Tribunal administratif N° 32084 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 février 2013 3e chambre Audience publique du 22 octobre 2013 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 32084 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2013 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant en leurs noms personnels ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs …, neé le … à … (Serbie), et …, né le … à …, tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 30 janvier 2013 portant refus de leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique du 25 septembre 2013.
En date du 17 janvier 2012, Monsieur … et son épouse Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par la « loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu le 16 février 2012 et Madame … fut entendue en date des 22 février et 4 avril 2012 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
A cette occasion, ils firent état de menaces verbales de la part de personnes inconnues d’origine albanaise dans leur village à …, situé dans la commune de …. Les consorts … se plaignirent du fait d’être insultés et menacés, parfois même de mort, respectivement que des personnes inconnues d’origine albanaise lanceraient des pierres sur leur maison, de sorte à avoir déjà cassé plusieurs vitres et que leur fille aurait manqué de peu d’être blessée par un de ces bris de verre et elle aurait depuis cet événement des problèmes à s’exprimer. Monsieur indiqua également que des personnes d’origine albanaise auraient également lancé des cailloux sur sa voiture à la sortie de son travail. Madame … indiqua encore qu’elle n’oserait pas envoyer ses enfants à l’école, malgré le fait que leurs enfants n’aient encore jamais été menacés. Monsieur … précisa ensuite faire l’objet d’insultes sur son lieu de travail depuis 2003. En 2005, il aurait été victime d’un accident du travail puisqu’un Albanais inconnu aurait fait descendre le cric alors que Monsieur … se trouvait en dessous d’un véhicule et il aurait été blessé au doigt. L’entreprise aurait fait une enquête en interne afin de trouver le coupable, mais celui-ci n’aurait pas pu être déterminé. Les consorts … indiquèrent par ailleurs que leur village serait composé de cinq cents habitations albanaises et vingt maisons serbes et qu’une maison serbe se trouvant à vingt mètres de leur maison aurait été détruite en 2001. Ils se référèrent encore à huit cas de meutre dans leur village, dont un enfant serbe âgé de quatre ans. Ils ajoutèrent que suite au départ à l’étranger de leurs habitants, les maisons serbes seraient pillées. Plus particulièrement, des personnes inconnues auraient également volé la porte d’entrée de leur maison et leur chaudière en leur absence. Finalement, ils indiquèrent que la dernière menace daterait du 20 décembre 2011 à une heure du matin. Ils déclarèrent néanmoins ne jamais avoir fait l’objet d’agressions physiques.
Les demandeurs ajoutèrent qu’à chaque incident ils auraient déposé plainte auprès de la police qui aurait pris note de ces incidents. Ils relatèrent également avoir demandé de l’aide à la KFOR, mais que celle-ci aurait indiqué qu’elle ne pourrait pas protéger chacun individuellement.
Par une décision du 30 janvier 2013, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 4 février 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts … de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée et leur ordonna de quitter le territoire.
Le ministre retint que les faits dont ils font état ne pourraient, à eux seuls, établir dans leur chef une crainte fondée d’être persécutés dans leur pays d’origine au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006. La décision de refus est encore fondée sur la considération que la situation de la minorité serbe au Kosovo ne serait pas telle que tout membre de cette minorité serait de ce seul fait exposé à des persécutions. Le ministre constata ensuite qu’au regard de la situation actuelle régnant au Kosovo, les événements de 2001 et 2005 seraient trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale à l’heure actuelle. En ce qui concerne les personnes inconnues d’origine albanaise à l’origine des menaces perpétrées en 2012, le ministre nota qu’elles ne sauraient être considérées comme des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 et qu’un défaut de protection par les autorités kosovares contre les agissements de ces individus ne serait pas établi dans le chef des consorts …. Il indiqua que les insultes, menaces, jets de pierres et l’accident de travail constitueraient des délits et crimes de droit commun, ne répondant à aucun critère de fond de la Convention de Genève et punissable par la loi kosovar. De plus, les menaces dont ils feraient état ne seraient pas d’une gravité suffisante pour être considérées comme actes de persécution. Enfin, le récit des consorts … ne contiendrait aucun motif sérieux et avéré permettant de croire qu’ils risquent de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2013, les époux …, agissant tant en leur nom propre qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs … et …, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 30 janvier 2013, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’une protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Les demandeurs, déclarant être de nationalité kosovare et appartenir à l’ethnie serbe, soutiennent qu’en raison de leur appartenance ethnique ils auraient été menacés verbalement et insultés par des personnes d’origine albanaise. Ils auraient porté plaintes en rapport avec tous ces incidents et la police en aurait pris note. Ils se seraient également tournés vers la KFOR afin de leur demander de l’aide. Ils précisent que Monsieur … se serait fait insulter sur son lieu de travail depuis 2003, que des collègues de travail auraient lancé des pierres sur sa voiture, qu’il aurait été blessé au doigt en 2005 suite à un accident de travail causé par un collègue de travail albanais non identifié sans qu’une enquête interne de l’entreprise n’ait permis de déterminer le coupable. Finalement, leurs voisins albanais jetteraient des pierres sur leur maison et des éclats de verre auraient failli blesser leur fille, qui connaîtrait depuis cet incident des problèmes à s’exprimer. Ils précisent qu’ils vivraient dans un village majoritairement peuplé d’albanais et qu’ils n’enverraient pas leurs enfants à l’école à cause de la situation sécuritaire dans leur village.
1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’une protection internationale du 30 janvier 2013 Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En droit, les demandeurs font valoir que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce et que les conditions d’obtention du statut de réfugié seraient remplies en l’espèce, puisqu’ils auraient subi des menaces et insultes constituant des persécutions morales, en raison de leur race ou leur nationalité, ainsi que des dégradations à leur maison suite aux jets de pierres par leurs voisins albanais, ce qui les amènerait également à ne pas scolariser leurs enfants au vu de la situation sécuritaire au Kosovo. Les demandeurs soulignent que les actes de persécutions dont ils auraient fait l’objet feraient naître dans leur chef un sentiment de peur permanente. Ils soutiennent que compte tenu de l’ensemble de ces considérations et de l’accumulation des actes dirigés personnellement et individuellement à leur encontre, lesdits actes, dans leur globalité, revêtiraient un caractère de gravité suffisant pour pouvoir être considérés comme des actes de persécutions morales au sens de la loi du 5 mai 2006 exercées à leur encontre qui compromettraient la dignité et l’épanouissement de tout être humain et les empêcheraient de vivre une vie normale et décente.
Ils expliquent encore que cette crainte constante constituerait une véritable torture psychologique sinon un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH ».
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut ainsi au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Force est tout d’abord au tribunal de constater que la partie étatique ne conteste pas la crédibilité du récit des demandeurs, de sorte qu’il y a lieu de conclure que les faits invoqués par eux sont avérés. Si elle émet une réserve en ce qui concerne l’origine ethnique de l’agresseur du demandeur en 2005, cet élément relève davantage de l’analyse au fond et sera partant examiné ci-après.
En ce qui concerne tout d’abord la situation générale des Serbes au Kosovo, s’il n’est pas contesté que les membres de cette communauté sont exposés à des discriminations, il ne ressort toutefois ni des arguments développés par les demandeurs, ni des éléments du dossier que cette situation générale soit telle que tout membre de la minorité serbe puisse faire valoir des raisons de craindre d’être persécuté du seul fait de cette origine ethnique.
En ce qui concerne la situation personnelle des demandeurs, l’affirmation selon laquelle une maison appartenant à des Serbes ait été détruite en 2001 dans leur village et que d’une manière générale il y aurait eu huit cas de meurtre dans leur village, constituent des faits non personnels, sans que les demandeurs n’aient établi des liens suffisants entre leur situation personnelle et les incidents invoqués pour établir dans leur chef une crainte fondée d’être confrontés, en cas de retour en leur pays d’origine, à des actes similaires.
En ce qui concerne l’accident de travail en 2005 lors duquel Monsieur … a été blessé au doigt alors qu’un collègue de travail a relâché le cric au moment où il se trouvait sous le véhicule, bien que le demandeur ait déclaré lors de son audition ne pas avoir vu son agresseur, il a fourni des explications permettant de considérer comme suffisamment plausible le fait qu’il ait été agressé par une ou des personnes d’origine albanaise, car l’agression s’est produite à un moment où, selon les dires du demandeur, seuls des personnes d’origine albanaise étaient présentes dans le hangar et ce fait s’est déroulé dans un contexte où le demandeur recevait des menaces régulières sur son lieu de travail depuis ses débuts en 2003.
Dans ce contexte particulier, il y a lieu d’admettre que cet incident est lié à son origine ethnique, de sorte que cette attaque rentre dans le champ d’application de la Convention de Genève. Cet incident n’est toutefois pas d’une gravité qui permette de le qualifier de persécution. Le tribunal constate en effet qu’il s’agit d’un fait isolé dans le temps ayant occasionné certes une blessure grave à ses doigts, mais s’analyse davantage en une regrettable tentative d’intimidation. Cette agression remonte à l’année 2005 et aucune agression physique ne s’est produite depuis. Or, vu que la situation sécuritaire générale au Kosovo a évoluée, tel que cela a été documenté par les sources citées par la partie étatique, le tribunal est amené à conclure qu’il y a des bonnes raisons de croire que, dans le contexte actuel du Kosovo, une telle attaque ne se reproduira plus, d’autant plus que sur question afférente de l’agent si cela a été le seul incident qui s’est produit sur son lieu de travail, le demandeur a répondu par « oui »1, de sorte que la présomption de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 se trouve renversée et ne permet dès lors plus de justifier à l’heure actuelle une crainte de persécutions dans le chef des demandeurs en cas de retour dans leur pays d’origine.
En ce qui concerne de manière générale les menaces et insultes dont ont fait l’objet les demandeurs, il ressort encore de leurs déclarations, telles qu’actées dans les rapports d’audition, que si les faits qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine sont certes motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir leur appartenance à la minorité serbe du Kosovo, il n’en reste pas moins que, dans la mesure où les actes émanent de personnes inconnues d’origine albanaise, partant de personnes privées, ceux-ci ne peuvent être considérés comme des auteurs de persécutions que si les autorités gouvernementales ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection adéquate des victimes ou si les demandeurs ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de leur pays d’origine.
Or, le tribunal relève qu’en l’espèce les demandeurs ont indiqué avoir pu porter plainte à chaque reprise. Même s’ils déclarent que ces plaintes seraient restées sans suite, ils ont tout de même déclaré lors de leurs auditions que les policiers ont toujours pris note de leurs plaintes.2 1 Cf. page 4/8 du rapport d’audition du 16 février 2012 2 Cf. pages 5/8 et 6/8 du rapport d’audition du 16 février 2012 Il y a encore lieu de relever qu’il ressort sans équivoque des rapports et articles cités par le ministre dans sa décision du 30 janvier 2013 que la situation au Kosovo a nettement évoluée vers une amélioration de la sécurité et une diminution des crimes à l’encontre des membres des communautés minoritaires, que la police kosovare à …, municipalité dont sont originaires les demandeurs, est multiethnique et jouit d’une bonne réputation, de sorte que les conclusions tirées par les rapports internationaux sont de nature à infirmer l’affirmation non autrement étayée des demandeurs quant à une prétendue inefficacité des autorités policières à défendre la minorité serbe.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il n’est pas établi que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité d’accorder aux demandeurs une protection efficace, la prétendue inefficacité des autorités policières dans le cas d’espèce restant à l’état de simple supposition, de sorte qu’un refus de la police kosovare de leur accorder une protection n’étant pas établi.
Quant aux difficultés dont font état les demandeurs quant à l’accès de leurs enfants à la scolarité, il y a lieu d’admettre que ces problèmes tombent dans le champ d’application de la convention de Genève puisqu’ils les lient à leur appartenance à la minorité ethnique serbe.
Il convient néanmoins de relever qu’aux termes de l’article 31 de la loi du 5 mai 2006, un acte doit présenter un degré de gravité certain pour pouvoir être considéré comme une persécution au sens de la Convention de Genève, c’est-à-dire qu’il doit constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la CEDH. Or, à défaut d’autres éléments permettant, d’une part, de mettre en exergue que ces difficultés sont telles qu’elles aient des conséquences rendant la vie des demandeurs objectivement, voir subjectivement insupportable dans leur pays d’origine, et, d’autre part, de contredire l’appréciation faite par le ministre, tel que cela ressort également d’un rapport de l’ Organization for Security and Co-
operation in Europe, ci-après désigné par « OSCE », n° 75450, que la communauté serbe du Kosovo dans la région de … a accès à la scolarisation, que cette région dispose d’une bonne infrastructure scolaire et qu’un système de mini-bus transportant les enfants a été mis en place dans la région de …, qu’en l’espèce des efforts ont été entrepris, pour améliorer la situation des minorités en matière d’accès à l’enseignement, celles-ci ne présentent pas le degré de gravité requis pour pouvoir être qualifiés de persécutions au sens de la loi du 5 mai 2006, ces difficultés ne mettant ni directement, ni indirectement en danger la vie, la liberté ou l’intégrité physique des demandeurs. S’y ajoute que les demandeurs n’ont jamais essayé de scolariser leurs enfants à …, mais qu’ils déclarent tout de même que dans leur village il y a « 4-5 enfants serbes à l’école »3.
En ce qui concerne la déclaration des demandeurs selon laquelle leur maison aurait été pillée, notamment que leur porte d’entrée et leur chaudière auraient été volées par des personnes inconnues suite à leur départ du Kosovo, le tribunal est amené à retenir qu’à défaut par les demandeurs de fournir davantage d’explications, il n’est pas établi qu’ils aient été personnellement visés par ces agissements et qu’à défaut d’autres éléments plus concrets, ces événements ne sont pas à qualifier d’actes de persécutions dirigés spécifiquement contre les demandeurs et ils ne sont pas susceptibles de justifier une crainte de subir les mêmes faits dans les mêmes conditions en cas de retour dans leur pays d’origine.
3 Cf. page 7/8 du rapport d’audition du 16 février 2012 Le tribunal est encore amené à retenir que les demandeurs n’ont pas apporté d’éléments qui permettent de retenir que les événements relatés par eux, tant pris isolément que par leur effet cumulé, aient atteint le niveau de gravité suffisant pour être qualifiés de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 leur rendant la vie intolérable au Kosovo.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Les demandeurs restent cependant en défaut d’établir qu’en cas de retour au Kosovo, ils risqueraient la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des actes susceptibles d’être qualifiés comme des traitements ou sanction inhumains ou dégradants.
Au regard des conclusions retenues ci-avant quant à la gravité des difficultés dont les demandeurs font état, le tribunal est amené à retenir que ces difficultés ne répondent pas non plus à une des catégories d’atteintes graves énumérées aux points a) à c) de l’article 37, précité, dans la mesure où elles ne revêtent pas, même pris dans leur globalité, un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37, précité. Par ailleurs, il n’existe pas de sérieuses raisons de croire que les demandeurs encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir la peine de mort ou l’exécution, la torture, ou encore des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. S’y ajoute qu’il n’est pas démontré au regard des conclusions retenues ci-avant que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité ou refuseraient de fournir aux demandeurs une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les agissements dont ils déclarent avoir été victimes, force est de constater qu’il n’existe pas de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2. Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour […] ». En vertu de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Les demandeurs sont à cet égard d’avis qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, « ils replongeraient dans la même situation et auraient très certainement à faire face à des conflits avec les Albanais qui les menacent et qui les insultent », qu’« il leur est impossible de vivre dans telles conditions. » Ils demandent partant l’annulation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision portant refus de la protection internationale dans leur chef.
Il résulte toutefois des conclusions retenues ci-avant que le ministre a en l’espèce valablement pu opposer aux demandeurs un refus à leurs demandes en obtention du statut de réfugié ainsi qu’en obtention de la protection subsidiaire, de sorte qu’il a également valablement pu leur ordonner de quitter le territoire.
Il s’ensuit qu’à défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 janvier 2013 portant refus d’une protection subsidiaire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais ;
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 22 octobre 2013 par le vice-président, en présence du greffier Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25/10/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 10