Tribunal administratif N° 31310 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 août 2012 1re chambre Audience publique du 30 octobre 2013 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31310 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 août 2012 par Maître Kalthoum BOUGHALMI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée-
Bissau), de nationalité portugaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de deux décisions, ainsi qualifiées, du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration des 23 mars et 18 mai 2012 portant retrait de son droit de séjour ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2012 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Kalthoum BOUGHALMI pour le compte de Monsieur … déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2013 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Kalthoum BOUGHALMI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 octobre 2013.
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Par courrier du 23 mars 2012, réceptionné par le demandeur le 26 mars 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … de ce qui suit :
« (…) Je constate que l’attestation d'enregistrement d'un citoyen de l'Union n° 0304 11 00797 vous a été délivrée en date du 21 juillet 2011 en qualité de travailleur salarié par l’administration communale d’Esch-sur-Alzette.
Une vérification a cependant donné que vous ne remplissez pas les conditions prévues par l'article 6, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration étant donné que vous ne disposez pas de ressources suffisantes afin d'éviter de devenir une charge pour le système d'assistance sociale.
En effet, je constate que depuis le mois de novembre 2011 vous êtes bénéficiaire du revenu minimum garanti de sorte que vous êtes à considérer comme étant une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale.
Par voie de conséquence, j'envisage dès lors de révoquer votre droit de séjour conformément à l'article 24 de la même loi.
Vous êtes prié de présenter vos observations dans un délai de huit jours à partir de la notification de la présente. (…) ».
Par décision du 18 mai 2012, réceptionnée par le demandeur le 21 mai 2012, le ministre révoqua le droit de séjour de Monsieur…. Cette décision est libellée comme suit :
« Par la présente, j'ai l'honneur de me référer à mon courrier du 23 mars 2012 relatif à votre droit de séjour.
Je constate que votre situation n’a pas changé depuis mars 2012, étant donné que vous êtes toujours bénéficiaire de prestations sociales non contributives de la part du Fonds national de solidarité de sorte que vous êtes à considérer comme une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale.
Je suis donc au regret de vous informer que je ne peux que réitérer les motifs contenus dans mon courrier du 23 mars 2012 et par voie de conséquence votre droit de séjour est retiré.
(…) » Par courrier du 2 août 2012, Monsieur… introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle du 18 mai 2012, lequel fit l’objet d’une décision confirmative de retrait en date du 24 août 2012.
Par requête déposée le 20 août 2012 au greffe du tribunal administratif, soit avant que le recours gracieux n’ait été vidé, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des deux décisions du ministre des 23 mars et 18 mai 2012 portant refus du droit de séjour dans son chef.
Dans la mesure où aucune disposition de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale applicable en la matière, ne prévoit un recours au fond en la présente matière, l’article 31 de la loi du 29 août 2008 renvoyant au contraire expressément aux dispositions du chapitre 4 de la loi du 29 août 2008 quant aux voies de recours applicables, dont l’article 113, qui indique que les décisions y visées sont susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation devant le tribunal administratif, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Par contre, le tribunal administratif est compétent, en vertu de l’article 113 de la loi du 29 août 2008, pour connaître du recours subsidiaire en annulation introduit contre les décisions ministérielles litigieuses.
La partie étatique invoque in limine litis l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre la « décision de refus, respectivement de retrait de séjour du 23 mars 2012 » prévisée, alors qu’il ne s’agirait pas d’une décision ministérielle au sens de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes mais d’un courrier informatif conformément à l’article 9 du règlement grand-
ducal précité.
Il y a à cet égard lieu de rappeler que l’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire par elles-mêmes des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision1.
Force est en l’espèce de relever que par le biais de son courrier du 23 mars 2012, le ministre s’est borné à constater que le demandeur ne remplissait plus les conditions prévues par l’article 6, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et à l’informer de ce qu’il avait l’intention de révoquer son droit de séjour, tout en lui donnant la possibilité de faire connaître ses éventuelles observations avant la prise d’une véritable décision de retrait du droit de séjour.
Par le biais de son courrier du 23 mars 2012, le ministre s’est dès lors conformé aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en vertu duquel « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier pour l’avenir une décision ayant créée ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir », tout en donnant à la partie intéressée un délai de huit jours pour présenter ses observations. Or, un courrier émis en conformité avec l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, par lequel le ministre invite l’administré à lui faire part de ses observations éventuelles, avant de révoquer dans son chef son droit de séjour, ne peut être considéré comme constitutif d’une décision de refus, mais comme un acte préparatoire d’une décision administrative finale, constitutif d’une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci et échappant en tant que tel au recours contentieux2.
Il s’ensuit que le recours doit être déclaré irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre le courrier ministériel du 23 mars 2012.
En ce qui concerne le recours dirigé contre la décision ministérielle du 18 mai 2012, le tribunal est tout d’abord amené à retenir que dans la mesure où, même à défaut par l'autorité 1 Trib. adm. 5 décembre 2007, n° 22721 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Actes administratifs, n°44.
2 Trib. adm. 7 novembre 2007, n° 23260 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Actes administratifs, n°48.
administrative d'avoir répondu au recours gracieux avant l'introduction du recours contentieux, le demandeur se trouvait dans le délai légal pour introduire un recours contentieux contre la première décision litigieuse, à savoir celle du 18 mai 2012, le simple fait par l'autorité d'avoir rendu la décision confirmative après le dépôt du recours contentieux n'est pas de nature à rendre irrecevable le recours contentieux dirigé contre la décision initiale3.
La partie étatique se rapporte encore à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours « au vu du libellé obscur et des termes particulièrement ambigus de la requête introductive d’instance notamment en ce qui concerne les moyens y invoqués ».
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 1er, alinéa 2 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, une requête introductive d’instance à déposer auprès du tribunal administratif doit notamment contenir, en dehors d’un exposé sommaire des faits, les moyens invoqués à l’appui du recours.
Si en règle générale l’exception de libellé obscur admise se résout par l’annulation de la requête introductive d’instance ne répondant pas aux exigences fixées par le texte légal en question, il convient dans le cadre de la loi du 21 juin 1999 d’avoir égard à son article 29 qui dispose que « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense » 4.
Or en l’espèce, non seulement le demandeur a indiqué et développé un certain nombre de moyens à l’appui de sa requête, à savoir des moyens ayant trait tant à la légalité extrinsèque qu’à la légalité intrinsèque de la décision entreprise, mais force est encore au tribunal de constater que la partie étatique a amplement pris position par rapport aux divers moyens invoqués, de sorte qu’en l’absence de grief effectif porté aux droits de la défense, le moyen d’irrecevabilité pour libellé obscur est à écarter5.
Dès lors, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique qu’il serait arrivé au Grand-
Duché de Luxembourg le 21 juillet 2011, ce qui résulterait également de son attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union. Depuis son arrivée au Grand-Duché de Luxembourg, il aurait travaillé auprès de la société …. Dans son mémoire en réplique, le demandeur a encore déclaré avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral le 28 septembre 2012 et qu’au moment du dépôt de son mémoire en réplique, il aurait encore été dans un état critique. Vu son état, il aurait été procédé à la nomination d’un mandataire spécial chargé de s’occuper de la gestion de ses affaires courantes pendant sa convalescence.
En présence de plusieurs moyens tenant tant à la légalité externe qu’à la légalité interne d’une décision, il appartient au tribunal de statuer dans un premier temps sur la légalité externe de l’acte administratif.
3 Trib. adm. 28 août 2003, n° 16841 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 217.
4 Trib. adm. 1er décembre 2008, n° 25044, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 386.
5 Trib. adm. 8 mars 2010, n° 25806, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 387.
En ce qui concerne la légalité externe, le demandeur fait d’abord plaider que la décision ministérielle entreprise serait intervenue en violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors qu’il n’aurait jamais reçu copie de son dossier administratif, ce qui l’aurait mis dans l’impossibilité de juger de l’opportunité d’un recours administratif. Dans son mémoire en réplique et face aux contestations de la partie étatique qui conclut au rejet de ce moyen, le demandeur a encore insisté sur le fait que ledit article 11 ne subordonnerait pas la communication du dossier administratif à une demande préalable de l’administré.
Aux termes de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, « tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être ».
Si, aux termes de cet article, tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être, encore faut-il que pareille communication ait été demandée6, les dispositions de l’article 11 précité imposant en effet à l’administration une obligation de communication à première demande sans que toutefois l’autorité administrative concernée ne soit tenue d’y procéder de façon automatique à défaut d’être sollicitée en ce sens par l’administré concerné7.
Or, il ne ressort pas des éléments d’information à la disposition du tribunal que le demandeur ou son litismandataire auraient à un moment donné demandé la communication du dossier administratif.
Le moyen fondé sur une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.
Le demandeur sollicite ensuite l’annulation de la décision ministérielle litigieuse pour violation de l’article 149 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dans la mesure où la décision litigieuse aurait été prise sans l’avis de la commission consultative des étrangers. Dans la mesure où un tel avis ferait défaut, la décision litigieuse violerait également l’article 4 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité.
Le délégué du gouvernement rétorque qu’en vertu de l’article 149 de la loi du 29 août 2008, l’avis de la commission consultative des étrangers ne s’imposerait qu’en cas de retrait ou de refus de renouvellement d’un titre de séjour, alors qu’un citoyen de l’Union européenne ne serait pas titulaire d’un titre de séjour, mais bénéficierait d’un droit de séjour. Il précise que le titre de séjour visé par la loi du 29 août 2008 concernerait le titre de séjour établi conformément au règlement (CE) 380/2008 du Conseil du 18 avril 2008 modifiant le règlement (CE) 1030/2002 établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers, 6 Trib. adm. 19 juin 2012, n° 29584 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n°111.
7 Trib. adm. 7 février 2002, n°21173 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure administrative non contentieuse, n°109.
tandis que l’article 8 de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres prévoirait la délivrance d’une attestation d’enregistrement au citoyen de l’Union qui remplit les conditions de séjour et l’article 10 de la même directive prévoirait la délivrance d’un document dénommé carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union s’il s’agit d’un membre de la famille qui n’est pas ressortissant d’un Etat membre.
Le règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 portant exécution de certaines dispositions relatives aux formalités administratives prévues par la loi du 29 août 2008 ferait également cette distinction en se référant au chapitre 2 aux documents délivrés aux citoyens de l’Union européenne et aux membres de leur famille, quelle que soit leur nationalité, et au chapitre 3 aux titres de séjour des ressortissants de pays tiers.
L’article 149 de la loi précitée du 29 août 2008 ne serait ainsi pas applicable en l’espèce, de sorte que le ministre aurait valablement pu décider le retrait du droit de séjour de Monsieur… sans saisir au préalable la commission consultative.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur insiste sur le fait que la commission consultative des étrangers devrait être saisie avant toute décision prise par le ministre portant sur le retrait ou le refus de renouvellement d’un titre de séjour accordés aux termes de la loi du 29 août 2008, ce qui signifierait que le législateur aurait visé l’ensemble des décisions portant retrait ou le refus de renouvellement d’un titre de séjour, sans distinguer si la personne intéressée serait un citoyen de l’Union européenne ou non. Il n’y aurait en tout état de cause pas lieu de distinguer entre droit au séjour et titre de séjour. Par ailleurs, l’article 149 de la loi du 29 août 2008 ferait partie du chapitre 8 de cette même loi qui est intitulé « Les organes consultatifs » et qui s’appliquerait du fait de son agencement à l’ensemble des étrangers. Cette lecture de l’article 149 serait encore corroborée par les travaux parlementaires de ladite loi.
Aux termes de l’article 149, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, entretemps abrogé, mais applicable au jour de la prise de la décision ministérielle litigieuse du 18 mai 2012, « il est institué une commission consultative des étrangers qui a pour mission de donner son avis obligatoire, sauf en cas d’urgence avant toute décision prise par le ministre portant sur le retrait ou le refus de renouvellement d’un titre de séjour aux termes de la présente loi », Les parties sont en désaccord sur la question de savoir si en vertu de cette disposition, l’avis de la commission consultative est requis indistinctement qu’il s’agisse du retrait du droit de séjour d’un citoyen d’un Etat membre de l’Union européenne ou du retrait ou du non renouvellement d’un titre de séjour d’un ressortissant de pays tiers, ou si cette disposition n’est pas applicable au retrait du droit de séjour d’un ressortissant communautaire.
Tout d’abord, tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, le titre de séjour délivré par le ministre en vertu de la loi du 29 août 2008 aux ressortissants de pays tiers, définis à l’article 3 c) de la loi du 29 août 2008 comme « toute personne qui n’est pas citoyen de l’Union européenne ou qui ne jouit pas du droit communautaire à la libre circulation », et, d’autre part, le droit de séjour des citoyens de l’Union européenne, constituant l’exercice de leur droit fondamental de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres découlant directement du traité instituant la Communauté européenne, sous réserve des limitations et restrictions fixées par ledit traité et des mesures adoptées en vue de leur application. Si plus particulièrement le séjour des ressortissants de pays tiers pour une durée de plus de trois mois est soumis à la délivrance d’un titre de séjour, les citoyens de l’Union européenne bénéficient du droit de séjour leur conféré directement par le traité, l’article 8 de la directive 2004/38/CE, précitée, accordant aux Etats membres toutefois la possibilité de leur imposer de se faire enregistrer auprès des autorités compétentes, faculté dont le Luxembourg a usé en imposant, en vertu de l’article 8 de la loi du 29 août 2008, aux citoyens de l’Union européenne remplissant les conditions de l’article 6 de la même loi, de solliciter la délivrance d’une attestation d’enregistrement, qui n’est cependant pas synonyme d’un titre de séjour.
Ensuite, et même s’il est exact que l’article 149 de la loi du 29 août 2008 n’emploie que le terme de titre de séjour, il n’en reste pas moins que l’article 149, précité, fait partie du chapitre 8 de cette même loi intitulé « Les organes consultatifs », qui, d’après son agencement, est un chapitre d’ordre général s’appliquant à l’ensemble des étrangers, que ce soient ceux relevant du chapitre 2 ou que ce soient ceux relevant du chapitre 3 de la même loi.
Par ailleurs, le règlement grand-ducal du 5 septembre 2008 relatif à la composition et au fonctionnement notamment de la commission consultative des étrangers précité, se réfère, en ce qui concerne la procédure devant la commission consultative, à « l’étranger », qui en vertu de l’article 3 a) de la loi du 29 août 2008 est défini comme « toute personne qui ne possède pas la nationalité luxembourgeoise (…) », et non pas uniquement au « ressortissant de pays tiers », de sorte qu’il y a lieu d’admettre que sont visés par la procédure devant la commission consultative aussi bien les citoyens de l’Union européenne que les ressortissants de pays tiers.
A cela s’ajoute qu’il se dégage plus particulièrement des travaux parlementaires de la loi du 21 décembre 2012, ayant abrogé l’article 149 précité, que l’intention du législateur était celle de requérir l’avis de la commission consultative aussi bien en cas de retrait ou de non renouvellement d’un titre de séjour que dans l’hypothèse d’un retrait du droit de séjour. Ainsi, il se dégage des travaux parlementaires que : « La création d’un double degré de juridiction par la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif rend cette commission [la commission consultative des étrangers] superfétatoire. Les droits des étrangers visés qui font l’objet d’une décision de retrait du droit de séjour ou de refus de renouvellement d’un titre de séjour pris par le ministre, sont amplement garantis par la possibilité du recours gracieux prévu par la procédure administrative non contentieuse et par les voies de recours contentieux devant les juridictions administratives. Ainsi la possibilité d’un retrait ou d’un refus de renouvellement « abusif » par le ministre est exclu par les diverses voies de recours existantes. L’existence de la commission consultative des étrangers n’est par conséquent plus justifiée 8 ».
L’article 149 de la loi du 29 août 2008 est dès lors à entendre comme requérant l’avis de la commission consultative des étrangers, sauf en cas d’urgence, également avant toute décision ministérielle portant sur le retrait du droit de séjour d’un citoyen de l’Union européenne.
8 Projet de loi n° 6404, Commentaire des articles, p. 14 Dans la mesure où aucune urgence n’est établie en l’espèce, le tribunal est amené à retenir que le ministre n’était pas fondé à se dispenser de la saisine de la commission consultative des étrangers, tel que cela est prévu par l’article 149 de la loi du 29 août 2008. L’inobservation de cette règle entraîne par voie de conséquence l’illégalité de la décision de retrait du droit de séjour intervenue à son mépris.
Il s’ensuit que la décision ministérielle du 18 mai 2012 est à annuler, sans qu’il n’y ait lieu de statuer par rapport aux autres moyens et arguments développés par les parties à l’instance, cet examen devenant surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre la décision ministérielle du 23 mars 2012 ;
pour le surplus, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le dit justifié ;
partant annule la décision du 18 mai 2012 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration et renvoie le dossier au ministre ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 octobre 2013 par:
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 octobre 2013 Le Greffier du Tribunal administratif 8