Tribunal administratif N° 33813 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 2 janvier 2014 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33813 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2013 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le… et être de nationalité azerbaïdjanaise, alias …, né le …, de nationalité géorgienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 29 novembre 2013 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 30 décembre 2013 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Florie Hubertus, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique extraordinaire du 2 janvier 2013.
Le 6 juin 2013, le service des étrangers du ministère des affaires étrangères fut informé que Monsieur …, de nationalité azerbaïdjanaise, se trouvait en détention préventive et qu’il n’était pas en possession d’une pièce d’identité.
Le 12 novembre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après désigné par « le ministre », chargea le service de police judiciaire, section des étrangers et des jeux, d’enquêter sur Monsieur….
Le 20 novembre 2013, le service de police judiciaire établit son rapport dont il se dégage que, d’après les déclarations de Monsieur…, il aurait dans le passé introduit une demande d’asile notamment en France.
Le 25 novembre 2013, le service des retours du ministère des Affaires étrangères adressa une demande de renseignement aux autorités françaises.
Le 26 novembre 2013, les autorités luxembourgeoises formulèrent une demande de reprise en charge auprès de leurs homologues français sur le fondement de l’article 16 (1) c) du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après dénommé « le règlement (CE) n° 343/2003 ».
Par un arrêté du 29 novembre 2013, le ministre prit à l’encontre de Monsieur …, alias …, une décision de retour en considérant que l’intéressé n’était en possession ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail et qu’il existait un risque de fuite dans son chef. Par le même arrêté, il lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans.
Par un arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le 2 décembre 2013, le ministre ordonna le placement de Monsieur… au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, sur le fondement des articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 ». Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 16 décembre 2013 comportant une interdiction sur le territoire de 3 ans ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Attendu qu'au vu de la situation particulière de l'intéressé, il n'existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu'une mesure de placement alors que les conditions d'une assignation à domicile conformément à l'article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que l’intéressé se trouvait en détention ;
Considérant que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant déposé deux demandes d’asile, en France en date du 19 janvier 2005 et en Slovaquie en date du 9 mai 2007 ;
- qu’une demande de reprise en charge en vertu de l’article 16§1 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités françaises en date du 26 novembre 2013 ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches […] ».
Par un courrier du 10 décembre 2013, les autorités françaises informèrent les autorités luxembourgeoises de leur refus de reprendre en charge Monsieur…, alias…, sur le fondement du règlement (CE) n° 343/2003.
Par un message électronique du 11 décembre 2013, les autorités luxembourgeoises ont demandé aux autorités françaises la réadmission de l’intéressé sur le fondement de l’article 7 de l’arrangement du 16 avril 1964 conclu entre la France et les pays du BENELUX concernant la prise en charge des personnes aux frontières communes entre le territoire des Etats du BENELUX et la France.
Par un courrier du 16 décembre 2013, les autorités françaises marquèrent leur accord sur la réadmission de l’intéressé en application de l’arrangement, précité.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2013, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement en rétention précitée du 29 novembre 2013.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Le demandeur fait en premier lieu état d’un défaut de motivation de l’arrêté ministériel déféré. Il soutient, à cet égard, que le ministre aurait avancé l’existence d’un risque de fuite dans son chef sans apporter une preuve de nature à étayer ce constat, tout en soulignant qu’en vertu de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, le placement en rétention serait une faculté pour le ministre et non pas une obligation et que dans la mesure où une telle mesure impliquerait une atteinte à sa liberté de mouvement, le choix ainsi accordé au ministre ne pourrait être discrétionnaire et devrait être motivé à suffisance.
D’autre part, le demandeur invoque un défaut de démarches suffisantes pour procéder à son éloignement, en se référant à l’article 120, paragraphe 3 de la loi du 29 août 2008. Il reproche ensuite au ministre d’avoir affirmé que des démarches en vue de son éloignement seront engagées dans les meilleurs délais sans justifier un risque de fuite et soutient qu’aucune pièce ne corroborait l’affirmation du ministre selon laquelle une demande de reprise en charge aurait été adressée aux autorités françaises. Le demandeur en conclut à un défaut de motivation et soutient que le ministre aurait ainsi violé l’article 12 de la Constitution et l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignées par « la CEDH ».
Enfin, le demandeur qualifie la décision litigieuse d’arbitraire au motif que le risque de fuite ne serait pas démontré et que les démarches nécessaires pour procéder à son éloignement ne seraient pas engagées, ni d’ailleurs documentées. La mesure serait ainsi disproportionnée et elle serait viciée pour absence de motifs sinon insuffisance de motifs.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les motifs indiqués à la base de la décision litigieuse devraient être considérés comme suffisants, le demandeur conteste leur bien-fondé et leur réalité.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que la décision déférée serait justifiée en fait et en droit, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.
Quant au moyen tiré d’une absence de motivation de la décision déférée, il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas sous examen ne tombe dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, imposant l’indication d’une motivation expresse, de sorte que l’obligation inscrite dans cette disposition, d’ailleurs non invoquée par le demandeur, ne trouve pas application en l’espèce.
Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision de placement en rétention, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs, pris dans ses différentes branches, doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit encore que le moyen fondé sur une violation des articles 12 de la Constitution et 5 de la CEDH, que le demandeur déduit du reproche fondé sur un défaut d’indication des motifs, est à rejeter à son tour comme reposant sur la prémisse erronée que l’arrêté de placement en rétention aurait dû comporter une motivation expresse. S’il est certes vrai que l’article 12 de la Constitution requiert, hormis le cas de flagrant délit, la prise d’une ordonnance motivée en cas d’arrestation, cette disposition est inapplicable dans l’hypothèse, tel que cela est le cas en l’espèce, d’une mesure de placement en rétention qui n’est pas à assimiler à une arrestation au sens de l’article 12 de la Constitution. Quant à l’article 5 de la CEDH, qui envisage la possibilité d’une détention régulière d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours, étant précisé que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 précité est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement, respectivement, de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays, le tribunal constate que le demandeur est resté en défaut d’expliquer autrement en quoi il estime que malgré la conclusion retenue ci-avant par le tribunal qu’un arrêté de placement en rétention ne doit pas être spécialement motivé, l’article 5 de la CEDH serait violé en raison d’une motivation insuffisante de la décision litigieuse, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
Les contestations soulevées pour le surplus par le demandeur ont trait à l’existence d’un risque de fuite et à l’exercice par le ministre de démarches suffisantes pour procéder à son éloignement rapide.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. […] » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur est démuni de tout document d’identité et de voyage, de sorte que le ministre pouvait valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, le placer en rétention afin de procéder à son identification et d’organiser son éloignement, étant précisé qu’en vertu de l’article 111 (3) c) 6. de la même loi, le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité et de voyage en cours de validité.
Il s’ensuit qu’à défaut d’explications concrètes susceptibles d’être prises en compte afin de renverser la présomption se dégageant de l’article 111 (3) c) 6., précité, les contestations du demandeur quant à l’existence d’un risque de fuite sont à rejeter comme étant non fondées. A cet égard, il convient de préciser que l’affirmation tout à fait générale du demandeur que son placement en rétention serait arbitraire et la contestation tout aussi générale de l’existence d’un risque de fuite sont insuffisantes.
Quant aux contestations du demandeur relativement aux démarches entreprises afin d’organiser son éloignement, tel que cela a été retenu ci-avant, il n’est pas requis que l’arrêté de placement indique de manière exhaustive les démarches que le ministre entend entreprendre afin d’organiser l’éloignement de l’étranger, respectivement celles qu’il est en train d’exécuter, mais il suffit que les démarches suffisantes aient été entreprises et que la réalité de ces démarches puisse être vérifiée par le tribunal au regard des pièces figurant au dossier administratif.
En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises par le ministre, le tribunal constate qu’il ressort des pièces du dossier administratif qu’avant le placement en rétention, des informations ont été demandées aux autorités françaises et que le 26 novembre 2013, soit toujours avant la prise de l’arrêté de placement, les autorités françaises ont été contactées en vue d’une reprise en charge de l’intéressé sur le fondement du règlement (CE) n° 343/2003.
Le lendemain de la réponse négative des autorités françaises, soit le 11 décembre 2013, celles-ci ont été saisies d’une demande de réadmission fondée sur l’article 7 de l’arrangement du 16 avril 1964 précité conclu entre la France et le pays du BENELUX et elles y ont répondu le 16 décembre 2013. Le 30 décembre 2013, les services de police judiciaire ont été saisis afin d’organiser l’éloignement du demandeur vers la France. Il s’ensuit que, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, tant au vu des démarches concrètement entreprises qu’au vu du résultat précité permettant de retenir que l’éloignement du demandeur est sur le point de pouvoir être exécuté, les diligences entreprises afin d’organiser l’éloignement du demandeur dans les meilleurs délais sont à qualifier comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120, précité de la loi du 29 août 2008.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen du demandeur tendant à mettre en cause les diligences entreprises par le ministre est à rejeter comme non fondé.
Enfin, au regard des conclusions retenues ci-avant par le tribunal quant à l’existence de démarches suffisantes, l’affirmation générale du demandeur que l’arrêté de placement en rétention litigieux serait à qualifier d’arbitraire et qu’il serait disproportionné, à défaut d’autres explications, n’est pas de nature à mettre en cause la légalité de l’arrêté du 29 novembre 2013.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Thessy Kuborn, premier juge, Anne Gosset, premier juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 2 janvier 2014, à 15.00 heures, par le premier juge Braun, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 janvier 2014 Le Greffier du Tribunal administratif 6