Tribunal administratif Numéro 33707 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 décembre 2013 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 13 décembre 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33707 du rôle et déposée le 5 décembre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunésie), et être de nationalité tunésienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 28 novembre 2013 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2013 par Maître Louis Tinti au nom et pour le compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 décembre 2013.
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Le 3 janvier 2013, Monsieur … fit l’objet d’un mandat d’amener du chef de vol. Il fut condamné à une peine d’emprisonnement de 8 mois du chef de vol par jugement du 10 juillet 2013 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle. La fin de la peine fut fixée au 30 août 2013.
Le 27 août 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … une décision de retour et un arrêté de placement en rétention, les deux actes furent notifiés à l’intéressé le 30 août 2013. L’arrêté de placement fut basé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 27 août 2013 ;
Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par arrêté du 25 septembre 2013, notifié à l’intéressé en mains propres en date du 30 septembre 2013, le ministre prorogea une première fois pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement précitée du 27 août 2013. Ladite décision est basée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 27 août 2013, notifié le 30 août 2013, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 17 juin 2013 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par arrêté du 28 octobre 2013, notifié à l’intéressé en mains propres en date du 30 octobre 2013, le ministre prorogea une seconde fois pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement précitée. La décision est basée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 27 août et 25 septembre 2013, notifiés le 30 août, respectivement le 30 septembre 2013, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de ces mesures de placement subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par arrêté du 28 novembre 2013, notifié à l’intéressé en mains propres en date du 29 novembre 2013, le ministre prorogea une troisième fois pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement précitée. La décision est basée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 27 août, 25 septembre et 28 octobre 2013, notifiés le 30 août, respectivement le 30 septembre et 30 octobre 2013, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de ces mesures de placement subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que l’éloignement de l’intéressé vers la Tunisie était prévu pour le 28 novembre 2013 ;
Considérant que le document de voyage nécessaire à l’éloignement n’a pas été transmis aux autorités luxembourgeoises en temps utile ;
Considérant qu’une nouvelle date pour l’éloignement sera fixée dans les meilleurs délais ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par requête déposée le 5 décembre 2013 au greffe du tribunal administratif et inscrite sous le numéro 33707 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision de prorogation précitée du 28 novembre 2013.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation, recours qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’antérieurement à la décision ministérielle déférée, il aurait subi une intervention chirurgicale qui aurait été nécessaire en raison du fait qu’il aurait volontairement ingéré un coupe-ongle, évènement qui se serait suivi d’actes d’automutilations graves. Ce comportent, manifestement l’expression d’un profond désarroi sinon de troubles psychiatriques, aurait conduit les médecins à le garder sous surveillance psychiatrique pendant un court lapse de temps.
Etant donné que la liberté de tout individu relèverait d’un principe auquel il ne saurait être porté atteinte que dans des cas exceptionnels et de manière spécialement prévue par la loi, une mesure de privation de liberté devrait respecter le principe de proportionnalité de même que l’autorité administrative aurait l’obligation d’entreprendre toutes les mesures relevant de sa compétence afin d’écourter au maximum l’atteinte à la liberté subie.
Plus particulièrement, en présence d’une personne qui souffrirait manifestement de troubles psychiatriques qui au demeurant se seraient traduites par divers passages à l’acte ayant emporté une atteinte à son intégrité physique, l’autorité ministérielle devrait accomplir des efforts particuliers afin d’écourter autant que possible sa privation de liberté.
En l’espèce, il n’aurait toujours pas été éloigné vers son pays d’origine alors même que les documents de voyage à la possession desquels se trouverait subordonné l’exécution de la mesure d’éloignement seraient probablement en possession des autorités luxembourgeoises dans la mesure où ils leurs auraient été transmis à la fin du mois de novembre 2013.
Le délégué donne à considérer que le rapatriement du demandeur aurait été organisé pour le 28 novembre 2013, mais qu’il aurait du être reporté par la Police judiciaire. Cependant, le rapatriement devrait se faire rapidement, de sorte que le recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant aux conditions auxquelles doit suffire une décision de prorogation d’un placement en rétention, l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois. Cette mesure peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
Force est au tribunal de constater que, tel que relevé ci-avant, le demandeur conteste en substance que les autorités luxembourgeoises aient déployé tous les moyens à leur disposition afin d’écourter au maximum la privation de liberté à laquelle il est soumis. Or, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier administratif versé en cause que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de voyage valables et qu’il est connu sous deux identités différentes, de sorte que les recherches des autorités tunisiennes, contactées une première fois par les autorités luxembourgeoises le 2 septembre 2013, nécessitaient forcément un certain temps.
Par ailleurs, tel que relevé ci-avant, il ressort des pièces versées en cause et notamment du dossier administratif, qu’en date du 2 septembre 2013, c’est-à-dire le premier jour ouvrable suivant la notification de la première mesure de placement en rétention du 27 août 2013, en l’occurrence le 30 août 2013, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités tunisiennes afin que celles-ci délivrent au demandeur un laissez-passer. Les autorités tunisiennes ont encore été relancées les 2 et 21 octobre 2013, par courrier de rappel respectivement par voie téléphonique tel qu’il ressort d’une note au dossier du 22 octobre 2013. Le 31 octobre 2013, ces dernières ont marqué leur accord à la reprise du demandeur. Le rapatriement du demandeur a alors été organisé par les autorités luxembourgeoises pour le 28 novembre 2013. Cependant, il ressort encore des pièces versées en cause que ce rapatriement par avion, dont le départ était prévu à 6.55 heures du matin, a dû être annulé dans la mesure où le laissez-passer transmis par les autorités tunisiennes par voie postale n’a été réceptionné par les autorités luxembourgeoises qu’en date du 28 novembre 2013. Le lendemain, les services compétents du ministère des affaires étrangères ont saisi la police judiciaire luxembourgeoise afin que celle-ci organise à nouveau le rapatriement du demandeur. En date du 9 décembre 2013, les autorités luxembourgeoises ont sollicité un billet d’avion aller-simple du Luxembourg à Tunis. Une nouvelle date pour le rapatriement du demandeur fut fixée au 17 décembre 2013.
Par voie de conséquence, il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement du demandeur est toujours en cours et est exécutée avec toute la diligence requise.
Partant, le moyen du demandeur tiré d’une insuffisance de démarches effectuées par le ministre en vue de son éloignement est à rejeter pour ne pas être fondé.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’état de santé du demandeur et le moyen afférent selon lequel cet état de santé obligerait les autorités ministérielles d’effectuer les diligences de manière particulièrement rapide. En effet, tels que relevé ci-avant, les diligences effectuées en l’espèce ont abouti à un résultat satisfaisant dans des délais raisonnables, de sorte qu’ils sont exempts de critiques et que le tribunal ne saurait déceler, dans l’attitude des services du ministère, un manque de prise en considération de la situation particulière du demandeur.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens invoqués par le demandeur, le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Daniel Weber, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 13 décembre 2013, à 11.00 heures, par le vice-président Claude Fellens, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.12.2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6