Tribunal administratif Numéro 33279 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 août 2013 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 5 septembre 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33279 du rôle et déposée le 28 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le …, … (Palestine), et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 12 août 2013 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2013 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 août 2013 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom et pour le compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 septembre 2013.
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Le 30 août 2005, Monsieur … introduisit une demande en obtention du statut de réfugié dont il fut débouté par décision ministérielle du 22 septembre 2005. En date du 3 mai 2013, les autorités suisses sollicitèrent la reprise par le Luxembourg de Monsieur …, demande à laquelle les autorités luxembourgeoises marquèrent leur accord. Le transfert du demandeur fut organisé pour le 18 juin 2013.
Le 17 juin 2013, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … une mesure de placement ainsi qu’une décision de retour, décisions qui furent notifiées au demandeur en mains propres en date du 18 mai 2013. L’arrêté de placement fut basé sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 17 juin 2013 ;
Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par arrêté du 12 juillet 2013, notifié à l’intéressé en mains propres en date du 18 juillet 2013, le ministre prorogea une première fois pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement précitée du 17 juin 2013. Ladite décision est basée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 17 juin 2013, notifié le 18 juin 2013, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 17 juin 2013 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par arrêté du 12 août 2013, notifié à l’intéressé en mains propres en date du 16 août 2013, le ministre prorogea une seconde fois pour une nouvelle durée d’un mois la mesure de placement précitée. La décision est basée sur les considérations et motifs suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 17 juin et 12 juillet 2013, notifiés le 18 juin, respectivement le 18 juillet 2013, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 17 juin 2013 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par requête déposée le 28 août 2013 au greffe du tribunal administratif et inscrite sous le numéro 33279 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de prorogation précitée du 12 août 2013.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce, recours qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que la motivation de la décision déférée serait quasiment identique à celle de la décision du premier placement, et que la condition de nécessité de la prorogation inscrite à l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008 ne ressortirait pas de manière spécifique de la décision déférée. Ainsi, cette décision ne lui permettrait pas d’apprécier sa portée juridique exacte et constituerait dès lors une violation de ses droits de la défense.
Le demandeur estime encore que la mesure de placement déférée revêtirait un caractère disproportionné au motif qu’une rétention n’aurait de sens que si l’autorité compétente serait effectivement en mesure d’éloigner l’étranger en situation irrégulière. En effet, l’intention du législateur aurait été celle de l’éloignement effectif en dehors du territoire des personnes faisant l’objet d’une rétention et non pas le maintien de ces personnes pendant des mois pour les libérer par la suite. Or, en l’espèce, sans contester l’illégalité de son séjour au Luxembourg, le demandeur fait valoir, d’un côté, que les autorités auraient eu connaissance depuis longtemps de sa situation et, d’un autre côté, que, de toute manière, les autorités algériennes refuseraient de délivrer un laissez-passer à leurs propres ressortissants. Par ailleurs, sur base de l’article 12 de la Constitution luxembourgeoise et de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH », il estime que la liberté individuelle serait un principe fondamental et que la restriction à cette liberté devrait s’opérer dans les strictes conditions imposées par la loi. Or, en l’espèce l’autorité ministérielle serait en défaut de démontrer qu’elle serait entrain d’exécuter son éloignement rapide.
Le délégué conclut au rejet du recours.
Quant aux conditions d’une décision de prorogation d’un placement en rétention, l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois. Cette mesure peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
Quant au premier moyen tiré d’un défaut d’indication des motifs de la « nécessité » de la mesure de prorogation, respectivement d’une insuffisance de motifs justifiant la nécessité de la mesure, il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérés doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas d’espèce sous examen ne tombe dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, de sorte que l’obligation inscrite à l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, d’ailleurs non invoqué par le demandeur ne trouve pas d’application en l’espèce. Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de prorogation d’une mesure de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision de prorogation, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit être rejeté pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne l’existence de motifs se trouvant à la base de la décision sous examen au sens de l’article 6 alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le ministre a justifié sa décision par la considération que les démarches en vue de l’éloignement de Monsieur … ont été engagées, mais qu’elles n’ont pas encore abouti.
Par rapport aux motifs ainsi indiqués, le demandeur conteste en substance, tel que relevé ci-avant, que les démarches entreprises par le ministre en vue de son éloignement soient suffisantes. Or, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite. En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier administratif versé en cause que le demandeur ne dispose pas de documents d’identité et de voyage valables, et que les recherches des autorités ont relevé le fait que le demandeur était connu en Suisse sous deux autres identités, de sorte que les recherches des autorités algériennes, contactées par les autorités luxembourgeoises dès le 21 juin 2013, nécessitent forcément un certain temps.
La dernière conclusion ne dispense néanmoins pas les autorités luxembourgeoises d’entreprendre, tel qu’indiqué ci-avant, toutes les démarches nécessaires afin d’organiser l’éloignement du demandeur dans les meilleurs délais. En l’espèce, au sujet des démarches concrètement entreprises, il se dégage du dossier administratif versé en cause que trois jours après que la première décision de placement en rétention a été exécutée, à savoir le 21 juin 2013, les autorités ministérielles ont saisi le consulat de la République d’Algérie aux fins d’identification et d’établissement d’un laissez-passer. Par courrier du 15 juillet 2013, les autorités ministérielles ont relancé le consulat d’Algérie après que ce dernier a fait confirmer le 11 juillet 2013 que la demande d’identification était en cours. Les 6 et 26 août 2013 le ministre a encore envoyé des rappels aux autorités algériennes. Dès lors, sur base des constats relevés ci-
avant, le tribunal est amené à retenir que la procédure d’identification du demandeur est toujours en cours, mais n’a pas encore abouti pour des raisons qui sont étrangères aux diligences entreprises par les autorités luxembourgeoises qui sont tributaires à ce sujet des autorités étrangères, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement du demandeur est toujours en cours et est exécutée avec toute la diligence requise.
Partant, le moyen du demandeur tiré d’une absence de démarches effectuées par le ministre en vue de son éloignement est à rejeter pour ne pas être fondé.
Finalement, force est au tribunal de conclure que l’affirmation du demandeur que les autorités algériennes ne délivreraient jamais de laissez-passer pour leur propres ressortissants reste à l’état de pures allégations, de sorte qu’elle n’est pas de nature à mettre en cause la légalité et le bien-fondé de la mesure déférée, dans la mesure où elle n’est basée sur aucun élément concret soumis au tribunal, qu’elle est formellement contestée par la partie étatique et que les autorités algériennes ont confirmé que l’identification du demandeur est en cour.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Olivier Poos, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 5 septembre 2013 à 15.00 heures, par le vice-
président Claude Fellens, en présence du greffier Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 05/09/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 6