Tribunal administratif Numéro 33151 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2013 Audience publique de vacation du 28 août 2013 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 33151 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2013 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Serbie), de nationalité serbe, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 16 juillet 2013, par laquelle le ministre aurait refusé de faire droit à sa nouvelle demande tendant à l’obtention d’une protection internationale telle que prévue par la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire qui serait contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 août 2013 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katrin DJABER HUSSEIN, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 août 2013.
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Le 11 mai 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée la « loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 29 juin 2012, notifiée par courrier recommandé du même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », l’informa qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le 13 juillet 2012, Monsieur … saisit le tribunal administratif d’un recours contentieux contre de la décision précitée du ministre du 29 juin 2012 ayant décidé de statuer sur le bien-
fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et lui ayant consécutivement porté refus de lui reconnaître un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Par jugement du 13 septembre 2012, n° … du rôle, le tribunal rejeta le recours en ses trois volets comme n’étant pas fondé.
Après avoir infructueusement introduit une demande de sursis à l’éloignement sur base des articles 130 et suivants de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, Monsieur … retourna volontairement en Serbie en date du 3 janvier 2013.
Le 1er juillet 2013, Monsieur … introduisit une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.
Il fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale en date du 4 juillet 2013.
Par décision du 4 avril 2013, envoyée par lettre recommandée du 23 juillet 2013 le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :
« J’ai l’honneur de me référer à votre nouvelle demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection que le service compétent du Ministère des Affaires étrangères a enregistrée en date du 1er juillet 2013.
Il ressort de votre dossier que vous avez déposé une première demande de protection internationale en date du 11 mai 2012 qui a été rejetée en date du 29 juin 2012. Monsieur, vous aviez invoqué à la base de cette demande que vous auriez quitté la Serbie pour des raisons économiques. Vous aviez dit que certains patrons vous devraient encore 5000.- euros et qu’ils ne voudraient pas vous déclarer.
Monsieur, vous avez été débouté de votre demande par un jugement du Tribunal administratif en date du 13 septembre 2012 aux motifs que: « En effet, force est au tribunal de relever qu’il ressort sans équivoque des déclarations du demandeur, telles qu’actées dans son rapport d’audition précité, qu’il n’a quitté son pays d’origine qu’en raison de problèmes économiques auxquels il devait faire face. Il s’en suit que contrairement aux affirmations du demandeur, non autrement étayées, il ne peut se prévaloir d’avoir fait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.
Ainsi, force est au tribunal de constater que le demandeur est resté en défaut d’établir que les conditions de vie qu’il décrit, certes peu agréables, constitueraient une forme de persécution fondée sur un des motifs énumérés à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa nationalité ou son appartenance à un certain groupe social. (…) ».
En date du 12 octobre 2012, vous aviez déposé une demande de sursis à l’éloignement sur base des articles 130 et suivants de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Votre demande a été rejetée en date du 15 novembre 2012.
Vous êtes par la suite rentré volontairement à …/Serbie en date du 3 janvier 2013.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 1er juillet 2013 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères du 4 juillet 2013.
Monsieur, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous êtes entré en territoire Schengen en date du 11 mai 2013.
Il résulte de vos déclarations auprès de l’agent du Service des Réfugiés que vous seriez venu au Luxembourg pour vous faire soigner des suites de la morsure d’un chien; vous souffririez de troubles de sommeil. Vous signalez que vous auriez peur des chiens et qu’en Serbie il y aurait beaucoup de chiens abandonnés. « Théoriquement », vous auriez pu vous faire soigner en Serbie, mais vous expliquez qu’il ne vous serait plus possible d’y travailler parce que vos capacités physiques se seraient réduites suite à l’incident avec le chien. Vous n’auriez pas gagné assez d’argent et vous ne seriez plus en mesure de payer pour les médicaments. Vous ajoutez que vous devriez rembourser 2.600.- ou 3.000.- euros à des «gens».
Monsieur, force est de constater que l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que: « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié (. ..) ».
Or, les motifs économiques et médicaux invoqués dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale ne sauraient augmenter de manière significative la possibilité que vous remplissiez les conditions pour prétendre à une protection internationale, étant donné que de tels motifs, à savoir le fait de devoir de l’argent à des amis et le souhait de soigner les séquelles psychologiques résultant d’une morsure de chien, ne sauraient fonder une demande de protection internationale parce qu’ils ne rentrent pas dans un des cas prévus par la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006.
De plus, il convient de souligner que d’après le paragraphe 2 de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006: « Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de quinze jours à compter du moment où il a obtenu ces informations. (…) ». Or, il ressort de votre récit que vous vous seriez fait mordre par un chien au cours de votre premier séjour au Luxembourg. Il aurait donc été nécessaire de déposer et de produire les éléments de preuve relative à votre deuxième demande de protection internationale dans un délai de quinze jours à compter de l’agression du chien, voire de la constatation des troubles psychologiques en découlant. Il convient cependant de constater que vous n’avez pas déposé de nouvelle demande et que vous êtes rentré volontairement en Serbie alors que les certificats versés indiquent que vous auriez déjà connu à cette époque les problèmes de santé invoqués.
Dans ce même ordre d’idée, il convient de préciser que vous avez déclaré être arrivé au Luxembourg en mai 2013, mais le dépôt de votre nouvelle demande de protection internationale ne date que de juillet 2013. Ceci confirme le fait que les problèmes que vous invoquez ne revêtent pas un caractère de gravité tel qu’ils puissent être assimilés à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006, et donc qu’ils ne sauraient augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
En outre et à titre indicatif, force est de constater que les motifs à la base de votre deuxième demande de protection internationale ont été évalués dans le cadre d’une demande de sursis à l’éloignement. Ainsi, il ressort des certificats médicaux versés que vous souffririez de stress post-traumatique, de troubles d’anxiété ainsi que de troubles de sommeil depuis que vous auriez été mordu par un chien. Or, il ressort de l’avis du Médecin délégué du Service Médical de l’Immigration que: « (..,) Vu l’examen clinique réalisé le 2 novembre 2012 par le médecin délégué; Vu les certificats médicaux du Dr …, médecin généraliste, établi en date du …, du Dr …, médecin généraliste, établi en date du …; Considérant que le pays vers lequel Monsieur … est susceptible d’être éloigné est la Serbie, et que ce pays dispose d’un système de santé aussi performant que le Luxembourg; Considérant qu’une morsure de chien mineure et bien cicatrisée chez un homme adulte en bonne santé ne peut être considérée comme une maladie dont l’absence de traitement entraine des conséquences d’une exceptionnelle gravité;
Considérant que des troubles anxieux et du sommeil ne peuvent être considérés comme une maladie dont l’absence de traitement entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité;
Considérant qu’il n’existe aucun élément prouvant qu’il existe une maladie dont l’ absence de traitement entraine des conséquences d’une exceptionnelle gravité; Considérant que la pathologie dont souffre Monsieur … peut être prise en charge dans le pays d’origine ; est d’avis que : 1. l’état de santé de Monsieur … ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité; 2. par conséquent, Monsieur … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement ».
A la lumière des remarques précédentes, je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n’avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Votre nouvelle demande en obtention d’une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable.
La présente décision est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d’un avocat à la Cour dans un délai d’un mois à partir de la notification de la présente. La décision du Tribunal administratif ne sera susceptible d’aucun appel ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à la réformation de la décision du ministre du 16 juillet 2013 qualifiée comme lui ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale et 2) à l’annulation d’un ordre de quitter le territoire prétendument contenu dans la même décision.
Le tribunal tient toutefois à souligner que la décision ministérielle lui déférée a été prise sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 - base légale figurant explicitement sur la décision en cause - de sorte qu’elle ne porte ni refus d’une (première) demande de protection internationale - mais irrecevabilité d’une nouvelle demande de protection internationale - ni ordre de quitter le territoire.
Il convient par ailleurs de relever que l’article 23 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, et non un recours en réformation, précision figurant d’ailleurs également en toutes lettres sur la décision déférée, de sorte que seul un recours en annulation aurait pu être dirigé contre la décision ministérielle critiquée.
Le recours tel qu’introduit, poursuivant la réformation de la décision du 16 juillet 2013 portant prétendument refus d’une demande de protection internationale et l’annulation d’un ordre de quitter le territoire, inexistant, est partant, comme le relève à juste titre la partie étatique, irrecevable en son double volet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement, déclare le recours tendant à la réformation de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 16 juillet 2013 irrecevable, déclare le recours tendant à l’annulation d’un ordre de quitter le territoire irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 28 août 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Annick Braun, premier juge, Olivier Poos, attaché de justice, en présence du greffier Claudine Meili s. Meili s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28/8/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 5