Tribunal administratif N° 30697 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2012 2e chambre Audience publique du 30 septembre 2013 Recours formé par la société ….., contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30697 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 juin 2012 par la société AD Consult S.àr.l., fiduciaire, établie et ayant son siège social à L-8210 Mamer, 96, route d’Arlon, représentée par son gérant actuellement en fonctions et inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B79567, au nom et pour le compte de la société ….. établie et ayant son siège social à ….. , représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions et inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro ….., à l’encontre d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 mai 2012 déclarant irrecevable la réclamation introduite par la société …. contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2006 à 2010, émis le 21 décembre 2011 à l’encontre de la société ….. ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 août 2012 ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2013 par Maître Marco Schmitz, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour compte de la société anonyme ….. ;
Vu les pièces versées en cause et la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marco Schmitz et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2013.
Le 21 décembre 2011, l’administration des Contributions directes émit à l’égard de la société ….., les bulletins d’impôt sur le revenu relatifs aux années d’imposition 2006 à 2010.
Moyennant une lettre du 21 mars 2012 de la société …., signée par Madame ….., précisant agir en tant que mandataire de la société ….., cette dernière fit introduire une réclamation à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2006 à 2010 en ce qui concerne plus précisément l’impôt sur salaires.
Le 26 mars 2012, l’administration des Contributions directes adressa un courrier à la société …. . la priant de justifier d’un mandat exprès et spécial pour introduire la réclamation.
La société ……, par courrier du 10 avril 2012, fit parvenir à l’administration compétente un document intitulé « procuration pour l’administration de la T.V.A. et/ou des contributions directes » signé par Monsieur ….., administrateur délégué de la société ….. au nom et pour le compte de cette dernière et daté au 5 novembre 1999.
Dans la suite, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », statua à l’égard de cette réclamation par une décision du 30 mai 2012 en déclarant la réclamation introduite irrecevable faute de qualité à agir de la société …… La décision litigieuse est libellée comme suit :
« Vu la requête introduite le 22 mars 2012 par la dame ….. de la société ….., au nom de la société ……., pour réclamer contre « le bulletin d'imposition du 21 décembre 2011 concernant les années 2006 à 2010 et plus en détail l’impôt sur salaires des années précitées »;
Vu le dossier fiscal;
Vu les §§ 107, 228, 238, 254 et 301 de la loi générale des impôts (AO);
Vu le § 254 alinéa 2 AO;
Considérant qu'en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l'action d'autrui, il faut justifier en toutes matières d'un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l'instance (cf.:
Conseil d'Etat, 14.01.1986, n° 6514; Tribunal administratif, 16.06.1999, n° 10724; Cour administrative, 21.12.1999, n° 11382C) ;
Considérant qu’en l’espèce, faute de procuration jointe, la déposante a dû être invitée par lettre du 26 mars 2012 à justifier de son pouvoir d’agir en versant au dossier une procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite ;
Considérant que par télécopie du 10 avril 2012, la déposante a versé une procuration signée en date du 5 novembre 1999 par le sieur ….., administrateur délégué, agissant en nom propre et agissant au nom de la société ….., donnant « mandat à la fiduciaire ….., ayant son siège [d’exploitation] à …… afin d’effectuer pour moi et en mon nom les démarches juridiques suivantes :
- transmettre à l’administration de la TVA et/ou des contributions directes tous les livres et renseignements demandées.
- compléter et signer la déclaration de TVA et/ou d’impôt, aussi lorsque le solde est en faveur de l’Etat. Les déclarations sont complétées sur base des documents, factures et renseignements fournis par le donneur de la présente procuration.
- signer les avis de régularisation, même si cela implique une dette envers l’administration.
- défendre mes droits envers l’administration de la TVA et/ou des contributions directes, ainsi que remettre et signer toute réclamation ou autre correspondance en mon nom.
- Me représenter à l’égard des agents de l’administration de la TVA et/ou des contributions directes, lesquelles je libère par la présente de leur secret professionnel à l’égard de mon mandataire. Celui-ci est également habilité à recevoir les agents lors d’un contrôle. » ;
Considérant que "l'acte d'introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l'imposition revue le cas échéant in pejus, présente un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l'intéressé; qu'une procuration afférente doit dès lors être non seulement expresse mais encore de nature à renseigner clairement l'intention du mandant d'investir le mandataire du pouvoir d'agir par la voie d'une réclamation à l'encontre d'une décision déterminée avec toute la précision requise (Trib. Adm. 8 mai 2000, n° 11431, Pas. adm. 2001, v° Impôts, n° 243)" ;
qu'en conséquence l'existence d'un mandat ad litem répondant aux conditions légales à l’époque de l'introduction de la réclamation n'est pas établie;
que, partant, celle-ci est irrecevable faute de qualité;
PAR CES MOTIFS dit la réclamation irrecevable faute de qualité ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2012, la société ….. a fait introduire un recours contre la décision directoriale du 30 mai 2012.
Lorsque la requête introductive d’instance omet d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi1.
Le § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », ensemble l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif ouvrant un recours au fond contre la décision directoriale critiquée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par la demanderesse.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours au motif que la requête introductive d’instance ne désignerait pas la décision contre laquelle le recours serait dirigé et ne contiendrait aucun moyen de fait ni de droit, de sorte qu’il y aurait lieu de constater une violation de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
1 Cf. TA 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Impôt, n° 713.
Conformément à l’article 1er, alinéa 2 de la loi précitée du 21 juin 1999, « la requête, qui porte date, contient : (…) – l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, (…) », étant encore rappelé qu’en vertu de l’article 29 de la même loi « l’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. » Il est vrai qu’en l’espèce, la requête introductive d’instance, à côté du fait qu’elle est extrêmement succincte, ne précise pas quelle disposition légale ou réglementaire aurait été violée par le directeur. Toutefois, il se dégage des développements faits par le mandataire de la demanderesse dans la requête introductive, que celui-ci reproche au directeur de ne pas avoir fait droit à sa réclamation du 21 mars 2012 et de ne pas avoir rectifié les bulletins d’imposition, alors même que « les preuves contre cette imposition [auraient] été envoyé[es] au service concerné le 20 avril 2012 ». D’ailleurs, le délégué du gouvernement ne s’est pas mépris sur l’objet et les moyens du recours, dans la mesure où il a pu prendre position, en connaissance de cause, quant au fond, pour justifier le bien-fondé de la décision directoriale critiquée. Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité est à déclarer non fondé.
Le délégué du gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours en contestant que la société ……. aurait disposé d’une procuration adéquate de la part de la demanderesse afin de pouvoir la représenter dans le cadre du recours contentieux.
Force est cependant au tribunal de constater qu’il ressort du document annexé à la requête introductive d’instance du 18 juin 2012 et intitulé « mandat ad litem pour l’administration des contributions directes » que Monsieur ….., en sa qualité d’administrateur-
délégué de la société ….., a confié un « mandat explicite ayant un caractère exprès et spécial à la fiduciaire ……. (…) de présenter le recours contre la décision de Monsieur le Directeur des Contributions du 30 mai 2012 N° rôle C 17474 (…) ». Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité est à déclarer non fondé.
Par ailleurs, dans la mesure où le recours en réformation a été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur conteste l’affirmation du directeur selon laquelle la procuration du 5 novembre 1999 serait de nature générale et ne répondrait pas aux exigences légales en matière de mandat ad litem pour ne pas être exprès et spécial.
Le délégué du gouvernement rétorque que la procuration litigieuse ne constituerait qu’un simple mandat général et non pas un mandat spécial et exprès pour introduire une réclamation contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2006 à 2010. Il estime que la procuration en question ne confèrerait pas un mandat exprès à un mandataire pour accomplir des actions déterminées, mais un pouvoir général pour accomplir « toutes sortes de démarches quelconques », pour une période indéterminée, tant en matière de taxe sur la valeur ajoutée auprès de l’administration de l’Enregistrement et des Domaines, qu’en matière d’impôts directs auprès de l’administration des Contributions directes. Il fait finalement valoir que l’écrit du 4 juin 2012 et annexé à la requête introductive d’instance ne comporterait aucun élément habilitant à l’introduction de la réclamation reçue le 22 mars 2012 pour avoir été établi postérieurement à celle-ci, le mandat ad litem devant cependant avoir existé avant l’introduction de la prédite réclamation.
Il convient de rappeler que le paragraphe 238 AO, qui prévoit notamment que le destinataire d’un bulletin d’impôt est autorisé à introduire une réclamation contre celui-ci, dispose que ce destinataire peut se faire représenter conformément au paragraphe 102 (2) AO, ce paragraphe disposant que les règles du droit civil sont applicables en droit fiscal quant à la représentation et au mandat. Ce paragraphe renvoie donc aux règles du Code civil sur le mandat en l’absence de dispositions spécifiques dans l’AO.
L’article 1987 du Code civil distingue entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 spécifie que le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. L’article 1989 précise en outre que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.
Il convient de souligner que contrairement à l’application faite par la partie étatique de l’article 1987 du code civil, le mandat général n’est pas le mandat conçu en des termes généraux, la distinction entre mandat général et mandat spécial reposant sur la précision ou non, dans la procuration, des biens donnant lieu au mandat, ou de l’occasion pour laquelle le mandat a été convenu2 : le mandat général porte sur tous les biens du mandant (procuration ad universitatem negotiorum), ou sur tous les actes juridiques à accomplir au nom du mandant, le mandataire recevant la charge de l’ensemble de ses affaires (dispensationem totius causae)3, tandis que le mandat spécial précise l’occasion pour laquelle il a été donné.
Le mandat conféré en l’espèce en date du 5 novembre 1999 par la demanderesse à la société ….. n’est pas à considérer comme étant général au sens de l’article 1987 du code civil, faute de couvrir d’une manière générale toutes les affaires de la société ….. ; il vise en effet seules les affaires fiscales de l’intéressée dans ses rapports avec les différentes instances fiscales administratives4.
Force est encore de constater que le mandat vise spécifiquement - entre autres -
l’introduction de réclamations, de sorte que la demanderesse doit être considérée comme ayant clairement exprimé sa volonté de conférer à la société ….. pouvoir pour introduire une réclamation auprès du directeur, un tel mandat impliquant nécessairement que le mandant est conscient du risque y inhérent de voir l'imposition revue le cas échéant in pejus.
Dans ce contexte, il convient encore de souligner que le mandat a été établi en date du 5 novembre 1999, en prévoyant qu’il « reste valable jusqu’à la révocation explicite par le donneur de procuration ou jusqu’à la révocation de celle-ci par le mandataire (…) ». En l’absence de révocation de la procuration, le mandat conféré à la société ….. couvrait partant tant les exercices fiscaux des années 2006 à 2010 relatif aux bulletins litigieux émis le 21 décembre 2011, que l’exercice fiscal de 2012, au cours duquel la réclamation litigieuse a été introduite auprès du directeur. L’établissement de ce mandat étant antérieur à l’introduction de la réclamation toisée par le directeur, la société ….. est partant à considérer comme ayant été investie d’un mandat spécial valable au sens des dispositions ci-avant relatées du code civil 2 Encycl. Dalloz, Droit civil, T. VII, V° Mandat, n° 105.
3 Ibidem, n° 107.
4 Voir en ce sens : Trib. adm. 20 juillet 2009, n° 25156, Pas. adm. 2012, V° Impôts, n° 617 ; dans le même sens :
trib. adm. 1er août 2007, n° 22361.
pour réclamer au nom et pour compte de la société …… Il y a finalement lieu de relever que la volonté manifeste de la demanderesse de conférer un mandat à la société ….. pour introduire une réclamation auprès du directeur ressort encore du mandat ad litem du 4 juin 2012.
Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à tort que le directeur a déclaré irrecevable la réclamation introduite par la société ….. au nom de la société ….. contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2006 à 2010.
Encore que le tribunal est investi du pouvoir de réformer la décision directoriale lui déférée, il y a lieu de limiter la réformation de la décision déférée au seul constat de la recevabilité de la réclamation en question et de renvoyer le dossier en prosécution devant le directeur de l’administration des Contributions directes afin qu’il épuise la réclamation portée devant lui quant au fond, sous peine de priver le contribuable de son droit de voir examiner le bien-fondé de sa réclamation d’abord à un stade précontentieux par l’autorité administrative compétente.
Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant par réformation de la décision directoriale déférée dit que la réclamation introduite devant le directeur de l’administration des Contributions directes par la société …..
au nom de la société ….. à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 2006 à 2010 n’encourt pas l’irrecevabilité pour défaut de qualité dans le chef de son auteur ;
renvoie le dossier en prosécution de cause devant le directeur de l’administration des Contributions directes ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Paul Nourissier, juge, Olivier Poos, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 30 septembre 2013 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill .
s. Monique Thill s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 septembre 2013 Le greffier du tribunal administratif 6