure contentieuse, il convient de relever que la requête introductive d’instance reste muette quant aux persécutions concrètement subies par le demandeur, de sorte qu’il y a là également lieu de se référer à l’audition du demandeur, dont il résulte en substance que Monsieur … craindrait les menaces de son père, personnage violent, qui le soupçonnerait d’avoir une relation avec sa propre compagne, mais que le demandeur n’a jamais tenté d’obtenir l’intervention des autorités monténégrines, respectivement n’a jamais porté plainte à l’encontre de son père.
Outre que les problèmes mis en avant ne reposent sur aucun des motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, le demandeur n’ayant en effet pas été menacé du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de ses appartenance à un certain groupe social, de sorte que les prétendues persécutions mises en avant ne reposent sur aucun des motifs relevant de la Convention de Genève et partant du statut de réfugié, le tribunal relève encore que le demandeur, confronté aux explications du ministre relatives aux possibilités tant théoriques que pratiques de protection et aux structures judiciaires et policières au Monténégro, réitérées dans le cadre de la procédure contentieuse, sources internationales à l’appui, n’a fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités monténégrines seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il ne saurait, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.
Il s’ensuit que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal, statuant par rapport à ce volet en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, le Monténégro n’étant pas seulement à considérer abstraitement comme pays d’origine sûr du fait de son énumération sur la liste des pays d’origine sûrs, mais également concrètement, compte tenu de la situation individuelle du demandeur et des moyens contenus dans sa requête introductive d’instance, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
3. Quant au recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
A l’appui de ce volet du recours, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire en vertu d’un prétendu « principe de précaution » non autrement expliqué.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 novembre 2013 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 novembre 2013 portant refus d’une protection internationale à Monsieur … ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 novembre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 janvier 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen 10