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07/11/2013 | LUXEMBOURG | N°31910

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2013, 31910


Tribunal administratif N° 31910 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 janvier 2013 2e chambre Audience publique du 7 novembre 2013 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31910 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2013 par Maître Nicky Stoffel,

avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif N° 31910 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 janvier 2013 2e chambre Audience publique du 7 novembre 2013 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31910 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2013 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à …. (Serbie), et de son épouse, Madame ….., née le ….. à ….., agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour compte de leur enfant mineur ….. ….., né le …. à …., tous de nationalité serbe, demeurant actuellement ensemble à ….., tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 21 novembre 2012 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katrin Djaber-Hussein, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 octobre 2013.

Le 30 septembre 2011, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….., ci-après désignés par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts ….. auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du 4 octobre 2011.

En date du 30 août 2012, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….., furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 4 septembre 2012, notifiée aux intéressés par courrier recommandé du 6 septembre 2012, le ministre informa les consorts ….. qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement de l’article 20 (1), points a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Par jugement du 6 novembre 2012 portant le numéro 31427 du rôle, le tribunal déclara les recours justifiés au motif que le ministre s’était, à tort, référé au littéra a) et c) de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 en soutenant que les demandeurs n’auraient soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’ils remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale alors que les faits soulevés par les demandeurs auraient dû bénéficier d’un examen approfondi de la part du ministre afin d’évaluer s’ils remplissent les conditions fixées par la législation applicable en vue de se voir reconnaître un statut de protection internationale. Le tribunal déclara, en effet, qu’eu égard à la circonstance que les violences et les menaces de mort dont auraient été victimes les demandeurs se mouvraient sur une toile de fond religieuse, à savoir l’orientation fondamentaliste des croyances religieuses du père de la demanderesse, les faits rapportés par les demandeurs présenteraient une certaine pertinence tant au regard de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 qu’en ce qui concerne la motivation et la gravité. Le tribunal a également estimé que le ministre avait à tort invoqué l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006 étant donné qu’il ressort du dossier que la Serbie n’est pas à considérer comme pays d’origine sûr dans le chef des demandeurs dès lors qu’il n’est pas rapporté que les autorités policières auraient été capables de leur offrir une protection adéquate. Le tribunal retenant que la conclusion du ministre selon laquelle les faits invoqués ne seraient pas pertinents ou d’une pertinence insignifiante et que la Serbie serait à considérer comme pays sûr au sens de l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006 n’étant vérifiable en l’espèce, annula la décision déférée dès lors que c’est à tort que le ministre aurait décidé de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Par décision du 21 novembre 2012, notifiée en mains propres le 4 décembre 2012, le ministre informa les consorts ….. que suite au jugement précité du tribunal du 6 novembre 2012, leur demande de protection internationale évaluée par rapport aux conditions du statut du réfugié et celle de l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire avait été refusée comme non fondée. La même décision comporte un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à leur égard. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 30 septembre 2011.

En date du 4 septembre 2012, vos demandes de protection internationales furent rejetées comme non-fondées par décision ministérielle. Le Tribunal administratif annula cette décision en date du 6 novembre 2012.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 30 août 2012.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que votre beau-frère serait « wahhabite » et votre épouse aurait été voilée lorsque vous auriez fait sa connaissance en 2007. Vous dites que le père de votre épouse aurait trouvé son téléphone et il se serait présenté chez vous avec d'autres « wahhabites » en 2010. Vous n'auriez pas été à la maison mais il aurait menacé votre père avec une arme et il l'aurait frappé. Votre frère aurait aussi été maltraité et votre sœur vous aurait appelé pour vous dire de ne pas rentrer chez vous. Lorsque vous seriez rentré après deux jours, vous auriez dénoncé les faits à la police et l'agent vous aurait dit d'abandonner cette affaire.

Vous dites que votre père vous aurait conseillé de ne pas vous marier à votre épouse. Vous auriez alors pris un pistolet et voulu aller chez le père de votre concubine mais votre mère vous aurait convaincu de ne pas le faire. Vous déclarez ne pas avoir beaucoup vu votre concubine mais le 27 juillet 2011 elle vous aurait dit qu'elle serait enceinte. Votre père n'aurait pas voulu que vous deux vivriez avec vos parents chez eux et donc vous seriez allé dans un hôtel. Vous vous seriez mariés le 27 août 2011 mais vous n'auriez pas eu assez d'argent pour payer l'hôtel et le médecin en charge de votre épouse. Vous auriez alors décidé de quitter la Serbie.

Vous déclarez ne jamais avoir été agressé personnellement par le père de votre épouse et vous n'auriez pas eu de problèmes avec celui-ci lorsque vous n'auriez pas été en contact avec votre épouse entre juin 2010 et février 2011. De même, lorsque vous auriez été à l'hôtel entre juillet 2011 et septembre 2011, vous n'auriez pas eu de problèmes avec votre beau-père.

Par ailleurs, votre épouse aurait été agressée par son père le 27 juillet 2011 mais elle n'aurait pas porté plainte. De même, votre beau-père garderait des armes.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame, Monsieur, relevons que vous possédez la nationalité serbe et qu'en vertu de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection et du règlement grand-ducal du 1' avril 2011 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, la République de Serbie doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de vos demandes de protection internationale.

Un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d'une manière générale et de manière durable, il n'existe pas de recours à des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006, le pays d'origine concerné peut valablement être considéré comme pays d'origine sûr.

A titre complémentaire, il convient également de relever qu'en Serbie, les critères suivants sont garantis :

- l'existence d'un système judiciaire indépendant;

- la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés;

- l'existence d'organisations de la société civile.

Cet aspect est d'autant plus conforté par le fait qu'en date du 1er mars 2012 la République de Serbie a obtenu le statut de candidat officiel à l'Union Européenne.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant la situation juridique, l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d'origine contre d'éventuels persécutions ou mauvais traitements, le Ministère des Affaires étrangères est d'avis que, d'une manière générale et uniformément, il n'est pas recouru en Serbie à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. De plus, il n'existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 37 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, vos demandes de protection internationale sont essentiellement basées sur des motifs d'ordre privé et familial ne répondant à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la loi modifiée du 5 mai 2006. Vos craintes à l'encontre de votre beau-père ne sont pas non plus de nature à constituer un acte de persécution au sens de la Convention et loi précitées, les menaces doivent être considérées comme des délits de droit commun commis par une personne privée du ressort des autorités de votre pays et punissables en vertu de la législation serbe.

Vous dites que votre beau-père ne serait pas d'accord que vous soyez avec sa fille. Celui-

ci aurait tenté de vous trouver pour vous empêcher de fréquenter sa fille en 2010. Or, s'agissant d'actes émanant d'une personne privée, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'audition que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de votre beau-père. En effet, vous n'auriez pas porté plainte lorsque vous, Madame, auriez été agressée physiquement par votre père. Or, vous ne sauriez opposer un défaut de protection des autorités nationales si vous n'auriez même pas recherché une protection. Il ressort des informations dont dispose le Service des Réfugiés que même si un certain nombre de réformes sont encore nécessaires au sein de la police serbe, celle-

ci fonctionne mieux. Ce faisant, elle s'approche davantage des normes internationales.

L'amélioration du fonctionnement de la police résulte notamment de la mise en œuvre de la loi sur la police de 2005, qui a impliqué d'importantes modifications au niveau de l'organisation des services de police. Cette loi a amélioré la législation antérieure relative au respect de l'individu et a notamment contraint la police à l'observation de directives nationales et internationales. Des démarches positives ont en outre été entreprises pour mettre sur pied une force de police plus moderne et plus spécialisée. Un arrêté a également été approuvé en matière de directives éthiques pour les services de police et il fait à présent partie intégrante de la formation des policiers. En effet, les éventuels écarts de conduite de la part des agents de police ne sont plus tolérés. C'est ce qui ressort également de la création du Sector for Internal Control of the Police en 2006 au sein des services de police. Cet organe de contrôle interne traite les plaintes relatives aux interventions de la police. Dans le cadre de l'exécution des lois et arrêtés susmentionnés, les autorités serbes sont assistées par l'OSCE (Organization for Security and Co-operation in Europe) Mission to Serbia. Sous l'impulsion de l'OSCE, une attention accrue est accordée à la formation des officiers de police, à la lutte contre le crime organisé, au « community policing », aux relations publiques et à la communication. Le but est de renforcer la confiance des citoyens dans le système policier serbe. On encourage ainsi la création de forums réunissant des civils, la police, la société civile (« civil society ») et des structures administratives afin qu'ils discutent de sujets d'intérêt général. Grâce à l'ensemble des mesures citées ci-dessus, la police serbe a pu présenter de meilleurs résultats, entre autres dans la lutte contre le crime organisé et l'extrémisme religieux et il ne saurait être établi que la police n'aurait pas pu vous offrir une protection à l'encontre des agissements de votre père.

Quoi qu'il en soit, il y a force de constater que vous, Monsieur, ne seriez pas ciblé par votre beau-père à cause de vos croyances religieuses mais à cause d'un désaccord familial. En effet, il convient de soulever que pendant la période de juin 2010 à février 2011, vous n'auriez pas été menacé d'une manière quelconque par votre beau-père vu que vous n'auriez plus été en contact avec sa fille. De même, vous n'auriez jamais été agressé physiquement par celui-ci. Ainsi, bien que dans la région du Sandjak, dont vous seriez originaires, des factions religieuses islamiques existent, on ne saurait en déduire qu'une persécution sur base de votre confession religieuse existe. Néanmoins, soulevons les écrits de la Commission Européenne, dans son rapport du 12 octobre 2011, qui note que « Freedom of thought, conscience and religion is guaranteed by the Constitution and laws, and is respected in practice. The number of religiously motivated incidents has decreased over the past years. The Constitution prescribes separation between the state and the church and prohibits a state religion. ». Notons dans ce contexte les écrits du dernier rapport de la Commission Européenne du 10 octobre 2012 que « Freedom of thought, conscience and religion is guaranteed and generally respected. Religiously motivated incidents declined. » Vous dites par ailleurs que votre beau-père garderait des armes des « wahhabites ».

Hormis l'absence de preuve probante, le gouvernement serbe est activement en train de contrer le radicalisme religieux: « Serbia has taken steps to align its legislation with the existing international regulatory framework for the fight against terrorism, including on financing of terrorism. These include: international and Council of Europe conventions, specific criminal offences under the powers of the Special Prosecutor and a number of bilateral agreements on police cooperation which also include terrorism. Two specialised units of the Serbian police have been assigned counter-terrorism tasks. ». Récemment, une descente de police a eu comme résultat l'arrestation de 17 extrémistes islamiques dans la région du Sandjak. Il n'est donc pas démontré que les autorités resteraient inactives dans la lutte contre l'intégrisme religieux.

En outre, il n'est pas établi que vous n'auriez pas eu la possibilité de vous installer dans une autre région de la Serbie. En effet, vous déclarez ne plus avoir eu de problèmes avec votre beau-père lorsque vous auriez vécu dans un hôtel pendant deux mois. De même, vous indiquez avoir quitté la Serbie parce que vous n'auriez plus eu d'argent pour payer l'hôtel et les soins nécessaires pour votre épouse enceinte. Il y a donc force de constater que vous auriez quitté la Serbie suite aux difficultés économiques auxquelles vous auriez été confrontés. Or, des raisons économiques ne sauraient davantage fonder une demande de protection internationale.

Par ailleurs, même en admettant vrai que votre père, Madame, hébergerait des armes pour les « wahhabites » et qu'il serait apparu chez vous, Monsieur, avec des membres de ce mouvement religieux, il ne saurait être établi en espèce que vous auriez été persécuté pour une raison d'ordre religieuse. En effet, il ressort clairement que vos problèmes avec cette personne sont purement d'ordre familial et privé et ne rentrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Cet aspect est d'autant plus corroboré par le fait que vous, Monsieur, n'auriez pas eu de problèmes avec le père de votre épouse lorsque vous n'auriez pas été en contact avec elle.

Ainsi, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Etant donné que les faits invoqués à la base de vos demandes de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir la protection subsidiaire.

En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. En s'appuyant sur tous les rapports et jurisprudences cités, la situation actuelle en Serbie ne saurait être considérée comme conflit armé interne ou international.

Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Serbie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2013, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….. ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 21 novembre 2012 portant rejet de leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans la même décision.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation a valablement pu être introduite contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de nationalité serbe, de confession musulmane et avoir été obligés de quitter leur pays d’origine en raison du comportement violent du père de la demanderesse, membre du mouvement « wahhabite », qui n’aurait pas accepté l’union de sa fille avec le demandeur alors qu’en vertu des termes d’un mariage déjà arrangé, elle aurait dû épouser un autre membre du mouvement « wahhabite ». Ils expliquent que suite à la découverte par le père de la demanderesse de leur relation et de la grossesse de la demanderesse, ils auraient dû subir des menaces de mort de la part du père de la demanderesse qui aurait frappé et menacé également le père du demandeur. En particulier, ils rapportent un événement au cours duquel le père de la demanderesse l’aurait menacée avec une hache.

En droit, ils soutiennent que les faits décrits ci-avant sont de nature à être qualifiés d’actes de persécution morale et physique à caractère religieux au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 juillet 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, ci-après la « la Convention de Genève » et ne résulteraient pas d’un conflit « purement familial » comme le soutiendrait à tort, le ministre. Ils estiment, en effet, que les persécutions trouveraient leur origine dans la circonstance que le demandeur n’appartiendrait pas au mouvement « wahhabite ». Ils estiment qu’ils craindraient avec raison de subir à nouveau le même type de menaces en cas de retour dans leur pays d’origine de sorte à remplir les critères posés à l’article 2 de la loi du 5 mai 2006.

Ils font encore valoir que la circonstance de faire l’objet de menaces dans leur pays d’origine constituerait un risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

En vertu de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. […] » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des liens auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il suit des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est tout d’abord au tribunal de constater que la partie étatique ne conteste pas la crédibilité du récit des demandeurs, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les faits invoqués par eux sont avérés.

En l’espèce, il ressort des déclarations des demandeurs telles qu’actées dans leurs rapports d’audition que si les faits qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine s’inscrivent certes sur une toile de fond religieuse et plus particulièrement l’appartenance du père de la demanderesse au mouvement des « wahhabites » et la non appartenance du demandeur au même mouvement, il n’en reste pas moins que bien que les demandeurs affirment être victime de persécutions de la part dudit père, ils ne sont en réalité que confronté à un comportement paternel intransigeant et violent, ce qui constitue indubitablement un fait répréhensible susceptible d’être poursuivi selon les règles du droit commun serbe, mais qui ne saurait aucunement se rattacher à un des critères prévus par la Convention de Genève ou à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir un acte commis en raison de la race, de la religion, de la nationalité, des opinions politiques ou de l’appartenance à un certain groupe social pour justifier l’octroi de la protection internationale. En effet, la situation décrite par les demandeurs s’inscrit de manière non équivoque dans un conflit classique d’ordre familial, certes exacerbé par un facteur religieux, dans le cadre duquel le père de la demanderesse fait usage de son autorité parentale à l’égard de sa fille de manière violente en vue de marquer son désaccord quant au choix de son époux et quant à la circonstance qu’elle soit tombée enceinte hors mariage. Si le facteur religieux contribue certes en l’espèce à envenimer la situation des demandeurs, il n’en reste pas moins que celle-ci demeure avant tout un conflit d’ordre privé de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande d’obtention du statut de refugié des demandeurs non fondée.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».

L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

La notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une crainte fondée de faire l’objet d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Au regard de la circonstance retenue plus en avant par le tribunal que le conflit dont les demandeurs sont victimes est exclusivement d’ordre familial, force est de constater qu’il n’existe pas de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. Plus particulièrement, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Qu’à cet égard, la seule affirmation non autrement étayée des demandeurs qu’ayant dénoncé les faits litigieux à la police, celle-ci leur aurait conseillé d’abandonner l’affaire ne permet pas de conclure ipso facto à une absence ou à un refus de protection de la part des autorités de leur pays d’origine et n’est pas de nature à invalider la conclusion retenue par le tribunal qu’il n’existe pas de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

En l’espèce, les demandeurs se limitent à solliciter l’annulation de l’ordre de quitter le territoire sans développer de plus ample moyen à ce sujet.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte qu’à défaut d’un quelconque autre moyen, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 21 novembre 2012 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 21 novembre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, attaché de justice et lu à l’audience publique du 4 novembre 2013 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 novembre 2013 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 31910
Date de la décision : 07/11/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-11-07;31910 ?

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