Tribunal administratif N° 30943 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2012 1re chambre Audience publique du 23 octobre 2013 Recours formé par Monsieur …, … (Suisse), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 30943 du rôle, déposée en date du 25 juillet 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à CH-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 25 avril 2012 rejetant sa réclamation telle que dirigée contre des bulletins d’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007, tous émis le 26 octobre 2011 ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 11 décembre 2012 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2013 par Maître Jean-Pierre WINANDY au nom du demandeur ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 6 février 2013 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nadège LE GOUELLEC, en remplacement de Maître Jean-Pierre WINANDY, et Madame le délégué du gouvernement Caroline PEFFER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 octobre 2013.
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Par courriers datés du 21 octobre 2011, le préposé du bureau d’imposition Luxembourg X, section des personnes physiques, de l’administration des Contributions directes informa Monsieur … en application du paragraphe 205 (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’à défaut de dépôt de déclarations, l’imposition de ses revenus des années 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007 serait établie sur base des seuls relevés de l’Union des Caisses de Maladie.
Le 26 octobre 2011, le bureau d’imposition Luxembourg X émit les bulletins d’impôt sur le revenu des années 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007.
Le 25 janvier 2012, Monsieur … fit introduire une réclamation contre lesdits bulletins auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur ».
Par décision du 25 avril 2012, le directeur, après avoir disjoint la réclamation portant contre l’année d’imposition 2001, confirma intégralement les bulletins d’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007 et rejeta en conséquence la réclamation comme étant non fondée pour les motifs suivants :
« Vu la requête introduite le 25 janvier 2012 par Me Jean-Pierre Winandy, au nom des époux, le sieur … et la dame …, demeurant à CH-…, pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007, tous émis le 26 octobre 2011 ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Vu le dossier fiscal ;
Considérant que si l’introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n’est incompatible, en l’espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-
même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ;
Considérant en particulier, en ce qui concerne l’année d’imposition de 2001, qu’il y a eu imposition collective des époux, tandis que pour les années subséquentes de 2002 à 2007, les bases d’imposition ont dû être établies par voie de taxation, à défaut de déclarations, mais l’ont été du seul chef du mari, sans qu’il n’y ait eu imposition collective, et que partant, pour ces années de 2002 à 2007, l’épouse n’est pas partie de l’instance ;
qu’en conséquence la présente décision portera sur la réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des personnes physiques des années 2002 à 2007, la réclamation contre l’année d’imposition 2001 étant disjointe pour être vidée séparément, sous le n° du rôle C 17496 ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi, qu’elles sont partant recevables ;
Considérant que pour les années 2002 à 2007, le réclamant fait grief au bureau d’imposition, à titre principal, d’avoir établi les bases d’imposition par voie de taxation, alors que les années de 2002 à 2005 encourraient la prescription, et, à titre subsidiaire, que les taxations ne tiendraient pas compte des frais d’exploitation du cabinet dentaire ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, la loi d’impôt étant d’ordre public ;
qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-
fondé, qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
1. Quant aux années d’imposition 2002 à 2005 Considérant, à titre général, qu’en matière d’impôts directs, dont l’impôt sur le revenu, la prescription est régie par la loi du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau-de-vie et des cotisations d’assurance sociale;
que l’article 10, alinéa 1er de la loi précitée énonce :
« La créance du Trésor se prescrit par cinq ans. Toutefois, en cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans. » ;
Considérant qu’il découle de cette disposition que si le délai de prescription de cinq ans est le délai de droit commun, le délai de dix ans est un délai spécial qui sanctionne des insuffisances imputables au contribuable soumis à l’obligation déclarative ;
Considérant qu’en tout état de cause, le réclamant n’avait remis aucune déclaration d’impôt pour les années litigieuses de 2002 à 2007, ce qui ne peut que porter à conséquence que la prescription se trouve bien être de dix ans ;
Considérant qu’en vertu de l’article 3 de la loi précitée concernant le recouvrement, en conformité avec le § 145 AO, la prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née ;
Considérant qu’en l’espèce, la créance du trésor relative à l’impôt sur les revenus des personnes physiques de l’année 2002 est née en 2002, de sorte que le délai de prescription a pris cours le 1er janvier 2003 ;
Considérant que les créances du Trésor constituent pour le contribuable des dettes d’impôt, lesquelles sont régies par les dispositions générales des §§ 3 et suivants de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 (« Steuer-Anpassungsgesetz », ci-après « StAnpG) » ;
Considérant que le § 3 StAnpG dispose en ses alinéas 1er et 2 :
« (1) die Steuerschuld entsteht, sobald der Tatbestand verwirklicht ist, an den das Gesetz die Steuer knüpft ;
(2) Auf die Entstehung der Steuerschuld ist es ohne Einfluss, ob und wann die Steuer festgesetzt wird und wann die Steuer zu entrichten (wann sie fällig) ist » ;
Considérant qu’il découle de la combinaison des alinéas premier et second du paragraphe 3 StAnpG que c’est le fait générateur (Tatbestand) découlant de la loi qui se trouve à l’origine de la dette fiscale, en déclenchant ainsi l’application à un contribuable des dispositions de la loi d’impôt, entraînant que ni la déclaration d’impôt, ni les bulletins d’imposition ne donnent naissance par eux-mêmes à la dette d’impôt ;
Considérant que, dans la mesure où le bulletin d’impôt ne crée pas la dette d’impôt, mais ne fait que la fixer à travers la cote d’impôt par lui dégagée, il n’a par voie de conséquence qu’une valeur déclarative et non constitutive de la dette fiscale (cf. : J. Olinger :
Le droit fiscal, Etudes fiscales, 93 à 95, p. 90) ;
Considérant qu’il convient d’ailleurs de retenir que contrairement au droit fiscal allemand, la législation luxembourgeoise ne distingue pas entre la prescription de l’établissement de l’impôt et la prescription du paiement de l’impôt, la liquidation et le recouvrement de l’impôt étant soumis en matière d’impôts directs à un seul et même délai ;
Considérant que l’alinéa 5 du § 3 StAnpG précise:
« Die Steuerschuld entsteht: 1. bei der Einkommensteuer und bei der Körperschaftsteuer:…c) für die veranlagte Steuer: mit Ablauf des Kalenderjahres, für das die Veranlagung vorgenommen wird, soweit nicht die Steuerschuld nach Buchstabe a) oder b) schon früher entstanden ist » ;
Considérant que c’est ainsi à partir de la naissance du fait générateur que le délai de prescription court en matière d’impôts directs, y compris pour les impôts visés par les bulletins litigieux, pour leur établissement et leur recouvrement ;
Considérant qu’il est constant en cause que les impôts dont le réclamant revendique actuellement la prescription, à savoir ceux relatifs aux années fiscales de 2002 à 2005, ont été établis par la voie d’une taxation d’office, et ce à défaut de déclaration d’impôt, de sorte à être soumis sans nul doute, conformément à l’article 10, alinéa 3 de la loi du 27 novembre 1933, à la prescription décennale ;
Considérant qu’il suit des développements qui précèdent que pour l’année fiscale 2002, la créance fiscale de l’Etat concernant l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal est née le 31 décembre 2002 au plus tard, fin de l’année de calendrier et que le délai de prescription afférent, étant de dix ans, a commencé à courir pour les impôts en question relatifs à l’année 2002 à partir du 1er janvier 2003 pour expirer, en principe, le 31 décembre 2013 ;
Considérant par conséquence, qu’à la date d’émission des bulletins actuellement entrepris, soit en date du 26 octobre 2011, la prescription extinctive de dix ans n’avait pas encore pris effet, de sorte que le moyen afférent du réclamant est à rejeter pour être non fondé.
qu’il s’ensuit a fortiori que les bulletins des années d’imposition de 2003 à 2005 encourent d’autant moins la prescription ;
II. Quant au principe de la taxation Considérant en premier lieu que le réclamant a initialement déclaré au préposé du bureau d’imposition lors d’une entrevue le 8 juillet 2003, qu’il avait transféré ses domicile et résidence fiscales à l’étranger, qu’il avait cédé l’immeuble d’exploitation de son cabinet médical, qu’il était en train de réduire sa présence physique au Luxembourg encore plus par la cession partielle de son activité à un jeune médecin, que cette réduction de sa présence physique était conditionnée par un nouvel engagement avec une société suisse, dont il joignait le contrat ;
que, somme toute, le réclamant a tout mis en œuvre pour que le bureau d’imposition soit induit à clôturer le dossier, suggérant une cessation de ses activités ;
Considérant que l’article 156, alinéa 3 L.I.R. énumère parmi les revenus indigènes des contribuables non résidents le bénéfice provenant de l’exercice d’une profession libérale au sens des articles 91 et 92 L.I.R., pour autant que ladite profession est ou a été exercée ou mise en valeur au Grand-Duché ;
Considérant que l’article 14 de la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la confédération suisse en vue d’éviter les doubles impositions attribue sans aucune équivoque le droit d’imposition au Luxembourg, si comme en l’espèce, une base fixe sert à l’exercice d’une profession libérale ;
Considérant d’ailleurs qu’aux termes de l’article 1er du règlement grand-ducal portant exécution de l’article 116 L.I.R. tout contribuable est tenu de faire annuellement la déclaration de ses revenus ;
Considérant que le réclamant faisait fi de toutes dispositions fiscales et légales le commettant à déclarer ses revenus, pour se retrancher derrière une fiction de cessation des activités, alors qu’il continuait à exercer sa profession au Grand-Duché sans restriction et avec une envergure régulièrement croissante, pendant au moins 3 jours de la semaine ;
Considérant que ce n’est que sur le tard que le bureau d’imposition a eu connaissance de ces faits allant tout à l’encontre de la déclaration du 8 juillet 2003 ;
Considérant qu’en réaction à la mauvaise foi tout comme l’absence absolue de toute déclaration d’impôt, le bureau d’imposition était tenu, conformément au § 217 AO, à établir les bases d’imposition par voie de taxation ;
Considérant qu’il échet de rappeler que le § 217 AO dispose:
« (1) Soweit das Finanzamt die Besteuerungsgrundlagen (einschließlich solcher Besteuerungsgrundlagen, die für eine gesonderte Feststellung nicht vorgeschrieben ist) nicht ermitteln oder berechnen kann, hat es sie zu schätzen. Dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind.
(2) Zu schätzen ist insbesondere dann, wenn der Steuerpflichtige über seine Angaben keine ausreichenden Aufklärungen zu geben vermag oder weitere Auskunft oder eine Versicherung an Eides Statt verweigert. Das Gleiche gilt, wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ».
Considérant que la taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt (cf. trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle) ;
que la taxation consiste à déterminer et à utiliser une valeur probable ou approximative, afin d’aboutir à une évaluation de la base imposable, correspondant dans toute la mesure du possible à la réalité économique ;
que ce procédé comporte nécessairement une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération (cf. Cour adm. 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle) ;
que la taxation d’office ne constitue pas une mesure de sanction à l’égard du contribuable, mais un procédé de détermination des bases d’imposition compte tenu des éléments à disposition du bureau d’imposition, même applicable à l’égard des contribuables soigneux et diligents (cf. trib. adm. cit. n° 10156 du rôle) ;
Considérant que le bureau d’imposition a diminué à juste titre les recettes renseignées par l’Union des Caisses de maladie d’un forfait pour déplacement prévu par la loi en son article 105bis L.I.R. ;
Considérant que les doléances de la requête introductive à ce que des dépenses d’exploitation auraient dû être défalquées portent à faux ;
qu’il échet à ce titre de rappeler l’importance des recettes non comptabilisées par la caisse luxembourgeoise, telle qu’émanant de fonctionnaires européens, diplomates étrangers, salariés expatriés de moins de trois ans, et non des moindres des actes médicaux non remboursables ;
que ces recettes sont à taxer en raison et équité à au moins 20 pour cent des recettes documentées par le relevé de la caisse luxembourgeoise, représentant dès lors en contrevaleur d’importantes dépenses d’exploitation, surtout que le réclamant indiquait lors de l’entrevue du 8 juillet 2003 réduire sensiblement ses frais immobiliers ;
Considérant à titre de principe qu’il était tout à fait loisible au réclamant de présenter, après même les taxations émises, ensemble avec ses réclamations les déclarations d’impôt, documentant ainsi les dépenses d’exploitation alléguées ;
Considérant que la taxation d’office consiste en une évaluation unilatérale de la base imposable par le fait de l’administration; que le but de la taxation d’office est d’aboutir, à défaut de pouvoir évaluer la valeur réelle, à une valeur probable ou approximative de la base imposable; que la prise en compte pour l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération (Cour adm., 11 juin 2002, n° 14725C du rôle) ;
Considérant que la taxation procède en règle générale par voie de généralisation à partir de données constantes, ses calculs reposant sur des présomptions de probabilité, de sorte que ce procédé, par définition, comporte une certaine marge d’incertitude et d’inexactitude, cette marge étant d’autant plus grande que la collaboration du contribuable est plus faible (Cour adm., 27 Juillet 2011, n° 28150C du rôle) ;
Considérant enfin que les contribuables ne doivent s’imputer qu’à eux-mêmes les conséquences éventuellement désavantageuses de la taxation, lorsque c’est par suite de leur propre comportement fautif qu’il a été nécessaire de recourir à cette mesure (cf.
jurisprudence constante, déjà: Conseil d’Etat, 11 avril 1962, n° 5742 du rôle)(…). » Par requête déposée le 25 juillet 2012, Monsieur… a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de cette décision directoriale déclarant non fondée sa réclamation datée du 25 janvier 2011 dirigée contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2002 à 2007.
Le paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », ainsi que l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ouvrant un recours au fond contre la décision directoriale litigieuse, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal par le demandeur. Ce recours en réformation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de son recours, Monsieur… attaque la décision directoriale déférée pour divers motifs développés successivement par ordre de subsidiarité relevant du fondement propre à la décision, motifs qui en substance peuvent être énumérés comme suit :
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Monsieur… soulève à titre principal la « nullité de l’imposition pour défaut d’information antérieure du contribuable », en affirmant que le préposé du bureau d’imposition compétent aurait antérieurement admis le principe de son non-assujettissement et aurait même refusé ses déclarations pour les années d’imposition 2001 et 2002, de sorte que l’administration des Contributions directes ne saurait revenir sur le principe de non-assujettissement au titre des années en litige.
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Il soulève ensuite la prescription quinquennale pour les années d’imposition 2002 à 2005 ; à supposer, par impossible, que la prescription décennale doive néanmoins s’appliquer, il considère que comme il aurait déposé une déclaration d’impôt pour l’année d’imposition 2002 et que le préposé du bureau d’imposition ne l’aurait pas considérée, le principe d’imposition d’office et la prescription décennale pour non-déclaration ne pourrait pas s’appliquer à l’année 2002.
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Enfin, il critique la taxation lui opposée tant en son principe qu’en ses montants et sollicite la révision de l’imposition pour erreur quant au bénéfice imposable, en ce que l’imposition devrait tenir compte de ses dépenses d’exploitation réelles.
1.
En ce qui concerne le moyen de Monsieur… tendant à la « nullité de l’imposition pour défaut d’information antérieure du contribuable », il expose avoir informé le préposé du bureau d’imposition compétent lors d’une entrevue qui aurait eu lieu le 8 juillet 2003 avoir déplacé son domicile et sa résidence à l’étranger, avoir cédé l’immeuble d’exploitation de son cabinet médical à d’autres confrères et avoir fortement réduit sa présence au Luxembourg, ce qui aurait amené le bureau d’imposition à clôturer son dossier fiscal dans le sens de son non-assujettissement, position que le bureau d’imposition aurait expressément confirmée par un courrier du 22 juillet 2003. Il en déduit qu’un revirement de position de la part de l’administration ne pourrait avoir d’effet que pour les années d’imposition qui suivraient l’information du contribuable par l’administration de son changement de position, information de changement de position qui en l’espèce ne ressortirait toutefois que des lettres d’information émises conformément au paragraphe 205 (3) AO dans le cadre de la taxation d’office le 21 octobre 2011 : partant, il estime que la nouvelle position de l’administration ne pourrait en aucun cas s’appliquer aux années 2002 à 2007.
Deux constats s’imposent au tribunal en ce qui concerne ce moyen : Force est de prime abord de constater que le demandeur reste en défaut de préciser, voire seulement d’indiquer quelle règle ou principe de droit aurait été violé par l’administration des Contributions directes, violation qui justifierait la « nullité » de l’imposition, et en particulier quelle disposition légale ou autre imposerait l’information préalable telle que revendiquée.
Il convient ensuite, en sus de ce défaut de tout développement juridique, de constater que factuellement les affirmations du demandeur avancées à l’appui de ce moyen - outre d’être formellement contestées par l’Etat - restent en l’état de pure allégation, le demandeur, encore que son litismandataire ait affirmé que « Les différents témoignages ne pouvant être produits au moment de l’introduction du recours, ils seront produits par la suite par la partie requérante », n’ayant versé aucune pièce susceptible d’étayer ses affirmations quant à une décision de « clôture » prise prétendument en 2003 par l’administration des Contributions directes. A cet égard, le tribunal constate encore de concert avec le délégué du gouvernement que le courrier daté du 22 juillet 2003 n’émane pas de l’administration des Contributions directes, mais de la fiduciaire assistant le contribuable, de sorte à ne pas être de nature à établir un quelconque accord de l’administration avec son contenu.
Or, à supposer que le demandeur, à travers son moyen de « défaut d’information » ait en fait entendu soulever la violation par l’administration des Contributions directes du principe du « Treu und Glauben », à savoir le principe de la protection de la bonne foi du contribuable et de la protection de celui-ci contre des changements de la doctrine administrative, il convient de relever que l’application de ce principe est toutefois soumise à des conditions restrictives, alors qu’il ne saurait être possible de revenir sur les principes de légalité et d’égalité sous le manteau de la protection de la bonne foi et de l’apparence : en particulier, ce principe ne saurait interdire à l’administration des Contributions directes de revenir sur un système de taxation admis pendant un certain temps, si à la suite d’un réexamen des dispositions légales elle a acquis la conviction qu’elle doit procéder à une application différente des textes : aussi, un revirement de pratique fiscale ne peut a priori être considéré comme contraire à la bonne foi devant régir les relations entre parties1.
En effet, d’une manière générale, un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives, justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et réellement reconnu ou créé un droit 1 CE 8 juillet 1959, n° 5518.
subjectif dans son chef. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée, les deux notions de droits acquis et de légitime confiance étant voisines2.
C’est ainsi que lorsqu’un particulier diligent est surpris du fait qu’il s’est raisonnablement fié au « pré-comportement » objectif de la personne publique, et n’est dès lors pas en mesure de prévoir l’adoption - ou la modification - soudaine d’une disposition de nature à affecter ses intérêts, la « légitimité » de sa confiance subjective peut être présumée, et ce avec d’autant plus de force lorsque existent des dispositions concrètes et objectives indéniablement prises dans la confiance3. Cette dernière condition en particulier - l’existence de dispositions concrètes et objectives prises dans la confiance - présuppose plus précisément l’existence d’une relation étroitement personnelle entre le contribuable et l’administration :
une telle relation existera normalement à l’occasion d’une demande en renseignements individuelle4. En effet, pour des raisons tenant au respect du principe de sécurité juridique, il faut que les autorités fiscales qui ont donné des assurances ou fait une promesse soient tenues d’honorer les expectatives ainsi créées. Dans cette hypothèse, la réponse personnelle que l’administration fiscale aura donnée le cas échéant au contribuable liera celle-ci à ce dernier5 si des conditions déterminées sont réunies6.
Toutefois, tel que retenu ci-avant, il ne résulte d’aucun élément communiqué au tribunal qu’en l’espèce l’administration des Contributions directes ait donné de quelconques assurances au contribuable, le tribunal ayant encore tout spécialement interrogé lors de l’audience des plaidoiries le litismandataire du demandeur quant aux éventuelles pièces ou témoignages censés accréditer la version du demandeur.
Il s’ensuit qu’à défaut d’informations, d’incitations ou d’assurances données par l’administration des Contributions directes à Monsieur… quant à son non-assujettissement, ce dernier ne saurait se prévaloir d’une violation du principe de la bonne foi ou de la légitime confiance.
Le moyen afférent est partant à écarter pour ne pas être fondé.
2 Voir par analogie pour des applications de ce principe : trib.adm 25 janvier 2010, n° 25548, confirmé sur ce point par arrêt du 18 mai 2010, 26683C, Pas. adm. 2012, V° Etrangers, n° 254, ou encore trib. adm. 12 décembre 2011, n° 27543 et trib. adm. 12 mars 2012, n° 28296, et plus particulièrement en matière fiscale : trib. adm. 17 octobre 28948, confirmé par arrêt du 4 juillet 2013, n° 31723C.
3 Sylvia CALMES, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, Nouvelle bibliothèque de thèses, Dalloz, n° 214, p. 405, cité dans Cour adm. 11 février 2010, n° 25840C.
4 Alain Steichen, Manuel de Droit Fiscal, Tome 1, Droit fiscal général, 2006, n° 543, p. 553.
5 Voir réponse du ministre des Finances Luc Frieden à la question parlementaire n° 354 du 7 janvier 2010 de Monsieur François Bausch.
6 André Elvinger, Jean Hoss, Congrès IFA 1976, Rapport Luxembourgeois : La protection juridique du contribuable (Contacts avec l’administration et sécurité juridique), pp.4-5, et Alain Steichen, op.cit., n° 542, p.552.
2.
En ce qui concerne la question de la prescription, si le demandeur entend tirer profit de la prescription quinquennale pour les années d’imposition 2002 à 2005, force est de constater que l’Etat, pour sa part, lui oppose une prescription décennale.
Il convient en premier lieu de relever qu’en matière d’impôt sur le revenu, le régime de la prescription est régi, non pas par les dispositions de l’AO, mais par celles de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau de vie et des cotisations d’assurance sociale, telle que remise en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946 qui, compte tenu de son libellé amendé, étendu et modifié, est à considérer dans son ensemble comme postérieure en date à la loi générale des impôts, même analysée sous le couvert de sa loi confirmative du 27 février 1946 concernant l’abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l’octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux7.
L’article 10 de ladite loi du 27 novembre 1933, tel que modifié en 19998, dispose que « La créance du Trésor se prescrit par cinq ans. Toutefois, en cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de 10 ans ».
Force est de constater qu’en l’espèce, il y a bien eu non-déclaration dans le chef du demandeur pour les exercices visés, et ce, tel que retenu ci-avant, sans que le demandeur n’ait pu se prévaloir à ce sujet d’une quelconque confiance légitime, de sorte que c’est à bon droit que l’administration des Contributions directes a retenu un délai de prescription décennal et non quinquennal, et ce même si Monsieur… ignorait être soumis à l’impôt luxembourgeois au cours des années d’imposition litigieuses, ladite prescription décennale s’appliquant également au contribuable de bonne foi.
Les créances du Trésor constituent pour le contribuable des dettes d’impôt, lesquelles sont régies par les dispositions générales des paragraphes 3 et suivants de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 appelée « Steuer-Anpassungsgesetz », désignée ci-après par « StAnpG ».
Le paragraphe 3 StAnpG dispose en ses alinéas 1er et 2 que « (1) die Steuerschuld entsteht, sobald der Tatbestand verwirklicht ist, an den das Gesetz die Steuer knüpft. (2) Auf die Entstehung der Steuerschuld ist es ohne Einflu, ob und wann die Steuer festgesetzt wird und wann die Steuer zu entrichten (wann sie fällig) ist ».
Il découle de la combinaison des alinéas premier et second du paragraphe 3 StAnpG que c’est le fait générateur (Tatbestand) découlant de la loi qui se trouve à l’origine de la dette fiscale, en déclenchant ainsi l’application à un contribuable des dispositions de la loi d’impôt, entraînant que ni la déclaration d’impôt, ni les bulletins d’imposition ne donnent naissance par eux-mêmes à la dette d’impôt.
7 Voir trib. adm. 27 mai 1998, n° 10208 du rôle, cité sous Pas. adm. 2012, V° Impôts, n° 412, et autres références y citées.
8 Art. 3, loi du 24 décembre 1999 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2000, Mém. A, n° 148, p.2675.
D’après l’alinéa 5 du paragraphe 3 StAnpG, « Die Steuerschuld entsteht: 1. bei der Einkommensteuer und bei der Körperschaftsteuer: …. c) für die veranlagte Steuer: mit Ablauf des Kalenderjahres, für das die Veranlagung vorgenommen wird, soweit nicht die Steuerschuld nach Buchstabe a) oder b) schon früher entstanden ist ».
C’est ainsi à partir de la naissance du fait générateur que le délai de prescription court en matière d’impôts directs, y compris pour les impôts visés par les bulletins litigieux, pour leur établissement et leur recouvrement9.
D’après les articles 1er et 10, alinéa 3, de la loi modifiée du 27 novembre 1933 précitée, notamment pour l’impôt sur le revenu, le délai de prescription court à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la somme à percevoir est due.
Il suit des considérations qui précèdent que pour les années d’imposition litigieuses 2002 à 2007, le délai de prescription afférent, étant de 10 ans, a commencé à courir pour les impôts en question chaque fois à partir du 1er janvier suivant l’année pendant laquelle la somme à percevoir est due, pour expirer, en principe, le 31 décembre des années 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, soit postérieurement à la date d’émission des bulletins déférés, le 26 octobre 2011.
Il est encore vrai, que le demandeur, à titre plus subsidiaire, estime devoir en tout état de cause bénéficier de la prescription quinquennale en ce qui concerne l’exercice d’imposition 2002, le demandeur affirmant avoir déposé une déclaration en 2002, mais que le préposé du bureau d’imposition compétent aurait rejeté ladite déclaration, le demandeur se prévalant de la présence d’un dénommé … ainsi que d’un dénommé ….
Le tribunal constate toutefois que l’Etat conteste formellement cette affirmation, tout comme il constate l’absence de toute déclaration pour l’année 2002 dans le dossier fiscal du contribuable concerné. Par ailleurs, le tribunal ignore qui sont les personnes désignées par le demandeur, et ce à défaut de toute explication ou précision, le demandeur, respectivement son avocat, étant resté en défaut de verser une quelconque attestation testimoniale, voire seulement de formuler une quelconque offre de preuve, de sorte que le prétendu dépôt d’une déclaration pour l’année 2002 ne saurait être pris en considération par le tribunal, s’agissant, en l’état actuel d’instruction du dossier par le demandeur, respectivement par son avocat, d’une simple allégation.
3.
Enfin, et à titre plus subsidiaire, Monsieur… revendique la révision de l’imposition pour erreur quant au bénéfice imposable et en particulier la prise en compte des dépenses d’exploitation.
Il critique à ce sujet le fait que l’administration des Contributions directes ait procédé à une évaluation unilatérale de la base imposable sur base des relevés de l’Union des Caisses de Maladie. Or, il explique être chirurgien-dentiste et avoir pour activité exclusive l’implantologie, activité qui impliquerait des frais particulièrement importants relativement à la fourniture d’implants dentaires, faits sur mesure en fonction de la dentition des patients ainsi qu’à la pratique d’acte chirurgicaux. Comme il aurait légitimement pu considérer ne pas avoir à déposer de déclarations auprès du bureau d’imposition luxembourgeois, il expose 9 Jean Olinger, Le droit fiscal, Etudes fiscales, 93 à 95, n° 87, p. 77.
n’avoir pas conservé les justificatifs des dépenses d’exploitation, de sorte que le seul moyen de retracer lesdites dépenses d’exploitation serait la révision de ses relevés bancaires détaillés : ce serait sur cette base que des comptes de profits et pertes pour les années en litige auraient été préparés, même s’il admet que ces comptes de profits et pertes ne représenteraient pas nécessairement le montant exact des charges, les montants y indiqués ayant été retracés sur base des flux repris dans ses relevés bancaires.
Il précise encore que pour l’année 2002, les montants correspondraient au montant figurant dans une déclaration fiscale déposée prétendument en 2003, le demandeur renvoyant à ce propos à une pièce n° 8, tandis qu’en ce qui concerne les années 2003 et 2004, il affirme que les frais de laboratoires et les frais d’implants dentaires auraient été majoritairement pris en charge par une société …, laquelle aurait eu pour objet la mise en valeur et la gestion de tous immeubles et toutes opérations immobilières, mobilières, commerciales, industrielles et financières nécessaires et utiles pour la réalisation de l’objet social, la contrepartie de cette prise en charge ayant été une augmentation du loyer pour les années 2003 et 2004.
Quant à l’année 2005, le demandeur expose que ses sociétés, à savoir … et …, auraient été rachetées par ses successeurs, via leur propre société …, et que suite à ce rachat un contrat de collaboration aurait été signé entre lui-même et cette société …, contrat qui stipulerait qu’il n’exercerait au cabinet que 4 jours par semaine au maximum durant 25 semaines par an contre une rétrocession d’honoraires correspondant à 50% des honoraires facturés par celui-ci moins les dépenses d’exploitations relatives auxdits honoraires.
Enfin, à partir de l’année 2007, pour des raisons d’impayés, le système de rétrocession d’honoraires aurait été abandonné et il aurait repris en propre ses honoraires, de sorte que les parties se seraient accordées sur la création d’une facturation régulière avec EUR … d’office à la société … pour loyers et charges, les autres frais étant payés de sa propre poche, ce qui expliquerait le changement au niveau des frais de laboratoire et de loyer.
Dès lors, il conclut à ce que « sur base des documents joints », il y aurait lieu de revoir son bénéfice imposable afin de prendre en compte ses frais réels.
Il convient de rappeler la particularité du présent litige, à savoir que les impositions retenues, actuellement critiquées pour être discrétionnaires, ont été établies, à défaut de toute pièce justificative probante fournie par le contribuable, par voie de taxation, laquelle, conformément à sa dénomination allemande (« Schätzung »), consiste « à déterminer et à utiliser une valeur probable et (ou) approximative, lorsque la détermination de la valeur réelle et exacte n’est pas possible10 ». Ce procédé comporte nécessairement et par définition une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte par l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération11.
La taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la 10 J. Olinger, La Procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales n°s 81 à 85, novembre 1989, page 117 n° 190, ainsi que trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2012, Vo Impôts, n° 519 et autres références y citées.
11 Cour adm. 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas. adm. 2012, Vo Impôts, n° 520 et autres références y citées.
fixation de l’impôt12. Ainsi, en vertu du paragraphe 217 (2) AO, la taxation des revenus est possible si le contribuable ne peut pas fournir d’explications suffisantes à l’appui de ses déclarations ou si le contribuable devant effectuer une comptabilité ne peut pas présenter sa comptabilité ou si cette dernière est incomplète respectivement formellement ou matériellement incorrecte : le paragraphe 217 AO consacre ainsi le principe de la taxation d’office par voie d’estimation du bénéfice d’après les éléments et circonstances d’exploitation dans l’hypothèse d’une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait13.
Il est vrai que le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité. Au cas cependant où le contribuable met le bureau d’imposition dans l’impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable, il est censé se contenter de cette approximation, qu’elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d’impôt établi par voie de taxation, respectivement par après devant les juridictions administratives au seul motif que la cote d’impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt14. Dans le cadre de la preuve à rapporter ainsi, ses déclarations ne bénéficient en effet d’aucune présomption de véracité. Aussi, le contribuable qui veut renverser la présomption découlant d’une taxation d’office doit se ménager des preuves15.
C’est sur cette toile de fond que le tribunal se propose d’examiner les décisions lui déférées par rapport aux moyens développés par le demandeur, étant encore souligné que le tribunal n’a pas vocation à procéder de sa propre initiative à l’examen de la situation fiscale du contribuable sur base du dossier fiscal afférent, mais uniquement à examiner les décisions administratives lui soumises, le tribunal n’étant en effet pas appelé à faire œuvre d’administration par rapport à une situation générale donnée, mais à juger une décision administrative par rapport aux moyens lui opposés par un administré, quitte à réformer celle-ci en les points jugés illégaux ou erronés.
Le tribunal constate, d’un côté, que le demandeur n’a pas fourni de déclarations d’impôts, de sorte que l’administration des Contributions a repris, pour établir l’imposition du contribuable, les revenus de Monsieur… sur base des relevés de l’Union des Caisses de Maladie - lesquels ne sont pas contestés - déduction faite du forfait pour frais de déplacement prévu par l’article 105bis LIR, sans toutefois procéder à une déduction pour dépenses d’exploitation, et ce alors que les relevés de l’Union des Caisses de Maladie ne visent que les recettes ayant trait à des prestations de services effectivement remboursées par elle et non notamment les recettes remboursées par des mutuelles ou assurances, les recettes encaissées auprès de clients qui sont fonctionnaires et employés de l’Union européenne ou encore les recettes ne faisant l’objet d’aucun remboursement, tels que certains traitements, les prothèses dentaires, les implants, les détartrages etc. Dès lors, l’administration des Contributions directes a majoré les recettes effectivement documentées de 20 %, au vu de son expérience 12 Trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, op.cit.
13 Trib. adm 17 mai 1999, n° 10651 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n° 514 et autres références y citées.
14 Cour adm. 19 février 2009, n° 24907C, Pas. adm. 2012, Vo Impôts, n° 526 et autres références y citées.
15 Par analogie Cour adm. 19 mai 2009, n° 25152C, Pas. adm. 2012, Vo Impôts, n° 530.
selon laquelle les recettes des médecins et médecins-dentistes ne se limitent pas aux recettes remboursées par l’Union des Caisses de Maladie.
De l’autre côté, le tribunal, doit, à cet égard, à nouveau constater que le demandeur ne verse aucune pièce susceptible d’étayer ses prétentions, respectivement d’énerver la taxation critiquée. En particulier, ni ses affirmations relatives à des sociétés commerciales impliquées dans la gestion de son cabinet dentaire, ni celles relatives à un contrat conclu avec ses successeurs ne sont étayées par de quelconques pièces versées en cause par le demandeur ;
quant au renvoi à une déclaration prétendument déposée en 2003 et qui figurerait en annexe du recours en tant que pièce n° 8, le tribunal ne saurait que constater qu’une telle pièce fait défaut, le demandeur n’ayant versé que 7 pièces, dont une seule pièce comptable, à savoir une pièce intitulée « compte de profits et pertes 2002 à 2007 », reprenant divers montants sous des libellés aussi généraux qu’imprécis tels que « Laboratoire dentaire », « Implants », « Loyers », « Frais de déplacement » et « Divers », et ce sans être sous-tendus par des pièces probantes telles que factures, notes d’honoraires, extraits de comptes etc.
Or, s’il résulte certes de la lecture combinée du paragraphe 161 (1) 1. AO et de l’article 91 L.I.R. que si les membres de professions libérales, et notamment les médecins, sont en principe tenus de tenir une comptabilité régulière, l’administration fiscale peut, par voie de tolérance, autoriser une comptabilité simplifiée, cette comptabilité simplifiée devant néanmoins, conformément au paragraphe 162 AO et tel que rappelé à juste titre par le délégué du gouvernement, respecter certaines règles d’établissement des recettes, comprenant notamment l’obligation de tenir un livre de recettes présentant des inscriptions continues, non interrompues et exhaustives (« Die Eintragungen in die Bücher sollen fortlaufend, vollständig und richtig bewirkt werden. Der Steuerpflichtige soll sich einer lebenden Sprache und der Schriftzeichen einer solchen bedienen »), l’importance de telles inscriptions continues et complètes étant encore soulignée à l’alinéa 4 du paragraphe 162 AO (« Die Bücher sollen, soweit es geschäftsüblich ist, gebunden und Blatt für Blatt oder Seite für Seite mit fortlaufenden Zahlen versehen sein »), ainsi qu’à l’alinéa 6 du même paragraphe (« Belege sollen mit Nummern versehen und gleichfalls aufbewahrt werden »). Il résulte encore du paragraphe 217 (2) AO qu’à défaut de respecter une telle comptabilité, le contribuable s’expose - comme en l’espèce - au risque d’une taxation d’office.
Il résulte des dispositions qui précèdent que Monsieur…, s’il n’était pas obligé de tenir une comptabilité correspondant aux normes et usages comptables tels que prévus par certaines dispositions de droit commercial luxembourgeois, aurait néanmoins dû tenir une comptabilité simplifiée et ainsi procéder notamment à une inscription continue des écritures comptables16.
Or, à défaut pour le demandeur de faire parvenir une telle comptabilité simplifiée au tribunal ou du moins de verser des pièces permettant d’établir avec certitude le caractère exhaustif des recettes qu’il affirme avoir réalisées au cours des années 2002 à 2007, et, corrélativement, les dépenses effectivement et réellement exposées, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision directoriale déférée dans la mesure où le contribuable reste en défaut de verser des pièces susceptibles d’étayer ses prétentions.
En effet, comme indiqué ci-avant, le contribuable ne peut prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt ; à cet égard, la remise d’un état des recettes 16 Voir trib. adm. 10 octobre 2011, n° 27179.
et des dépenses dans le cadre d’une réclamation contre une taxation d’office, n’a pas la valeur probante suffisante pour renverser l’imposition établie par voie de taxation. Seules peuvent prouver ces recettes, et surtout leur caractère exhaustif, des pièces telles que des extraits de compte bancaires17.
Aussi, dès lors qu’il ressort en l’espèce des circonstances de l’affaire que les résultats des taxations sont vraisemblables, les seules critiques dirigées contre ces mesures, non étayées, ne sont pas fondées18.
Le moyen afférent du contribuable, tendant à la révision de son bénéfice imposable et de la prise en compte de ses frais réels, non documentés à suffisance, est partant à rejeter.
Il se dégage dès lors des développements qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé, aucun autre moyen n’ayant été soulevé par Monsieur… à l’encontre de la décision directoriale déférée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
le déclare cependant non fondé et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
met les frais à charge du demandeur.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 octobre 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Hoffmann s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2013 Le Greffier du Tribunal administratif 17 Cour adm. 19 février 2009, n° 24907C, Pas. adm. 2012, Vo Impôts, n° 530 18 trib. adm. 19 avril 2012, n° 26049, confirmé par arrêt du 8 janvier 2011, n° 26959C, Pas. adm. 2012, Vo Impôts, n° 526.