Tribunal administratif N° 33614 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 novembre 2013 1re chambre Audience publique du 13 janvier 2014 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33614 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2013 par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le .. à … (Serbie), agissant en son nom personnel et au nom de ses enfants mineurs, …, né le 5 juin 2000 à …(Serbie) et …, née le … à …, tous de nationalité serbe, demeurant ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre et du même jour refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandrine FRANCIS, en remplacement de Maître Arnaud RANZENBERGER, et Madame la délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 janvier 2014.
Le 12 septembre 2013, Madame …, accompagnée de ses deux enfants mineurs … et …, ci-
après dénommés « les consorts …», introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
En date du même jour, ils furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Madame …fut entendue le 14 et le 17 octobre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 30 octobre 2013, envoyée par recommandé le 31 octobre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts…qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que cette demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2013, les consorts…ont introduit un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 30 octobre 2013 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
1) Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Madame…dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours concernant ce volet de la décision, Madame…explique être de nationalité serbe, et avoir subi des persécutions en raison de son appartenance à l’ethnie rom. Elle souligne qu’elle-même et ses enfants se seraient constamment fait frapper par son compagnon.
Ce dernier l’aurait également régulièrement obligée à avoir des relations sexuelles avec des camarades à lui, le tout devant les yeux de ses enfants mineurs. La police appelée sur place n’aurait cependant pas daigné venir à son aide de manière efficace et n’aurait rien entrepris afin d’éviter que son compagnon ne vienne la harceler dans le logement rudimentaire dans lequel elle se serait réfugiée avec ses enfants. De plus le fils de Madame…aurait été victime de persécutions dans son établissement scolaire en raison de son appartenance à l’ethnie rom.
La demanderesse fait plaider en droit que sa demande de protection internationale reposerait sur des motifs suffisamment clairs, détaillés et précis pour que soit exclu le recours à une procédure accélérée, alors que le ministre se serait quant à lui prononcé sur base de considérations d’ordre général, relatives à la situation générale en Serbie, sans vérifier si les avancées mises en exergue étaient effectivement suivies d’effet au niveau local. La décision querellée devrait donc être annulée pour erreur manifeste d’appréciation, sinon excès de pouvoir, sinon violation de la loi destinée à protéger des intérêts privés.
Le représentant étatique est, quant à lui, d’avis qu’en déposant sa demande de protection internationale et en exposant les faits, Madame…n’aurait soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
En effet, d’après le délégué du gouvernement, les mauvais traitements subis de la part de la famille de son premier concubin en l’an 2000 seraient trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale, tandis que les actes de violence domestique, insultes et menaces subis depuis 2004 par son deuxième concubin se sauraient être qualifiés d’une gravité suffisante pour tomber dans le champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève ».
Quant au point b) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 tel qu’il est invoqué par le ministre, le délégué du gouvernement estime qu’il apparaîtrait clairement que la demanderesse ne remplirait pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, étant donné que les problèmes soulevés par elle, ne rentreraient pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève et par la loi du 5 mai 2006. Les violences de la part de son concubin, ainsi que les viols de la part des camarades de ce dernier, les insultes et menaces de la part des passants, ne constitueraient que des délits de droit commun punissables par la législation serbe et n’émaneraient que de personnes privées, de sorte que de telles persécutions ne pourraient rentrer dans le champ d’application de la protection internationale qu’en cas de défaut de protection de la part des forces de l’ordre de la Serbie, ce qui ne serait pas établi en l’espèce. En effet, la demanderesse n’aurait pas saisi l’Ombudsman de ses doléances vis-à-vis des services de la police serbe, de sorte qu’elle resterait en défaut de rapporter la preuve de l’absence de protection de la part des autorités serbes.
La partie étatique souligne encore que la Serbie serait à considérer comme pays d’origine sûr, étant donné qu’elle figurerait sur la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désigné ci-
après par « le règlement du 21 décembre 2007 ». La Serbie veillerait au respect des principes de liberté de démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ce qui serait encore corroboré par son statut de candidat officiel à l’Union Européenne obtenu en date du 1er mars 2012. La situation personnelle de la demanderesse ayant fait l’objet d’un examen individuel et détaillé n’aurait pas contredit le constat de pays d’origine sûr pour la Serbie.
Le délégué du gouvernement en conclut que ce serait à juste titre que le ministre a examiné la demande de protection internationale de Madame…dans le cadre de la procédure accélérée.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a), b) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;
b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
En ce qui concerne plus précisément le point a) de l’article 20 (1) précité, visant l’hypothèse où le demandeur ne soulève que des faits sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par le protection internationale, il appartient au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 de vérifier, sur base des moyens invoqués, si c’est à bon droit que le ministre a fait application du prédit article, et plus particulièrement du point a) de l’article 20 (1), afin de décider de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
A cet égard, il y a d’abord lieu de souligner que contrairement à ce que semble suggérer la partie étatique dans le cadre de son mémoire en réponse, les faits invoqués par la demanderesse ne peuvent pas être qualifiés d’être d’une gravité insignifiante, alors que la demanderesse explique que depuis 2004, le comportement de son dernier concubin a été de plus en plus violent, et ce tant à son égard qu’à celui de ses deux enfants mineurs. Il ressort du récit circonstancié de la demanderesse, qu’elle-même et ses enfants ont subi des violences et menaces quotidiennes de la part du concubin de cette dernière, qui n’a pas non plus mis fin à son comportement une fois qu’elle avait quitté le domicile commun. La demanderesse a encore expliqué que son concubin a régulièrement, à raison de plusieurs fois par mois, ramené à la maison des camarades à lui, en l’obligeant à avoir des relations sexuelles avec ces derniers dans la même chambre où étaient couchés les enfants, terrorisés par le fait de devoir assister à ces viols.
S’il n’est effectivement pas aisé de suivre la demanderesse en ce qu’elle prétend que ces actes de violence domestique seraient motivés par son appartenance à l’ethnie minoritaire des Rom, il résulte néanmoins des explications, non autrement contestées de cette dernière, que la mauvaise volonté de la part des policiers à lui venir en aide de manière efficace a été souvent ouvertement motivée par son appartenance ethnique. Ainsi, comme l’explique la demanderesse dans son récit, la police locale a refusé de donner une suite à ses appels en arguant qu’il s’agissait « d’une affaire de Roms ». Appelés à la maison pour mettre fin aux agressions de la part du concubin, les policiers, au lieu de s’occuper de ce dernier, ont invité la demanderesse de laisser ses enfants sur place et de faire un tour dehors pour se calmer. Ils ont ensuite amené la demanderesse au commissariat de police où elle a été assignée à prendre place sur un banc, sans qu’elle ne fut jamais entendue sur l’incident en cause. Lorsque, sans nouvelles quant aux suites y réservées par la police, la demanderesse s’est ouvertement fait des soucis au sujet de ses enfants, elle a dû essuyer une remarque d’un policier s’étonnant qu’une Rom était capable de s’inquiéter au sujet de ses enfants. Au moment de l’intervention de la police suite un des viols, cette dernière indiqua à la demanderesse qu’elle aurait eu ce qu’elle aurait cherché.
Il ressort également des explications de Madame…que la police n’a jamais fait de zèle pour donner un suivi efficace aux problèmes de violence domestique. La demanderesse affirme ne jamais avoir eu de procès-verbal de ce qui a été constaté par la police. Elle n’a pas non plus eu l’occasion de déposer une plainte officielle avec récépissé à l’encontre de son concubin. Au lieu d’interroger le concubin, la police s’est à chaque fois limitée à éloigner la demanderesse du domicile commun. Quant la demanderesse fut amenée au commissariat de police, elle a été délaissée pendant des heures sur un banc, à l’intérieur ou à l’extérieur du commissariat, pour la renvoyer à la maison après un certain temps, sans que jamais un policier ne vienne recueillir sa déposition.
Au moment où la demanderesse a voulu se plaindre auprès du supérieur hiérarchique des policiers en charge, ce dernier l’a tellement impressionné à l’aide de sa matraque de sorte qu’elle n’osait plus rien dire.
Nonobstant le fait que le ministre et le délégué du gouvernement reprochent à la demanderesse de ne pas avoir utilisé d’autres voies de recours existantes en Serbie, comme l’Inspectorat de la Police (Internal Control Sector), respectivement le service du médiateur, force est au tribunal de retenir, que cette dernière, dans sa situation de mère célibataire particulièrement vulnérable, face aux moqueries, insultes et menaces répétées subies de la part des policiers, ainsi que face au laissez-faire constant de ces derniers, pouvait raisonnablement estimer qu’elle ne pouvait plus s’attendre à une protection efficace de la part des autorités de son pays.
A cet égard, force est au tribunal de constater que même si les faits à la base de sa demande de protection internationale, n’avaient pas trait à sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social et ne tombant de ce fait a priori pas sous le champ d’application de la Convention de Genève, le défaut de protection caractérisé est a priori susceptible de constituer une atteinte grave telle que visée à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, étant donné que l’inaction délibérée de la police a exposé la demanderesse et ses enfants aux pires violences tant physiques que sexuelles de la part de son concubin.
Il résulte des considérations qui précèdent que la demanderesse s’est au moins prévalue dans le cadre de sa demande de protection internationale d’atteintes d’une certaine gravité présentant a priori une certaine pertinence au regard de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006. Il y a encore lieu de relever que confrontée à ce moyen d’annulation dans la requête introductive d’instance, la partie étatique n’a pas essayé de rectifier, respectivement compléter la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale sous analyse dans le cadre d’une procédure accélérée, mais s’est contentée d’insister sur le fait que les faits invoqués par la demanderesse ne serait pas suffisamment graves pour être invoqués dans le cadre d’une demande de protection internationale au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.
Au vu des conclusions qui précèdent, force et au tribunal de retenir que c’est à tort que le ministre a conclu que la demanderesse n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Il s’ensuit que c’est à tort que le ministre a basé sa décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Madame…dans le cadre d’une procédure accélérée sur base du point a) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne la motivation tirée du point b) de l’article 20 (1) précité, à savoir le reproche que la demanderesse ne remplirait pas clairement les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, force est de constater que la partie étatique se limite à vérifier exclusivement l’existence des conditions d’attribution du statut de réfugié sans vérifier les condition d’octroi de la protection subsidiaire. En tout état de cause en ce qui concerne les critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, il est renvoyé aux considérations prises plus haut suivant lesquelles il ressort du récit de la demanderesse que le manque de zèle des policiers étant souvent ouvertement lié à l’origine ethnique de cette dernière. Force est dès lors au tribunal de constater que le ministre s’est à tort basé sur le point b) de l’article 20 (1) précité.
En ce qui concerne la motivation à la base de la décision déférée concernant la qualification de la Serbie comme étant un pays d’origine sûr au sens du point c) de l’article 20 (1), précité, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivants : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant en cause que la Serbie figure sur la liste des pays d’origine sûrs établie par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que la demanderesse a la nationalité serbe et qu’elle a habité en Serbie avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée.
Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-
ducal modifié du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
Or, l’analyse de la situation personnelle décrite par la demanderesse amène le tribunal – tel que retenu déjà ci-avant - à conclure que, la Serbie, indépendamment des progrès décrits par le délégué du gouvernement, n’est pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, étant donné que, comme relevé ci-avant par le tribunal, la demanderesse, dans sa situation personnelle particulièrement vulnérable, après de maintes intimidations et de mauvais traitements de la part des forces policières, a valablement pu conclure à une absence de protection adéquate de la part de ces dernières, de sorte que la demanderesse est à considérer comme ne pouvant se prévaloir d’une protection efficace de la part des autorités locales serbes, et ce, même si elle n’a pas épuisé toutes les voies de recours théoriques à sa disposition, telle que l’inspectorat de la police et le service du médiateur. Il faut en effet de relever que, s’il est particulièrement délicat et douloureux pour une femme victime de maltraitances domestiques et sexuelles de les dénoncer, il ne peut pas lui être reproché de finalement baisser les bras après avoir constaté, comme en l’espèce, que malgré ses itératifs appels à l’aide, elle n’a non seulement pas été prise au sérieux par la police, mais que cette dernière, tout en refusant d’appréhender le coupable afin de faire cesser les violences, s’est à chaque fois limitée à l’intimider et à se moquer d’elle.
Dès lors, c’est également à tort que le ministre a basé la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à tort que le ministre a estimé qu’il y aurait lieu de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Partant, il y a lieu d’annuler la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée.
2. Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Dans la mesure où le tribunal a annulé la décision ministérielle de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée et dans la mesure où la prédite décision ministérielle n’est pas exempte de conséquences en ce qui concerne les garanties pour la demanderesse, notamment en termes de double degré de juridiction, droit qui ne saurait être rétabli par le tribunal dans le cadre du recours en réformation sous analyse, il y a lieu d’annuler la décision ministérielle déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier devant le ministre compétent afin qu’il procède à un réexamen de la demande de protection internationale.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision précitée encourt l’annulation.
3. Quant au recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, la requête sollicitant un recours en annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 30 octobre 2013 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
Dans la mesure où le tribunal administratif vient d’annuler tant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que la décision ayant refusé de faire droit à la demande en obtention d’une protection internationale, il y a lieu d’annuler également l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts…dans le cadre d’une procédure accélérée :
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision ministérielle du 30 octobre 2013 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale des consorts…dans le cadre d’une procédure accélérée et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 octobre 2013 ayant refusé aux consorts…l’octroi d’une protection internationale ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 30 octobre 2013 portant refus d’une protection internationale aux consorts…et renvoie en prosécution de cause l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 octobre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision ministérielle du 30 octobre 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 janvier 2014 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Olivier Poos, attaché de justice, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/1/2014 Le Greffier du Tribunal administratif 10