La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/08/2013 | LUXEMBOURG | N°33106

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 août 2013, 33106


Tribunal administratif Numéro 33106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2013 Audience publique extraordinaire du 2 août 2013 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

______________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33106 du rôle et déposée le 23 juillet 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Massica Bent

ahar, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif Numéro 33106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2013 Audience publique extraordinaire du 2 août 2013 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

______________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 33106 du rôle et déposée le 23 juillet 2013 au greffe du tribunal administratif par Maître Massica Bentahar, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d'une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 10 juillet 2013, ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2013 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Massica Bentahar le 29 juillet 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Massica Bentahar et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 juillet 2013.

______________________________________________________________________________

Le 3 janvier 2013, Monsieur … fit l’objet d’un mandat d’amener. Le 11 juillet 2013, sa peine d’emprisonnement expira.

Par arrêté du 10 juillet 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministre », retint que Monsieur … était en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. Par le même arrêté le ministre prononça une interdiction d’entrer sur le territoire pour une durée de trois ans à l’égard de Monsieur ….

Par arrêté du même jour le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Ladite décision, notifiée à l’intéressée en date du même jour, est fondé sur les considérations et les motifs suivants :

« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté d'interdiction du territoire du 10 juillet 2013 ;

Attendu que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé se trouvait en détention ;

Considérant que l'intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant déposé deux demandes d'asile, en Suisse en date du 30 mars 2012 et en Autriche en date du 27 avril 2012 ;

- qu'une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de placement du 10 juillet 2013.

Etant donné que l'article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, seul un recours en réformation a pu être introduit en l’espèce.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours le demandeur fait grief à la décision de placement en rétention de constituer un traitement dégradant, constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH », au motif qu’il se trouverait privé de sa liberté de circulation et quasiment dans la même situation qu’un délinquant de droit commun. Dans le même contexte, il fait valoir qu’une mesure privative de liberté devrait être une mesure d’exception qui ne devrait être appliquée qu’en cas d’absolue nécessité.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit moyen.

A cet égard, le tribunal est amené à relever que l’article 3 de la CEDH dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Or, une rétention au Centre de rétention ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante, inhumaine ou humiliante. Dès lors que le demandeur se limite à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, et à défaut par lui d’indiquer concrètement en quoi ce traitement serait inhumain ou dégradant pour sa personne, le moyen du demandeur est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne l’article 5 de la CEDH, force est de constater qu’il n’érige pas la liberté individuelle en principe absolu et intangible, mais prévoit expressément la possibilité de déroger à ce principe notamment pour permettre le placement en rétention d’un individu puisque le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

[…] f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».

Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Le fait même d’être retenu ne saurait dès lors être remis en cause par le demandeur au regard des dispositions invoquées de la CEDH. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires en vue d’écourter au maximum sa privation de liberté et d’organiser son éloignement rapide du territoire. Il estime que les démarches en vue de son éloignement du territoire s’avéreraient insuffisantes pour permettre d’organiser rapidement son éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un laissez-passer établi en faveur de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En ce qui concerne les démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, il convient de préciser que le demandeur ne disposait d’aucun document d’identité ni d’un document de voyage valable, de sorte que son identification s’est avérée nécessaire avant de pouvoir procéder à son éloignement. A cet égard, il est constant en cause que le demandeur n’a pas déposé de demande de protection internationale au Luxembourg, mais que les recherches effectuées par la police grand-ducale en date du 14 février 2013, soit, au cours de la période de détention de Monsieur …, ont révélé que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en Autriche en date du 27 avril 2012 ainsi qu’en Suisse en date du 30 mars 2012.

Le 12 juillet 2013, le ministre s’adressa aux autorités suisses pour demander si elles acceptaient de reprendre en charge Monsieur …. Par courrier du 19 juillet 2013, le bureau fédéral de migration de la Confédération suisse informait les autorités luxembourgeoises que la Suisse n’était pas en mesure de reprendre en charge Monsieur …, au motif qu’elle avait demandé aux autorités italiennes de le prendre en charge sur base de l’article 10 (1) du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après désigné par le « règlement n°343/2003 ». Les autorités suisses ont par ailleurs précisé que dans la mesure où les autorités italiennes n’auraient pas pris position par rapport à leur requête dans le délai prévu par le règlement 343/2003, ils auraient pu présumer que l’Italie était responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … à partir de la date du 24 juin 2012.

Toutefois, un transfert de Monsieur … vers l’Italie n’aurait pas pu être réalisé par les autorités suisses, étant donné qu’il aurait entretemps disparu.

Suite aux informations reçues de la part des autorités suisses, le ministre s’est adressé en date du 22 juillet 2013 aux autorités italiennes pour solliciter de leur part la reprise en charge de Monsieur …. Selon les informations fournies par le délégué du gouvernement à l’audience publique du 31 juillet 2013, les autorités italiennes n’auraient, à cette date, pas encore répondu à la requête luxembourgeoise.

Force est dès lors au tribunal de constater que les démarches du ministre en vue de l’identification du demandeur ont débuté le 14 février 2013, soit, avant même que le demandeur n’ait purgé sa peine d’emprisonnement et qu’un arrêté de placement au Centre de rétention n’ait été pris à son égard. Par ailleurs, tel que relevé ci-avant, le ministre est entré en contact dès le 12 juillet 2013 avec les autorités suisses et que suite à la réponse des autorités suisses du 19 juillet 2013, il s’est immédiatement adressé aux autorités italiennes par message du 22 juillet 2013.

Au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire à cet égard de la collaboration des autorités italiennes, les démarches entreprises sont à considérer comme suffisantes en vue de l’obtention de l’accord de reprise en charge des autorités italiennes et par conséquent de documents de voyage au nom du demandeur.

Le moyen fondé sur une absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement rapide du demandeur est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le demandeur est à débouter de son recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice président, Françoise Eberhard, vice-président, Anouk Dumont, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 2 août 2013, à 11h00, par Claude Fellens, vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Claude Fellens 5


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 33106
Date de la décision : 02/08/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-08-02;33106 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award