Tribunal administratif N° 31827 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2012 1re chambre Audience publique du 13 novembre 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31827 du rôle, déposée en date du 17 décembre 2012 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, demeurant à L-…, portant introduction d’un recours non qualifié contre une décision rendue en date du 19 septembre 2012 par le directeur de l’administration des Contributions directes, ayant rejeté comme non fondée sa réclamation introduite contre la décision de refus d’une imposition par voie d’assiette pour l’année 2010 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 15 mars 2013 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur … en ses explications et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en ses plaidoiries à l’audience publique du 11 novembre 2013.
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Le 20 janvier 2012, la déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2010 de Monsieur … entra à l’administration des Contributions directes, bureau d’imposition …. Par courrier du 7 février 2012, le préposé dudit bureau d’imposition informa Monsieur… qu’en vertu du paragraphe 153 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », ci-après : « AO », « les droits à restitution s’éteignent si la demande en restitution n’a pas été introduite avant la fin de l’année qui suit celle de la survenance des faits à l’origine du droit ».
Par courrier daté du 27 avril 2012, entré à l’administration des Contributions directes le 30 avril 2012, Monsieur… introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », une réclamation à l’encontre de la décision de refus d’une imposition par voie d’assiette pour l’année 2010 du 7 février 2012, précitée.
Par décision du 19 septembre 2012, répertoriée sous le numéro C 17551 du rôle, le directeur rejeta la réclamation de Monsieur…. Cette décision est libellée comme suit :
« Vu la requête introduite le 30 avril 2012 par le sieur …, demeurant à L-… , pour réclamer contre la décision de refus d'une imposition par voie d'assiette pour l'année 2010, émise le 7 février 2012;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228, 235 n° 5 et 301 de la loi générale des impôts (AO);
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elle est partant recevable;
Considérant que le réclamant fait grief au bureau d'imposition de ne pas avoir procédé à l'imposition par voie d'assiette au motif d'une remise tardive de la déclaration;
qu'il justifie ce retard par une aggravation de son état de santé au cours de l'année 2011;
Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du requérant, la loi d'impôt étant d'ordre public;
qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-
fondé;
qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique;
Considérant que le réclamant a introduit une déclaration pour l'impôt sur le revenu de l'année 2010 en date du 20 janvier 2012 afin de faire valoir, entre autres, une perte de location engendrant une restitution de retenue sur traitements et salaires;
Considérant que lorsque le revenu imposable se compose, comme en l'espèce, en tout ou en partie de revenus passibles d'une retenue d'impôt sur les traitements et salaires, il y a lieu, en vertu de l'article 153 alinéa 1er de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.), à imposition par voie d'assiette dans cinq différentes hypothèses, dont quatre hypothèses de dépassement de limites de revenu et une hypothèse particulière d'imposition collective;
qu'en l'espèce, il n'a même pas été allégué qu'une de ces limites légales aurait été dépassée;
qu'il en est de même des hypothèses d'imposition par voie d'assiette visées aux alinéas 2 et 3 de l'article 153 L.I.R.;
Considérant qu'aux termes de l'alinéa 4 de l'article 153 L.I.R., sans préjudice des dispositions qui précèdent, le contribuable qui n'est pas soumis à l'imposition par voie d'assiette au sens des alinéas 1er à 3 du même article peut y être soumis, sur demande, en vue de la prise en considération des revenus nets visés à l'article 146, alinéa 1er, numéros 1 et 3 et alinéa 2 L.I.R. ou à l'article 152 L.I.R., ou de pertes provenant d'une catégorie de revenus autre que celles ayant subi la retenue à la source;
Considérant qu'il peut valablement être conclu qu'une telle demande au sens de l'alinéa 4 de l'article 153 L.I.R. tend essentiellement à l'admission au régime de l'imposition par voie d'assiette ce qui se dégage, d'une part, du libellé des articles 145 alinéa 1er et 153 alinéa 4 L.I.R. (« …admis à l'imposition par voie d'assiette … », « ,.. le contribuable qui n'est pas soumis à l'imposition par voie d'assiette … y est soumis, sur demande … ») et, d'autre part, de l'article 154 alinéa 7 L.I.R. consacrant au profit du contribuable soumis à l'imposition par voie d'assiette un droit légal à un remboursement d'office d'un éventuel trop-
payé d'impôt (Cour administrative du 1er février 2011, n° 27045C du rôle);
Considérant que les contribuables qui ne sont pas admis à l'imposition par voie d'assiette tombent sous l'application de l'article 145 L.I.R. en ce qui concerne la régularisation des retenues d'impôt sur les traitements, salaires ou pensions et peuvent bénéficier, le cas échéant, d'une régularisation des retenues par voie de décompte annuel;
Considérant que l'article 17 du règlement grand-ducal du 9 mars 1992 portant exécution de l'article 145 L.I.R. prévoit que lorsque le décompte n'a lieu que sur demande, celle-ci est à déposer au plus tard le 31 décembre de l'année qui suit celle pour laquelle le décompte est à accorder ; qu'après ce délai les retenues opérées sur les traitements, salaires ou pensions acquièrent un caractère définitif (Cour administrative du 1er février 2011, n° 27045C du rôle);
Considérant que le fait d'admettre qu'un contribuable soumis au régime de la régularisation des retenues sur traitements et salaires puisse, par le biais d'une demande de soumission à une imposition par voie d'assiette soumise après l'écoulement du délai instauré par l'article 17 alinéa 2 du règlement grand-ducal prévisé du 9 mars 1992, provoquer l'ouverture d'une procédure d'imposition par voie d'assiette comportant la détermination de l'impôt annuel par un bulletin d'impôt et un remboursement d'office d'un éventuel trop-perçu d'impôt, i.e. de retenues sur traitements et salaires, aurait pour effet de remettre en cause ce caractère définitif des retenues opérées et serait partant contraire à la finalité de l'article 17 alinéa 2 du règlement grand-ducal du 9 mars 1992, ensemble le § 86 AO (Cour administrative du 1er février 2011, n° 27045C du rôle);
Considérant qu'il y a partant lieu de conclure que si l'article 153 alinéa 4 L.I.R., ne prévoit pas lui-même un délai spécifique pour l'introduction d'une demande de soumission à l'imposition par voie d'assiette, le délai d'un an après écoulement de l'année d'imposition concernée découle nécessairement des dispositions de l'article 17 du règlement grand-ducal prévisé du 9 mars 1992 (Cour administrative du 1er février 2011, n° 27045C du rôle);
Considérant que les dispositions du § 86 AO sont applicables en cas de dépassement du délai précité, au cas où des circonstances seraient susceptibles de justifier un relevé de forclusion;
Considérant qu'en l'espèce le réclamant a soumis sa déclaration d'impôt pour l'année 2010, véhiculant sa demande d'admission à l'imposition par voie d'assiette, en date du 20 janvier 2012, donc après l'écoulement du délai précité, lequel a expiré le 31 décembre 2011 pour l'année d'imposition 2010;
Considérant que le délai légal du dépôt de la déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année litigieuse était le 31 mars 2011;
Considérant que le réclamant a joint à sa requête une attestation médicale, datée au 26 avril 2012, émanant d'un médecin généraliste certifiant que le réclamant était en 2011 en dépression grave pendant des mois, sans pourtant se prononcer plus exactement quant au début de l'état de maladie;
Considérant que, d'une part, le début de la maladie invoquée par le réclamant justifiant un relevé de forclusion n'est pas exactement déterminé, que d'autre part, il n'est pas établi par le certificat médical présenté que cette maladie aurait entraîné une indisponibilité permanente empêchant le réclamant de remplir ses obligations administratives;
Considérant que le réclamant aurait dû prendre les dispositions nécessaires afin de s'acquitter de ses obligations fiscales, le cas échéant, pendant la période de sa maladie (jurisprudence constante, p. ex: Tribunal administratif, 17.04.2008, n° 22947 du rôle);
Considérant que dès lors le demandeur a commis une négligence fautive excluant le relevé de forclusion;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […]» Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2012, Monsieur… a introduit un recours contentieux contre la décision directoriale du 19 septembre 2012, précitée.
La requête introductive d'instance ne spécifiant pas si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre, d’après les données de l’espèce, que la demanderesse a entendu introduire le recours admis par la loi.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation ainsi introduit. Le recours, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est dès lors recevable.
Le demandeur reconnaît qu’il n’a introduit sa « demande en restitution des impôts de l’année d’imposition 2010 » qu’au début du mois de janvier 2012 et explique cette circonstance par une dépression grave causée par des problèmes familiaux l’ayant empêché de remplir ses obligations administratives. Il précise qu’une dépression grave serait difficile à surmonter et que la guérison complète nécessiterait beaucoup de temps. Il exprime son regret de ne pas avoir pu déposer sa déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2010 dans le délai légal.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il est constant en cause que le demandeur a soumis sa déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2010, véhiculant sa demande d’admission à l’imposition par voie d’assiette au sens de l’article 153 (4) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « L.I.R. », en date du 20 janvier 2012, c’est-à-dire postérieurement au délai d’un an après écoulement de l’année d’imposition concernée découlant nécessairement de l’article 17 du règlement grand-ducal du 9 mars 1992 portant exécution de l’article 145 de la L.I.R..1 Il convient dès lors d’examiner si l’excuse dont le demandeur se prévaut pour justifier ce retard, à savoir une dépression grave, est de nature à le faire relever de cette forclusion.
Le paragraphe 86 AO dispose que : « Nachsicht wegen Versäumung einer Rechtsmittelfrist kann beantragen, wer ohne sein Verschulden verhindert war, die Frist einzuhalten. […] » Afin d’atténuer les rigueurs de la forclusion, le législateur permet à l’instance de recours de relever de la déchéance encourue le contribuable qui a été empêché sans sa faute d’interjeter la réclamation dans le délai légal.2 Le demandeur soutient en substance que son état de santé déficient, à savoir une dépression grave, ne lui aurait pas permis d’accomplir ses obligations administratives dans les délais légaux.
S’il est vrai que la maladie peut constituer un motif d’excuse valable au sens du paragraphe 86 AO et qu’en l’espèce, le demandeur a versé à l’appui de son recours un certificat du Dr. G. R., médecin généraliste, du 14 décembre 2012 duquel il ressort qu’il « était en 2011 en dépression grave pendant toute l’année et ne pouvait pas remplir ses obligations administratives », c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève que le demandeur, conscient de son état de santé grave, aurait dû prendre les précautions nécessaires afin de s’acquitter en temps utile de ses obligations administratives. En effet, si l’état de santé d’un administré ne lui permet pas d’assumer lui-même ses obligations administratives pendant toute une année, c’est-à-dire pendant une période prolongée, il revient à ce dernier de charger une ou plusieurs personnes de confiance, respectivement des professionnels, de l’exercice en bonne et due forme de ces obligations.
Force est dès lors au tribunal de constater que le demandeur a commis une négligence fautive excluant le relevé de forclusion, étant entendu que l’indulgence se mérite dans la mesure où il est dans l’intérêt de la sécurité des rapports juridiques de respecter les délais de procédure.3 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le directeur a valablement pu refuser le relevé de forclusion au demandeur et que le recours sous analyse est partant à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
1 Cf. Cour adm. 1er février 2011, n° 27045C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n°475 2 Cf. trib. adm. 30 avril 1998, n°10205 du rôle et trib. adm. 29 juillet 1998, n°10426 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n°691 3 Cf. trib. adm. 17 avril 2008, n°22947 du rôle. Pas. adm. 2012, V° Impôts, n°692 au fond, le déclaré non justifié et en déboute ;
met les frais à charge du demandeur.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 novembre 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Andrée Gindt, juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13.11.2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6