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21/08/2013 | LUXEMBOURG | N°33224

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 août 2013, 33224


Tribunal administratif Numéro 33224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2013 Audience publique extraordinaire de vacation du 21 août 2013 Recours formé par Madame … …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33224 du rôle et déposée le 14 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître L

ouis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif Numéro 33224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 août 2013 Audience publique extraordinaire de vacation du 21 août 2013 Recours formé par Madame … …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33224 du rôle et déposée le 14 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …, déclarant être née le … à … (Sénégal) et être de nationalité sénégalaise, actuellement retenue au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 9 août 2013 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2013 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI le 19 août 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 août 2013.

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Le 25 février 2013, Madame … … introduisit une demande d’asile auprès des autorités compétentes belges, demande dont elle fut déboutée en date du 25 avril 2013. En date du 18 mai 2013, Madame … introduisit un recours contre la décision de refus de sa demande d’asile. Le 5 août 2013, Madame … se vit délivrer par les autorités belges compétentes un « document spécial de séjour » l’autorisant à séjourner sur le territoire belge en attendant qu’il ait été statué sur son recours et valable jusqu’au 4 septembre 2013.

Lors d’un contrôle dans un appartement à … le 9 août 2013, Madame … fut interpellée sur les lieux par la police grand-ducale.

Par arrêté du 9 août 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », retint que Madame … était en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont elle a la nationalité, ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel elle est autorisée à séjourner.

Par arrêté du même jour, le ministre ordonna le placement de Madame … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Ladite décision, notifiée à l’intéressée en date du même jour, est fondée sur les considérations et les motifs suivants :

« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal N° 267 du 9 août 2013 établi par l’Unité CP Strassen ;

Vu ma décision de retour du 9 août 2013 ;

Attendu que l’intéressée est démunie de tout document de voyage valable ;

Considérant que l'intéressée est signalée au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile en Belgique en date du 25 février 2013 ;

- qu'une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités belges dans les meilleurs délais ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressée seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 août 2013, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la prédite décision ministérielle de placement du 9 août 2013.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse fait valoir qu’en date du 8 août 2013 elle aurait programmé une visite de sa cousine, Madame … …, qui devait avoir lieu à …. Lors de cette visite, la cousine de la demanderesse, qui résiderait à …, aurait proposé à Madame … de venir fêter avec elle la fin du Ramadan et ce auprès d’un ami installé au Luxembourg. Comme la distance entre … et le lieu de résidence de cet ami aurait été très proche, le trajet n’aurait duré que quelques minutes, de sorte que la demanderesse n’aurait pas été consciente du fait qu’elle aurait quitté la Belgique pour entrer sur le territoire luxembourgeois. Le lendemain matin, elle aurait fait l’objet d’un contrôle aux termes duquel il aurait été constaté qu’elle se trouvait en séjour irrégulier au Luxembourg.

En droit, la demanderesse fait tout d’abord valoir que la décision déférée violerait le principe de subsidiarité attaché à la mesure de rétention, alors qu’il ne saurait être procédé à la rétention administrative de la demanderesse, et dès lors à la privation de sa liberté, que pour autant que des mesures moins coercitives devaient ne pas trouver à s’appliquer. En l’espèce, il ne résulterait en tout état de cause pas de la décision entreprise que le ministre aurait analysé la possibilité de faire bénéficier la demanderesse de mesures moins coercitives. La demanderesse donne encore à considérer qu’elle aurait pu bénéficier d’une assignation à résidence auprès de sa cousine qui serait résidente luxembourgeoise pour en conclure que la privation de liberté à laquelle elle serait confrontée serait disproportionnée par rapport aux éléments de l’espèce et que la décision encourrait l’annulation de ce chef.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

Il convient de relever que l’article 120 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 dispose qu’:

« Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement (…) l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1) [de la même loi]. (…). », tandis que l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 régit l’assignation à résidence comme suit : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la même loi]. (…) ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, l’assignation à résidence est à considérer comme mesure proportionnée bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il est satisfait aux deux exigences posées par l’article 125 (1) pour considérer l’assignation à résidence comme mesure suffisante et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si une assignation à résidence n’entre pas en compte au vu des circonstances du cas particulier1.

En ce qui concerne tout d’abord le reproche suivant lequel il ne résulterait pas de la décision entreprise que le ministre aurait analysé la possibilité de faire bénéficier la demanderesse d’une mesure moins coercitive, force est à cet égard de relever que la partie étatique a justifié 1 Cour adm. 23 décembre 2011, n° 29628C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

dans son mémoire en réponse le recours à une mesure de placement plutôt qu’à une assignation à résidence par le fait que, d’une part, la demanderesse n’aurait pas justifié de garanties de représentation suffisantes pour renverser la présomption d’un risque de fuite dans son chef, la demanderesse ayant uniquement expliqué être venue au Luxembourg pour fêter la fin du ramadan avec un ami de sa cousine, et, d’autre part, que son récit tant en ce qui concerne la référence faite à sa cousine, respectivement à sa sœur, qu’en ce qui concerne le fait qu’elle n’aurait pas eu conscience qu’elle était entrée sur le territoire luxembourgeois, ne serait pas crédible. Dans la mesure où ces motifs ont existé au moment de la prise de la décision litigieuse et que la demanderesse a pu y prendre utilement position à travers son mémoire en réplique, il y a lieu d’admettre que le choix du recours à une mesure de placement en rétention plutôt qu’à une assignation à résidence a été justifié à suffisance de droit par la partie étatique.

Le tribunal est ensuite amené à retenir qu’en l’espèce, si la demanderesse considère certes qu’une assignation à résidence serait une mesure plus appropriée, elle reste toutefois en défaut de justifier que les conditions posées par l’article 125 (1), précité sont remplies dans son chef. En effet, la seule référence à sa cousine qui résiderait au Luxembourg ou encore l’affirmation suivant laquelle elle aurait une personnalité respectueuse des règles de droit, dans la mesure où son absence du foyer au sein duquel elle aurait été hébergée en Belgique aurait été autorisée, de même que sa prétendue bonne foi concernant son ignorance d’être entrée sur le territoire luxembourgeois, sont, à défaut d’autres éléments, insuffisantes pour justifier l’existence de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, risque qui est, par ailleurs, présumé dans son chef, dans la mesure où, du fait qu’elle n’est pas en possession de documents d’identité en cours de validité, elle tombe sous les prévisions de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008. Il s’ensuit que le constat du ministre, contenu dans la décision de retour du 9 août 2013 à laquelle il est renvoyé dans l’arrêté de placement sous analyse, qu’il existe un risque de fuite dans le chef de la demanderesse et partant la décision de procéder à son placement au Centre de rétention, n’encourent aucun reproche, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

La demanderesse reproche encore au ministre de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires en vue d’écourter au maximum sa privation de liberté et d’organiser son éloignement rapide du territoire. Elle estime que les démarches en vue de son éloignement du territoire s’avéreraient insuffisantes pour permettre d’organiser rapidement son éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un laissez-passer établi en faveur de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser l’éloignement de la demanderesse, il convient de préciser qu’elle ne disposait d’aucun document d’identité valable, de sorte que son identification s’est avérée nécessaire avant de pouvoir procéder à son éloignement. A cet égard, il est constant en cause que la demanderesse n’a pas déposé de demande de protection internationale au Luxembourg, mais que les recherches effectuées par la police grand-ducale en date du 9 août 2013 après que la demanderesse ait été interpellée sur le territoire luxembourgeois ont révélé que Madame … avait déposé une demande de protection internationale en Belgique en date 25 février 2013 et que son recours introduit contre la décision de rejet de cette demande était encore en cours de traitement.

Il ressort encore du dossier administratif que le 13 août 2013, le ministre s’est adressé aux autorités belges pour leur demander si, conformément à l’article 16 (1) c) du règlement (CE) N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après le « règlement de Dublin II », elles acceptaient de reprendre Madame … en charge. Conformément à l’article 20 du règlement de Dublin II, la Belgique dispose en l’espèce d’un délai de deux semaines afin de répondre à la demande de reprise en charge des autorités luxembourgeoises. A défaut de réponse endéans ce délai, les autorités belges seront considérées comme ayant accepté la reprise en charge de la demanderesse.

Force est dès lors au tribunal de constater que dès le 9 août 2013, les autorités luxembourgeoises ont effectué des recherches sur EURODAC en vue d’identifier la demanderesse et que le ministre est entré en contact dès le 13 août 2013, soit seulement quelques jours après le placement en rétention de la demanderesse, avec les autorités belges en vue de la reprise en charge de Madame ….

Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire à cet égard de la collaboration des autorités belges, les démarches entreprises sont à considérer comme suffisantes en vue de l’obtention de l’accord de reprise en charge des autorités belges et par conséquent de documents de voyage au nom de la demanderesse. Le moyen fondé sur une absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement rapide de la demanderesse est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, la demanderesse est à débouter de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 21 août 2013 par le juge Paul Nourissier, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. Erny May s. Paul Nourissier 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 33224
Date de la décision : 21/08/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-08-21;33224 ?

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