Tribunal administratif N° 32948 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2013 1re chambre Audience publique du 16 décembre 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, en matière d’aides agricoles
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32948 du rôle et déposée le 25 juin 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Edith REIFF, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 3 avril 2012 portant refus de lui accorder le bénéfice d’aides en vertu du règlement grand-ducal modifié du 26 août 2009 instituant un régime d’aides favorisant les méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de la protection de l’environnement et de l’entretien de l’espace naturel, confirmée suite à un recours gracieux du 2 juillet 2012 par une décision du même ministre du 25 mars 2013 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 novembre 2013 pour le compte de l’Etat.;
Vu le mémoire en réplique de Maître Edith REIFF déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 novembre 2013 pour le compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marina PETKOVA, en remplacement de Maître Edith REIFF, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 décembre 2013.
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En date des 3 novembre 2009, 2 août 2010 et 27 juillet 2011, Monsieur … introduisit trois demandes auprès du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, ci-
après « le ministre », en vue de bénéficier des aides prévues par le règlement grand-ducal modifié du 26 août 2009 instituant un régime d’aides favorisant les méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de la protection de l’environnement et de l’entretien de l’espace naturel, ci-après « le règlement grand-ducal du 26 août 2009 ».
Il ressort des éléments du dossier que seule la demande du 27 juillet 2011 fut accueillie favorablement par le ministre après une rectification opérée d’office par l’administration des services techniques de l’agriculture quant au régime des aides sollicitées sur le formulaire préétabli par l’administration.
En effet, par décision du 18 octobre 2011, le ministre rejeta la première demande du 3 novembre 2009.
Le recours gracieux introduit en date du 2 novembre 2011 contre la décision ministérielle de refus du 18 octobre 2011, resta sans suites.
Par décision du 3 avril 2012, le ministre rejeta également la deuxième demande du 2 août 2010, décision de refus qui fut confirmée par le ministre en date du 25 mars 2013 suite à l’introduction d’un recours gracieux le 2 juillet 2012.
A partir du 1er janvier 2013, l’épouse du demandeur, Madame …, reprit l’exploitation de l’entreprise agricole jusque-là exploitée par le demandeur.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juin 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 avril 2012, confirmée sur recours gracieux par décision ministérielle du 25 mars 2013.
Dans son recours, le demandeur sollicite principalement la réformation des décisions ministérielles litigieuses du fait de la violation par le ministre des articles 3 et 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ainsi que de l’article 47 (1) du règlement grand-ducal précité du 26 août 2009, de même que pour excès de pouvoir dans le chef du ministre au vu du délai déraisonnable et excessif pour l’instruction de la demande et la prise de décision, tout en sollicitant à titre subsidiaire l’annulation des décisions ministérielles déférées.
En ce qui concerne la recevabilité du recours tel qu’introduit par le demandeur, ni la loi modifiée du 18 avril 2008 concernant le renouvellement du soutien au développement rural, ci-
après dénommée « la loi du 18 avril 2008 », ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être valablement introduit.
Le tribunal n’est donc pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours subsidiaire en annulation formé à l’encontre des décisions ministérielles attaquées est quant à lui recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
Il résulte toutefois des explications de la partie étatique ainsi que des pièces versées en cause, qu’en date du 24 septembre 2013, le ministre a informé l’épouse du demandeur, Madame …, ayant repris l’exploitation de la ferme agricole de son époux avec effet au 1er janvier 2013, que ses décisions portant refus d’accorder les aides sollicitées par le biais de la demande du 2 août 2010 étaient annulées et qu’elles étaient remplacées par une décision ministérielle du 19 septembre 2013 faisant cette fois-ci droit à la demande en obtention d’aides agricoles telle qu’introduite par le demandeur le 2 août 2010.
Il y a encore lieu de constater que dans son mémoire en réplique le demandeur, tout en prenant acte de la décision ministérielle du 19 septembre 2013 accordant le bénéfice des aides agricoles sollicitées et en constatant que le recours sous analyse serait devenu sans objet, demande au tribunal de condamner le ministre, au vu des démarches et diligences accomplies par ses soins, à une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
En l’espèce, si au moment de l’introduction du recours sous analyse, celui-ci avait certes un objet, à savoir les décisions ministérielles portant refus d’accorder au demandeur les aides agricoles sollicitées, lesdites décisions ont fait l’objet d’un retrait rétroactif le 24 septembre 2013 tout en étant remplacées par une décision ministérielle du 19 septembre 2013 accordant cette fois-ci à l’épouse du demandeur le bénéfice des aides sollicitées. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que si la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement, il en va différemment si le recours est dirigé contre un acte aux effets duquel il est mis fin sans effet rétroactif. Dans ce cas, le recours, introduit avant l’annulation de l’acte déféré, conserve un objet pour la période où l’acte attaqué a été en vigueur. En revanche, si l’acte est retiré avec effet rétroactif, comme c’est le cas en l’espèce, le recours perd son objet. La sortie de vigueur rétroactive d’un acte administratif résulte de l’annulation de la décision, soit par la juridiction administrative, soit par l’autorité administrative elle-même, en l’espèce le ministre.
Comme en cas d’annulation par le juge, en cas de retrait de la décision par l’administration elle-
même, la décision sera réputée n’avoir jamais existé. En effet, il s’agit d’une possibilité offerte à l’autorité administrative de réparer spontanément ses erreurs en réalisant elle-même ce que ferait le juge saisi d’un recours contentieux1.
Au vu des considérations qui précèdent et compte tenu de la décision de retrait rétroactive du ministre du 24 septembre 2013 ainsi que de la décision ministérielle du 19 septembre 2013 portant attribution à Madame … des aides sollicitées par le demandeur, les décisions ministérielles litigieuses délivrées par le ministre sont réputées ne jamais avoir existé, de sorte que le recours sous analyse est à déclarer non fondé dans la mesure où il n’a pas d’objet.
Le demandeur réclame toutefois encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».
Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de l’attitude affichée par l’Etat qui, suite au recours gracieux circonstancié introduit par le litismandataire du demandeur en date du 2 juillet 2012, a tout d’abord maintenu sa décision de 1 Trib. adm. 16 juin 2010 n° 26323 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 289.
refus - décision qui a d’ailleurs été prise le 25 mars 2013, soit plus de huit mois après le recours gracieux -, de sorte à obliger le demandeur à se pourvoir en justice sous l’assistance d’un avocat, pour ensuite, en cours de procédure contentieuse seulement, se raviser et accorder l’autorisation initialement sollicitée de sorte à avoir rejoint, pour le moins implicitement, la position du demandeur, il paraît inéquitable de laisser à la charge du demandeur l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.
Aussi, compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer au demandeur à un montant de 750.- euros.
Pour les mêmes motifs, il y a lieu de condamner l’Etat aux frais et des dépens de l’instance conformément à l’article 32 de la loi du 21 juin 1999 précitée.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
déclare le recours subsidiaire en annulation non fondé ;
condamne l’Etat à payer au demandeur un montant de 750.- euros à titre d’indemnité de procédure ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 décembre 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Andrée Gindt, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen 4