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02/08/2013 | LUXEMBOURG | N°33120

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 août 2013, 33120


Tribunal administratif Numéro 33120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2013 Audience publique extraordinaire du 2 août 2013 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33120 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2013 par Maître Ardavan Fatholahza

deh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif Numéro 33120 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juillet 2013 Audience publique extraordinaire du 2 août 2013 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 10, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33120 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2013 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Nigéria), et être de nationalité nigérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 1er mars 2013 et notifiée le 14 juillet 2013 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé en date du 26 juillet 2013 au greffe du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 juillet 2013.

Par courrier du 26 février 2013, la République d’Italie informa les autorités luxembourgeoises qu’elle acceptait de reprendre en charge l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur ….

Par une décision du 1er mars 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur …, que le Grand-Duché de Luxembourg était incompétent pour traiter sa demande de protection internationale et que la République d’Italie en est responsable en vertu des dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 », et des dispositions de l’article 16 1.

c) du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement n°343/2003 ».

En date du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification. Le demandeur ayant disparu, ladite décision de placement ne put lui être notifiée qu’en date du 14 juillet 2013, date à laquelle il fut interpelé par la police grand-ducale. Ledit arrêté, est basé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu l'article 10 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes compléments de protection ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport N° SPJ/15/2012/26326.1/HA du 27 décembre 2012 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un document de voyage valable ;

-

qu'il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant que l'intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 27 décembre 2012 ;

-

qu'une demande de reprise en charge en vertu de l'article 16§1e du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 a été adressée aux autorités italiennes en date du 15 février 2013 ;

-

que les autorités italiennes ont marqué leur accord de reprise en charge en date du 26 février 2013 ;

Considérant qu'un éloignement immédiat n'est pas possible ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d'éloignement ;

-

que la mesure de placement est nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert de l'intéressé vers l'Italie […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de placement en rétention du 1er mars 2013.

Etant donné que l’article 10 (4) de la loi du 5 mai 2006, tel que modifié par l’article 155-2° de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après désigné par la « loi du 29 août 2008 », institue, par renvoi à l’article 123 de la loi du 29 août 2008, un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise sur le fondement de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en réformation est recevable, pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur fait en premier lieu valoir que toute décision de placement présupposerait l’impossibilité d’exécuter une mesure d’expulsion ou de refoulement en raison d’une circonstance de fait. En l’espèce, les autorités luxembourgeoises auraient contacté les autorités italiennes en vue de sa reprise en charge et sur base des articles 16 (1) c) et 20 b) et c) du règlement n°343/2003, les autorités italiennes auraient manifesté expressément leur accord pour le reprendre en charge, de sorte qu’il n'existerait aucun empêchement légal quant à son renvoi vers l’Italie. La condition essentielle pour que son placement en rétention soit valable, à savoir l'impossibilité de son refoulement, ferait actuellement défaut, en raison de l'existence d'une possibilité effective de son refoulement.

A l’audience publique le mandataire du demandeur a encore développé son argumentaire en faisant valoir que malgré le fait que les autorités italiennes auraient accepté le 26 février 2013 de le reprendre en charge, son rapatriement vers l’Italie ne serait prévu que pour le 7 août 2013, de sorte qu’il y aurait lieu de constater un manque de diligences de la part des autorités luxembourgeoises dans le cadre de l’organisation de son rapatriement.

Le délégué du gouvernement rétorque que par son argumentation le demandeur ferait fi de l’existence du règlement n°343/2003. Il ajoute que toute opération de rapatriement nécessiterait un minimum de démarches officielles. Il rappelle dans ce contexte qu’un premier rapatriement du demandeur vers l’Italie en février 2013 n’aurait pas pu avoir lieu en raison du fait que le demandeur aurait disparu.

Conformément aux dispositions de l’article 10 (1) d) de la loi du 5 mai 2006 précitée, un demandeur de protection internationale peut, sur décision du ministre, être placé dans une structure fermée pour une durée maximale de trois mois lorsque « le placement s’avère nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert du demandeur vers le pays qui, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, est considéré comme responsable de l’examen de la demande. » Il ressort des pièces soumises au tribunal qu’un éloignement du demandeur vers l’Italie n’a pas pu avoir lieu consécutivement à l’acceptation de reprise en charge par les autorités italiennes en février 2013 en raison du fait que le demandeur avait disparu. Il ressort par ailleurs des pièces figurant au dossier administratif que dès l’interpellation du demandeur par la police grand-ducale le 14 juillet 2013 et dès la notification en date du même jour au demandeur de la décision de placement en rétention déférée, les autorités luxembourgeoises ont repris contact avec les autorités italiennes en vue de l’organisation du rapatriement du demandeur. Il s’ensuit que le demandeur rentre dans les prévisions des dispositions de l’article 10 (1) précitée, étant entendu que la concrétisation d’un transfert nécessite un minimum d’organisation, dont notamment des démarches de concertation entre les autorités compétentes des deux pays concernés.

Il ressort plus particulièrement des pièces soumises au tribunal que le demandeur s’est vu notifier la décision de placement en rétention en date du 14 juillet 2013 et que dès le lendemain, soit le 15 juillet 2013, les autorités ministérielles ont été en contact avec la police grand-ducale afin d’organiser les modalités de transfert du demandeur. Par courriel du 23 juillet 2013, l’agent de la police grand-ducale en charge du dossier informa le ministre que le transfert serait prévu pour le 7 août 2013. Il ressort dès lors des pièces et éléments soumis à l’examen du tribunal que l’autorité compétente a veillé à ce que les mesures appropriées soient prises afin d’assurer le transfert dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que le demandeur ne doive être maintenu en rétention pendant une période trop longue. Le moyen afférent du demandeur est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant aux développements du demandeur consistant à soutenir que le ministre n’aurait pas fait état d’une impossibilité matérielle de procéder à l’exécution immédiate de son éloignement, ce moyen est à rejeter pour défaut de pertinence, étant donné qu’aucune condition de ce type n’est inscrite dans l’article 10 de la loi du 5 mai 2006.

Le demandeur soutient ensuite qu’en vertu de l’article 12 de la Constitution, nul ne pourrait être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge. Or, dans la mesure où l’arrestation devrait être définie comme « l'état d'une personne appréhendée au corps », le fait qu’il aurait été arrêté et menotté par la police grand-ducale en vue de l’exécution de la décision de placement devrait être qualifié d’arrestation, sans que cette arrestation n’ait été arrêtée par une ordonnance motivée d’un juge. Partant, l’exécution de la mesure de placement aurait été effectuée en violation de l’article 12 de la Constitution.

Le demandeur fait valoir que l'article 12 de la Constitution prévoirait l'intervention du juge, respectivement du pouvoir judiciaire, dans le respect de la séparation des pouvoirs, tant pour l'arrestation que pour le placement d'un sujet de droit.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen.

Aux termes de l’article 12 de la Constitution : « La liberté individuelle est garantie. – Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit.

– Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. - Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. – Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté ».

Force est au tribunal de constater que l’article 12 de la Constitution opère une distinction entre une arrestation et un placement en disposant « (…) Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit (…) ». En effet, ces deux notions ne sont pas à confondre dans la mesure où la notion d’arrestation se définit comme le fait d’appréhender une personne en vue de sa comparution devant une autorité judiciaire, tandis que la notion de placement se définit comme le fait de placer une personne étrangère en situation irrégulière sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en rétention dans une structure fermée lorsque l’exécution d’une mesure d’éloignement ou d’une demande de transit par voie aérienne est impossible en raison de circonstances de fait.

Quant au placement en rétention, l’article 12 de la Constitution n’y consacre qu’une seule disposition en retenant que nul ne peut être placé que dans les cas et formes prévus par la loi. Les autres dispositions de l’article 12 de la Constitution se rapportent exclusivement à l’arrestation. En ce qui concerne le placement en rétention, la Constitution ne fait donc que consacrer le principe de la possibilité de placer une personne en rétention en précisant que ce placement est à effectuer conformément aux dispositions légales et en laissant de ce fait la détermination des modalités, donc des conditions et des formes du placement, au législateur.

En outre, force est encore au tribunal de relever que l’article 12 de la Constitution subordonne uniquement l’arrestation d’une personne à la condition d’une ordonnance motivée du juge, une telle condition n’étant pas requise en cas de placement d’une personne, ceci d’autant plus que l’article 10 de la loi du 5 mai 2006 donne expressément compétence au ministre ayant l’immigration dans ses attributions de prendre la décision relative au placement d’une personne.

En l’espèce, il est constant que le demandeur a fait l’objet d’un placement et non point d’une arrestation, alors qu’il a été placé au Centre de rétention en vue de son transfert vers le pays responsable de l’examen de sa demande de protection internationale. Dès lors, aucune ordonnance motivée du juge n’était requise pour le placer en rétention, de sorte que le moyen du demandeur tiré d’une violation de l’article 12 de la Constitution est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le reproche qu’il aurait été menotté lors du transfert au Centre de rétention, le seul fait, non utilement contredit par la partie étatique, que le demandeur aurait été menotté au moment de l’exécution de la mesure de rétention, ne suffit pas à faire retenir qu’il ait fait l’objet d’une arrestation. Le port de menottes n’est pas contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CEDH ». S’il ne saurait être nié que le port des menottes lors de la mise en rétention est intrinsèquement humiliant, il convient cependant de relever qu’il ne revêt pas un caractère de gravité tel qu’il serait contraire à l’article 3 de la CEDH. Cette pratique, tout comme d’ailleurs les fouilles corporelles auxquelles une personne faisant l’objet d’une mesure de rétention doit se soumettre au moment de son entrée au Centre de rétention, est une mesure de sécurité et de précaution qui ne saurait affecter la légalité de la mesure de placement en rétention.1 Le demandeur demande encore au tribunal de vérifier la légalité de la mesure litigieuse par rapport à l’article 15 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Force est au tribunal de constater que ni dans le corps de sa requête, ni lors de ses plaidoiries à l’audience, le demandeur n’a apporté aucune précision par rapport à ce moyen, de sorte, qu’à défaut de toute précision permettant au tribunal de saisir la portée du moyen, ce dernier laisse d’être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous analyse n’est justifié en aucun de ses moyens et est partant à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice président, Françoise Eberhard, vice-président, Anouk Dumont, attaché de justice, 1 CA, 16 février 2012, n°29856 du rôle, confirmant TA, 8 février 2012, n°29804 du rôle, Pas. adm.

2012, V° Etrangers, n° 698.

et lu à l’audience publique extraordinaire du 2 août 2013 à 11h00, par Claude Fellens, vice-président, en présence de Arny Schmit, greffier en chef.

Arny Schmit Claude Fellens 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 33120
Date de la décision : 02/08/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-08-02;33120 ?

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