Tribunal administratif N° 33592 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2013 1re chambre Audience publique du 18 décembre 2013 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33592 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 novembre 2013 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à …(Maroc) et être de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…, tendant d’une part, à la réformation, de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 juin 2013, notifiée en mains propres le 23 octobre 2013, dans la seule mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 décembre 2013.
Le 11 avril 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande en obtention du statut de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu le même jour par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité, les raisons pour lesquelles il avait quitté son pays d’origine, et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg. Il reçut en outre en mains propres et prit connaissance, notamment, de la brochure d’information pour demandeurs de protection internationale.
Il résulte du dossier administratif que le demandeur fut dûment convoqué par un courrier remis en mains propres le 5 avril 2013, pour le 2 mai 2013 à 09.00 heures à un entretien auprès du service des Réfugiés, Cellule Entretiens, du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, entretien auquel il ne se présenta toutefois pas, et ce sans justification autre qu’un courrier ultérieur de son litismandataire selon lequel il aurait « oublié » de s’y rendre. Une seconde convocation lui fut encore remise en mains propres le 13 juin 2013 pour le 18 juin 2013 à 9.00 heures, mais le demandeur ne se présenta à nouveau pas à l’entretien, toujours sans fournir d’explication à son absence. Partant, Monsieur … n’a à aucun moment fait de déclarations sur les motifs de sa demande de protection internationale.
Par décision du 20 juin 2013, notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 23 octobre 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20, paragraphe (1), point j) de la loi modifiée du 5 mai 2006, et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 juin 2013 dans la seule mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Le tribunal relève à cet égard que malgré l’indication précise, dans l’acte entrepris, des voies de recours adéquates contre les diverses décisions qu’il comporte, ainsi qu’en dépit de l’obligation du demandeur de mentionner précisément dans sa requête l’acte qu’il entend quereller1, il ressort à la fois du dispositif de la requête, de sa structure, ainsi que des moyens invoqués que le demandeur n’a pas formé de recours en annulation de la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, cette dernière décision ne se trouvant par ailleurs nullement mentionnée dans la requête. Dès lors, le tribunal est contraint de restreindre son analyse aux deux seuls recours explicitement introduits par le demandeur, tels que cités préalablement, étant précisé qu’encore que suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, le recours tend à l’annulation sinon à la réformation de la décision ministérielle du 20 juin 2013, il ressort du corps de la requête que le recours vise la réformation de la décision ministérielle en ce qu’elle refuse d’octroyer un statut conféré par la protection internationale et l’annulation de la décision en ce qu’elle porte ordre de quitter le territoire.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 20 juin 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur invoque, en droit, que le ministre aurait fait une erreur manifeste d’appréciation en refusant d’admettre que les faits allégués seraient de nature à établir dans son chef une crainte fondée de persécutions, alors que l’ensemble des éléments lui soumis attesteraient de la crédibilité du demandeur quant à son identité, d’une part, et, d’autre part, atteindraient un niveau de gravité tel que les droits fondamentaux de l’Homme seraient violés. Au niveau de la mise en cause par le ministre de sa crédibilité, le demandeur allègue qu’il « espérait avoir la chance d’exprimer les raisons qui l’ont poussé à 1 R. ERGEC, «Contentieux administratif luxembourgeois », Pas. adm., 2012, p. 69 et les jugements qu’il y cite.
quitter son pays » et qu’il devrait par ailleurs être cru sur les informations qu’il aurait données, dans la mesure où les conditions énumérées à l’article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006 seraient toutes remplies. Quant à l’existence d’une crainte de persécution en tant que telle, le ministre aurait dû prendre en compte la situation du demandeur telle qu’inscrite dans le contexte général de son pays d’origine et non sa situation particulière uniquement.
Le délégué du gouvernement soutient pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir [d]es atteintes graves […], cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : «Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».
Quant aux atteintes graves, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et rappelées précédemment.
En l’espère, force est au tribunal de constater que, ne s’étant pas présenté aux entretiens auxquels il a été convoqué et faisant uniquement état dans sa requête introductive d’instance de considérations vagues et d’ordre général quant à ses craintes de persécutions individuelles, respectivement d’atteintes graves, et quant à la situation générale et sécuritaire au Maroc, le demandeur n’a soumis au tribunal aucun élément pertinent susceptible d’être analysé dans le cadre du présent recours au fond, de sorte que ce dernier n’est pas en mesure de se prononcer sur le bien-fondé de ce volet du recours, respectivement de sa demande de protection internationale.
Le tribunal note à cet égard que le demandeur invoque dans sa requête qu’il aurait espéré avoir la chance de pouvoir s’expliquer quant aux raisons qui l’auraient poussé à quitter son pays. Le tribunal relève toutefois, d’une part, qu’alors que les conséquences d’une absence à l’entretien étaient clairement exprimées sur l’acte de convocation ainsi que dans les deux courriers adressés à son litismandataire, le demandeur ne s’est pas rendu aux entretiens auxquels il avait été dûment convié, ce qui a amené le ministre à prendre sa décision en application de l’article 20, (1), j) de la loi du 5 mai 2006, et, d’autre part, que le demandeur n’a pas introduit de recours visant à contester la décision du ministre de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée, tout en ne profitant pas de sa requête introductive d’instance pour développer les motifs à la base de sa demande de protection internationale. Force est donc au tribunal de constater que le demandeur a laissé passer chacune des nombreuses chances qui lui ont été données d’expliquer sa situation. Le tribunal considère dès lors qu’il est extrêmement malvenu de la part du demandeur de solliciter de la sorte une chance supplémentaire de s’exprimer sur les motifs gisant à la base de sa demande d’un statut de protection internationale, respectivement de reprocher au ministre de ne pas avoir entrepris une « soigneuse analyse in concreto » de sa situation individuelle, le comportement du demandeur étant lui-même à l’origine de cette impossibilité.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 20 juin 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la décision de refus de la demande de protection internationale.
A cet égard, le demandeur fait valoir que dans la mesure où il aurait fait état d’une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Il résulte des conclusions retenues ci-avant que le ministre a en l’espèce valablement pu opposer au demandeur un refus à sa demande en obtention du statut de réfugié ainsi qu’en obtention de la protection subsidiaire, de sorte qu’il a a priori également valablement pu lui opposer l’ordre de quitter le territoire.
Le demandeur fait encore exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Il fait valoir qu’un retour au Maroc l’exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Maroc, le tribunal administratif a conclu ci-avant que le demandeur ne lui avait soumis aucun élément de nature à étayer sa demande de protection internationale, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas plus se prononcer sur le bien-fondé de sa crainte de subir des traitements inhumains, cruels ou dégradants en cas d’éloignement vers le Maroc.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 juin 2013 portant refus d’une protection internationale à Monsieur … ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 20 juin 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2013 par :
Thessy Kuborn, premier juge, Andrée Gindt, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Thill s. Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19/12/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6