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21/08/2013 | LUXEMBOURG | N°33210

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 août 2013, 33210


Tribunal administratif Numéro 33210 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2013 Audience publique extraordinaire de vacation du 21 août 2013 Recours formé par Monsieur … …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33210 du rôle et déposée le 12 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître

Massica BENTAHAR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif Numéro 33210 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2013 Audience publique extraordinaire de vacation du 21 août 2013 Recours formé par Monsieur … …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33210 du rôle et déposée le 12 août 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Massica BENTAHAR, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 5 août 2013, ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Katrin DJABER HUSSEIN, en remplacement de Maître Massica BENTAHAR, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 août 2013.

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Par arrêté du 5 août 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », retint que Monsieur … était en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. Par le même arrêté le ministre prononça une interdiction d’entrer sur le territoire pour une durée de cinq ans à l’égard de Monsieur ….

Par arrêté du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Ladite décision, notifiée à l’intéressé en date du même jour, est fondée sur les considérations et les motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal no 255/20131 du 5 août 2013 établi par la Police grand-ducale, unité CP Merl-Belair ;

Vu ma décision de retour du 5 août 2013 ;

Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé ont été engagées ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 août 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de placement du 5 août 2013.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours le demandeur fait grief à la décision de placement en rétention de constituer un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH », au motif qu’il se trouverait privé de sa liberté de circulation et quasiment dans la même situation qu’un délinquant de droit commun. Dans le même contexte, il fait valoir qu’une mesure privative de liberté devrait être une mesure d’exception qui ne devrait être appliquée qu’en cas d’absolue nécessité.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen.

A cet égard, le tribunal est amené à relever que l’article 3 de la CEDH dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Or, une rétention au Centre de rétention ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante, inhumaine ou humiliante. Dès lors que le demandeur se limite à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, et à défaut par lui d’indiquer concrètement en quoi ce traitement serait inhumain ou dégradant pour sa personne, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne l’article 5 de la CEDH, force est de constater qu’il n’érige pas la liberté individuelle en principe absolu et intangible, mais prévoit expressément la possibilité de déroger à ce principe notamment pour permettre le placement en rétention d’un individu puisque le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

[…] f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».

Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions invoquées de la CEDH. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires en vue d’écourter au maximum sa privation de liberté et d’organiser son éloignement rapide du territoire. Il estime que les démarches en vue de son éloignement du territoire s’avéreraient insuffisantes pour permettre d’organiser rapidement son éloignement. Le demandeur donne à cet égard à considérer qu’il aurait déjà fait l’objet d’une mesure de placement en rétention prise par arrêté ministériel du 23 octobre 2012 et que par arrêté du 22 novembre 2012, la mesure de placement aurait été levée avec effet immédiat. Il souligne à cet égard que le ministre aurait à l’époque déjà procédé à plusieurs démarches en vue de son éloignement ou transfert, de sorte qu’il serait inacceptable que la partie étatique recommence l’ensemble des démarches qu’elle aurait déjà effectuées alors qu’il serait nécessaire d’écourter au maximum sa privation de liberté.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un laissez-passer établi en faveur de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, il convient de préciser que le demandeur ne disposait d’aucun document d’identité ni d’un document de voyage valables de sorte que son identification s’est avérée nécessaire avant de pouvoir procéder à son éloignement.

Il ressort encore du dossier administratif qu’après que le ministre ait pris en date du 23 octobre 2012 un premier arrêté de placement en rétention à l’égard du demandeur, il a adressé par courrier du 9 novembre 2012 au Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège une demande d’identification pour Monsieur … en vue de la délivrance d’un laissez-passer. Cette demande a été réitérée à plusieurs reprises et ce même après que la première mesure de placement ait été levée par décision ministérielle du 22 novembre 2012. Finalement, en date du 23 juillet 2013, le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège a informé les autorités luxembourgeoises que le demandeur avait pu être identifié et que le consulat était disposé à lui délivrer un laissez-passer.

Suite à cette information, le ministre a demandé dès le 24 juillet 2013 à la police grand-ducale de procéder au signalement de Monsieur … afin de découvrir sa résidence actuelle et en cas d’interception, d’en aviser le Service de Police Judiciaire, Section Police des Etrangers et des Jeux, en vue de son placement en rétention. Ce n’est que le 5 août 2013 que la police a trouvé le demandeur dormant sur une aire de jeu à …, suite à quoi, le ministre a pris le même jour une décision de retour et l’arrêté de placement en rétention litigieux.

Le tribunal constate par ailleurs, d’une part, que par courrier du 12 août 2013, les autorités luxembourgeoises ont transmis au Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège les informations nécessaires pour l’établissement du laissez-passer du demandeur et plus particulièrement les données relatives au vol de retour vers le Maroc qui est prévu pour le 18 septembre 2013 et, d’autre part, que le 19 août 2013 les autorités marocaines ont émis un laissez-

passer pour le demandeur.

Force est dès lors au tribunal de constater que les démarches du ministre en vue de l’identification du demandeur ont abouti le 23 juillet 2013, soit, avant même que l’arrêté de placement en rétention litigieux n’ait été pris à son égard. Par ailleurs, tel que relevé ci-avant, le ministre est entré en contact dès le 9 novembre 2012 avec les autorités marocaines et suite à la réponse des autorités marocaines du 23 juillet 2013, il s’est immédiatement adressé à la police grand-ducale afin que le demandeur puisse être trouvé et placé en rétention.

Au vu de ce qui précède et plus particulièrement compte tenu du fait que les autorités marocaines se sont d’ores et déjà déclarées disposées à délivrer un laissez-passer au demandeur et que la date pour le vol du retour de ce dernier est déjà connue à ce jour, le tribunal est amené à constater qu’au moment où il statue, le ministre a à suffisance documenté les démarches entreprises, de sorte que les diligences précitées sont à considérer comme suffisantes afin de pouvoir procéder dans les meilleurs délais à l’éloignement du demandeur du territoire. Le moyen relatif à une prétendue absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement rapide du demandeur n’est dès lors pas fondé.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le demandeur est à débouter de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 21 août 2013 par le juge Paul Nourissier, en présence du greffier en chef de la Cour administrative Erny May, greffier assumé.

s. Erny May s. Paul Nourissier 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 33210
Date de la décision : 21/08/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-08-21;33210 ?

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