Tribunal administratif Numéro 33581 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 novembre 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 14 novembre 2013 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33581 du rôle et déposée le 6 novembre 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité belge, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 28 octobre 2013, ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 novembre 2013.
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Monsieur …, connu sous différents alias, purgea une peine d’emprisonnement de six mois au centre pénitentiaire de Luxembourg jusqu’au 2 août 2012.
En date du 18 juillet 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-
après désigné par « le ministre », prit une décision de retour à l’égard de Monsieur … sur le fondement des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », et prononça en même temps une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, sur base des antécédents judiciaires de l’intéressé, en considérant qu’il constituait une menace pour l’ordre public, et que, d’autre part, il n’était en possession ni d’un passeport en cours de validité, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Par un arrêté du 26 juillet 2012, notifié à l’intéressé le 2 août 2012, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois. Ce placement en rétention fut prolongé à plusieurs reprises et le Consulat de la République Algérienne sis à Bruxelles fut contacté en vue de l’identification de Monsieur … et, le cas échéant, de la délivrance d’un laissez-passer. L’identité et le pays d’origine de Monsieur … n’ayant pas pu être établie, le ministre ordonna sa libération immédiate en date du 21 novembre 2012.
En août 2013, Monsieur … fit de nouveau l’objet d’un mandat d’amener pour vol. Par arrêt de la chambre du conseil de la Cour d’appel du 24 septembre 2013, la libération conditionnelle de Monsieur … fut prononcée.
Par un arrêté du 2 octobre 2013, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois.
Le recours contentieux introduit contre cet arrêté fut déclaré non fondé par un jugement du 22 octobre 2013 (n° 33480 du rôle).
Par un arrêté du 28 octobre 2013, notifié à l’intéressé le 31 octobre 2013, le ministre ordonna la prorogation du placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois.
Ladite décision est fondée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 2 octobre 2013, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 2 octobre 2013 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement […] » Par requête déposée le 6 novembre 2013 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de prorogation du placement en rétention du 28 octobre 2013 précitée.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision en matière de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, après avoir rappelé que le ministre a l’obligation de déployer tous les efforts nécessaires afin de s’assurer que la mesure d’éloignement puisse être exécutée sans retard, le demandeur fait valoir de manière très succincte qu’il aurait déjà fait l’objet d’une mesure de rétention pendant quatre mois en 2012 et que les autorités n’auraient à ce moment pas pu procéder à son éloignement. En substance, les contestations du demandeur tendent à remettre en cause les diligences déployées par le ministre afin d’organiser son éloignement.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, en insistant sur les déclarations contradictoires du demandeur quant à son identité, celui-ci ayant fait état de cinq identités différentes, et quant à sa nationalité, celui-ci se prétendant tantôt être de nationalité belge, tantôt de nationalité marocaine, et les recherches du ministère ayant découvert qu’il pourrait aussi être de nationalité algérienne. Par ailleurs, il souligne que les autorités algériennes auraient été contactées à maintes reprises et relancées dès la prise à l’égard du demandeur de la mesure de placement en rétention, tout en notant que les recherches des autorités algériennes pourraient être vaines puisque le demandeur déclare maintenant être de nationalité marocaine.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite. Cette mesure peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours et que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.
Or, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
Le tribunal administratif ayant retenu dans son jugement précité du 22 octobre 2013 plus particulièrement que le demandeur ne dispose ni de documents d’identité, ni de documents de voyage valables, de sorte que le ministre a a priori valablement pu le placer en rétention afin de procéder à son identification et d’organiser son éloignement et a rejeté le recours contentieux introduit contre la décision de placement du 2 octobre 2013, et le demandeur ne contestant pas que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient toujours données, la première condition énoncée ci-avant est à retenir comme étant remplie.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention est cependant encore conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais. C’est justement ces conditions qui sont litigieuses en l’espèce.
En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises pour organiser l’éloignement du demandeur, le tribunal a relevé dans son jugement du 22 octobre 2013 que suite à la mise en détention préventive du demandeur en août 2013, le ministre a recontacté par courrier du 8 août 2013 le Consulat de la République Algérienne à Bruxelles pour demander d’être renseigné sur l’état d’avancement du dossier d’identification du demandeur, en se référant à un courrier dudit consulat du 14 décembre 2012 l’informant que l’identification de Monsieur … était toujours en cours, que par courrier du 14 août 2013, le Consulat de la République Algérienne à Bruxelles a répondu au ministre que l’identification de Monsieur … était en cours et qu’après que le demandeur a déclaré le 18 octobre 2013 s’appeler … et être de nationalité marocaine, le ministre a contacté le même jour le Consulat général du Royaume du Maroc à Liège en vue de l’identification du demandeur et, le cas échéant, de la délivrance d’un laissez-passer. Le tribunal administratif est arrivé à la conclusion que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise jusqu’au jour du prononcé du jugement du 22 octobre 2013 sont à considérer comme suffisantes en vue de l’identification et de l’éloignement du demandeur, de sorte qu’il n’y plus lieu de revenir sur ces démarches.
En ce qui concerne les démarches entreprises par le ministre dans la suite, le ministre a encore, en date du 11 novembre 2013, relancé le Consulat général du Royaume du Maroc à Liège afin de connaître l’état d’avancement du dossier.
Au regard des démarches concrètes que le ministre continue ainsi à effectuer, étant précisé, d’une part, que le défaut de collaboration du demandeur qui est connu sous différents alias et qui a fait des déclarations contradictoires quant à sa nationalité ne facilite pas les démarches à entreprendre par le ministre, et, d’autre part, que l’autorité luxembourgeoise est tributaire de la collaboration des autorités étrangères auxquelles elle s’est adressée, le tribunal est amené à retenir qu’au stade actuel du dossier, les démarches entreprises sont suffisantes au regard des exigences posées par l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter comme étant non fondé.
En second lieu, le demandeur affirme avoir signé ensemble avec sa compagne en date du 1er décembre 2012 un contrat de bail, selon lequel ils auraient pris en location un logement sis en Belgique à …. Il estime donc disposer d’une adresse connue, de sorte que les autorités luxembourgeoises pourraient le « renvoyer à son domicile en Belgique » et qu’il pourrait être éloigné vers la Belgique.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
A supposer que par ce moyen, le demandeur ait visé la possibilité de l’assigner à résidence, au sens de la loi du 29 août 2008, il échet de constater qu’aux termes de l’article 125 de cette loi : « 1) Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3). […] ».
En vertu des dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, le ministre dispose de la faculté, soit de placer en rétention l’étranger en vue de son éloignement, soit de l’assigner à résidence. S’il vrai qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, l’assignation à résidence est à considérer en principe comme mesure proportionnée bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention, tel n’est le cas que pour autant que l’intéressé présente plus particulièrement des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi et qui est présumé notamment si l’intéressé ne peut pas, tel que cela est le cas en l’espèce, justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité.
Force est de constater qu’à part la référence faite à un contrat de bail signé en 2012 pour une habitation sise en Belgique, qui ne saurait cependant être pris en compte puisqu’une adresse fournie pour justifier de garanties de représentation doit nécessairement se situer au Luxembourg, soit à l’intérieur du champ d’application territorial de la loi du 29 août 2008 sur base de laquelle l’éloignement sera exécuté, le demandeur n’a fourni aucun élément de nature à permettre de retenir qu’il présente des garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125 (1), précité.
Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter.
Enfin, en ce qui concerne l’affirmation du demandeur qu’il aurait aisément pu être éloigné vers la Belgique au motif qu’il y disposerait d’un logement, ce moyen est à rejeter étant donné que le demandeur n’a pas établi avoir la nationalité belge, ni n’a-t-il établi y être autorisé à séjourner.
Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le demandeur est à débouter de son recours.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Daniel Weber, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 14 novembre 2013, de 11.30 heures, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14.11.2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6