Tribunal administratif N° 31973 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 janvier 2013 1re chambre Audience publique du 18 décembre 2013 Recours formé par Monsieur …et consorts, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31973 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2013 par Maître Olivier LANG, assisté de Maître Cidgem KUTLAR, tous deux avocats à la Cour, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Kosovo), de son épouse, Madame …, née le … à … (Serbie), agissant en leurs noms personnels ainsi qu’au nom et pour le compte de leur enfant commun mineur …, née le … à … (Serbie), tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 19 décembre 2012 rejetant leurs demandes en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondées et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christine FREYMUTH, en remplacement de Maître Olivier LANG et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 décembre 2013.
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En date du 12 juillet 2011, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant en leurs noms propres et pour le compte de leur fille mineure, …, ci-après désignés par « les consorts…», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, les consorts…furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur …fut entendu les 10 août et 29 septembre 2011 ainsi que les 20 janvier et 5 mars 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut quant à elle entendue les 10 août 2011 et 20 janvier 2012.
Par décision du 19 décembre 2012, expédiée par courrier recommandé le 20 décembre 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts…de ce que leurs demandes avaient été rejetées comme non fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
«J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 12 juillet 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 juillet 2011 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 10 août, 29 septembre 2011, 20 janvier et 5 mars 2012.
Madame, Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous appartiendriez à l'ethnie des Goranais et que vous habiteriez à ….
Monsieur, selon vos dires, le représentant du Kosovo, Monsieur … serait venu à …au début de l'année 2008 pour se faire une idée de la situation sur place. Ce dernier vous aurait questionné sur la situation générale à … et vous lui auriez dit que beaucoup d'Albanais vivraient à … et que ceux-ci détiendraient les fonctions les plus importantes. Cette conversation aurait été enregistrée sans que vous le sachiez. Vous indiquez que le 28 février 2008, vous seriez apparu à la télévision dans l'émission « Kvadratura Kruga ». Après cette apparition à la télévision, vous auriez reçu des menaces de la part de certaines personnes albanaises pendant quatre ou cinq mois.
Vous continuez vos dires en déclarant que vous seriez devenu membre du parti politique G-17 Plus en février 2009. Vous affirmez que vous auriez été simple membre du parti et vous auriez également été le remplaçant du président du parti de la circonscription de …. Lorsque vous seriez devenu membre du parti politique, les menaces par sms par des personnes albanaises inconnues auraient recommencé.
Vous déclarez que d'abord, les réunions auraient eu lieu à …. Les Albanais vivant aux alentours auraient su que des réunions du parti politique G-17 Plus y auraient été organisées.
En février ou mars 2010, la maison aurait été fermée pour des raisons de sécurité parce que le Comité aurait eu peur que les Albanais puissent jeter une bombe sur la maison. Selon vos dires, le G-17Plus serait un parti politique serbe et les Albanais n'accepteraient pas l'existence d'institutions serbes au Kosovo.
Vous affirmez qu'après votre mariage le 4 avril 2010, vous auriez déménagé de … à ….
Le 13 juin 2010, vous auriez été agressé à l'hôpital de … par deux jeunes hommes qui, selon vous, auraient fait partie de l'UCK. Un employé aurait chassé les agresseurs et ils se seraient enfuis.
Le 16 avril 2011, en chemin vers …, vous et votre épouse aurait été malmenés par une personne serbe.
Vous pensez que tous ces incidents seraient liés au fait que vous seriez membre du parti politique G-17 Plus et que vous seriez apparu à la télévision le 28 février 2008.
Vous n'auriez jamais déposé une plainte parce que vous seriez d'avis que cela n'aurait servi à rien puisque selon vous, les Goranais ne seraient pas protégés au Kosovo.
En outre, vous indiquez de manière générale que les Goranais seraient discriminés au Kosovo, en ce qui concerne l'accès à la police, ainsi que l'accès aux soins médicaux.
Cependant, personnellement, vous n'auriez encore jamais rencontré des problèmes avec les autorités.
Madame, vous faites état d'un incident en 2007 lors duquel vous auriez été poussée par un jeune homme. A la suite de cet incident, vous auriez consulté un psychiatre à plusieurs reprises.
Vous confirmez les dires de votre époux quant aux incidents qui auraient eu lieu les 13 juin 2010 et 16 avril 2011. Vous précisez également que vous n'auriez jamais porté plainte à la suite des incidents susmentionnés.
Madame, Monsieur, vous ne faites pas état d'autres problèmes dans votre pays d'origine.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. Il est de jurisprudence que la seule appartenance à une ethnie minoritaire n'est pas suffisante à elle-même pour constituer une crainte fondée de persécution. Une telle crainte doit reposer nécessairement sur des événements suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs risquent de subir des traitements discriminatoires.
En ce qui concerne la situation actuelle au Kosovo, d'un point de vue sécuritaire et ethnique, elle est en nette amélioration. La situation des minorités est devenue plus stable. En règle générale, celles-ci ne doivent plus craindre des attaques directes contre leur sécurité :
„Die Sicherheitslage im Kosovo hat sich trotz einiger Zwischenfälle in den serbischen Gebieten als stabil erwiesen. Mit einem offenen Aufflammen von kriegerischen Auseinandersetzungen ist derzeit nicht zu rechnen. (…) Trotz vieler gegenteiliger Behauptungen haben sich jedoch die demokratischen Strukturen gefestigt, der Staat ist fähig, exekutive Aufgaben durchzuführen und auch durchzusetzen. Mittlerweile steigt das Vertrauen der Bevölkerung in die staatlichen Institutionen wieder, das zu einem relativ entspannten Klima in groβen Teilen des Landes beiträgt".
Ainsi, notons l'arrêt du 27 mars 2012 par la Cour Administrative concernant la situation des minorités au Kosovo: « Concernant la situation générale et sécuritaire au Kosovo et en particulier celle des minorités ethniques, […], il a pu être retenu à maintes reprises, notamment et plus précisément à partir d'un rapport de la Commission européenne du 5 novembre 2008 (SEC MEI 2008) 2697 final) que cette situation n'était pas telle que tout membre d'une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et de la loi du 5 mai 2006 ».
Le Secrétaire Général des Nations Unis a publié dans son rapport du 31 janvier 2012 que « De manière générale, une baisse globale des infractions de droit commun a été constatée par rapport à 2010. La police du Kosovo a réalisé avec succès plusieurs opérations visant des personnes impliquées dans la criminalité organisée, la traite des êtres humains et le trafic de drogues. Cependant, cette baisse globale n'a pas eu de conséquence directe sur les conditions de sécurité lors de la période étudiée. Le climat de tension qui a caractérisé la région située au nord de l'Ibar s'explique par la situation décrite plus haut. En revanche, une légère diminution du nombre d'incidents mineurs visant les communautés minoritaires (actes d'intimidation, agressions, vols, infractions liées au foncier, vandalisme visant les églises et les cimetières orthodoxes serbes ainsi que les voitures immatriculées en Serbie, surtout dans les zones mixtes et albanaises du Kosovo) a été observée au sud du fleuve ». Ainsi, votre crainte que les Albanais auraient voulu jeter une bombe sur la maison à Ljuboviste n'est basée sur aucun élément objectif ou concret. En effet, vous précisez : « Non, nous n'avons jamais eu des problèmes par rapport à la maison ou les réunions. Nous avons simplement eu peur de ce qui pourrait arriver » (p. 2/14).
Il y a également lieu de noter que même si les activités dans un parti d'opposition peuvent justifier des craintes de persécution, il n'en résulte pas automatiquement que tout membre actif d'un parti d'opposition risque des persécutions de la part du pouvoir en place.
Force est de constater que vous restez en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant votre rôle et vos activités au sein du parti politique G-17 Plus. Rappelons que vous n'auriez jamais eu un quelconque problème avec les autorités à cause de votre adhésion au parti et que vous n'êtes pas capable d'établir un lien concret entre votre appartenance au parti G-17 Plus et le fait que vous auriez été agressé à deux reprises.
Notons également que vos déclarations quant à votre apparition sur la télévision sont peu crédibles. En effet, vous dites à plusieurs reprises que vous n'auriez pas remarqué que vous auriez été filmé et que la caméra aurait été dirigée vers le sol (p. 3/14 et 7/14). Peu après, vous indiquez qu'on aurait pu voir votre visage lors de la diffusion de l'émission «Kvadratura Kruga» (p. 8/14). Cependant, si la caméra pointait vers le sol, il n'y aurait pas eu moyen pour les téléspectateurs de voir votre visage, et encore moins de vous identifier.
Quoi qu'il en soit, tous les faits relatés constituent des délits de droit commun, commis par des personnes privées, du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation kosovare. Or, un crime commis par des tiers peut être considéré comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par les demandeurs de protection internationale. Cependant, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, comme vous l'admettez vous-même, vous n'auriez jamais sollicité l'aide d'une quelconque autorité dans votre pays d'origine. Ainsi, il ne peut être établi que les autorités kosovares n'auraient pas pu ou voulu vous offrir une protection à l'égard des personnes qui vous auraient malmenés.
En tout état de cause, l'accès à la justice pour des personnes d'ethnie goranaise est possible. En effet, la police est tout à fait présente à …, où vous dites avoir vécu avant de quitter votre pays d'origine, comme le soulève le rapport de novembre 2011 de l'OSCE :
"Mitrovice municipality is the seat of the regional police headquarters and has two (2) police stations, one (1) in the south and one (1) in the north. The regional police headquarters is located in the south and has 242 police officers; 193 Kosovo Albanians, 39 Kosovo Serbs, six (6) Kosovo Bosniaks, three (3) Kosovo Turks, and one (1) one Kosovo Circassian, while the south station, including the substation in Svinjare village, has 138 police officers; 131 Kosovo Albanians, four (4) Kosovo Serbs, one (1) Kosovo Ashkali, one (1) Kosovo Bosniak and one (1) Kosovo Turk. (…) The Kosovo police station in the north has 96 police officers; 71 Kosovo Serbs, 18 Kosovo Albanians, four (4) Kosovo Bosniaks, two (2) Kosovo Turks and one (1) Kosovo Croat. (…) Out of the total Kosovo police presence in the municipality, 55 are female.
As for the international military presence, multinational KFOR troops are in charge of the area (source: Kosovo police). Ainsi, force est de constater que non seulement la police est bien présente dans votre municipalité et est tout à fait en mesure de vous procurer la protection nécessaire, [mais qu’] elle est aussi ethniquement mixte.
Quant à l'accès à la justice à …, commune où les incidents dont vous faites état auraient eu lieu, notons que cet accès pour des personnes d'ethnie goranaise est possible d'autant plus que la cour municipale est représentée entre autres par une personne d'ethnie goranaise et que sur les 76 officiers policiers au commissariat de …, 33 sont d'ethnie goranaise. De même, une représentation goranaise est garantie au sein des forces de sécurité comme le relève le rapport le plus récent de l'OSCE de novembre 2011: "The Kosovo police station in …h has 54 police officers, including eight (8) police officers in Krugevo police sub-
station; 36 are Kosovo Albanian, 14 are Kosovo Gorani and five (5) are Kosovo Bosniak, while one (1) is female. As for the international military presence, Turkish KFOR is in charge of the area”. De même, les forces de l'ordre public dans la commune de … sont multiethnique:
"The security and freedom of movement of the Gorani community in Kosovo remains stable with few incidents reported and generally unimpeded freedom of movement. (…) There are 18 Gorani police officers out of a total of 743 officers in the Prizren region. Out of a total of 64 police officers working at the …h/… police station, 15 are Gorani. In addition, there are three Gorani police officers at the Prizren police station, out of a total of 210 officers in that station. All the Gorani police officers in the Prizren region are male. The highest position in the region held by a Gorani police officer is that of a Deputy Station Commander in …h. Two Gorani are members of the municipal communities safety council in …h, while the community participates and comprises the majority of the local public safety committee of the Gorani/Kosovo Bosniak-inhabited village of Kruševo". Ainsi, force est de constater que non seulement la police est bien présente dans cette municipalité et est tout à fait en mesure de vous procurer la protection nécessaire, [mais qu’] elle est aussi ethniquement mixte.
En outre, il y a lieu de soulever que la confiance de la population en la police s'est améliorée, ayant comme conséquence que « 191 criminal cases were registered from January to August 2012, compared to 143 in all of 2011. During the same period, the Inspectorate filed criminal charges against 59 officers and sent an additional 36 cases to the prosecutor, as compared to 46 and 18, respectively, in all of 2011. The increase in the number of cases processed may enhance public confidence in the willingness and ability of the police to address complaints regarding the conduct of officers ». En plus, vous admettez que vous n'auriez encore jamais eu des problèmes avec les autorités (p. 5/14 du rapport d'entretien de Monsieur).
En ce qui concerne vos remarques quant aux difficultés pour les personnes d'ethnie goranaise d'accéder aux soins médicaux, notons que les Goranais bénéficient des mêmes droits aux soins médicaux que toutes les autres minorités au Kosovo: "The Gorani community enjoys access to health services provided by Kosovo institutions, and also to those funded by Serbia". Soulignons cependant que vous admettez vous-mêmes que personnellement, vous n'auriez encore jamais eu de difficultés pour accéder aux soins au Kosovo.
Enfin, il ne ressort pas du dossier qu'il vous aurait été impossible de vous installer dans la région de …/… qui est une région à majorité goranaise, dans laquelle, a fortiori, les Goranais bénéficient d'une liberté de mouvement. Soulignons également que depuis 2006, I'UNHCR ne mentionne plus les Goranais comme une ethnie qui serait exposée à des risques de persécutions au Kosovo. Ainsi, la minorité goranaise ne nécessite plus de protection particulière. Par conséquent, une discrimination à leur égard ne saurait être retenue pour fonder une persécution au sens de la Convention de Genève.
En ce qui concerne les pièces versées à l'appui de vos demandes, notons qu'elles ne sont pas pertinentes dans l'analyse de vos dossiers. En effet, les cartes de membre et de délégué du parti G-17 Plus, les articles tirés de l'internet, ainsi que les certificats médicaux ne permettent nullement d'établir de façon probante que vous ayez été victimes d'un acte de persécution ou d'une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ajoutons à cet égard que des raisons médicales ne sauraient davantage fonder une demande de protection internationale parce qu'elles ne tombent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève ou de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Madame, Monsieur, au vu de ce qui précède, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Ainsi, les agissements dont vous avez fait état ne répondent pas aux exigences posées par la loi, ni quant aux auteurs admissibles, ni quant à la gravité des actes pour pouvoir valoir utilement comme actes de persécution donnant accès au statut de réfugié.
Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Etant donné que les faits invoqués à la base de vos demandes de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir la protection subsidiaire.
En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Par ailleurs, la constitution kosovare du 8 avril 2008 interdit dans son article 252 la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports et jurisprudence cités la situation actuelle au Kosovo ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Kosovo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner».
Par requête déposée le 23 janvier 2013 au greffe du tribunal administratif, les consorts…ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision ministérielle précitée du 19 décembre 2012 portant refus de leurs demandes en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, inscrit dans la même décision.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, une demande en réformation a valablement pu être introduite contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs déclarent être de nationalité kosovare, appartenir à la minorité ethnique goranaise et être de confession musulmane.
Ils affirment que dès le retrait des troupes serbes du Kosovo en 1999, les Albanais auraient commencé à « torturer et tuer » les Goranais, de sorte que le demandeur et ses parents se seraient enfuis pour quelques mois en Macédoine. Depuis son retour, le demandeur aurait subi de nombreuses et graves menaces, ainsi que plusieurs agressions. Les Albanais l’auraient ainsi menacé au moyen d’un fusil pointé sur lui à trois reprises. La première fois, en 1999, il se serait agi de membres de l’UCK qui auraient voulu savoir s’il possédait des armes ; la deuxième fois, en 2004, il aurait été à l’université de … et les Albanais auraient tiré sur une foule d’étudiants qu’ils auraient auparavant réunis sur un pont et dont il aurait fait partie ; finalement, en avril 2011, le chauffeur albanais d’une camionnette-taxi lui aurait pointé un fusil sur la tempe pour le faire sortir de son véhicule et le menacer de ne jamais revenir à …. Le demandeur aurait également essuyé des coups au mois de juin 2010 devant l’hôpital de …, de la part de deux jeunes Albanais que ses recherches ultérieures auraient identifiés comme faisant partie de l’UCK. Le demandeur aurait en outre reçu des menaces par sms suite au passage à la télévision en février 2008 d’une vidéo qui aurait été prise à son insu dans laquelle il aurait décrit la situation des Goranais de la région de …, et que les Albanais y détiendraient les postes les plus importants.
Cette vidéo et son adhésion au parti G-17 Plus, dont le demandeur aurait été le vice-
président pour la circonscription de …, seraient à la base de tous leurs problèmes, dès lors qu’elles inciteraient les Albanais à penser qu’ils se situeraient « du côté des Serbes ».
Quant à Madame …, elle se serait fait agresser dès son arrivée au Kosovo en 2007, alors qu’elle se serait promenée avec une amie avec laquelle elle aurait discuté en langue serbe, par un homme qui l’aurait poussée violemment avant de lui crier dessus et de la menacer. Elle aurait également été présente avec son époux les deux fois où il se serait fait agresser à …. Elle se serait ainsi évanouie devant l’hôpital de … en 2010 en voyant son époux qui se serait fait rouer de coups de poing et elle se serait également vue éjecter de la camionnette avec son bébé, en avril 2011.
Finalement, la sœur de Monsieur …aurait également été la cible de tirs par des Albanais sur sa maison, au point qu’elle se serait enfuie en France où elle aurait reçu un statut de protection internationale. Par ailleurs, l’antenne de la région de… du parti G-17 Plus aurait été supprimée pour des raisons de sécurité, de sorte que les réunions se seraient dorénavant déroulées à … ….
En droit, les consorts…soulignent que les seuls points sur lesquels le ministre aurait quelque peu mis en doute leur crédibilité ou la cohérence de leurs allégations, relatifs à la vidéo, à la crainte de la bombe, ainsi qu’au lien entre la vidéo et l’appartenance du demandeur au parti politique G-17 Plus, d’une part, avec les craintes qu’il a des Albanais, d’autre part, seraient corroborés soit par les preuves versées au dossier, soit par leurs récits lors de leurs auditions, lesquels seraient en accord avec la situation générale au Kosovo.
Ils font ensuite valoir qu’il appartiendrait au ministre d’apprécier leur situation individuelle dans le contexte général de leur pays d’origine dans lequel elle s’inscrirait, conformément à l’article 26 (3), a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006.
Ils reprochent encore au ministre d’avoir apprécié les faits personnels par rapport à des faits concernant leur pays d’origine qui soit ne seraient pas pertinents, soit ne correspondraient pas à la réalité. A cet égard, ils soutiennent que le rapport du UNHCR du 9 novembre 2009 au sujet du Kosovo qui retiendrait de manière générale que les membres de la minorité goranaise ne figureraient pas parmi les « Main Groups at Risk », ne permettrait pas de conclure à l’absence de persécutions de ces derniers. Ils contestent encore les conclusions du ministre selon lesquelles les membres de la minorité goranaise ne nécessiteraient pas de protection particulière au Kosovo. Les demandeurs se réfèrent encore à des passages d’autres rapports internationaux, tel que celui de l’UNHCR de novembre 2009, celui du Secrétaire général de la MINUK du 12 août 2011 portant sur l’évolution du Kosovo entre le 16 avril et le 15 juillet 2011, ceux du 7 juillet 2011 et du 22 août 2012 du Freedom House respectivement intitulés « Freedom in the World 2011-Kosovo » et« Freedom in the World 2012-Kosovo », celui du United States Departement of State du 24 mai 2012 intitulé « 2011 Country Reports on Human Rights practice-Kosovo », celui du Conseil de Sécurité des Nations-Unies du 30 août 2011, et enfin ceux des 24 janvier 2011 et 22 janvier 2012 de l’organisation Human Rights Watch, respectivement intitulés « World Report 2011-Kosovo » et « World Report 2012-Kosovo », qui feraient tous état d’une très mauvaise situation sécuritaire des minorités du Kosovo.
Les demandeurs se réfèrent également à plusieurs rapports en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, qui seraient discriminatoires à l’égard des minorités, notamment à l’égard de membres de la minorité goranaise et particulièrement envers ceux qui ne pratiqueraient pas couramment l’albanais.
En ce qui concerne les motifs de persécution et leur gravité, les demandeurs soulignent que les faits dont ils font état seraient, d’une part, motivés par leur appartenance à la minorité goranaise du Kosovo, par les déclarations du demandeur diffusées à la télévision et par son appartenance au parti politique G-17 Plus, rencontrant ainsi les critères repris aux points a) à d) de l’article 32 (1) de la loi du 5 mai 2006, et, d’autre part, suffisamment graves au sens de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006. Les atteintes à la vie dont seraient menacés les demandeurs rentreraient sans conteste dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », tandis que les autres violences physiques et morales dont auraient été victimes les demandeurs, qui auraient porté atteinte à leur dignité humaine, rencontreraient les exigences de l’article 3 de la CEDH telles que définies par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Les demandeurs soutiennent encore que les persécutions émaneraient de personnes privées et qu’en substance ils ne pourraient bénéficier d’aucune protection des autorités du Kosovo contre les actes de persécution dont ils font état, soit que la police kosovare ne voudrait et ne pourrait pas les protéger, soit par peur de représailles. Ils se réfèrent à nouveau à certains des rapports précités, et en concluent qu’il ne pourrait être retenu qu’une protection puisse généralement leur être accordée par l’Etat kosovar, respectivement par les organisations internationales contrôlant une partie du territoire de celui-ci, puisqu’il serait impossible de retenir que le Kosovo prendrait des mesures raisonnables pour empêcher des persécutions dans la mesure où le pays ne disposerait pas d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution.
S’agissant ensuite de la possibilité de fuite interne invoquée dans la décision, les demandeurs estiment qu’il appartiendrait au ministre, outre de désigner un autre endroit où ils pourraient vivre, d’y démontrer l’absence de risques, ce qu’il n’aurait pas fait en l’espèce.
Les demandeurs se fondent encore sur l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, pour reprocher au ministre une instruction défaillante de leur dossier, en ce qu’il aurait omis de renverser la présomption que contient cet article. Ils se prévalent encore des expériences qu’auraient vécues la sœur de Monsieur …et d’autres membres de la minorité goranaise pour appuyer leur crainte de persécutions.
Finalement, les demandeurs estiment, en se fondant sur les articles 2 f), 37 et 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, que s’ils ne devaient pas se voir accorder le statut de réfugié, ils rempliraient néanmoins les conditions requises pour se voir accorder le statut conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement soutient quant à lui que le ministre a fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.
Il convient de prime abord de rappeler que le tribunal statue en l’espèce en tant que juge de la réformation ; or, le recours en réformation traduit le choix du législateur de confier au juge administratif la mission de statuer au fond et de refaire l’appréciation en fait et en droit, «voire de refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration»1 en se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, de sorte qu’il est irrelevant, dans le cadre d’un recours en réformation, que la décision litigieuse ait été légale et que l’autorité administrative qui en est l’auteur ait agi dans le cadre des pouvoirs qui étaient les siens au moment de la prise de cette décision, dès lors que de l’appréciation du juge du fond, indépendamment, c’est-à-dire sans aucun égard, en faisant abstraction de toute cause d’annulation, « et même si la situation de droit et de fait ne devait point avoir évolué depuis la prise de la décision », une autre décision est plus appropriée.
1 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C, Pas. adm. 2012, V° Recours en réformation, n° 11.
En effet, le juge de la réformation jouit d’une compétence de pleine juridiction, ce qui signifie qu’il « soumet le litige dans son ensemble à un nouvel examen et qu’il se prononce, en tant que juge administratif, (….) sur le fond du litige, ayant la compétence de réformer ou de confirmer les décisions [de l’autorité administrative] (…), quel que soit le motif sur lequel [celle-ci] s’est appuyé pour parvenir à la décision contestée. (…). Le [ juge] n’est dès lors pas lié par le motif sur lequel [l’autorité administrative] (…) s’est appuyée pour parvenir à la décision: la compétence de « confirmation » ne peut clairement pas être interprétée dans ce sens. Ainsi, le [juge] peut, soit confirmer sur les mêmes ou sur d’autres bases une décision prise par [l’autorité administrative] (…) soit la réformer (…)»2.
La mission ainsi circonscrite du juge administratif saisi d’un recours en réformation l’amenant concrètement à toiser l’affaire qui lui est soumise en lieu et place de l’autorité administrative auteur de la décision litigieuse, le tribunal analysera dès lors la situation des demandeurs, indépendamment des critiques formulées par ceux-ci à l’encontre de la décision ministérielle déférée.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
En l’espèce, s’agissant de la situation des demandeurs au Kosovo, bien que l’élément subjectif de la crainte pourrait être considéré comme présent, tel n’est cependant pas le cas de 2 Par analogie : Projet de loi réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du Contentieux des étrangers, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2005-2006, n° 51 2479/001, p. 95, cité Comité du contentieux des étrangers, 21 janvier 2012, n° 74280.
l’élément objectif, tant au regard de la situation générale des Goranais au Kosovo que par rapport aux éléments propres à la situation des demandeurs.
En effet, en ce qui concerne tout d’abord la situation générale des membres de la minorité ethnique goranaise du Kosovo, si les sources citées par les demandeurs font état d’une situation générale qui nonobstant une certaine amélioration reste difficile voire préoccupante pour les minorités du Kosovo dont de nombreux membres sont victimes de harcèlements, d’insultes, d’intimidations, voire d’agressions, il ne ressort cependant ni des arguments développés par les demandeurs, ni des éléments versés au dossier administratif que cette situation générale soit telle que tout membre de la minorité goranaise peut valablement se prévaloir de raisons de craindre des persécutions du seul fait de cette appartenance ethnique. Il en est de même de la situation générale des Serbes, auxquels le demandeur prétend être assimilé, dans l’esprit des Albanais qui le persécuteraient, en raison de son appartenance au parti G-17 Plus et de ses déclarations diffusées à la télévision.
Il se dégage en effet des explications fournies par le délégué du gouvernement, confirmées par la jurisprudence de la Cour administrative et les sources internationales dont il est fait état de part et d’autre dans le dossier, que les autorités kosovares entreprennent constamment des efforts pour améliorer le sort et la condition des membres des groupes minoritaires3. De fait, tant la Cour administrative que les rapports internationaux cités par les parties soulignent, encore récemment, la tendance générale positive qui caractérise l’évolution de la situation des minorités ethniques des Serbes et des Goranais du Kosovo4. Ainsi, les rapports de l’UNMIK et de l’UNHCR, s’ils ne nient pas que des évènements tels que ceux relatés dans les rapports présentés au tribunal par les demandeurs se déroulent encore trop souvent, constatent une situation d’ensemble généralement calme5 et une diminution exponentielle du nombre d’incidents touchant les communautés minoritaires6, de sorte que la liberté de circulation des membres des minorités ethniques au Kosovo devrait nécessairement également s’être améliorée. En outre, il ne ressort pas plus des rapports invoqués par les demandeurs à l’égard de l’accès aux soins de santé que les Goranais n’en bénéficieraient pas.
A l’inverse, il en découle que ce sont précisément les membres de la minorité goranaise qui privilégieraient les structures médicales du système parallèle serbe, notamment en raison des difficultés qu’engendrerait une mauvais connaissance de la langue albanaise. Or, si, certes, ces rapports relèvent en outre certaines réticences du personnel médical albanais par rapport aux patients goranais, le tribunal ne peut toutefois en inférer que tout membre de la minorité goranaise serait privé de soins médicaux au Kosovo en raison de son appartenance à cette communauté, ce qui est d’ailleurs contredit par la situation spécifique des demandeurs puisqu’il ressort de leurs explications que la demanderesse a été à deux reprises à l’hôpital de …7 ainsi qu’une fois à celui de …8 où elle a été soignée sans discrimination et que le 3 UNHCR - The UN Refugee Agency, UNHCR’s eligibility guidelines for assessing the international protection needs of individuals from Kosovo , 9 novembre 2009, HCR/EG/09/01, page 9 ; Trib. Adm., 14 octobre 2013, n°31754 et Cour adm. 27 mars 2012, n°29652C du rôle, www.ja.etat.lu.
4 Cour adm. 28 janvier 2013, n°32124C, 18 juin 2013, n°32290C et Cour adm. 2 juillet 2013, n° 32473C, www.ja.etat.lu ; UNHCR - The UN Refugee Agency, UNHCR’s eligibility guidelines for assessing the international protection needs of individuals from Kosovo , 9 novembre 2009, HCR/EG/09/01, page 10.
5 Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo du 12 août 2011, S/2011/514, par. 29.
6 UNHCR - The UN Refugee Agency, UNHCR’s eligibility guidelines for assessing the international protection needs of individuals from Kosovo , 9 novembre 2009, HCR/EG/09/01, page 10 ; Trib. Adm., 14 octobre 2013, n°31754, www.ja.etat.lu.
7 Rapport d’audition de la demanderesse du 10 août 2011 et du 20 janvier 2012, pp. 7 et 8/15.
8 Ibid., p.10/15.
demandeur déclare explicitement n’avoir jamais eu de problème avec les médecins9. A titre superfétatoire, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 et du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, le Kosovo est désormais à considérer comme pays d’origine sûr où il n’existe pas, généralement et de façon constante, de persécution au sens de la Convention de Genève.
Les éléments d’appréciation à la disposition du tribunal ne lui permettent dès lors pas de considérer que la situation des minorités goranaise et serbe au Kosovo soit telle que tout membre de ces communautés – dont les demandeurs – a des raisons de craindre des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006 du seul fait de son appartenance ethnique réelle ou prétendument assimilée.
Par ailleurs, en toute hypothèse, l’accent doit rester essentiellement placé sur l’appréciation de la situation individuelle des demandeurs10, comme le souligne également le rapport de novembre 2009 du UNHCR invoqué par les deux parties11, duquel il ressort en effet que même si la minorité goranaise pouvait être considérée comme étant un groupe soumis à un certain risque, aussi en fonction de la région dans laquelle les personnes concernées vivent, le UNHCR met l’accent essentiellement sur l’appréciation de la situation propre à chaque demandeur d’asile12.
C’est pourquoi il convient à présent pour le tribunal d’examiner si, en l’espèce, compte tenu de la situation particulière et concrète des consorts …, les événements dont ils font état sont susceptibles de justifier dans leur chef une crainte de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, étant rappelé qu’une crainte de persécution au sens de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Avant d’examiner plus avant les dires des demandeurs, force est au tribunal de constater que la présomption instituée par l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. S’il ressort en effet de l’article précité qu’une persécution ou des atteintes graves passées constituent un indice sérieux d’une crainte de persécution, en l’espèce, le tribunal ne peut que conclure à l’absence de persécutions passées, comme détaillé ci-dessous. Partant, l’élément déclencheur de la présomption fait défaut, et les demandeurs ne peuvent en tirer argument.
Le tribunal relève en effet en premier lieu que certains des faits rapportés par le demandeur, outre d’avoir eu lieu dans la situation particulière d’après-guerre, caractérisée par des tensions interethniques particulièrement violentes, sont trop éloignés dans le temps et dès lors exclus des éléments pris en considération par le ministre pour se prononcer sur la demande de protection internationale, ou par le tribunal pour se positionner sur le recours en réformation dont il est saisi13. Ainsi, la visite des Albanais chez les parents de Monsieur …afin de contrôler la détention éventuelle d’armes date de 1999 et la fusillade qui aurait eu lieu à 9 Rapport d’audition du demandeur du 29 septembre 2011, du 20 janvier 2012 et du 5 mars 2012, p. 5/14.
10 Trib. adm. 1er juillet 2013, n°31537, www.ja.etat.lu 11 UNHCR - The UN Refugee Agency, UNHCR’s eligibility guidelines for assessing the international protection needs of individuals from Kosovo, 9 novembre 2009, HCR/EG/09/01, point III, page 17.
12 Trib. adm. 18 janvier 2010, n°25766 du rôle, www.ja.etat.lu.
13 Trib. adm. 11 octobre 2010, n°27160, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n°123, p. 406.
l’Université de … de 2004, de sorte que le tribunal ne peut se fonder dessus pour évaluer la réalité de la crainte de persécutions dans le chef des demandeurs.
Le tribunal relève également que, s’agissant des tirs qui auraient visé la maison de la sœur du demandeur ainsi que de son éjection de chez le dentiste, des faits non personnels mais vécus par d’autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d’asile d’avoir concrètement étayé un lien entre le traitement de membres de sa famille et des éléments liés à sa propre personne l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution14. En l’espèce, les demandeurs restent en défaut de démontrer le moindre lien de ce genre autre que leur appartenance commune à la communauté des Goranais du Kosovo. Or, le tribunal s’est déjà prononcé sur les risques que subirait tout membre de cette communauté par le seul fait d’y appartenir, en refusant précisément de considérer que la situation générale au Kosovo serait telle que tout Goranais du Kosovo pourrait se prévaloir de raisons de craindre d’être persécuté du seul fait de son origine ethnique.
Ensuite, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention de européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de cette disposition, un acte doit présenter un degré de gravité certain pour pouvoir être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève, c’est-à-dire qu’il doit constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
En l’espèce, les demandeurs font état de menaces, et d’agressions subies au Kosovo qui, selon eux, justifieraient l’octroi de la protection internationale.
Le tribunal constate en premier lieu, s’agissant de la vidéo versée au dossier par les demandeurs, que la circonstance qu’il s’agisse ou non d’une caméra cachée ou d’un reportage effectivement passé à la télévision, comme discuté par les parties, indépendamment du caractère éminemment banal des propos échangés par les différents interlocuteurs dans ce film, n’est pas pertinente en l’espèce dès lors que les agressions qui en découleraient ne revêtent de toute façon pas un caractère de gravité suffisant pour être considérées comme des persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006.
En effet, les évènements décrits par les demandeurs, tant pris isolément que par leur effet cumulé, n’atteignent pas le niveau de gravité prévu par l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 14 Trib. adm. 19 février 2009, n°24649, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n°142, p. 409.
2006 rendant leur vie intolérable au Kosovo, les faits décrits, même pris en leur globalité, ne constituant en particulier pas une violation grave des droits fondamentaux de l’Homme.
Le tribunal est en effet amené à retenir que les menaces et les agressions émanant de personnes supposément d’origine albanaise sont certes tout à fait condamnables, mais s’analysent en substance en des harcèlements de la part de la population albanaise du Kosovo, lesquels ne sont pas suffisamment graves, malgré leur caractère répété, pour pouvoir retenir dans le chef des demandeurs l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de l’article 31(1) de la loi du 5 mai 2006. A cet égard, le tribunal constate que les menaces dont font état les demandeurs n’ont jamais été mises à exécution alors que leurs auteurs, s’ils avaient véritablement décidé de les tuer, auraient eu le loisir de le faire pendant la période qui s’est écoulée entre les moments où Monsieur …serait passé à la télévision ou aurait adhéré au G-17 Plus, d’une part, et le moment où les demandeurs ont quitté le Kosovo pour venir au Luxembourg, d’autre part. Particulièrement quant aux agressions qu’auraient subies les demandeurs, il s’agit d’évènements ponctuels sur une longue période de référence. Les coups qu’auraient reçus Monsieur …devant l’hôpital ont par ailleurs cessé dès la moindre opposition de la part d’un membre du personnel hospitalier, et en avril 2011 les demandeurs ont été débarqués d’une voiture sans qu’aucun coup n’ait été porté contre eux. Le tribunal constate à ce propos que les craintes dont font état les demandeurs s’inscrivent dans un sentiment général d’insécurité, lequel n’atteint pas le niveau requis pour être considéré comme fondant une crainte de persécution au sens de l’article 31 (1) précité15. Finalement, en ce qui concerne les prétendues discriminations concernant l’accès à des soins médicaux, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort d’aucun élément lui soumis que les consorts…auraient rencontrés des difficultés lors de leurs visites médicales, alors que le tribunal aurait déjà conclu que les faits subis par la sœur du demandeur ou par tout autre membre de la communauté goranaise ne seraient pas pertinents en l’espèce. Le critère de la gravité des actes considérés comme une persécution au sens de la loi du 5 mai 2006 et de la Convention de Genève n’est donc pas rempli en l’espèce.
Quoi qu’il en soit, compte tenu du fait que les auteurs des actes considérés par les demandeurs comme des persécutions, émanant apparemment de certains éléments de la population albanaise, sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, les demandeurs ne sauraient de toute façon faire valoir un risque réel de subir des persécutions que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas leur fournir une protection effective contre ces persécutions ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécutions par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes persécutées par des acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions et atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres 15 Trib. adm. 7 octobre 1998, n° 10719, Pas. Adm., 2012, V° Etrangers, n°119.
lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. ». Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, d’identifier, de poursuivre et de punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. A cet égard, le tribunal rappelle également que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
En l’espèce, les demandeurs sont mal fondés à arguer de l’absence de protection de la part des autorités kosovares du fait qu’ils n’ont pas sollicité cette protection et n’ont donc pas mis les autorités en mesure de la leur apporter. Il ne saurait en effet en principe être admis qu’un demandeur, aux fins d’obtenir le statut de réfugié ou celui conféré par la protection subsidiaire, se prévale de l’incapacité des autorités en place d’assurer sa protection sans avoir seulement tenté d’obtenir une telle protection16. La prétendue crainte des consorts…de subir des représailles s’ils portaient plainte ne met pas cette affirmation en échec dès lors qu’il ressort tant de leurs auditions que de leur requête qu’ils auraient de toute façon déjà eu les mêmes craintes sur base des menaces subies en ce sens, qui seraient fondées sur leur appartenance à la communauté des Goranais et à leur supposé rapprochement avec les Serbes du Kosovo, de sorte que porter plainte auprès de la police n’aurait pas pu empirer leur situation tout en leur offrant à l’inverse la possibilité d’une protection des autorités kosovares. Quant à la prétendue inaction de ces dernières, si les demandeurs avaient eu le sentiment que leurs doléances n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux, il leur aurait été possible de protester contre le comportement des policiers auprès de l’Ombudsman qui a pour mission d’enquêter sur tout reproche en matière de violations des droits de l’Homme, ou auprès de l’Inspectorat de Police du Kosovo17, ce qu’ils n’ont également pas fait.
Partant, le tribunal ne peut suivre le raisonnement des demandeurs selon lequel les autorités kosovares se trouveraient dans l’impossibilité de les protéger, raisonnement qu’ils tiennent en outre sans toutefois fournir le moindre élément de nature à démontrer que le Kosovo ne prendrait pas de mesures raisonnables pour empêcher les agissements dont les demandeurs prétendent avoir été victimes, étant relevé que les extraits de rapports cités dans la requête ne sont pas pertinents in casu. Ainsi, les extraits du rapport de l’UNHCR « World Report » sur le Kosovo du 22 janvier 2012 concernent uniquement la répression des crimes de guerre, des fraudes électorales, ainsi que du crime organisé, de sorte que ces citations sont sans rapport avec le cas d’espèce. Par ailleurs, le rapport du « United States Department of State » du 24 mai 2012 est cité par les demandeurs à l’appui de leurs allégations selon lesquelles le système judiciaire serait corrompu, alors que ces rapports font à l’inverse état 16 Trib. adm. 30 avril 2008, n° 23732, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, p. 405, n°115.
17 Trib. adm. 14 octobre 2013, n°31754, www.ja.etat.lu.
d’arrestations et de procédures contre des officiers et des juges corrompus, ce qui démontre précisément l’effectivité de la lutte contre la corruption mise en place au Kosovo et les progrès réalisés en ce sens. Finalement, la nécessité d’améliorer le fonctionnement de la justice, mise en exergue dans certains extraits présentés dans la requête, n’implique pas automatiquement l’impossibilité pour les autorités de protéger les demandeurs, comme en attestent les mêmes rapports lorsqu’ils font état d’arrestations et de procès menés à bien18.
Ce constat est par ailleurs corroboré par les informations issues des rapports cités par la partie étatique. En effet, comme le tribunal l’a déjà relevé, il se dégage de la jurisprudence récente des juridictions administratives et des explications circonstanciées ainsi que des sources citées par la partie étatique que la police kosovare se distingue de par sa mixité ethnique ainsi que par une forte intégration des minorités ethniques en son sein et qu’elle aurait de ce fait gagné la confiance des populations serbes rurales19. Il ressort d’ailleurs à cet égard des explications de la partie étatique que l’accès à la justice pour les personnes d’ethnie goranaise est possible, du fait notamment que sur les 64 officiers de police au commissariat de la municipalité de …, où se sont déroulés les faits dénoncés par les demandeurs, 15 sont d’ethnie goranaise20. Il ressort également des rapports internationaux que la police a accompli des progrès sensibles21, que de manière générale la situation des minorités du Kosovo s’améliore et que les autorités kosovares montrent un activisme particulier à lutter contre la criminalité et à contrer la corruption22, notamment par le biais de la création d’une administration spécialement chargée de la mise en place de mesures de lutte contre la corruption23.
Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de fournir aux consorts…une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.
Le tribunal relève à titre superfétatoire que les demandeurs habitaient à … les années précédant leur départ, alors qu’il ressort incontestablement de leurs déclarations que les évènements dont ils font état et qui seraient constitutifs de persécutions passées n’ont pas eu lieu à cet endroit mais bien dans la région de …, et plus particulièrement à …, qui se situe dans la partie sud du Kosovo. Partant, leurs craintes d’être persécutés dans leur région de résidence ne reposent sur aucun élément pertinent.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié présentées par les demandeurs comme étant non fondées. Le recours des demandeurs est par conséquent à déclarer comme non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de leur accorder le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut 18 Human Rights Watch, World Report 2012, p. 493 et 495.
19 International Crisis Group Working to Prevent Conflict Worldwide, Setting Kosovo Free: Remaining Challenges, Europe Report n°218, 10 septembre 2012, p. 6 ; Trib. adm. 14 octobre 2013, n°31754, www.ja.etat.lu.
20 OSCE, Kosovo Communities Profile, 2010, p. 6.
21 Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo du 31 janvier 2012, S/2012/72, p. 6.
22 Rapport du Secrétaire général sur la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo du 31 janvier 2012, S/2012/72, pp. 16 et 17.
23 Trib. adm. 14 octobre 2013, n°31754, www.ja.etat.lu.
conféré par la protection subsidiaire, l’article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Le tribunal constate qu’à l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes en reconnaissance du statut de réfugié, de sorte qu’ils s’exposeraient en cas de retour aux atteintes graves au sens de l’article 37 et plus particulièrement à des traitements inhumains, lesquels résideraient à tout le moins dans le fait de devoir vivre dans la crainte constante de subir des atteintes graves.
Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié, force est de constater que les risques invoqués par les demandeurs de s’exposer à des traitements inhumains en cas de retour au Kosovo manquent de gravité et ne sauraient justifier l’octroi du statut de protection subsidiaire, et ce d’autant plus qu’il a été retenu ci-avant qu’il ne serait pas démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de fournir aux demandeurs une protection adéquate au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 : en effet, tout comme la notion de « réfugié », celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » implique, outre nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins le risque d’atteintes graves, une absence de protection dans le pays d’origine, de sorte que les demandeurs ne sauraient faire valoir un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 précité. Par ailleurs, dans les affaires où un requérant en passe d’être expulsé allègue qu’il risque d’être soumis à des mauvais traitements dans le pays de destination, la Cour européenne des droits de l’Homme examine systématiquement si la crainte est fondée, en ce que le requérant risque effectivement d’être soumis aux traitements redoutés. La crainte n’est donc pas constitutive en elle-même de traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme dans ce contexte, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à constater qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur base des mêmes évènements ou arguments que ceux invoqués dans le cadre des demandes en reconnaissance du statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que les demandeurs encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leurs pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut de protection internationale encourt la réformation, l’ordre de quitter devrait également être annulé.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre l’ordre de quitter le territoire.
En ordre subsidiaire, ils concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. Les demandeurs estiment en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. L’ordre de quitter le territoire ne serait pas une conséquence légale du refus de protection internationale alors qu’il existerait des critères bien particuliers qui interdiraient l’éloignement d’un étranger vers un pays où il risquerait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, qui seraient étrangers à ceux selon lesquels un statut de protection internationale peut être accordé. Les demandeurs estiment avoir établi la réalité du risque pesant sur eux et qui interdirait leur éloignement vers le Kosovo et ce grâce au faisceau d’indices qui serait constitué par toutes les violences morales dont ils auraient d’ores et déjà été victimes et par les multiples menaces dont ils auraient déjà fait l’objet. Les demandeurs soutiennent encore que la situation de détresse dans laquelle ils seraient plongés en cas de retour au Kosovo, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant, sans pour autant faire référence à une quelconque décision de la Cour européenne des droits de l’Homme en ce sens. Ils soutiennent encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2 de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une telle mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Kosovo, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ainsi qu’à l’existence d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités de leur pays, de sorte que le tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH24, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs au Kosovo soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
24 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 décembre 2012 portant rejet d’un statut de protection internationale aux consorts…;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 19 décembre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19/12/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 20