Tribunal administratif Numéro 33156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2013 2e chambre Audience publique du 30 septembre 2013 Recours formé par Madame …. et consorts, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33156 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2013 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …., née le …. à ….
(Albanie), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …, né le …à …, ….., née le … à …, et …., née le …. à … (Albanie), tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à ……, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 17 juillet 2013 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti, en remplacement de Maître Frank Wies, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 septembre 2013.
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Le 30 mai 2013, Madame …., accompagnée de ses enfants mineurs …, … et …., dénommés ci-après par « les consorts …. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Madame …. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
Madame …. fut entendue le 3 juillet 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 juillet 2013, envoyée par envoi recommandé du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts …. qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. La décision du ministre est motivée par la considération que les consorts ….
proviendraient d’un pays d’origine sûr et que les difficultés dont ils font état seraient d’ordre privé, ne répondant ainsi à aucun des critères de fond de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Enfin, il a retenu que les faits avancés ne permettraient pas de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2013, Madame …. a fait introduire, en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de ses trois enfants mineurs ….., un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 17 juillet 2013 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 17 juillet 2013 portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
A titre liminaire, force est au tribunal de constater que la demande en annulation de la décision litigieuse de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée bien qu’annoncée dans l’introduction de la requête introductive et soutenue par des moyens y relatifs dans la motivation de cette dernière, ne figure cependant pas explicitement au dispositif du recours. A l’audience des plaidoiries le mandataire des consorts …. a estimé que le dispositif du recours était entaché d’une erreur matérielle. Le délégué du gouvernement, ayant par ailleurs, dans son mémoire en réponse, conclu sur cette demande, il ne s’y est pas opposé, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le recours tend également à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.
A l’appui du recours, les demandeurs font exposer que, depuis le décès du beau-
père de Madame …., les créanciers de celui-ci essaieraient, par des méthodes violentes, de récupérer leurs créances auprès d’elle et de son mari. Ainsi, ils se feraient menacer et agresser tant verbalement que physiquement. Même après s’être réfugiée avec les enfants chez ses parents, Madame …. aurait toujours été harcelée par téléphone. N’ayant pas eu de nouvelles sur les suites réservées à une plainte déposée dans le cadre d’une tentative d’enlèvement de son fils par quatre inconnus, Madame …. aurait décidé de quitter l’Albanie pour venir déposer une demande de protection internationale au Luxembourg.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale des consorts …. dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Sous ce rapport, les demandeurs font valoir que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’ils n’auraient évoqué que des questions sans pertinence, ou d’une pertinence insignifiante par rapport aux conditions d’une protection internationale, alors que, même si leurs problèmes seraient à considérer comme un litige d’ordre privé, les faits invoqués, tout en soulignant le défaut de protection y relatif de la part des autorités albanaises, seraient a priori susceptibles de constituer des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Pour ces mêmes motifs, les demandeurs estiment qu’ils auraient fourni des raisons valables permettant de penser que, compte tenu de leur situation personnelle, l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours en annulation serait à rejeter pour ne pas être fondé.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de ladite demande en obtention d’une protection internationale ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
Aux termes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr, soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève (…) ».
Aux termes de l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, un pays désigné comme pays d’origine sûr est considéré comme un pays d’origine sûr pour le demandeur de protection internationale lorsqu’il possède la nationalité de ce pays ou s’il y avait précédemment sa résidence habituelle, et s’il n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que la demanderesse et ses enfants ont la nationalité albanaise et qu’ils ont résidé en Albanie avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a retenu que les demandeurs proviennent d’un pays d’origine sûr et qu’il a décidé de statuer sur le bien-
fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, dans la mesure où l’Albanie est qualifiée par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, comme étant un pays d’origine sûr.
S’il est certes exact que l’énumération d’un pays sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, force est au tribunal de constater que les moyens invoqués en l’espèce par les demandeurs ne sont pas de nature à renverser cette présomption.
En effet, l’analyse de la situation personnelle des demandeurs ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants pouvant mener à une réévaluation de la situation générale de l’Albanie et à mettre en doute la présomption que l’Albanie est à qualifier de pays d’origine sûr au sens du règlement grand-ducal précité. En ce qui concerne les défaillances du système policier albanais telles que décrites dans les différents rapports internationaux cités dans la requête introductive, à savoir notamment la subsistance des problèmes de corruption malgré les efforts politiques y relatifs, il ne ressort pas des déclarations de Madame …. que, dans son cas personnel, elle se verrait confrontée à un tel phénomène qui de plus serait insurmontable. En effet, d’après les explications de la demanderesse, la police a toujours enregistré ses plaintes et promis de lancer une enquête.
Le simple fait pour Madame …. de n’avoir pas encore eu, au moment de son départ, des nouvelles sur les suites y réservées, ne permet pas de conclure ipso facto que la police refuserait de lui accorder la protection requise ou serait incapable de lui fournir cette protection. En effet, la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Le cas échéant, il aurait appartenu à la demanderesse de solliciter activement un compte rendu de la part des forces de l’ordre en charge, respectivement de saisir la voie hiérarchique en cas d’inaction avérée. Il appartient en effet aux demandeurs, avant de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par ses propres autorités et institutions nationales, cette recherche ne pouvant se limiter à dénoncer les faits à la police locale, pour ensuite prétendre que celle-ci n’y aurait pas donné de suite, de sorte que la demanderesse ne saurait conclure à une absence, respectivement à un refus de protection effective.
Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs n’invoquent pas des faits démontrant que l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans leur chef.
Partant, c’est à bon droit que le ministre, après analyse de la situation concrète des consorts …., a conclu qu’ils proviennent d’un pays d’origine sûr, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a décidé de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.
Une des conditions de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 étant remplie, il devient surabondant de procéder à l’analyse de l’autre base légale invoquée par le ministre.
Dès lors, le recours afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision de refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs estiment que le ministre aurait à tort retenu qu’il ne résulterait pas des faits invoqués que les autorités albanaises seraient en défaut de pouvoir, respectivement de vouloir leur accorder une protection contre les agissements de la part des créanciers du beau-père défunt de Madame ….. Les demandeurs se basent encore sur un extrait du rapport de l’ « United States Department of State » du 24 mai 2012, ainsi que sur un extrait du rapport de l’« Immigration and Refugee Board of Canada » du 5 octobre 2011, ainsi que sur un rapport de l’organisation « Freedom House » du 4 juin 2012, pour démontrer que, malgré des efforts dans la répression de la corruption, ce phénomène existerait encore au sein de la Police, à laquelle il est également reproché d’avoir recours à des violences et mauvais traitements.
Il n’appartiendrait pas non plus au ministre de faire référence au rejet de la demande de protection internationale de l’époux de Madame …., alors qu’en invoquant la tentative d’enlèvement du fils de cette dernière, les demandeurs auraient fait état de faits nouveaux par rapport à ceux qui auraient été invoqués par le mari de Madame …..
Le délégué du gouvernement fait valoir que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que leur recours serait à rejeter pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.(…) » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande en obtention d’une protection internationale tant dans le cadre de l’audition de Madame …., ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié.
En effet, le mandataire des demandeurs, dans sa requête introductive d’instance, ne conteste pas que les faits invoqués relèvent d’un conflit privé punissable selon la loi albanaise, de sorte qu’ils ne sont pas susceptibles de rentrer dans un des critères de la Convention de Genève, à savoir une persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs qui n’ont pas rapporté la preuve de l’existence d’une crainte sérieuse de persécutions graves pour un des motifs prévus à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.
L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Les demandeurs font plaider à cet égard que les menaces et agressions dont Madame …. et son fils auraient fait l’objet seraient à qualifier d’atteintes graves au sens de la loi, étant donné que les autorités policières de leur pays d’origine, du fait de leur inaction, n’assureraient pas une protection efficace. A ce sujet, et concernant la situation générale du système policier et judiciaire, ils renvoient encore aux rapports internationaux précités.
Le tribunal, ayant retenu, dans le cadre de l’analyse de la demande relative à la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que les demandeurs n’avaient pas démontré à suffisance que leur pays d’origine n’était pas capable de leur fournir une protection adéquate, ne saurait se départir de cette conclusion dans le présent volet de leur demande.
Ainsi, au vu des faits et motifs invoqués par les demandeurs, le tribunal n’aperçoit aucun élément susceptible d’établir sur base de ceux-ci qu’il existerait dans le chef des consorts …. un risque réel de subir des atteintes graves, telles que la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d’origine. Par ailleurs, il ne ressort ni du dossier, ni des arguments des demandeurs que la situation qui prévaut actuellement en Albanie correspond à un contexte de violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les consorts …. n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a, au terme de l’analyse de la situation des demandeurs, déclaré la demande de protection internationale comme non justifiée.
Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.
3. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 17 juillet 2013 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » est définie comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique de la décision de refus de la demande de protection internationale.
A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence du caractère fondé de leur recours en réformation.
Or, le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte justifiée de persécution au sens de la loi du 5 mai 2006, ni d’atteintes graves telles que définies à l’article 37 de la même loi, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Les demandeurs font encore exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Ils font valoir qu’un retour en Albanie les exposerait à des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Si l’article 3 de la CEDH, proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Albanie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans le chef des demandeurs de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs en Albanie soit dans ces circonstances incompatibles avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 juillet 2013 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 juillet 2013 portant refus d’une protection internationale aux demandeurs ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 juillet 2013 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
1 CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Paul Nourissier, juge, Olivier Poos, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 30 septembre 2013 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1er octobre 2013 Le greffier du tribunal administratif 13