Tribunal administratif N° 31590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2012 1re chambre Audience publique du 16 décembre 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du délégué du Procureur Général d’Etat en matière d’exécution des peines
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31590 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2012 par Maître Miloud AHMED-BOUDOUDA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (France), actuellement incarcéré au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du 26 juillet 2012 du délégué du Procureur Général d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg rejetant son recours contre la décision disciplinaire du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 25 mai 2012 portant retrait des activités récréatives et sportives pour une durée de trois jours ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 14 janvier 2013 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 15 février 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Miloud AHMED-BOUDOUDA au nom du demandeur ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Miloud AHMED-
BOUDOUDA et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 décembre 2013.
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Par compte-rendu d’incident du 20 mai 2012 établi par deux agents du Centre pénitentiaire de Luxembourg, faisant partie de l’administration pénitentiaire auprès du ministère de la Justice, il fut constaté que les détenus … et …s’étaient livrés à une rixe en date de ce même jour au moment où ils devaient rentrer de la promenade dans la cour du Centre pénitentiaire.
Par une décision disciplinaire du 25 mai 2012, le directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg retint que Monsieur … se serait rendu coupable de l’infraction de rixe avec un détenu et prononça à son encontre la punition du retrait des activités récréatives et sportives pour une durée de trois jours.
Par courrier du 29 mai 2012, le directeur adjoint du Centre pénitentiaire de Luxembourg transmit au délégué du Procureur Général d’Etat le rapport de service, respectivement le dossier disciplinaire mettant en cause Messieurs …et … du chef de coups et blessures volontaires.
Par courrier de son mandataire du 12 juillet 2012, Monsieur …, en affirmant qu’il se serait fait agresser sans raisons, tel que pourraient en témoigner six détenus, introduisit un recours auprès du délégué du Procureur Général d’Etat par lequel il sollicita la réformation de la décision disciplinaire du 25 mai 2012, précitée, sinon que les six détenus ayant été présents lors de l’incident litigieux soient entendus, respectivement entendus à nouveau. Il demanda encore le retrait de son dossier du compte-rendu d’incident du 20 mai 2012, précité, et l’ouverture d’une enquête sur l’incident litigieux.
Par une décision du 26 juillet 2012, notifiée à l’intéressé le 27 juillet 2012, le délégué du Procureur Général d’Etat rejeta le recours de Monsieur…. Cette décision est libellée comme suit :
« Vu la décision disciplinaire prise à l'encontre de … par le directeur du CPL en date du 25 mai 2012 ayant prononcé - le retrait des activités récréatives et sportives pour la durée de 3 jours pour rixe avec un détenu.
Vu le recours introduit par Maître Miloud AHMED-BOUDOUDA en date du 12 juillet 2012 et entré au Parquet Général le 23 juillet 2012 ;
Vu les éléments de la procédure disciplinaire, notamment du compte-rendu d'incident du 20 mai 2012 et de l'audition de … du 21 mai 2012.
Il résulte des déclarations des agents que les deux détenus impliqués se sont mutuellement agressés. Ces faits ne sont pas clairement confirmés par les déclarations des détenus « témoins ».
Les déclarations de … sont dès lors fausses quand il prétend que 5 détenus auraient vu qu'il avait été agressé en premier lieu.
Au vu des éléments du dossier disciplinaire le recours n'est dès lors pas fondé. La sanction prise à l'encontre du détenu est justifiée, légale et adaptée à la gravité du fait commis ;
Par ces motifs rejette le recours de … […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2012, inscrite sous le numéro 31590 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision du 26 juillet 2012 précitée du délégué du Procureur Général d’Etat du Grand Duché de Luxembourg rejetant son recours contre la décision disciplinaire du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 25 mai 2012 portant retrait des activités récréatives et sportives pour une durée de trois jours.
Le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la compétence du tribunal pour connaître du présent recours et soulève en outre l’irrecevabilité du recours en réformation.
Le tribunal se voit en l’espèce déférer une décision du délégué du Procureur Général d’Etat rejetant le recours du demandeur contre une décision disciplinaire du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg. La décision litigieuse du délégué du Procureur Général d’Etat est prise en application de l’article 212 du règlement grand-ducal modifié du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires, ci-
après dénommé « le règlement grand-ducal du 24 mars 1989 », qui dispose que : « Il est permis au détenu auquel une décision du directeur de l’établissement a fait grief de former un recours auprès du procureur général d’Etat. […] » Le Procureur Général d'Etat, respectivement son délégué sont des magistrats relevant de l'ordre judiciaire. Les décisions qu'ils sont amenés à prendre dans le cadre de leur activité relèvent de l'ordre judiciaire lorsqu'elles tendent à l'élaboration d'une décision juridictionnelle. Dans le cas contraire, ils peuvent soit poser des actes administratifs comme tels soumis au contrôle du juge administratif, soit poser des actes de pure administration interne n'affectant pas les droits des administrés et partant soustraits à tout recours contentieux.1 La décision du délégué du Procureur Général d'Etat intervenant, tel qu’en l’espèce, suite au recours introduit par un détenu contre une décision du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg au sens de l’article 212 du règlement grand-ducal du 24 mars 1989 ne constitue pas une décision qui tend à l'élaboration d'une décision juridictionnelle, mais une mesure d'administration concernant la discipline des détenus dans l’établissement pénitentiaire.
Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a pu être déposé.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en réformation.
Le délégué du gouvernement conteste encore la recevabilité du recours pour libellé obscur. Il reproche au demandeur d’invoquer des moyens de droit basés sur des causes d’illégalité externe et interne sans préciser en quoi consisteraient ces illégalités. Ces moyens ne seraient pas suffisamment précisés pour permettre à la partie étatique de prendre position Aux termes de l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « La requête, qui porte date, contient : […] l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, […] ». Ainsi, il incombe au demandeur d’indiquer sommairement les faits à la base de sa requête, ainsi que les moyens qu’il entend invoquer contre la décision administrative déférée.
Il appartient au tribunal saisi d'apprécier in concreto si l'exposé sommaire des faits et des moyens, ensemble les conclusions s'en dégageant, est suffisamment explicite ou non.
1 Voir. Trib. adm. 28 mars 2007, n° 22044 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Actes administratifs, n°10 et les autres références y citées L’exceptio obscuri libelli, qui est d'application en matière de contentieux administratif, sanctionne d’irrecevabilité l'acte y contrevenant, étant entendu que son but est de permettre au défendeur de savoir quelle est la décision critiquée et quels sont les moyens à la base de la demande, afin de lui permettre d'organiser utilement sa défense,2 sous réserve de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 qui dispose que « L’inobservation des règles de procédure n'entraîne l'irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».
En l’espèce, s’il est vrai que l’indication des faits et moyens dans la requête introductive d’instance est très succincte et se limite à une discussion des faits reprochés au demandeur, sans aucune argumentation juridique, force est au tribunal de constater que la partie étatique ne s’est pas méprise à ce sujet puisqu’elle a utilement pu présenter ses moyens de défense quant au fond, même si elle a choisi de le faire qu’à titre subsidiaire. Le tribunal est dès lors amené à retenir que les droits de la défense de la partie étatique n’ont pas été violés en l’espèce.
Il s’ensuit que le moyen relatif à l’exceptio obscuri libelli est à rejeter pour ne pas être fondé.
Le recours en annulation est dès lors recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
De manière générale, il convient encore de rappeler que saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en un dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité.3 A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la décision disciplinaire du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 25 mai 2012 constituerait une sanction injuste dans son chef puisqu’il n’aurait pas commis les faits lui reprochés, en l’occurrence une rixe avec un autre détenu.
Il cite des extraits de la décision déférée du 26 juillet 2012 pour en déduire que le délégué du Procureur Général d’Etat aurait retenu que les faits lui reprochés ne seraient pas établis, mais qu’il aurait néanmoins prononcé la sanction illégale en cause.
2 Voir trib. adm. 30 avril 2003, n° 15482 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 386 et les références y citées 3 cf. Cour adm. 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 22 et autres références y citées En droit, en ce qui concerne l’illégalité externe de la décision sous examen, le demandeur se rapporte à prudence de justice.
S’il est vrai que le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a formulé aucun moyen concret à l’appui de sa contestation. Or, une contestation non autrement développée et non circonstanciée est à écarter. En effet, il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de faire des suppositions sur le moyen que ce dernier a voulu soulever au risque de violer des droits de la défense. Il s’ensuit que la contestation de la légalité externe de la décision litigieuse est à écarter.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le demandeur fait en substance valoir que les faits lui reprochés ne seraient pas établis et renvoie à cet égard encore aux témoignages d’autres détenus dont les rapports dressés par des agents du Centre pénitentiaire de Luxembourg sont d’ailleurs versés parmi les pièces du dossier.
Le délégué du gouvernement constate que le demandeur se baserait sur des déclarations d’autres détenus témoins de la rixe litigieuse dans laquelle il a été impliqué, dont il ressortirait qu’il aurait été victime de cette rixe qui aurait été initiée par un autre détenu.
Il explique que la décision déférée du délégué du Procureur Général d’Etat du 26 juillet 2012 serait à comprendre en ce sens que les faits de la rixe en tant que telle seraient bien tenus pour établis, mais non pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il se serait fait agresser sans raisons, ce qu’il entendrait rapporter par les témoignages de six autres détenus. Le représentant étatique en déduit que la sanction du retrait des activités sportives et récréatives en ce qu’elle constituerait une sanction de moindre gravité ne serait pas une sanction injuste au regard du catalogue des sanctions disponibles.
L’article 185 du règlement grand-ducal du 24 mars 1989 dispose que : « Tout comportement individuel ou collectif de nature à troubler le bon ordre de l’établissement ou le repos des codétenus est interdit aux détenus. » Il résulte de cette disposition que tout comportement individuel ou collectif de nature à troubler le bon ordre de l’établissement ou le repos des codétenus est interdit aux détenus, c’est-à-dire que tout comportement y visé est prohibé aux détenus, indépendamment du fait qu’un détenu déterminé soit à l’origine ou non de ce comportement, le simple fait qu’il soit seulement impliqué dans ce comportement étant suffisant pour tomber dans le champ d’application de l’article 185, précité.
Aux termes de l’article 195 du règlement grand-ducal du 24 mars 1989 : « Les infractions aux lois, règlements et instructions ainsi que les actes de désobéissance, les actes d’indiscipline et d’insubordination sont punis suivant les circonstances et la gravité du cas. » L’article 195 du règlement grand-ducal du 24 mars 1989 impose ainsi le respect du principe de la proportionnalité lors de la punition des infractions aux lois, règlements et instructions, ainsi que des actes de désobéissance, d’indiscipline et d’insubordination Force est au tribunal de constater que le demandeur ne met pas en cause la légalité en tant que telle de la punition lui infligée, à savoir le retrait des activités récréatives et sportives pendant une durée de trois jours, et qu’il ne conteste pas non plus avoir participé à la rixe litigieuse, mais qu’il insiste essentiellement sur la circonstance qu’il n’aurait pas été à l’origine de cette rixe.
Or, tel que cela a été relevé ci-avant, l’article 185 du règlement grand-ducal du 24 mars 1989 ne fait pas de distinction selon qu’un détenu, ayant troublé le bon ordre de l’établissement, ait provoqué ou ait seulement participé au trouble du bon ordre en cause, en l’occurrence une rixe. Il s’ensuit que l’affirmation du demandeur qu’il n’aurait pas été à l’origine de la rixe litigieuse n’est pas pertinente en l’espèce et qu’il devient dès lors surabondant d’analyser les témoignages d’autres détenus afin de déterminer si le demandeur a provoqué la rixe litigieuse ou non.
L’article 197 du règlement grand-ducal du 24 mars 1989 énumère « les punitions qui peuvent être prononcées à l’encontre des détenus » aux points 1 à 12 par ordre croissant de gravité. L’article 197 prévoit en son point 9 « le retrait de tout ou partie des activités en commun », c’est-à-dire la catégorie de punition prononcée à l’égard du demandeur sous la forme d’un retrait des activités récréatives et sportives.
Encore que la punition litigieuse du retrait des activités récréatives et sportives figure parmi les punitions les plus sévères, l’article 197 du règlement grand-ducal 24 mars 1989 ne prévoyant que trois catégories de punitions plus graves, cette punition a toutefois été limitée à une période très brève de trois jours, de sorte que le tribunal est amené à retenir, au vu des éléments à sa disposition, que le principe de la proportionnalité n’a pas été violé en l’espèce.
C’est dès lors à bon droit que par la décision déférée du 26 juillet 2012, le délégué du Procureur Général d’Etat a rejeté le recours du demandeur introduit contre la décision disciplinaire du directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 25 mai 2012 portant retrait des activités récréatives et sportives pour une durée de trois jours.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 500.- euros sollicitée par le demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en réformation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 décembre 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Andrée Gindt, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16/12/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 7