Tribunal administratif Numéro 32213 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2013 3e chambre Audience publique du 22 janvier 2014 Recours formé par Monsieur …et consort, … contre deux décisions de la commission instituée sur base du règlement grand-ducal modifié du 5 mai 2011 en matière d’aides au logement
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32213 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 mars 2013 par Maître Luc Jeitz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …et de son épouse, Madame …, demeurant ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du 12 mars 2012 de la commission instituée sur base du règlement grand-ducal modifié du 5 mai 2011 concernant les aides au logement, demandant le remboursement de la bonification d’intérêt perçue par eux à partir du 1er décembre 1997 et d’une décision du 21 décembre 2012 de la même commission confirmant sa décision du 12 mars 2012 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2013 par Maître Luc Jeitz au nom des requérants ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Luc Jeitz et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 janvier 2014.
Par un courrier du 12 mars 2012, la commission instituée sur base du règlement grand-
ducal modifié du 5 mai 2011 fixant les mesures d’exécution relatives aux aides individuelles au logement promouvant l’accès à la propriété et prévues par la loi modifiée du 25 février 1979, ci-après désignés respectivement « la commission » et « le règlement grand-ducal du 5 mai 2011 », informa Monsieur …, et son épouse, Madame …, de ce qu’elle a dû procéder à un recalcul de l’aide en intérêts leur accordée à partir du 1er décembre 1997 et réclama le remboursement de la bonification d’intérêt d’un montant total de …€ leur payée. Cette décision est libellée comme suit :
« Par la présente, la commission, instituée sur base du règlement grand-ducal modifié du 5 mai 2011 concernant les aides au logement et composée de MM. …, …, … et …, est au regret de vous informer qu'elle a dû procéder à un recalcul de votre aide en intérêts à partir du 1er décembre 1997, étant donné que Monsieur …est devenu copropriétaire d'un deuxième logement sis à … en date du 24 août 1995.
En effet, l'article 50 du prédit règlement grand-ducal stipule que : « La bonification d'intérêt prévue à l'article 14bis de la loi est accordée au demandeur qui remplit les conditions suivantes: (…) 3. ne pas être propriétaire, copropriétaire ou usufruitier d'un autre logement (…) ».
A noter que pour l'application dudit règlement, l'article 1 précise qu'il y a lieu d'entendre par demandeur : « la ou les personnes physiques qui introduisent et signent une demande en obtention d'une aide; le demandeur doit d'office englober la ou les personnes ayant la pleine et exclusive propriété du logement pour lequel une aide est sollicitée; en cas de mariage respectivement en cas de partenariat, les deux époux respectivement les deux partenaires doivent signer la demande ; (…) ».
De ce fait, la bonification d'intérêt indûment touchées est à rembourser au Trésor, à savoir:
Type de l'aide Montant Bonification d'intérêt … Sous-total :
… La présente décision a été prise à l'unanimité des voix.
La commission susmentionnée vous prie de rembourser la somme de …euros sur le compte du Service des Aides« au Logement numéro … auprès de la … à ….
Si, pour l'une ou l'autre raison, il ne vous était actuellement pas possible de régulariser cette situation, n'hésitez pas à contacter Monsieur …(tél.: …) du Service des Aides au Logement. Il recherchera bien volontiers avec vous, parmi la gamme des facilités possibles, celle qui pourrait le mieux répondre à vos moyens. » Par un courrier de leur mandataire du 23 mai 2012, les époux …firent introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision. Par un courrier du 4 septembre 2012, le responsable du service des aides au logement réclama à Monsieur …un certain nombre de pièces, que son mandataire fit parvenir au service en question par un courrier du 3 octobre 2012.
Par une décision du 21 décembre 2012, la commission confirma sa décision du 12 mars 2012 dans les termes suivants :
« Se référant à l'affaire émargée, la commission, instituée sur base du règlement grand-ducal modifié du 5 mai 2011 concernant les aides au logement et composée de Mme …, MM. …, … et …, est au regret de vous informer qu'elle doit maintenir sa décision de remboursement du 12 mars 2012 étant donné que jusqu'à présent aucun élément nouveau susceptible d'influencer la décision de la prédite commission n'est intervenu.
En effet, l'article 46 du prédit règlement grand-ducal précise que : « La bonification d'intérêt prévue à l'article 14bis de la loi est accordée au demandeur qui remplit les conditions suivantes: (…) 3. ne pas être propriétaire, copropriétaire ou usufruitier d'un autre logement; (…) ».
A noter que pour l'application dudit règlement, l'article 1 précise qu'il y a lieu d'entendre par : « (…) - demandeur: la ou les personnes physiques qui introduisent et signent une demande en obtention d'une aide; le demandeur doit d'office englober la ou les personnes ayant la pleine et exclusive propriété du logement pour lequel une aide est sollicitée; en cas de mariage respectivement en cas de partenariat, les deux époux respectivement les deux partenaires doivent signer la demande; (…) ».
Etant donné qu'il ressort du dossier que Monsieur …est devenu copropriétaire d'un logement sis à … en date du 24 août 1995, force est de constater que depuis le début de la liquidation de la bonification d'intérêt pour le logement sis à …, le ménage en question était (co-)propriétaire de plusieurs logements et, de ce fait, la bonification d'intérêt indûment touchée pendant la période de décembre 1997 jusqu'à décembre 2004 est à rembourser au Trésor.
Partant, les aides indûment touchées au montant total de … euros sont à rembourser sur le compte du Service des Aides au Logement, numéro …, auprès de la … à ….
La présente décision a été prise à l'unanimité des voix.
Compte tenu qu'à l'heure actuelle, la législation en matière d'aides au logement ne prévoit pas de prescription pour les demandes de remboursement des aides au logement, la prescription de droit commun est ici applicable, à savoir la prescription trentenaire (article 2262 du Code civil), et ceci aussi longtemps que la législation ne prévoit aucune prescription particulière à cet égard. La question de légalité d'un recouvrement d'une dette existant envers le Département du logement depuis plus de 5 ans ne se pose donc pas dans la présente affaire.
Cependant, la commission propose, conformément à l'article 8 du règlement grand-
ducal modifié du 5 mai 2011, un remboursement échelonné.
Veuillez donc soumettre au Ministre du Logement une proposition de remboursement adaptée aux moyens financiers de vos mandants. […] » Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 mars 2013, Monsieur …et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux …», ont fait introduire un recours principal en réformation et subsidiaire en annulation, qui est dirigé, tel que cela a été confirmé par le mandataire des demandeurs à l’audience des plaidoiries sur question afférente du tribunal, au regard d’une ambiguïté au dispositif de la requête introductive d’instance à cet égard, contre les décisions des 12 mars et 21 décembre 2012, précitées.
Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée. Il s’ensuit que, tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le tribunal est pareillement incompétent, tel que cela a été soulevé d’office à l’audience des plaidoiries par le tribunal, pour connaître de la demande tendant à voir débloquer les sommes retenues sur le compte du notaire …, étant donné que le tribunal administratif est une juridiction d’exception dont la compétence est limitée au contrôle des décisions administratives, respectivement actes règlementaires, sans qu’il ne soit dès lors compétent pour ordonner une telle mesure.
Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement demande au tribunal de déclarer le recours sans objet au motif que par une décision du 16 mai 2013, la commission a décidé de réduire le montant de la bonification d’intérêts dont le remboursement est réclamé de la somme de …€ au montant de …€.
A cet égard, les époux …font valoir dans leur mémoire en réplique qu’ils auraient toujours un intérêt à agir en annulation contre les décisions attaquées, étant donné que la commission exigerait toujours le remboursement d’une partie des bonifications d’intérêts touchées, à savoir un montant …€.
Le tribunal constate qu’il est certes exact qu’en date du 20 juin 2013, la commission a pris une nouvelle décision et a informé les époux …qu’elle a décidé de procéder à un recalcul de la bonification d’intérêts visant la période de mai 2004 jusqu’à décembre 2004 et qu’elle réclame le remboursement d’une somme de …€ au motif que le ménage formé par les demandeurs était devenu propriétaire d’un deuxième logement sis à… en date du 29 avril 2004, tout en précisant que cette décision annule et remplace celle du 12 mars 2012 et que la différence entre la somme réclamée en vertu de la décision du 12 mars 2012 et de celle du 20 juin 2013 sera restituée. Néanmoins, force est de constater qu’au jour de l’introduction du présent recours, les décisions des 12 mars 2012 et 21 décembre 2012 existaient et faisaient grief aux époux …, de sorte qu’à cette date, à laquelle l’existence de l’objet du recours dans le cadre d’un recours en annulation et l’intérêt à agir doivent être appréciés, le recours avait un objet et l’intérêt à agir des demandeurs se trouvait vérifié.
Force est cependant encore de constater qu’au regard des termes employés dans la décision du 20 juin 2013, la commission précisant que sa décision « annule et remplace » celle du 12 mars 2012, il y a lieu d’admettre que la commission a procédé au retrait rétroactif de la décision du 12 mars 2012. S’il est vrai que la commission n’a pas formellement précisé qu’elle annule également la décision confirmative du 21 décembre 2012, le tribunal est amené à retenir qu’implicitement mais nécessairement cette décision a également été annulée rétroactivement à travers celle du 20 juin 2013, étant donné que cette décision est confirmative de celle du 12 mars 2012.
Par conséquent, l’objet du recours, qui a certes existé au moment de son introduction, n’a pas subsisté jusqu’au prononcé du jugement, mais a disparu ab initio du fait du retrait avec effet rétroactif de la décision déférée. C’est dès lors à juste titre que la partie étatique plaide que le recours a perdu son objet au cours de la procédure contentieuse.
Il s’ensuit que le recours est à rejeter, faute d’objet, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les moyens présentés par les demandeurs, le tribunal ne pouvant plus annuler une décision qui a disparu rétroactivement de l’ordonnancement juridique par l’effet de la décision du 20 juin 2013.
Il convient encore de préciser que les demandeurs font certes toujours l’objet d’une demande en remboursement d’une partie des bonifications d’intérêts touchés par eux.
Néanmoins, cette demande de remboursement ne se dégage plus de la décision du 12 mars 2012, ni de celle du 21 décembre 2012, ces décisions ayant disparu par l’effet de celle du 20 juin 2013, tel que cela a été retenu ci-avant, mais cette demande de remboursement se dégage de la nouvelle décision du 20 juin 2013, qui ne fait cependant pas l’objet du présent recours.
Les demandeurs réclament encore une indemnité de procédure de l’ordre de 2.000 €, demande qu’ils déclarent, aux termes du mémoire en réplique, maintenir formellement malgré la nouvelle décision intervenue, en soulignant que l’administration aurait plusieurs fois changé d’avis à leur égard et les aurait forcé d’agir devant le tribunal administratif. En effet, début septembre 2012, ils auraient été informés du gestionnaire de leur dossier que l’Etat renoncerait à revendiquer le remboursement de la somme de … € et qu’il y aurait lieu de compléter le dossier par certaines pièces afin de faire droit à leur demande. Par la suite, la commission aurait changé de position en maintenant quand même la demande de remboursement de la somme litigieuse, pour ensuite, après le dépôt du présent recours, de nouveau changer de position en leur notifiant une nouvelle décision favorable le 20 juin 2013.
Le tribunal constate que, d’après les explications fournies par le délégué du gouvernement, non contestées à cet égard par les demandeurs, le retrait rétroactif des décisions déférées est le résultat d’une jurisprudence de la Cour administrative et traduit partant le souci de l’administration de se conformer à cette jurisprudence, et non pas le résultat du présent recours. C’est dès lors à tort que les demandeurs soutiennent qu’il serait inéquitable de laisser les frais non compris dans les dépens à leur charge puisqu’ils n’auraient pu obtenir satisfaction et provoquer le changement de position de l’administration qu’en introduisant le présent recours.
La demande en paiement d’une indemnité de procédure est partant rejetée en ce que les éléments du présent dossier ne permettent pas de retenir qu’il est inéquitable, malgré l’issue du litige, de laisser aux demandeurs l’unique charge des frais d’avocat.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
se déclare encore incompétent pour connaître de la demande tendant à ordonner la libération des sommes bloquées sur le compte du notaire … ;
dit que le recours subsidiaire en annulation est devenu sans objet, partant le rejette ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2014 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22.01.2014 Le Greffier du Tribunal administratif 6