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17/09/2013 | LUXEMBOURG | N°33084

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 septembre 2013, 33084


Tribunal administratif N° 33084 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2013 Chambre de vacation Audience publique du 17 septembre 2013 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33084 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2013 par Maître Fran

k Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 33084 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juillet 2013 Chambre de vacation Audience publique du 17 septembre 2013 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33084 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2013 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Bosnie-

Herzégovine), et de Madame …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), les deux de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 4 juillet 2013 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank Wies et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 4 septembre 2013.

En date du 17 mai 2013, Madame …et sa fille majeure Madame …, ci-après désignées par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts … sur leurs identités respectives et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un procès-verbal du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du même jour.

En date du 21 juin 2013, Madame …et sa fille majeure Madame … furent entendues séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale. A cette occasion, les consorts … ont déclaré avoir quitté la Bosnie-Herzégovine en raison de la maladie de Madame … qui souffrirait de phénylcétonurie décelée il y a 5 ans.

Cette maladie incurable nécessiterait une nourriture spéciale adaptée dont le coût élevé n’aurait plus pu être supporté par Madame …étant donné que ses revenus seraient très limités.

Par une décision du 4 juillet 2013, notifiée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. La décision du ministre est motivée par la considération que les consorts … proviendraient d’un pays d’origine sûr et que les difficultés dont elles font état seraient d’ordres médical voire économique, ne répondant ainsi à aucun des critères de fond de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Enfin, il a retenu que les faits avancés ne permettraient pas de conclure à l’existence d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2013, les consorts … ont fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif du recours auquel le tribunal est seul tenu, à la réformation de la décision du ministre du 4 juillet 2013 portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

A l’appui de leur recours, les consorts …, originaires de Bosnie-Herzégovine, déclarent que Madame … serait atteinte de la maladie appelée phénylcétonurie diagnostiquée il y 5 ans.

Le père de cette dernière étant mort pendant la guerre de Bosnie en 1992, Madame …ne parviendrait plus à financer la nourriture spéciale destinée à sa fille et sans laquelle cette maladie entraînerait des troubles neurologiques irréversibles. En raison de la détection tardive de cette maladie, Madame … serait actuellement déjà atteinte d’un déficit intellectuel important.

A titre liminaire, force est au tribunal de constater que le volet de la décision litigieuse de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée n’a pas été déféré au tribunal, faute de moyens y relatifs dans la requête introductive d’instance et plus particulièrement dans son dispositif, auquel le tribunal peut seul avoir égard pour cerner l’objet du recours, le litismandataire du demandeur se limitant en effet à n’y solliciter que la réformation de la décision déférée en ce qu’elle a refusé de faire droit à la demande de protection internationale, ainsi que l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la régularité de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 4 juillet 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de ce volet de la requête, les demanderesses reprochent au ministre d’avoir apprécié de manière trop hâtive les faits invoqués pour venir à la conclusion qu’ils ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance de la protection internationale. Elles font en effet plaider que les atteintes graves subies par Madame … seraient prouvées à suffisance par le fait que l’Etat bosnien ne prendrait pas en charge les frais des denrées alimentaires spécifiques nécessitées pour atténuer les effets de sa maladie incurable. Les demanderesses invoquent différents rapports internationaux sur la situation jugée édifiante du respect des droits de l’Homme en Bosnie-Herzégovine. Pareillement le système de santé ne serait pas idyllique tel qu’il résulterait du rapport versé « Healthcare in Bosnia-Herzegovina » et de celui de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demanderesses et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est au tribunal de relever qu’il résulte de la requête introductive, ainsi que de ce qui a été acté lors des auditions respectives auprès des services compétents du ministère des Affaires étrangères, que les difficultés dont font état les demanderesses sont exclusivement d’ordre médical et économique. S’il est parfaitement compréhensible qu’une telle situation n’est pas facile à vivre, ces faits ne remplissent aucun des critères de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006, à savoir une persécution pour des motifs tenant à la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du statut de réfugié des demanderesses.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demanderesses d’un statut de protection subsidiaire, il échet de constater qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Les demandeurs basent leur recours dirigé contre le refus d’une protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Force est au tribunal de constater que les problèmes de santé dont font état les demanderesses ne rentrent pas, de par leur nature, dans les prévisions des points a) et c) de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, à savoir la peine de mort ou l’exécution, respectivement des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Quant à la qualification des faits invoqués au regard du point b) de ce même article, visant la torture ou les traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, force est de retenir, d’une part, que l’article 37 précité se réfère à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants « infligés », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention active et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable, à défaut d’actes positifs commis à l’égard du demandeur d’une protection internationale en cas de retour dans son pays d’origine. Il en résulte que les problèmes de santé ou encore les difficultés financières rencontrées pour payer les soins médicaux adéquats dans le pays vers lequel le demandeur est susceptible d’être éloigné, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’ils auraient été infligés ou qu’ils résulteraient d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constituent pas à eux seuls un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit, et en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demanderesses n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’elles courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Dès lors c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu déclarer la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 4 juillet 2013 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, les demanderesses sollicitent d’abord l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision de refus de leur accorder une protection internationale.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « Une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale des demanderesses, il a également a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Subsidiairement, les demanderesses soutiennent que la décision litigieuse serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », puisqu’un retour en Bosnie-Herzégovine serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

L’article 129 de la loi du 29 août 2008 renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Si ledit article 3 de la CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques se trouve vérifié, d’une part, et qu’il présente une certaine intensité, d’autre part.

Si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés.

S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ces hypothèses, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement, ainsi que la situation du pays d’origine vers lequel l’éloignement est prévu. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du demandeur soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

L’analyse de l’affaire sous examen devra partant être effectuée sur base des critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Quant aux difficultés décrites ci-dessus et dont font état les demanderesses qui sont d’ordre économique et médical, le tribunal ne dispose pas d’éléments suffisants permettant de retenir que, de ces faits, il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elles encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 précité en raison du système de santé jugé déficient. En effet, si l’article de presse versé par les demanderesses intitulé « Heathcare in Bosnia-

Herzegovina » épingle effectivement certaines inégalités dans le système de santé notamment liés à l’organisation et à l’efficacité des structures d’accueil, ainsi que la pratique des dessous de tables pour faire accélérer la prise en charge médicale, il en résulte cependant également que les soins de santé sont gratuits entre autres pour les personnes handicapés ou sans emploi.

Il ressort également des déclarations de Madame …qu’elle est en mesure de travailler, tout en touchant la pension de son mari défunt, ainsi que des aides régulières de la part de la commune. Même si, d’après les déclarations des demanderesses, les ressources financières actuelles ne semblent pas suffire pour couvrir l’ensemble des frais liés aux compléments alimentaires spécifiques de Madame …, il n’en résulte cependant pas un traitement inhumain ou dégradant au sens des textes susvisés. Ainsi il ne résulte pas des pièces soumises à l’analyse du tribunal que l’état de santé de la demanderesse risque de se dégrader à un tel point qu’il dépasse le seuil fixé par la Cour européenne des droits de l’Homme, c’est à dire que le pronostic vital serait engagé dans l’hypothèse où elle ne suivrait que partiellement son régime alimentaire. En effet, dans son arrêt de la Grande Chambre du 27 mai 20081, la Cour européenne des droits de l’Homme a dégagé comme principe que « Les non-nationaux qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le territoire d’un Etat contractant afin de continuer à bénéficier de l’assistance et des services médicaux, sociaux ou autres fournis par l’Etat qui expulse. Le fait qu’en cas d’expulsion de l’Etat contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3. La décision d’expulser un étranger atteint d’une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l’Etat contractant est susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3, mais seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses. Dans l’affaire D. c. Royaume-Uni, les circonstances très exceptionnelles tenaient au fait que le requérant était très gravement malade et paraissait proche de la mort, qu’il n’était pas certain qu’il pût bénéficier de soins médicaux ou infirmiers dans son pays d’origine et qu’il n’avait là-bas aucun parent désireux ou en mesure de s’occuper de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu’un toit ou un minimum de nourriture ou de soutien social. » Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments de la cause soumis à l’analyse, ainsi que du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH, le tribunal estime qu’il n’existe pas de risque suffisamment réel pour que le renvoi des demanderesses en Bosnie-Herzégovine soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH et partant avec l’article 129 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’Immigration.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 4 juillet 2013 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 4 juillet 2013 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

1 Cour Européenne des droits de l’Homme, Grande Chambre dans l’affaire N. c/ Royaume Uni (n° 26565/05) du 27 mai 2008.

condamne les demanderesses aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Olivier Poos, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 17 septembre 2013 par le vice-président Claude Fellens, en présence du greffier assumé Claudine Meili.

s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18/9/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 33084
Date de la décision : 17/09/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-09-17;33084 ?

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