Tribunal administratif N° 31369 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 septembre 2012 3e chambre Audience publique de vacation du 28 août 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 31369 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2012 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 1er août 2012 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2012 ;
Vu l’ordonnance du 5 novembre 2012 du président de la troisième chambre du tribunal administratif autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2012 par Maître Frank Wies au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 décembre 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier Bova, en remplacement de Maître Frank Wies, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jaqcues en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 avril 2013.
Le 27 mai 2008, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, en dates des 17 et 25 juin 2008 et du 29 septembre 2010 sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale. A cette occasion, le demandeur déclara en substance être originaire de l’île de … en Somalie et être de nationalité somalienne. En décembre 2007, des membres de la tribu des … l’auraient accusé de leur avoir volé des outils et ils se seraient rendus dans la maison qu’il aurait habité avec son père et son frère cadet alors qu’il aurait dit la prière du soir dans la mosquée. Ils auraient demandé à son père où il se trouvait et quand ce dernier aurait refusé de leur communiquer cette information, ils l’auraient tué et auraient incendié leur maison. Son frère cadet aurait réussi à s’enfuir par la porte arrière. Par la suite, Monsieur … se serait rendu chez un ami de son père habitant un village voisin qui l’aurait aidé à embarquer sur un navire transportant du bois pour se rendre au Yémen. Arrivé à … au Yémen un Imam l’aurait mis en contact avec un homme blanc qui l’aurait accompagné en avion en Europe en faisant escale dans un pays arabe, puis en train jusqu’au Luxembourg où il aurait déposé sa demande de protection internationale. Le demandeur relata craindre la mort en cas de retour sur l’île de … et précisa que son frère aîné aurait été forcé par les membres de la tribu des … de combattre à leurs côtés à Mogadishu.
Par décision du 1er août 2012, notifiée par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, la même décision comportant l’ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Le ministre basa sa décision sur les considérations qu’il serait improbable que le demandeur ait vécu sur les îles de … dans la mesure où son récit serait vague et les faits auraient été décrits de manière superficielle tout en soulignant que Monsieur … n’aurait que très peu de connaissances de son île d’origine ou encore de la Somalie. Le ministre en conclut que les nombreuses ignorances et incohérence entacheraient la crédibilité de son récit dans son ensemble, de sorte que le demandeur n’aurait pas établi avoir été victime d’une acte de persécution ou d’une crainte de persécution ou encore d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2012, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 1er août 2012 portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte.
1) Quant au recours en réformation de la décision du ministre du 1er août 2012 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur réitère son récit quant aux faits et reproche au ministre d’avoir retenu que son récit ne serait pas crédible. Il se base notamment sur un test linguistique du 5 juin 2008 organisé par les soins des autorités luxembourgeoises qui retiendrait qu’il serait certain que sa langue maternelle serait le Ki.Bajuni et qu’il aurait pu établir de manière crédible provenir des îles de ….
La partie étatique conclut au rejet du recours au motif que les déclarations du demandeur serait contradictoires et qu’il ignorerait des informations de base sur son île et la Somalie, de sorte qu’il y aurait lieu de confirmer la décision ministérielle déférée en ce qu’elle retient que le demandeur ne provient pas des îles de …, bien qu’il soit probable de retenir que le demandeur ait vécu en Somalie.
Force est au tribunal de constater de prime abord que la décision déférée, plus amplement motivée par les écrits du délégué du gouvernement, est limitée au constat que le récit du demandeur n’est pas crédible, de sorte que ni sa nationalité somalienne ni son origine n’auraient été établies.
Or, s’il est exact que le récit du demandeur comporte certaines contradictions et imprécisions, il n’en demeure pas moins qu’il ressort de manière non équivoque du test linguistique du 2 juillet 2008 que la langue maternelle du demandeur est le dialecte du Ki.Bajuni et qu’il provient des îles de …. S’il est encore exact que le deuxième test linguistique du 19 mai 2012 reste vague quant aux conclusions à dégager de son analyse, il n’exclut cependant pas que le demandeur puisse provenir de Somalie.
Au vu des conclusions dégagées ci-avant le tribunal est amené à retenir que c’est à tort que le ministre a retenu que le récit du demandeur ne serait pas crédible.
Dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, la décision déférée ne s’est pas prononcée sur le fond de la demande de protection internationale sous analyse, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision déférée et de renvoyer l’affaire au ministre en prosécution de cause.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 1er août 2012 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Etant donné que la décision ministérielle portant refus de la protection internationale est annulée, il y a lieu d’annuler également la décision portant ordre de quitter le territoire.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er août 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 1er août 2012 portant refus d’une protection internationale et renvoie l’affaire au ministre en prosécution de cause ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 1er août 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision du ministre du 1er août 2012 portant ordre de quitter le territoire ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Hélène Steichen, attaché de justice et lu à l’audience publique de vacation du 28 août 2013, par le vice président, en présence du greffier assumé Claudine Meili.
s. Claudine Meili s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28/8/2013 Le Greffier du Tribunal administratif 4