Tribunal administratif Numéro 32562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2013 3e chambre Audience publique extraordinaire du 25 octobre 2013 Recours formé par Monsieur …, … (France) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32562 du rôle et déposée le 23 mai 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Bernard Felten, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (France), domicilié actuellement à F-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision prise en date du 24 avril 2013 par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2013 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Bernard Felten, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Monique Adams en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 juillet 2013 ;
Vu l’ordonnance du 31 juillet 2013 accordant aux parties un délai pour déposer un mémoire supplémentaire et fixant l’affaire à l’audience publique du 16 octobre 2013 pour continuation des débats ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 28 août 2013 par Maître Bernard Felten au nom et pour compte du Monsieur … ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire et Maître Bernard Felten, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Betty Sandt en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 octobre 2013.
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Par courrier daté du 24 avril 2013, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la Banque BGL BNP Paribas S.A. de lui fournir certains renseignements concernant Monsieur … faisant l’objet d’un contrôle fiscal en France, ladite injonction étant libellée comme suit :
« […] Suite à une demande d'échange de renseignements du 8 avril 2013 de la part de l'autorité compétente française sur la base de la convention fiscale modifiée entre le Luxembourg et la France du 1er avril 1958, je vous prie par la présente de me fournir les renseignements suivants pour le 29 mai 2013 au plus tard.
Identité de la personne concernée par la demande :
… … Date et lieu de naissance :
… Adresses connues :
… L'objectif de la demande d'échange de renseignements susmentionnée résulte de ce qui suit :
Afin de pouvoir clarifier la situation fiscale de leur contribuable, qui semble nier l'existence d'un compte au Luxembourg auprès de votre établissement, d'après les autorités fiscales françaises, bien que des achats auraient été effectués et réglés via ce compte, celles-ci nécessitent certaines informations bancaires.
Je vous prie de bien vouloir fournir pour la période du 1er janvier 2010 au 30 juin 2012 tous les renseignements, dont vous êtes détenteur, afin de permettre à l'autorité compétente luxembourgeoise de transmettre à l'autorité compétente française les renseignements vraisemblablement pertinents :
- Qui était (étaient) le(s) titulaire(s) du compte bancaire n° … auprès de votre banque ;
- Veuillez fournir les noms de la (des) personne(s) étant autorisée(s) à effectuer des opérations sur ce compte bancaire ;
- Veuillez fournir les noms de la (des) personne(s) ayant ouvert le compte, si l'ouverture se situe dans la période visée ;
- Veuillez indiquer les soldes d'ouverture et de clôture du compte pour la période visée ;
- Veuillez fournir les relevés bancaires de ce compte pour cette période.
Selon les autorités fiscales françaises, l’Etat requérant a épuisé toutes les sources habituelles de renseignements internes pour l'obtention des renseignements requis, sans courir le risque de compromettre le résultat de l'enquête.
Après examen, la demande satisfait, à mon avis, aux conditions légales de l’octroi de l'échange de renseignements tel que prévu par l'article 22 de la prédite convention fiscale et de l'échange de lettres y relatif. Elle contient toutes les informations nécessaires pour établir la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.
Il y a lieu de préciser que les dispositions du paragraphe 178bis de la loi générale des impôts pour ce qui est de l'imposition des contribuables en droit interne sont pleinement respectées.
Au vu de ce qui précède, je vous prie de bien vouloir fournir les renseignements demandés dont vous êtes détenteur dans le délai imparti. Si vous rencontrez des difficultés objectives pour déférer à la présente injonction, vous voudrez me le signaler dans les plus brefs délais.
La présente décision d'injonction est susceptible d'un recours en annulation devant le tribunal administratif qui est ouvert à toute personne visée par ladite décision ainsi qu'a tout tiers concerné. Le recours doit être introduit dans le délai d'un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements demandés et a un effet suspensif. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’injonction précitée du 24 avril 2013.
A l’audience des plaidoiries du 31 juillet 2013, le mandataire de Monsieur … a sollicité l’autorisation de produire un mémoire supplémentaire afin de prendre position par rapport à la demande d’échange de renseignement des autorités françaises déposée par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 21 juin 2013 ensemble avec le mémoire en réponse.
Par ordonnance du 31 juillet 2013, il a été fait droit à cette demande.
Aux termes de l’article 6 de la du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, désignée ci-après par « la loi du 31 mars 2010 », le tribunal administratif est compétent pour connaître d’un recours en annulation introduit contre une décision du directeur portant injonction de fournir des renseignements demandés au détenteur des renseignements, de sorte qu’il n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait de prime abord valoir que le fait d’avoir été contraint d’introduire un recours contentieux sans avoir pu consulter la demande d’échange de renseignement des autorités françaises constituerait une violation de ses droits de la défense.
Force est au tribunal de constater à cet égard que s’il est exact que l’interdiction imposée au directeur de communiquer la demande d’échange de renseignement des autorités étrangères avant qu’un recours n’ait été introduit contre son injonction de fournir un certain nombre d’information,1 et la conséquence qui en découle que la personne voulant introduire un recours contentieux contre cette injonction ne peut pas consulter préalablement la demande d’échange de renseignement des autorités étrangères, sont susceptibles de soulever des questions relatives au respect des droits de la défense et aux principes du droit à procès équitable et du droit au contradictoire, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce la communication de la demande d’échange de renseignement des autorités françaises au demandeur par le greffe du tribunal administratif et la possibilité lui accordée de produire un mémoire supplémentaire après avoir consulté cette demande d’échange de renseignement, sont de nature à réparer l’atteinte aux droits de la défense et au principe du contradictoire soulevés à juste titre par le demandeur. Par voie de conséquence, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Quant au fond, le demandeur fait valoir que si les informations relatives au compte bancaire elles-mêmes étaient pertinentes pour élucider ses affaires, tel ne serait pas le cas des relevés bancaires. En effet, une telle demande servirait à opérer des contrôles et des redressements fiscaux de tierces personnes et partant étrangères à la demande d’échange de renseignements litigieuse, de sorte à constituer une pêche aux informations.
Le demandeur fait encore valoir que le compte litigieux aurait été, tel que renseigné dans le document d’entrée en relations versé en cause, ouvert au nom de deux co-titulaires, de sorte que le compte aurait pu être utilisé pour des opérations réalisées par le co-titulaire qui seraient sans aucun lien avec son activité professionnelle.
Le délégué du gouvernement fait valoir que les renseignements demandés présenteraient un lien direct avec l’examen fiscal du demandeur, de sorte qu’ils seraient à considérer comme vraisemblablement pertinents. Partant, le recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 22, paragraphe 1 de la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la France tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administratives réciproques en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris le 1er avril 1958, modifiée par un avenant signé à Paris le 8 septembre 1970, par un avenant signé à Luxembourg le 24 novembre 2006 et par un avenant signé à Paris le 3 juin 2009 et l’échange de lettres y relatif, ci-après désignée par la « Convention », dans la teneur lui conférée par l’Avenant: « 1. Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement 1 Voir TA 6 février 2012, n° 29592 du rôle publié sous www.jurad.etat.lu pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. L’échange de renseignements n’est pas restreint par l’article 1 ».
Ces dispositions ont fait l’objet d’un échange de lettres des ministres compétents des deux pays signataires, lesquelles lettres « constituent ensemble un commun accord entre les autorités compétentes du Grand-Duché de Luxembourg et de la France ». Ledit échange précise les conditions auxquelles une demande de renseignements doit suffire dans les termes suivants : « L’autorité compétente requérante fournira les informations suivantes à l’autorité compétente de l’Etat requis :
(a) l’identité de la personne faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête ;
(b) les indications concernant les renseignements recherchés, notamment leur nature et la forme sous laquelle l’Etat requérant souhaite recevoir les renseignements de l’Etat requis ;
(c) le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés.
Elle pourra aussi, dans la mesure où ils sont connus, communiquer les noms et adresses de toute personne dont il y a lieu de penser qu’elle est en possession des renseignements demandés et, plus généralement, tout élément de nature à faciliter la recherche d’informations par l’Etat requis.
L’autorité compétente de l’Etat requérant formulera ses demandes de renseignements après avoir utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne ».
A travers la modification de l’article 22 de la Convention opérée par l’Avenant et l’échange de lettres y relatif, le Luxembourg a entendu convenir avec la France un « échange de renseignements sur demande selon le standard OCDE, tel qu’il est consacré par l’article 26 paragraphe 5 du Modèle de Convention de l’OCDE en sa version de 2005 »2, de sorte que l’interprétation de l’article 22 de la Convention peut utilement s’appuyer sur le commentaire du Modèle de convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune, ci-après dénommé « le Modèle de convention », relatif à l’article 26 dans sa teneur de l’année 2005, ainsi que sur le Manuel de l’OCDE sur la mise en œuvre des dispositions relatives aux échanges de renseignements en matière fiscale du 23 janvier 2006, ci-après dénommé « le Manuel », dans la mesure de leur compatibilité avec le contenu de l’échange de lettres susvisé.
2 Voir Projet de loi portant approbation de plusieurs conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d'échange de renseignements sur demande, doc. parl. 6072, commentaire des articles, p. 27 Ainsi, l’article 26 du Modèle de convention, et donc également l’article 22 de la Convention, prévoient un échange de renseignements dans la mesure la plus large possible, l’échange de renseignements portant sur toutes les informations dont on peut penser qu’elles seront pertinentes pour l’administration ou l’application de la législation nationale des parties contractantes en matière fiscale, mais qu’il n’est pas loisible aux États contractants « « d’aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé »,3 l’équilibre entre ces deux considérations concurrentes devant être recherché dans la condition de la « pertinence vraisemblable ».
Or, la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique d’abord que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé,4 les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents afin de permettre à l’Etat requérant de solutionner le cas d’imposition en cause. Le Manuel précise ainsi que « l’échange de renseignements sur demande correspond au cas dans lequel l’autorité compétente d’un pays demande des renseignements pour un cas précis à l’autorité compétente d’une autre partie contractante ».5 L’échange de lettres entre les ministres compétents français et luxembourgeois confirme l’applicabilité de cette condition dans le cadre de l’application de l’article 22 de la Convention en précisant au niveau de l’alinéa 4, a) du texte approuvé qu’une demande de renseignements doit indiquer « l’identité de la personne faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête ».
En l’espèce, c’est le demandeur qui est désigné dans la demande de renseignements des autorités françaises comme la personne faisant l’objet de l’enquête fiscale en France et quant à laquelle des renseignements sont demandés au Luxembourg.
La demande de renseignement française, indiquant que le demandeur serait actif comme ingénieur-conseil dans le domaine industriel de chaîne de montage automobiles et autres,6 est accompagnée par ailleurs d’un relevé de compte sur lequel le demandeur apparaît comme donneur d’ordre d’un versement provenant d’un compte détenu au Luxembourg.
Comme la demande de renseignement indique en outre que le demandeur aurait nié l’existence de ce compte, le tribunal est amené à conclure que c’est a priori à bon droit que le directeur a conclu que la demande de renseignement litigieuse satisfait aux conditions légales de l’octroi de l’échange de renseignement tel que prévu par l’article 22 de la Convention, étant donné que la question de savoir si le demandeur est titulaire du compte bancaire en cause correspond à un cas d’imposition précis et spécifique relative à un contribuable déterminé, en l’occurrence le demandeur.
3 Voir Projet de loi portant approbation de plusieurs conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d'échange de renseignements sur demande, doc. parl. 6027, commentaire des articles, p. 27 ; idem Modèle de convention, commentaire de l’article 26, n° 5 ; idem échange de lettres entre les autorités compétentes françaises et luxembourgeoises, 3e alinéa du texte d’accord 4 Voir Modèle de convention, commentaire de l’article 26, nos 5, 5.1 et 9 5 Voir module sur les aspects généraux et juridiques de l’échange de renseignements, p. 7 6 Voir demande de renseignement des autorités françaises du 8 avril 2013, page 4/6 Cependant, au vu, d’un côté, des explications du demandeur, non contestées par la partie étatique, que le compte aurait été ouvert au nom de deux personnes, et de l’autre côté, du cadre de l’objet des enquêtes des autorités françaises, à savoir celui de clarifier la situation fiscale du demandeur, il y a lieu de conclure que la demande de renseignements ne tend pas à étayer des liens entre celui-ci et le co-titulaire du compte, voire d’autres personnes, mais uniquement à voir confirmer la qualité de bénéficiaire dudit compte dans le chef du demandeur ainsi que l’importance des fonds ayant transité par ledit compte.
Par voie de conséquence, les renseignements sollicités par les autorités françaises ne peuvent être qualifiés comme vraisemblablement pertinents que dans la mesure où ils présentent un lien effectif avec le cas d’imposition individuel du demandeur ainsi circonscrit.
Or, force est au tribunal de constater que la demande des autorités françaises tend, à travers les trois premières questions formulées, non seulement à voir confirmer que le demandeur est effectivement le titulaire du compte bancaire en cause, qu’il est autorisé à effectuer des opérations par son biais et que c’est lui qui a ouvert ledit compte, mais à se voir communiquer les identités des personnes ayant ces différentes qualités sans limiter la portée de ces demandes à la personne du demandeur. Les identités d’autres personnes ayant, à côté du demandeur ou à sa place, l’une ou plusieurs des qualités visées dans les trois premières questions doivent cependant être considérées comme étant étrangères au cas d’imposition du demandeur et ne peuvent dès lors pas être considérées comme vraisemblablement pertinentes dans le cadre dudit cas d’imposition.
Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de conclure que les trois premières questions contenues dans la demande des autorités françaises, et reprises par la décision directoriale attaquée, tendent en partie à obtenir des renseignements qui ne sont pas vraisemblablement pertinents pour le cas d’imposition en cause et ce dans la mesure où elles tendent à obtenir les identités d’autres personnes à partir de liens qu’elles auraient eus par rapport au compte bancaire visé dans la demande. Dans la suite logique de cette conclusion quant aux trois premières questions, il faut conclure par rapport à la cinquième question relative à la fourniture des relevés bancaires, que les renseignements afférents ne sont vraisemblablement pertinents que dans la mesure où les réponses aux trois premières questions confirment que le demandeur est effectivement le titulaire du compte bancaire en question et sous condition que les relevés bancaires communiqués se limitent à ceux qui mettent clairement en évidence que le demandeur est à l’origine des opérations effectués sur ledit compte et documentées par lesdites relevés bancaires.
Quant à la quatrième question relative aux soldes d’ouverture et de clôture du compte bancaire en question pour la période visée, le tribunal est amené à conclure que dans la mesure où les relevés bancaires spécifiés ci-avant renseignent de manière exhaustive les opérations dont le demandeur est à l’origine, les soldes d’ouverture et de clôture du compte en question n’apportent pas d’élément nouveau susceptible d’éclaircir les autorités françaises dans le cadre de cas d’imposition précis de l’espèce, mais risquent au contraire d’aller au-delà de ce cas d’imposition précis étant donné qu’il n’est pas contesté en cause que le compte bancaire litigieux à été ouvert au nom de deux titulaires.
Partant, la quatrième question est à qualifier de pêche aux renseignements et n’est partant pas conforme à l’article 22 de la Convention.
La demande d’échange de renseignement et l’injonction directoriale déférée sont dès lors à limiter dans leur portée en ce sens.
Le demandeur soutient encore qu’il aurait reçu le 23 juillet 2013 une proposition de rectification des autorités fiscales françaises et il en conclut que ces dernières auraient ainsi renoncé à la demande d’échange de renseignement étant donné qu’elles n’auraient pas eu besoin des renseignements sollicités pour effectuer la proposition de rectification.
Par ailleurs, au vu de la propostion de rectification précitée, le demandeur conteste l’affirmation des autorités françaises qu’elles auraient épuisé toutes les sources habituelles de renseignement tel qu’indiquer dans le formulaire de la demande d’échange de renseignement.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens.
A cet égard le tribunal tient de prime abord de soulever qu’il est vrai que l’épuisement des moyens d’investigation internes disponibles sur son territoire par l’Etat requérant constitue l’une des conditions pour pouvoir admettre le caractère vraisemblablement pertinent des renseignements sollicités auprès de l’autre Etat contractant,7 il n’en reste pas moins que l’échange de lettres entre les ministres compétents français et luxembourgeois relatif à l’article 22 de la Convention a aménagé l’obligation de justification relative à cette condition à charge de l’Etat requérant en ce sens que ce dernier n’est pas tenu de préciser les démarches déjà accomplies en droit interne, mais qu’il ne doit soumettre sa demande d’échange de renseignements qu’ « après avoir utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne ». Partant, la demande litigieuse du 8 avril 2013, confirmant l’épuisement des moyens d’enquêtes possibles en France8 et faisant état d’une procédure d’examen de la situation fiscale personnelle à l’égard de l’appelant, suffit à cet égard aux exigences de l’article 22 de la Convention, ensemble l’échange de lettres précité.
Quant à l’incidence de la proposition de rectification des autorités fiscales françaises du 23 juillet 2013, le tribunal est amené à conclure, d’un côté, que dans le cadre d’un recours en annulation la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise,9 de sorte qu’en l’espèce le contrôle de légalité de l’injonction du 24 avril 2013 déférée ne saurait prendre en compte la proposition de rectification du 23 juillet 2013 intervenue ultérieurement, et, de l’autre côté, à titre superfétatoire, que, tel que soulevé à juste titre par le délégué du gouvernement, la réserve émise par les autorités fiscales françaises dans le cadre de la 7 Voir Modèle de Convention, ad art. 26, n° 9 a) ; VOGEL/LEHNER : Doppelbesteuerungsabkommen – Kommentar, art. 26, Anm. 35 8 Voir demande de renseignement des autorités françaises du 8 avril 2013, page 1/6, point A1-6) 9 Voir TA 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2012, v° Recours en annulation, n° 13 et les références y citées proposition de rectification litigieuse par rapport à la procédure actuellement soumise à l’analyse du tribunal, en l’occurrence que les autorités fiscales françaises sont « toujours dans l’attente de la réponse », est en contradiction avec l’argumentation du demandeur tendant à admettre une renonciation par les autorités fiscales françaises à leur demande.
Par voie de conséquence le moyen afférent laisse d’être fondé.
Finalement, le demandeur, sur base de l’article 22, paragraphe 3 de la Convention, estime que la communication des relevés bancaires risquerait de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel ou professionnel étant donné qu’une telle demande aurait comme objectif d’obtenir des informations relatives à ses relations contractuelles.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen.
Aux termes de l’article 22, paragraphe 3 de la Convention : « Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation :
[…] c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public. » A cet égard force est au tribunal de constater que la nature et la portée des notions ainsi invoquées sont spécifiées dans les commentaires de l’article 26 du Modèle de Convention de l’OCDE, version du 17 juillet 2012, au point 19.2 en les termes suivants : « La plupart des demandes de renseignements ne soulèveront pas de problèmes de secret commercial, industriel ou autre. Par secret commercial ou industriel, on entend généralement des faits ou circonstances qui sont d’une importance économique considérable, qui peuvent être exploités dans la pratique et dont l’utilisation non autorisée peut conduire à un grave préjudice (par exemple en occasionnant de graves difficultés financières). La détermination, l’évaluation ou le recouvrement de l’impôt ne peuvent être considérés en tant que tels comme donnant lieu à un grave préjudice. Les informations financières, y compris les livres et documents comptables, ne constituent pas, de par leur nature, un secret commercial, industriel ou autre. Toutefois, dans des cas limités, la divulgation d’informations financières pourrait trahir un secret commercial, industriel ou autre. Par exemple, une demande de renseignements portant sur certains documents relatifs à des achats peut poser ce type de problèmes si la divulgation de ces informations révèle la formule exclusive d’un produit. La protection de ces renseignements peut aussi s’étendre aux informations qui sont en possession de tierces personnes. Par exemple, une banque peut être en possession d’une demande de brevets en cours qu’elle garde en sécurité ou d’un procédé ou d’une formule secrète décrits dans une demande de prêt ou dans un contrat que détient la banque. Dans ces conditions, les détails concernant le secret commercial, industriel ou autre doivent être isolés des documents et les renseignements financiers restants doivent être échangés en conséquence. » Or, en l’espèce le demandeur se borne à affirmer que les relevés bancaires litigieux seraient susceptible de révéler un secret commercial, industriel ou professionnel sans indiquer la nature spécifique du secret susceptible d’être dévoilé en l’espèce, le demandeur met le tribunal dans l’impossibilité de contrôler la pertinence et le bien fondé du moyen afférent. Partant, ce dernier laisse d’être fondé.
Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que la décision directoriale du 24 avril 2013 est conforme à l’article 22 de la Convention et à l’échange de lettres y relatif en ce qu’elle enjoint à la banque BGL BNP Paribas S.A. d’indiquer si le demandeur est le titulaire actuel du compte bancaire en cause, s’il est autorisé à effectuer des opérations sur ce compte et s’il est la personne ayant ouvert le compte, au cas où l’ouverture se situe dans la période concernée de l’année 2010, et, en cas de réponses affirmatives à ces questions, de fournir les relevés bancaires pour cette période documentant les opérations effectués exclusivement par le demandeur.
Par contre, la décision directoriale du 24 avril 2013 n’est pas conforme à l’article 22 de la Convention et à l’échange de lettres y relatif dans la mesure où elle tend à obtenir et à continuer aux autorités françaises des renseignements qui ne peuvent pas être considérés comme vraisemblablement pertinents dans le cadre du cas d’imposition de le demandeur, en l’occurrence ceux dépassant les confins ci-avant tracés et visant les identités d’autres personnes.
Enfin, le tribunal est encore amené à constater que s'il est vrai qu'une décision administrative indivisible ne peut pas faire l'objet d'une annulation partielle, tel n'est pas le cas pour une décision dont l’illégalité ne s'étend qu'à certains de ses éléments, aisément dissociables, auquel cas rien ne s'oppose à ce que le juge ne prononce que l'annulation de ces chefs illégaux, laissant subsister le reste de la décision.10 Etant donné qu’en l’espèce, les renseignements valablement requis par le directeur peuvent être dissociés de ceux dont le directeur n’a pas pu exiger la fourniture, il y a lieu d’annuler la décision directoriale dans la mesure précisée au dispositif du présent jugement.
Au vu de la solution au fond, il y a lieu de mettre les frais de l’instance par moitiés à charge du demandeur et de l’Etat.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, 10 Voir CA 12 juillet 2011, n° 28279C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 56 se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit contre l’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 24 avril 2013 ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire ne annulation introduit contre l’injonction du directeur de l’administration des Contributions directes du 24 avril 2013 ;
au fond, le déclare partiellement justifié ;
partant, rejette le recours dans la mesure où la décision directoriale du 24 avril 2013 enjoint à la banque BGL BNP Paribas S.A. d’indiquer si le demandeur est le ou l’un des titulaires actuels du compte bancaire en cause, s’il est autorisé à effectuer des opérations sur ce compte et s’il est la ou l’une des personnes ayant ouvert le compte, au cas où l’ouverture se situe dans la période visée, et, en cas de réponses affirmatives à ces questions, de fournir les relevés bancaires pour cette période limités à ceux documentant des opérations dont le demandeur est à l’origine ;
déclare le recours justifié pour le surplus ;
partant, annule la décision directoriale du 24 avril 2013 dans la mesure où elle enjoint à la banque BGL BNP Paribas S.A. de fournir des renseignements allant au-delà de ceux ci-avant délimités ;
fait masse des frais et les met par moitié à charge du demandeur et de l’Etat.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 25 octobre 2013, à 11.00 heures, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30.10.2013 Le Greffier du Tribunal administratif 11