Tribunal administratif N° 31756 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2012 2e chambre Audience publique du 7 octobre 2013 Recours formé par Monsieur ….., Insenborn contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31756 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2012 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le ….. à …. (Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à ……, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 29 octobre 2012 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 septembre 2013.
Le 1er avril 2011, Monsieur ….. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur ….. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
Monsieur ….. fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, en date du 8 juillet 2011 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 29 octobre 2012, notifiée par courrier recommandé le 7 novembre 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur ….. que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, la même décision comportant l’ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 1er avril 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale a été évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er avril 2011 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 8 juillet 2011.
Monsieur, il résulte de vos déclarations qu'en novembre 2010, des « terroristes » seraient venus chez vous à six ou sept reprises pour utiliser votre électricité. Ils vous auraient également volé quelques poulets.
Vous vous seriez adressé à l'armée pour les prévenir de ces incidents. A la suite de cette démarche, l'armée serait venue patrouiller dans votre région. Les « terroristes » vous auraient alors reproché d'avoir eu recours à l'armée et ils vous auraient menacé à une reprise.
Après cette menace, vous auriez décidé de ne plus retourner à votre ferme. Vous seriez resté caché à la maison de novembre 2010 à mars 2011.
Vous n'auriez pas déposé de plainte parce que vous êtes d'avis que ça ne servirait à rien.
Le 15 mars 2011, vous auriez quitté le pays et vous auriez pris l'avion pour aller en Espagne. Ensuite, vous auriez pris un autre vol pour venir au Luxembourg.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, en l'espèce, votre demande de protection internationale n'est basée sur aucun des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.
Monsieur, des « terroristes » seraient venus chez vous à six ou sept reprises pour utiliser votre électricité et vous auraient volé quelques poulets. Selon vous, ils auraient découvert que vous vous seriez adressé à l'armée pour solliciter de l'aide et ils vous auraient alors menacé une fois.
A supposer les faits que vous alléguez établis, il y a lieu de noter dans ce contexte que, malgré le caractère répréhensible de leurs actes ainsi que de leurs moyens d'action généraux fondés sur la terreur, des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement ne peuvent être invoquées à l'appui d'une demande en obtention du statut de réfugié que si les autorités gouvernementales ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection adéquate des victimes. Il est de jurisprudence que le défaut de protection de la part des autorités publiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention doit être mis suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.
Cependant, comme vous l'admettez vous-même, vous n'auriez jamais déposé de plainte auprès de la police (p. 7/11). Ainsi, il ne peut être démontré que les autorités nationales n'auraient pas pu ou voulu vous offrir une protection à l'égard des agissements dont vous auriez été victime.
En effet, en ce qui concerne la lutte antiterroriste en Algérie, notons que "The Algerian Prime Minister Ahmed Ouyahia reassured Algerians that the government is committed to eradicating terrorism in the country”. Ainsi, le gouvernement algérien a mis en oeuvre diverses mesures dans le contexte de la lutte antiterroriste : "increased personnel for security agencies and efficiency-enhancing reforms within these agencies; a significant increase in and upgrading of equipment for security agencies; the strengthening of the legal foundation (laws, regulations) for combating these offences with judicial measures; an increase in bilateral, regional and international cooperation in the field of security; and the implementation of preventive measures”.
De même, "The military frequently conducts targeted counterterrorism operations and searches in areas surrounding Algiers, particularly in Kabylia, and has deployed troops to Algeria's southern borders. In recent years, the government has recruited new police and gendarmes, augmented security at borders and airports, and increased the security presence in major cities. Efforts to control terrorist financing have expanded. The military claims to have killed several AQIM commanders in recent months. In June 2011, Interior Minister Dahou Ould Kablia claimed that the movement had "largely lost its capacity to harm" within Algeria".
Par conséquent, vos allégations selon lesquelles ça ne servirait à rien de déposer une plainte son[t] dépourvues de tout fondement et ne reposent sur aucun élément objectif ou concret. Ajoutons à cet égard que vous auriez uniquement été menacé une fois et que vous n'auriez plus revu ces personnes depuis novembre 2010.
Notons également que vous auriez été menacé en novembre 2010, mais que vous auriez quitté l'Algérie en mars 2011. Ainsi, il est surprenant que vous n'ayez pas quitté votre pays d'origine plus tôt dès la survenance de ces ennuis.
Je relève aussi que vous auriez pu vous installer ailleurs, dans une grande ville, par exemple, pour ne plus avoir à rencontrer ces « terroristes ». Ainsi, auriez-vous pu profiter d'une possibilité de fuite interne.
Par conséquent, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Algérie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2012, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 29 octobre 2012 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
1) Quant au recours en réformation de la décision du ministre du 29 octobre 2012 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur déclare qu’il est originaire de Kabylie en Algérie où il a exploité une ferme à volaille. A plusieurs reprises, un groupe de terroristes vivant dans les montagnes serait venu à sa ferme pour recharger les batteries de leurs téléphones, ainsi que pour lui voler des poulets. Après six ou sept de ces visites, le demandeur aurait alors prévenu l’armée stationnée à une soixantaine de kilomètres de sa ferme, qui aurait alors intensifié ses patrouilles dans ce secteur. Les terroristes reprochant au demandeur d’avoir averti les militaires, seraient venus le voir pour le menacer. Ayant peur pour sa vie, le demandeur aurait alors vendu tous ses poulets pour quitter le pays.
En droit, le demandeur fait plaider que la situation générale en Kabylie serait hautement inquiétante, alors que les droits de l’Homme n’y seraient pas respectés. En se basant sur le rapport d’Amnesty International de 2012 et d’autres organisations internationales, ainsi que des articles de presse, le demandeur souligne que, malgré la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1992, le gouvernement aurait maintenu des restrictions sévères sur la liberté d’expression, d’association et de religion. De même, la population kabyle serait livrée en proie aux terroristes islamiques, alors que l’Etat algérien fermerait les yeux face aux enlèvements et au banditisme d’origine terroriste et délaisserait la Kabylie en refusant tout investissement institutionnel et économique dans cette région.
Le fait pour le demandeur d’être à la merci des terroristes constituerait une atteinte à son droit à la liberté et à la sûreté au sens de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH ». Il estime que les menaces contre sa vie seraient à considérer comme des actes de persécutions sous la forme de risque de violences physiques du fait de son opposition d’ordre politique respectivement religieuse envers ses agresseurs.
Admettant que ces derniers sont effectivement à considérer comme des personnes privées, le demandeur estime que leurs actions seraient néanmoins tolérées par l’Etat algérien qui serait incapable de protéger les victimes, respectivement qui refuserait toute protection à la population kabyle en particulier qui serait dès lors à considérer comme un groupe social au sens de l’article 32 d) de la loi du 5 mai 2006. Le demandeur n’aurait pas déposé de plainte au motif que cette démarche aurait été non seulement inutile, mais également de nature à augmenter le risque de représailles de la part de ses agresseurs.
A titre subsidiaire le demandeur estime que les faits invoqués par lui seraient à considérer comme des traitements ou sanctions inhumains et dégradants au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il devrait au moins bénéficier du statut de la protection subsidiaire.
La partie étatique conclut au rejet du recours au motif qu’il ne serait pas fondé.
Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…)» L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, il convient d’abord de relever que les menaces que Monsieur ….. aurait reçues de la part des terroristes ne sauraient être directement rattachées à un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, l’opinion politique, la nationalité ou l’appartenance à un certain groupe social. En effet, contrairement à ce qui est affirmé par le litismandataire du demandeur, le fait pour ce dernier d’avoir fait appel à l’armée pour se protéger contre les vols perpétrés par des terroristes ne peut pas être interprété comme une opposition politique voire religieuse à ces derniers. Ainsi la crainte de représailles de la part des terroristes à cause de l’appel aux militaires doit être rangée parmi les conflits d’ordre privé, alors qu’il ressort des déclarations du demandeur, que les terroristes ne lui reprochent pas une opinion politique spécifique, ni son mode de vie religieux, mais le fait qu’il n’ait pas voulu subir leurs actes sans résistance.
En ce qui concerne l’allégation du défaut de protection par les autorités algériennes motivé par son origine kabyle, force est au tribunal de retenir que le demandeur est en aveu de ne pas avoir sollicité de protection auprès d’un poste de gendarmerie ou de police au motif que, selon lui, cela ne servirait à rien du fait de leur inefficacité, ainsi que du fait de son appartenance à la population kabyle. Dans ce contexte, il ne résulte cependant d’aucun élément concret du récit du demandeur que les autorités policières seraient enclines à lui refuser leur aide et encore moins à justifier un tel hypothétique refus d’intervention par des motifs de discrimination de la population kabyle. En tout état de cause, les rapports et articles versés qui relatent la position des autorités algériennes face aux revendications d’autonomie de la Kabylie ne sont pas directement rattachables aux évènements vécus par le demandeur.
Par ailleurs il ressort encore de ses propres déclarations consignées dans le rapport d’audition qu’il a pu solliciter directement et personnellement de l’aide auprès de l’armée stationnée dans sa région et que cette dernière a immédiatement réagi en intensifiant les patrouilles autour de sa ferme. Il en découle que le demandeur n’est pas en mesure d’invoquer une quelconque inaction volontaire ou incapacité des autorités algériennes de lui fournir une protection contre les groupes terroristes.
Ainsi, force est au tribunal de constater que le demandeur est resté en défaut d’établir que les raisons qui l’ont amené à quitter l’Algérie, procèdent d’une crainte avec raison d’une persécution grave fondée sur un des motifs énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 (…) ».
L’article 37 de la loi du 5 mai 2006 définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.
Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existent de bonnes raisons que de telles atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de faire l’objet d’atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Or, en l’espèce, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier soumis au tribunal que Monsieur ….. risque d’être exposé à des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Plus particulièrement, tel qu’il a été retenu par le tribunal dans le cadre de l’analyse des conditions d’octroi du statut de réfugié, il ressort des explications fournies par le demandeur que les autorités algériennes, en l’occurrence les forces armées algériennes, sont disposées à intervenir sur simple sollicitation pour assurer ainsi la protection contre d’éventuels traitements inhumains ou dégradants dont le demandeur serait susceptible d’être victime.
Le demandeur reste ensuite en défaut d’établir à suffisance de droit qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 29 octobre 2012 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
A cet égard, le demandeur expose que dans la mesure où il aurait fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’a priori, il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006. A défaut d’autres moyens y relatifs, le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 octobre 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 octobre 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Françoise Eberhard, vice-président, Paul Nourissier, juge, Olivier Poos, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 7 octobre 2013, par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 octobre 2013 Le greffier du tribunal administratif 10