Tribunal administratif No 31729 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit 27 novembre 2012 3e chambre Audience publique du 16 octobre 2013 Recours formé par Madame …, … contre une décision du Commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire et un arrêté du ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle en matière de suspension
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31729 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2012 par Maître Monique Watgen, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du Commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire du 5 septembre 2012, ainsi que de la décision confirmative du ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle du 6 septembre 2012 la suspendant de l’exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure disciplinaire ordonnée contre elle jusqu’à décision définitive ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 février 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 mars 2013 par Maître Monique Watgen au nom de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 avril 2013 ;
Vu les pièces versées en cause, et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 18 septembre 2013.
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Par courrier du 21 août 2012, le ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, ci-après désigné par « le ministre », a demandé au commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après désigné par « le Commissaire du Gouvernement » d’ouvrir une instruction à l’encontre de Madame ….
En date du 5 septembre 2012, le Commissaire du Gouvernement, prit à l’encontre de Madame … la décision de la suspendre de l’exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure disciplinaire ordonnée contre elle jusqu’à la décision définitive. Cette décision est libellée comme suit :
« Vu le courrier daté du 21 août 2012 avec ses annexes de Madame la Ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle ordonnant une instruction disciplinaire à l'encontre de Madame …, institutrice de l'enseignement fondamental dans la commune de … ;
Vu le courrier daté du 29 août 2012 indiquant à Madame … qu'une instruction est ordonnée contre elle avec indication des faits qui lui sont reprochés ;
Vu le même courrier informant Madame … de l'intention du commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire de la suspendre de l'exercice de ses fonctions et l'invitant à présenter ses observations et lui proposant de l'entendre le 5 septembre 2012 ;
Vu l'audition de Madame … et le procès-verbal du 5 septembre 2012 ;
Vu les faits reprochés tels qu'ils sont exposés notamment dans la pièce 001-64-12 ;
Considérant que ces faits sont suffisamment vraisemblables et graves ;
Considérant d'une part le risque de porter atteinte à la considération et à l'autorité du fonctionnaire par la décision de l'écarter provisoirement du service ;
Mais considérant d'autre part les besoins de l'instruction qui doit établir dans un cadre serein si le comportement qui est reproché à Madame … est avéré et dans l'affirmative s'il est compatible avec la mission pédagogique dont elle est investie ;
Considérant également la nécessité de protéger l'intégrité psychique et physique des enfants qui lui sont confiés de toute suite préjudiciable dont ils sont susceptibles de pâtir du fait de continuer à être soumis au comportement reproché ;
Considérant enfin l'intérêt du service public et de son image de marque qui se doit d'écarter à titre conservatoire de l'exercice de ses fonctions un agent contre qui apparaissent des reproches suffisamment vraisemblables mettant en doute sa compétence pédagogique et son sens élémentaire des responsabilités ;
Considérant enfin le besoin du fonctionnaire concerné d'assurer sa défense ;
Considérant qu'il se dégage de tout ce qui précède la nécessité de suspendre à titre conservatoire Madame … de l'exercice de ses fonctions ;
Vu l'article 9 paragraphes 1 et 2, l'article 10 paragraphe 1 et l'article 12 paragraphe 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Vu les articles 2, 4 et 5 du règlement grand-ducal du 7 mai 2009 concernant les règles de conduite et l'ordre intérieur communs à toutes les écoles ;
Vu l'article 48 paragraphe 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Vu l'article 51 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Vu l'article 56 paragraphe 3 alinéa 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Décide :
Art.1er . Madame …, institutrice de l'enseignement fondamental dans la commune de … est suspendue de l'exercice de ses fonctions à partir d'aujourd'hui et pendant tout le cours de la procédure disciplinaire ordonnée contre elle jusqu'à la décision définitive. […] » Par arrêté du 6 septembre 2012, le ministre confirma la décision précitée du Commissaire du Gouvernement du 5 septembre 2012 pour les motifs suivants :
« […] Vu le courrier daté du 21 août 2012 opérant saisine de Monsieur le Commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire pour procéder à une instruction disciplinaire à l'encontre de Madame …, institutrice de l'enseignement fondamental auprès de la commune de …;
Vu les faits reprochés à Madame …;
Vu la décision de Monsieur le Commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire datée du 5 septembre 2012 ayant comme objet de suspendre Madame … de l'exercice de ses fonctions ;
Vu les motifs de cette décision ;
Vu l'article 9 paragraphe 1, l'article 9 paragraphe 2, l'article 10 paragraphe 1 et l'article 12 paragraphe 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Vu les articles 2, 4 et 5 du règlement grand-ducal du 7 mai 2009 concernant les règles de conduite et l'ordre intérieur communs à toutes les écoles ;
Vu l'article 48, paragraphe 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Vu l'article 56, paragraphe 3, alinéa 3, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;
Arrête :
Art. 1er.- La décision prise le 5 septembre 2012 par Monsieur le Commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire ayant pour objet de suspendre Madame …, institutrice de l'enseignement fondamental auprès de la commune de …, de l'exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure disciplinaire ordonnée contre elle jusqu'à la décision définitive, est confirmée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2012, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du Commissaire du Gouvernement du 5 septembre 2012, ainsi que de l’arrêté ministériel confirmatif précité du 6 septembre 2012, ci-après désignés ensemble par « les décisions de suspension » ou « la mesure de suspension ».
En vertu de l’article 54, paragraphe 2, de la loi modifiée du 16 mai 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le statut général », « le fonctionnaire […] suspendu conformément à l’article 48, paragraphe 1er, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, prendre recours au Tribunal administratif qui statue comme juge du fond.» La loi prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal. Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Quant à son intérêt à agir, la demanderesse fait valoir dans son mémoire en réplique que malgré le fait qu’entretemps le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désigné par le « Conseil de discipline », ait pris une sanction disciplinaire le 26 février 2013, elle conserverait un intérêt à agir, dans la mesure où la décision ne serait pas encore définitive au sens de l’article 48, paragraphe 1er, du statut général en raison du fait qu’un recours contentieux contre la décision du Conseil de Discipline prononcée le 26 février 2013 serait toujours possible. Elle donne en outre à considérer que la mesure de suspension sous examen lui serait hautement préjudiciable. Elle demande par conséquent au tribunal de rendre un jugement pour statuer sur la légalité de ces décisions.
Face à cette affirmation, le délégué du gouvernement donne à considérer que depuis le 1er avril 2013, la décision du Conseil de discipline serait exécutée et que la demanderesse aurait repris son service à cette date, soit avant que le tribunal ne statue. Il soulève qu’il faudrait que le jugement à intervenir apporte un remède effectif à la violation alléguée de ses droits. Or, dans la mesure où la demanderesse aurait recouvert ses fonctions au moment où le tribunal statue, la question se poserait si le jugement pouvait encore répondre à cet objectif. Pareillement, le préjudice moral allégué résulterait plutôt de la sanction disciplinaire que de la suspension. Le délégué du gouvernement en conclut que la demanderesse n’aurait plus un intérêt à agir.
A l’audience des plaidoiries, la demanderesse n’a plus pris position par rapport aux contestations de la partie étatique.
Force est au tribunal de constater que les contestations de la partie étatique fondées sur le constat qu’au jour où le tribunal statue, les décisions de suspension auraient cessé de produire leur effet, ont trait en substance tant à l’intérêt à agir qu’à l’objet du recours.
Il ressort des pièces du dossier administratif que le Conseil de discipline a statué en date du 26 février 2013 et qu’il a prononcé la sanction du déplacement consistant dans un changement d’affectation. Aucun recours n’a été introduit contre cette décision par la demanderesse, de sorte qu’au jour où le tribunal statue les voies de recours sont épuisées. D’après les explications du délégué du gouvernement, non contestées par la demanderesse, cette mesure a été exécutée avec effet au 1er avril 2013 et la demanderesse a été affectée à partir de cette date à la réserve des suppléants.
Aux termes de l’article 48, paragraphe 1er, du statut général, « la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive. » La décision du Conseil de discipline du 26 février 2013 est partant à considérer comme étant la « décision définitive » au sens de l’article 48, paragraphe 1er, du statut général dans le cadre de la procédure disciplinaire diligentée contre la demanderesse. Il s’ensuit qu’au jour où le tribunal statue, les décisions de suspension déférées ont cessé de produire leurs effets.
Pour justifier d'un intérêt à agir, il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d'un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l'annulation de l'acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle.1 Bien qu’au jour de l’audience des plaidoiries, la mesure de suspension prononcée par le Commissaire du Gouvernement le 5 septembre 2012 et confirmée à travers l’arrêté ministériel confirmatif du 6 septembre 2012 ait pris fin, tel que cela a été retenu ci-dessus, la demanderesse conserve néanmoins un intérêt à faire contrôler la légalité des décisions de suspension litigieuses pour la période où elles ont produit leurs effets, étant donné que la demanderesse invoque notamment que la mesure de suspension serait « hautement préjudiciable à son encontre ». Dans ces conditions, la demanderesse justifie d’un intérêt suffisant pour agir à l’encontre des décisions de suspension litigieuses.
Quant à l’objet du recours, force est de constater que si au jour de l’introduction du recours la mesure de suspension sortait encore ses effets, elle a cessé de produire ses effets au jour où le tribunal statue. Or, le tribunal, appelé à statuer comme juge du fond et à apprécier la situation de fait et de droit de la cause au moment où il statue, ne saurait partant plus épuiser son pouvoir de réformation en ce qui concerne les décisions de suspension et ordonner que la mesure de suspension prononcée à l’égard de la demanderesse prenne fin.
Le recours en réformation est néanmoins recevable, pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi dans la limite des moyens de légalité invoqués, étant relevé que la demanderesse garde, tel que relevé ci-avant, un intérêt à obtenir de la part de la juridiction administrative une décision relative à la légalité de la mesure de suspension l’ayant suspendu de l’exercice de ses fonctions.
Il s’ensuit que le recours en réformation a été introduit dans les formes et délai de la loi et est recevable en tant qu’il vise la décision du Commissaire du Gouvernement du 5 septembre 1 cf. trib. adm. 22 octobre 2007, n° 22489 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 7 2012 et l’arrêté ministériel du 6 septembre 2012 et ce dans la limite des moyens de légalité invoqués. Il est à déclarer sans objet pour autant qu’il conclut à ce qu’il soit mis fin à la suspension de la demanderesse de l’exercice de ses fonctions.
Quant au fond, la demanderesse se prévaut de l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général et soutient que les conditions d’application de cet article ne seraient pas remplies alors que 1) la matérialité des faits lui reprochés, sinon les circonstances exactes dans lesquelles ces faits se seraient produits, ne seraient pas établies à l’abri de tout doute, 2) qu’il n’y aurait pas eu urgence à prendre une décision de suspension, 3) que l’intérêt du service ne permettrait pas de prononcer une telle suspension et finalement que les faits pris, tant individuellement que collectivement, manqueraient de la gravité requise pour justifier une suspension de ses fonctions.
En premier lieu, concernant la matérialité des faits lui reprochés, la demanderesse considère que ce serait à tort que les décisions de suspension se seraient fondées sur des faits « suffisamment vraisemblables et graves », alors que l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général prévoirait comme condition de suspension que le fonctionnaire faisant l’objet d’une instruction disciplinaire soit suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave. Selon la demanderesse, cette condition requerrait nécessairement que la matérialité des faits soit établie avec certitude afin de vérifier si le fonctionnaire encourait de ce chef une sanction disciplinaire grave. Cette certitude des faits aurait fait défaut au début de l’instruction disciplinaire diligentée par le Commissaire du Gouvernement. Après avoir exposé les différents manquements lui reprochés, elle conclut à ce que ces faits ne rempliraient pas le degré de gravité suffisant afin de justifier la mesure de suspension.
En second lieu concernant l’urgence, la demanderesse donne à considérer qu’une mesure de suspension d’un fonctionnaire de l’exercice de ses fonctions devrait constituer une mesure d’urgence à caractère conservatoire, mais que la condition de l’urgence ne serait pas vérifiée en l’espèce. Elle soutient que la mesure ne pourrait être justifiée par l’urgence alors que les faits reprochés se seraient déroulés en février et mai 2011 et que les décisions de suspension seraient intervenues en septembre 2012, soit un an et demi après les faits reprochés.
En troisième lieu, concernant le risque de porter atteinte à l’intérêt du service public et son image de marque en maintenant la demanderesse dans l’exercice de ses fonctions, cette dernière considère que ce raisonnement serait faux dans la mesure où si cette décision de suspension avait réellement été prise dans l’intérêt du service, elle aurait dû avoir été prise dès les faits reprochés survenus en février et mai 2011. L’intérêt du service ne pourrait justifier une mesure prise un an et demi après les faits reprochés.
Le représentant étatique conclut au rejet de ces moyens.
Il convient de souligner liminairement que le tribunal est saisi à travers le présent recours des décisions de suspension de l’exercice de ses fonctions prises à l’égard de la demanderesse et non pas d’une décision ayant trait à la sanction disciplinaire prononcée le 26 février 2013 à la suite de l’instruction disciplinaire qui était encore en cours au moment où le Commissaire du Gouvernement et le ministre ont statué.
Aux termes de l’article 48, paragraphe 1er, du statut général, « la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive. » D’après l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général, « si le fonctionnaire est suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, le Commissaire du Gouvernement peut le suspendre conformément au paragraphe 1er de l’article 48. Cette suspension devient caduque si elle n’est pas confirmée dans la huitaine par le ministre du ressort ».
Le tribunal est amené à analyser si en l’espèce les décisions de suspension sont justifiées sur base des exigences posées par l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général précité, c’est-à-dire si en l’occurrence la demanderesse est suspectée d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, cette analyse s’effectuant dans la limite des moyens produits par la demanderesse, ce qui revient à analyser si le Commissaire du Gouvernement a pu, dans les conditions données, suspendre la demanderesse de ses fonctions, l’analyse du bien-fondé de cette décision conditionnant celle de la décision ministérielle confirmative également déférée.
Il y a lieu de souligner qu’en aucun cas, le tribunal n’est amené à analyser à ce stade de la procédure, concernant la validité de la décision de suspension, le bien-fondé de la procédure disciplinaire engagée à l’encontre du fonctionnaire concerné2. En revanche, il lui appartient de vérifier si ce fonctionnaire est suspecté, sans que la matérialité des faits doit être établie à ce stade, d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave d’après les termes mêmes de l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général précité.
Pour qu’une suspension puisse être décidée à l’égard d’un fonctionnaire contre lequel une procédure disciplinaire est en cours, les griefs qui lui sont reprochés dans le cadre de cette procédure doivent être vraisemblables et d’une gravité suffisante afin de justifier une mesure qui, même si elle n’a qu’un caractère provisoire et conservatoire, risque de porter atteinte à l’image ainsi qu’aux intérêts financiers du fonctionnaire concerné.
Il convient enfin de souligner, que la suspension constitue une mesure, non pas disciplinaire mais d’urgence à caractère conservatoire, destinée à interdire à titre provisoire l’exercice de ses fonctions à un agent public, auquel une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave est reprochée, de façon que sa présence ne risque pas de troubler le fonctionnement du service.
Plus particulièrement, pour répondre aux critiques mises en avant par la demanderesse, la mesure de suspension n’est pas destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais elle est justifiée à la fois par les motifs relevant de l’intérêt du service et des motifs de protection du fonctionnaire lui-même, appelé de la sorte à pouvoir exposer son point de vue et à préparer sa défense avec toute la sérénité requise.
2 Trib. adm. 29 juin 2005, n°19199, confirmé par arrêt du 19 janvier 2006, n° 20097C, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n° 306 et autres références y citées.
Néanmoins, même si une telle mesure provisoire ne préjuge en rien du fond de l’affaire disciplinaire, il n’en reste pas moins qu’une suspension témoigne du moins de l’apparence de gravité de la faute reprochée au fonctionnaire et de la nécessité de veiller, dans l’intérêt à la fois du service et du fonctionnaire lui-même, à ce que la présence de celui-ci dans son service, d’une part, ne risque pas de gêner le bon déroulement de l’instruction préalable à accomplir dans le cadre de l’enquête disciplinaire et, d’autre part, ne porte pas atteinte au bon fonctionnement, à l’image et à la réputation du service3.
S’il est vrai, tel que cela a été retenu ci-avant, que l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général ne requiert pas que la matérialité des faits soit établie, cette disposition requérant que l’intéressé soit suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, force est cependant à ce sujet de constater que la demanderesse ne conteste pas la réalité des faits lui reprochés. En effet, tel que correctement constaté par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, la réalité des faits matériels lui reprochés, à savoir son absence de son poste de travail sans autorisation préalable en date du 17 juin 2011, le fait d’avoir écarté un enfant du cours d’allemand en le plaçant dans une salle adjacente de la salle de classe en date des 7 février et 18 mai 2011 et de l’y avoir oublié à la fin des cours, ainsi que son retard au cours d’éducation physique en date du 25 juin 2012, n’est pas contestée par la partie demanderesse. Les développements exposés à l’appui du recours constituent davantage des causes de justification concernant le fond du litige et ayant un impact sur la gravité des faits à analyser lors de la procédure disciplinaire. Le volet du moyen en ce qui concerne la matérialité des faits est dès lors, à rejeter comme étant non fondé.
En ce qui concerne la question de savoir si les faits reprochés paraissent suffisamment graves pour être qualifiés de fautes susceptibles d’entraîner une sanction disciplinaire grave au sens de l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général, il résulte du dossier administratif que Madame …, en sa qualité d’institutrice, est suspectée d’avoir contrevenu aux dispositions de l’article 9, paragraphe 1, de l’article 9, paragraphe 2, de l’article 10, paragraphe 1er et de l’article 12, paragraphe 1, du statut général, ainsi que des articles 2, 4 et 5 du règlement grand-ducal du 7 mai 2009 concernant les règles de conduite et l’ordre intérieur communs à toutes les écoles, les faits lui reprochés s’analysant essentiellement en des absences et retards non autorisés par un supérieur hiérarchique, en une violation de son obligation de surveiller les élèves qui lui étaient confiés, en l’omission dans le cadre d’une punition, qui peut consister soit dans un rappel à l’ordre ou un blâme, soit dans un travail supplémentaire d’un intérêt éducatif, d’expliquer à l’élève cette punition et d’en informer les parents de l’élève, ou du moins en une violation de son devoir de s’acquitter des tâches lui confiées et de prêter assistance à ses collègues, en des violations de son devoir de dignité et en des manquements aux tâches lui plus particulièrement confiées en sa qualité d’institutrice.
Plus concrètement encore, sont reprochées à la demanderesse des insuffisances professionnelles graves constatées au cours des années scolaires 2010/2011 et 2011/2012, à savoir de s’être absentée de son poste de travail sans autorisation préalable en date du 17 juin 2011, d’avoir enfermé un de ses élèves du cycle 4.2 à titre de punition dans une pièce adjacente à 3 cf. trib. adm. 12 juillet 1999, n° 11222 du rôle, confirmé par arrêt du 21 décembre 1999, n° 11064C du rôle, Pas.
adm. 2012, V° Fonction publique, n° 300, et autres décisions y citées.
la salle de classe en date des 7 février et 18 mai 2011 et d’être venue avec une demi-heure de retard au cours d’éducation physique en date du 25 juin 2012.
Le tribunal est ainsi amené à retenir que les faits tels que libellés à travers les décisions déférées, en ce qu’ils représentent a priori des violations du statut général ainsi que des dispositions régissant l’enseignement scolaire, sont de nature à revêtir un caractère fautif susceptibles d’entraîner une sanction disciplinaire grave sans que cette conclusion ne soit énervée à ce stade de la procédure par des explications formulées par la demanderesse tendant à relativiser les faits lui reprochés.
Le moyen fondé sur la contestation de l’absence de gravité des faits et partant d’une violation de l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général, est à rejeter.
En ce qui concerne l’urgence contestée par la demanderesse, le représentant étatique précise qu’une mesure de suspension n’est pas prononcée parce qu’il y a urgence, mais parce qu’on veut éviter que le fonctionnaire continue de perpétrer d’autres manquements, fasse disparaître des preuves ou continue d’une façon ou d’une autre à nuire au service public. D’après le délégué du gouvernement la suspension serait alors par son essence une mesure urgente puisqu’il y aurait lieu d’atteindre le but poursuivi dans les meilleurs délais, mais sous cet angle de vue, l’urgence serait plutôt une caractéristique de la mesure de suspension qu’une condition ou une raison à sa base.
Le représentant étatique rappelle encore que les faits reprochés à la demanderesse ne se seraient pas exclusivement déroulés en 2011, mais aussi en 2012, donc à une date proche du déclenchement de l’instruction disciplinaire et de la mesure de suspension, que le dossier à charge de la demanderesse aurait d’abord dû être constitué, pour ensuite pouvoir saisir le Commissaire du Gouvernement qui ne peut réagir qu’à partir de sa saisine. Dans la mesure où le Commissaire du Gouvernement a été saisi en date du 21 août 2012 et qu’il a pris la mesure de suspension en date du 5 septembre 2012, l’argument de la demanderesse fondé sur la prémisse que le commissaire du Gouvernement serait tenu de prendre une telle mesure dans un certain délai, manquerait de pertinence.
S’il est vrai qu’une mesure de suspension est une mesure d’urgence à caractère conservatoire et s’il est constant en l’espèce que la mesure de suspension litigieuse a été arrêtée seulement environ un an et demi après le premier fait, c’est à bon droit que le représentant étatique explique que l’instruction contre la demanderesse n’a commencé que le 21 août 2012, peu de temps après le dernier d’une série de faits reprochés à la demanderesse qui se sont écoulés entre juin 2011 et juin 2012, par la saisine du Commissaire du Gouvernement. Il convient à ce stade de rappeler qu’une mesure de suspension ne peut nécessairement avoir lieu qu’au cours d’une procédure administrative ou judiciaire, en l’espèce la procédure administrative, qui est le préalable nécessaire à la mesure de suspension, a débuté en date du 21 août 2012, de sorte que les décisions de suspension prises le 5, respectivement 6 septembre 2012 l’ont été a bref échéance. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne les contestations de la demanderesse quant à l’intérêt du service, il convient de rappeler que la suspension, qui est conçue dans le but d’éviter à l’administration les conséquences fâcheuses qui pourraient résulter pour elle de la présence, dans ses services, d’un agent sous le coup de poursuites disciplinaires et qui a pour but de faciliter l’exercice de ces poursuites, ne préjudicie en rien de la pertinence et du bien-fondé des reproches faits au fonctionnaire se trouvant sous le coup d’une procédure disciplinaire. En effet, une mesure de suspension doit être dûment justifiée, en considération non seulement de l’intérêt du service auquel le fonctionnaire est affecté, mais en prenant également en considération les intérêts du fonctionnaire en question.4 Tel que cela a été retenu ci-avant, une telle mesure n’est donc destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais elle est justifiée par des motifs relevant de l’organisation du service.5 Le tribunal est amené à relever que les faits reprochés à la demanderesse ne se confinent par nature pas à sa seule personne, mais dépassent le cadre individuel pour concerner d’autres personnes travaillant dans la même administration, ainsi que les enfants de l’école fondamentale en question, de sorte que de tels faits sont de nature à troubler le fonctionnement normal du service. Si ces faits sont d’une gravité suffisante, une mesure provisoire dans l’intérêt du service auquel l’auteur des faits est affecté, consistant dans sa suspension en attendant que la procédure disciplinaire suive son cours, est justifiée, la présence de l’auteur des faits à son poste, sans que soit jetée toute la lumière sur la réalité des faits lui reprochés, étant en définitive préjudiciable non seulement à la bonne marche du service, mais également à ses propres intérêts.
Les faits reprochés à la demanderesse ont des implications sur le bon fonctionnement du service scolaire à la fois en termes de gestion du personnel qu’en termes de responsabilité à l’égard des enfants en bas âge confiés à l’établissement scolaire. Par ailleurs, l’apparence d’une certaine gravité des faits a été retenue ci-avant. Il s’ensuit que l’intérêt du service justifiant que la demanderesse soit provisoirement écartée du service se trouve vérifié.
Cette conclusion n’est pas énervée par les explications de la demanderesse selon lesquelles chacun de ces faits, une fois replacé dans son cadre exact, présenterait une toute autre tournure que celle décrite dans le rapport dressé par le Commissaire du Gouvernement, l’intérêt supérieur des enfants devant en tout état de cause primer l’intérêt particulier de la demanderesse.
Cette conclusion n’est pas non plus énervée par l’argumentation de la demanderesse fondée sur l’époque des faits, étant donné, tel que cela a été relevé ci-avant, que la mesure de suspension n’a pu être prise qu’à partir du moment où une procédure disciplinaire a été lancée, soit après le dernier des faits reprochés à la demanderesse.
C’est dès lors à bon droit que le délégué du gouvernement invoque l’intérêt du bon fonctionnement du service et des enfants de l’école fondamentale placés sous la responsabilité de la demanderesse pour justifier la décision litigieuse. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter comme non fondé.
4 cf. trib. adm. 20 juin 2001, n°12102 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n°303 et la référence y citée 5 cf. trib. adm. 12 janvier 2009, n° 24509 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n° 300, et autres références y citées A titre subsidiaire, la demanderesse remet en cause le bien-fondé de la mesure de suspension au regard de l’appréciation de la gravité des faits lui reprochés. Elle explique que la mesure de suspension ne pourrait être prise qu’à l’égard du fonctionnaire auquel un fait particulièrement grave serait reproché. Néanmoins les faits lui reprochés, tant pris isolément que dans leur globalité, ne revêtiraient pas une gravité particulière pour qu’ils soient susceptibles d’entraîner une sanction disciplinaire grave.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.
Le moyen subsidiaire invoqué par la demanderesse se confond avec ses contestations quant aux conditions d’application de l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 du statut général. Tel que cela a été retenu ci-avant, le Commissaire du Gouvernement, au moment où il a statué et en considération des faits et circonstances de l’espèce, tel que décrits ci-avant, pouvait légitiment s’attendre à ce que la demanderesse soit suspectée d’avoir commis des fautes susceptible d’encourir une sanction disciplinaire grave si les faits reprochés étaient confirmés. Il s’ensuit que ce moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
A titre plus subsidiaire encore la demanderesse soutient que les décisions de suspension déférées porteraient un préjudice considérable à sa carrière future et à son autorité d’enseignante sur ses élèves et plus précisément qu’une mesure de suspension s’apparenterait à une sanction disciplinaire.
Le représentant étatique rétorque que la suspension de l’exercice des fonctions prévue à l’article 48 du statut général ne serait pas une sanction disciplinaire. Il précise que l’instruction disciplinaire serait close, de sorte que le préjudice serait limité, d’autant plus que la demanderesse aurait touché ses traitements tout en étant dispensée de ses services. En ce qui concerne les préjudices invoqués par la demanderesse relatifs à sa carrière future et à son autorité d’enseignante, le délégué du gouvernement donne à considérer que ces préjudices seraient davantage le résultat des agissements de la demanderesse plutôt qu’ils ne seraient la conséquence de la mesure de suspension.
Tel que cela a été retenu ci-avant, une décision de suspension ne s’analyse pas en une sanction, mais en une mesure d’urgence à caractère conservatoire, susceptible d’être prise tant dans l’intérêt général, considéré à partir des usagers du service public que dans l’intérêt des serviteurs publics concernés, ainsi que dans celui, particulier, du fonctionnaire concerné.6 Une telle mesure n’est donc pas destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais elle est justifiée par des motifs relevant de l’organisation du service.7 Il échet également de relever que les décisions de suspension sous examen n’ont aucune incidence sur une éventuelle sanction disciplinaire et qu’elles ne préjugent en rien sur le fond des faits reprochés.
6 cf. trib. adm. 4 mars 2002, n° 13797 du rôle, Pas. adm. 2010, V° Fonction publique, n° 260, et autres références y citées 7 cf. trib. adm. 12 janvier 2009, n° 24509 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Fonction publique, n° 300, et autres références y citées Tel que cela a été retenu ci-avant, la mesure de suspension litigieuse est justifiée au regard de l’intérêt de la demanderesse et de l’intérêt du service et s’inscrit par ailleurs dans les conditions posées par la loi.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’un préjudice considérable à la carrière et à l’autorité de la demanderesse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il découle par conséquent de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours n’étant fondé en aucun de ses moyens, il est à déclarer non justifié dans son ensemble.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation en tant qu’il est dirigé contre la décision du Commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire du 5 septembre 2012 et de l’arrêté confirmatif du 6 septembre 2012 du ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle dans la limite des moyens de légalité invoqués et le déclare sans objet pour le surplus ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Andrée Gindt, juge, Hélène Steichen, attaché de justice et lu à l’audience publique du 16 octobre 2013 par le premier juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18/10/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 12