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02/08/2013 | LUXEMBOURG | N°32871

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 août 2013, 32871


Tribunal administratif N° 32871 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2013 Audience publique extraordinaire du 2 août 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32871 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2013 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Tribunal administratif N° 32871 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juin 2013 Audience publique extraordinaire du 2 août 2013 Recours formé par Monsieur …, … contre trois décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 32871 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2013 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (ancienne République yougoslave de Macédoine, ci-après l’ « ARYM »), de nationalité macédonienne et demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 29 mai 2013 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre du 29 mai 2013 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2013 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Florie HUBERTUS, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline GUILLOU-JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 juillet 2013.

En date du 15 avril 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Monsieur … fut entendu en date du 14 mai 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Monsieur … affirme avoir quitté son pays d’origine, l’ARYM, en raison de problèmes financiers et de santé. Ainsi, sa grand-mère et lui auraient peiné à rembourser un prêt d’argent à la mafia macédonienne et il ne disposerait pas des moyens financiers nécessaires pour se faire soigner en ARYM.

Par une décision du 29 mai 2013, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 30 mai 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée au motif que les faits invoqués sont d’ordre purement économique et médical et qu’il n’est pas établi que Monsieur … court un risque actuel et justifié d’être persécuté en ARYM en raison de l’un des motifs de persécution prévus par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951, modifiée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967, ci-après dénommée « la Convention de Genève », et de la loi du 5 mai 2006, ni qu’il risque d’y subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, et ce d’autant plus que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2013, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 29 mai 2013 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même jour du ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Quant aux faits, le demandeur fait valoir à l’appui de ses recours qu’il aurait quitté l’ARYM en raison de son état de santé et qu’il serait venu au Luxembourg pour s’y faire soigner. Il déclare qu’en 2010, il serait tombé du troisième étage d’un immeuble et aurait depuis lors 7 attelles placées dans son corps qui l’empêcheraient d’avoir des relations avec une femme ainsi que de procréer. Un urologue lui aurait conseillé de se faire opérer, mais eu égard au coût exorbitant de ce type de traitement en ARYM, le demandeur n’aurait pas été en mesure de se faire opérer. Il affirme en outre qu’il lui aurait été impossible de prospérer dans son pays d’origine et que sa situation financière aurait été exacerbée par le fait que sa grand-

mère n’aurait touché qu’une pension de 90 euros par mois. Suite à cette situation, le demandeur aurait quitté l’ARYM pour se rendre au Luxembourg et y introduire une demande de protection internationale.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 29 mai 2013 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision du ministre déférée. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est dès lors recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur conteste avoir exposé des faits non pertinents ou d’une pertinence insignifiante en vue de l’obtention de la protection internationale. Il soutient encore que le ministre, en se limitant à qualifier de problèmes de droit commun les faits mis en avant par le demandeur sans en analyser l’impact sur les conditions de vie du demandeur dans son pays d’origine, n’aurait pas correctement évalué sa situation personnelle, de sorte que la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée serait infondée. En effet, ses problèmes de santé ainsi que l’absence de perspectives l’auraient empêché de vivre une vie normale et décente au point de l’obliger à quitter son pays d’origine. Il donne encore à considérer que ces circonstances auraient rendu sa vie insupportable en ARYM et constitueraient une torture psychologique au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme ainsi qu’une « persécution morale, psychologique ». Il renvoie dans ce contexte à un rapport d’Amnesty International de 2013 sur la Macédoine.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Plus particulièrement en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant en cause que l’ARYM figure sur la liste des pays sûrs établie par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité macédonienne et qu’il a habité en ARYM avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer en l’espèce dans le cadre de la procédure accélérée.

Au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21 (2) de la même loi oblige le ministre nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, en tout état de cause de procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de la demande de protection internationale, si le demandeur possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l'espèce, le ministre, après examen de la demande de protection internationale du demandeur, a conclu qu'il provient d'un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Or, l'analyse de la situation personnelle décrite par le demandeur à l’appui de son recours ne permet cependant pas d'en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle. En effet, il ne ressort pas des éléments soumis au tribunal que le constat ministériel quant à l’absence dans son pays d’origine de persécution généralement et de façon constante au sens de la Convention de Genève, soit ébranlé, alors que le demandeur laisse notamment de rapporter un élément concret permettant de conclure à l’absence de recours efficace en ARYM contre les violations des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

A titre superfétatoire, le tribunal relève que le rapport 2013 d’Amnesty International sur la Macédoine versé par le demandeur ne fait état que du conflit macédonien avec la Grèce, de tensions interethniques et de réformes législatives destinées à accorder une réparation aux militaires et policiers ayant combattu et subi des dommages lors du conflit armé de 2001, mais n’évoque nullement les domaines de la santé ou du contexte économique et financier de l’ARYM mis en exergue par le demandeur, de sorte qu’en l’absence de formulation de lien précis avec les faits mis en avant par le demandeur au cas d’espèce, ce rapport est à rejeter pour défaut de pertinence.

Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’invoque pas des faits démontrant que l’ARYM ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’il est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours en réformation de la décision du ministre du 29 mai 2013 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet de la requête, le demandeur soutient que le ministre aurait fait une interprétation erronée des faits de l’espèce, alors que les craintes de persécution d’ordre mental dont il fait état seraient, d’une part, justifiées dans la mesure où l’accès aux soins serait difficile en raison des coûts élevés de ces derniers et l’empêcherait de mener une vie paisible dans son pays d’origine et, d’autre part, actuelles, alors qu’en cas de retour en ARYM, il ne serait pas impossible que cette situation revête une gravité suffisante et aboutisse à une situation irrémédiable pour lui.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

De prime abord, force est au tribunal de constater que le dossier administratif recèle une contradiction entre les affirmations du demandeur quant aux motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, alors qu’au moment du dépôt de celle-ci en date du 15 avril 2013 (manuscrit traduit en date du 14 mai 2013), le demandeur a fait état de problèmes avec la mafia macédonienne liés au remboursement d’un prêt que lui aurait accordé cette dernière, tandis qu’un mois plus tard au moment de son audition en date du 14 mai 2013 par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères, le demandeur affirme que « je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas de problèmes avec la mafia » et qu’il serait « uniquement venu me faire soigner ». Il admet que sa grand-mère et lui auraient eu « une fois des problèmes lorsque nous avions emprunté de l’argent, mais nous avons réussi à rembourser tout et les problèmes se sont arrêtés » et explique que « ce sont les gens au foyer Don Bosco qui m’ont conseillé de vous mentir et de raconter que j’avais des problèmes avec la mafia » (cf page 3/5 du rapport d’audition du demandeur du 14 mai 2013).

Au vu des explications et des excuses du demandeur, le tribunal est amené à retenir que la crédibilité de ses déclarations, telles qu’actées au rapport d’audition, n’est pas ébranlée par ses explications mensongères fournies initialement lors du dépôt de sa demande de protection internationale. Toutefois, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que ce dernier reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.

Il résulte en effet des déclarations faites par le demandeur lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères que ce dernier a quitté son pays d’origine en raison de ses problèmes de santé et du manque de perspectives d’avenir. Or, des considérations purement économiques sans formulation de lien précis avec l’un des critères de la Convention de Genève ne sauraient fonder à elles seules une demande en obtention d’une protection internationale, alors qu’elles ne rentrent pas dans le champ d’application des critères de persécution de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.

En outre, le tribunal est amené à constater qu’en ce qui concerne les difficultés alléguées par le demandeur en matière d’accès aux soins, à savoir le coût élevé de ces derniers, il ne saurait ipso facto déduire de cette affirmation, même à la supposer établie quod non, un refus d’accès aux soins fondé sur l’un des critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, et ce d’autant plus, qu’il résulte des explications circonstanciées et non contestées du délégué du gouvernement que le système de santé macédonien est basé sur un régime d’assurance-

maladie obligatoire administré par une caisse nationale, que depuis une réforme de 2009, l’assurance des soins médicaux de base a été étendue aux chômeurs et sans-abris notamment, que depuis 2011 les personnes ayant un faible revenu annuel sont assurées même sans preuve de leur statut de chômeur et que les personnes n’ayant pas résidé en Macédoine durant une longue période peuvent s’inscrire à leur retour à la caisse nationale d’assurance-maladie et sont couvertes dès le jour-même.

Il s’en dégage encore que l’assurance-maladie macédonienne couvre un paquet de prestations de base au niveau primaire et secondaire qui inclut notamment des médicaments, des moyens auxiliaires médicaux ainsi que des programmes de réadaptation, de sorte qu’à défaut par le demandeur de rapporter un élément concret servant à étayer ses affirmations quant au traitement dont il aurait besoin afin de remédier à ses problèmes de santé et quant au refus de prise en charge de ce traitement par les autorités sanitaires macédoniennes, les affirmations du demandeur à cet égard restent à l’état de pure allégation et ne sauraient être prises en compte par le tribunal pour fonder une crainte de persécution au sens de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 .

Dès lors, il ne ressort d’aucun élément du dossier, ni du récit du demandeur, ni d’ailleurs des explications de son litismandataire que les faits mis en avant par le demandeur auraient trouvé leur origine dans l’un des critères fixés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social.

Au vu de ce qui précède, le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par le demandeur comme étant non fondée, et que le recours du demandeur est, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de lui accorder le statut de réfugié, à rejeter.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, tout en soulignant la situation dans laquelle il se serait trouvé eu égard à son état de santé et que cette situation répondrait à la condition de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006, alors qu’elle s’assimilerait à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine.

Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier que les problèmes de santé et l’absence de perspectives d’avenir dont le demandeur fait état puissent être qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. En effet, force est de constater, d’un côté, que le demandeur n’invoque pas qu’il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. D’un autre côté, les problèmes de santé mis en avant par le demandeur ne sauraient être qualifiés de traitement inhumain ou dégradant dans la mesure où, tel que relevé ci-avant dans le cadre de l’analyse du statut de réfugié, le demandeur n’a pas soumis au tribunal suffisamment d’éléments pour conclure qu’il ne peut pas bénéficier de soins médicaux en ARYM. Dès lors, c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 29 mai 2013 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 29 mai 2013 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la décision de réformation demandée et en raison du caractère indissociable de la première avec la décision déférée.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2. o) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 mai 2013 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 mai 2013 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 mai 2013 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Françoise Eberhard, vice-président, Anouk Dumont, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 2 août 2013 à 11.00 heures, par Claude Fellens, vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit s. Arny Schmit s. Claude Fellens 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 32871
Date de la décision : 02/08/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-08-02;32871 ?

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