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31/07/2013 | LUXEMBOURG | N°30605

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 juillet 2013, 30605


Tribunal administratif N°30605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2012 2e chambre Audience publique extraordinaire du 31 juillet 2013 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30605 du rôle et déposée le 21 mai 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosov...

Tribunal administratif N°30605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2012 2e chambre Audience publique extraordinaire du 31 juillet 2013 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 30605 du rôle et déposée le 21 mai 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo), et de son épouse, Madame …, née le … , tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation de la décision du 20 février 2012 du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration portant refus l’octroi d’un sursis à l’éloignement, respectivement la prolongation d’un sursis à l’éloignement :

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux, en remplacement de Maître Olivier Lang, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 juillet 2013.

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Le 23 octobre 2008, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 12 janvier 2009, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, informa les intéressés que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée.

Par requête déposée le 11 février 2009 au greffe du tribunal administratif, les époux … introduisirent un recours contentieux à l’encontre de la prédite décision du ministre du 12 janvier 2009, ledit recours contentieux ayant été définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 27 octobre 2009 (n° 25948C du rôle).

Les époux … sollicitèrent ensuite le bénéfice d’une tolérance sur base de l’article 22 la loi du 5 mai 2006, tolérance qui leur fut cependant refusée par décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé le « ministre », du 2 décembre 2009.

Par décision du 25 juin 2010, le ministre refusa encore le séjour aux époux … et leur ordonna de quitter le territoire sans délai, en considération de ce qu’ils n’étaient pas en possession d’un passeport en cours de validité, qu’ils ne justifiaient pas l’objet et les conditions du séjour envisagé, qu’ils ne justifiaient pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie et qu’ils n’étaient en possession ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail.

Par décision séparée du même jour, le ministre ordonna également le placement des époux … au Centre d’accueil intérimaire en vue d’un départ accompagné pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification des arrêtés en question, en considération des décisions précitées portant refus de séjour dans leur chef, de ce qu’ils étaient démunis de tout document de voyage valable, de ce qu’un accord de réadmission avait été délivré par les autorités kosovares en date du 15 décembre 2009 et de ce que ledit placement s’imposait en attendant l’organisation du départ qui serait effectué dans les meilleurs délais.

Par requête déposée le 6 juillet 2010, les époux … ont fait introduire un recours en annulation contre les décisions ministérielles précitées du 25 juin 2010 portant refus de séjour dans leur chef et ordre de quitter le territoire, recours qui a été rejeté par jugement du 27 avril 2011 du tribunal administratif (n°27076 du rôle).

Par courrier de leur mandataire du 8 juillet 2010, auquel fut annexé un certificat du Dr.

Julien Sand, médecin spécialiste en maladies internes, du 6 juillet 2010, les époux sollicitèrent un sursis à l’éloignement en raison d’une anémie sévère dont souffrirait Madame …-… et qui nécessiterait un traitement intraveineux d’une durée de 3 mois.

Par décision du 15 juillet 2010, le ministre, sur avis du 14 juillet 2010 du médecin délégué du Service médical de l’Immigration de la Direction de la Santé conformément aux articles 130 à 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », accorda aux époux … le sursis à l’éloignement jusqu’au 14 janvier 2011, ce sursis ayant été prolongé jusqu’au 18 mai 2011 par la décision ministérielle du 21 février 2011.

Par courrier de leur mandataire du 19 avril 2011, auquel fut annexé un certificat du Dr.

…, médecin spécialiste en psychiatrie, du 5 avril 2011, les époux … sollicitèrent la prolongation de leur suris à l’éloignement en raison de l’aggravation de l’état clinique de Madame …-… et au regard du fait qu’une expulsion au Kosovo pourrait avoir des conséquences dramatiques sur sa santé psychique.

Par décision du 30 mai 2011, le ministre refusa, sur avis du médecin délégué du même jour, aux époux … la prolongation de leur sursis à l’éloignement. Par courriers de leur mandataire du 1er juin 2011, du 27 juin 2011 et du 12 septembre 2011, auxquels furent annexés un certificat du Dr. …, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique, du 31 mai 2011, respectivement deux certificats du Dr. … du 8 juin et du 25 août 2011, les époux sollicitèrent la prolongation de leur suris à l’éloignement en raison de la grossesse à risque de Madame …-…, ainsi que de l’aggravation de son état clinique due au fait qu’elle ne pourrait plus prendre les médicaments nécessaires à cause de la grossesse.

Le ministre, par décisions du 9 juin, 12 juillet et 19 septembre 2011, sur avis du 8 juin, 4 juillet, respectivement 15 septembre 2011 du médecin délégué du Service médical de l’Immigration de la Direction de la Santé, refusa la prolongation du sursis à l’éloignement aux époux … en confirmant la décision du 30 mai 2011.

Par requête déposée le 20 octobre 2011 au greffe du tribunal administratif, (numéro 29405 du rôle) les époux … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles du 30 mai 2011, 9 juin 2011, 12 juillet 2011 et 19 septembre 2011 en ce qu’elles portent refus de leurs demandes en prolongation d’un sursis à l’éloignement. Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 janvier 2012, les consorts … ont introduit une demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde concernant les prédites décisions des 30 mai, 9 juin, 12 juillet et 19 septembre 2011, demande qui a été déclarée non-fondée par une ordonnance du 20 janvier 2012 du président du tribunal administratif.

Par courriers de leur mandataire des 9 et 15 févriers 2012, auxquels fut annexé un certificat du Docteur …, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique, du 2 février 2012, ainsi qu’un certificat du Docteur …, médecin spécialiste en psychiatrie, les époux … sollicitèrent la prolongation de leur suris à l’éloignement en raison de la grossesse à risque de Madame …-… l’empêchant de poursuivre sa médicamentation par antidépresseurs et anxiolytiques.

Par décision du 20 février 2012, le ministre refusa aux époux … la prolongation de leur sursis à l’éloignement. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains vos courriers des 9 et 15 février 2012 dans lesquels vous sollicitez à nouveau un sursis à l'éloignement pour le compte de vos mandants.

Il y a lieu de rappeler que la prolongation du sursis à l'éloignement initialement accordé à vos mandants a été refusée par décision du 30 mai 2011, confirmée par nos courriers des 9 juin 2011, 12 juillet 2011 et 19 septembre 2011 après nouvelles saisies du médecin délégué du Service Médical de l'Immigration de la Direction de la Santé.

La présente pour vous informer que le médecin délégué du Service Médical de l'Immigration de la Direction de la Santé a de nouveau été saisi le 15 et 16 février 2012 et suivant avis du 17 février 2012, un nouveau sursis à l'éloignement est refusé à Madame … conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que « Vu le certificat médical du Dr …, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique établi en date du 7 février 2012 ; Considérant que ce certificat est plutôt succinct et peu précis car ne contenant ni l'âge de la grossesse ni la date présumée de l'accouchement ; Considérant que la grossesse n'est pas une maladie aux conséquences d'une exceptionnelle gravité et que la prise en charge d'un suivi de grossesse et d'un accouchement sont possibles dans le pays d'origine ;

Considérant que le risque de fausse couche en début de grossesse et interviendra ou n'interviendra pas indépendamment de la procédure ; Vu le certificat médical du Dr … …, médecin spécialis[t]e en psychiatrie, établi en date du 15 février 2012 ; Vu les avis exhaustifs du médecin délégué en date du 15 septembre 2011 et 4 juillet 2011 ; Considérant que le certificat du Dr … … établi en date du 15 février 2012 confirme les dires précédents du médecin délégué : - les troubles psycho-somatiques de Madame …-… … sont essentiellement dus à une relation conflictuelle avec leurs deux familles et belles-familles suite à leur mariage interethnique ; - les troubles psycho-somatiques de Madame …… … sont essentiellement dus à la crainte d'un retour vers son pays d'origine engendrant par ce fait toute la pathologie ; - les signes cliniques comme troubles du sommeil, anxiété, tristesse, sentiment d'infériorité , image négative de soi et un sentiment d'injustice ne peuvent être considérés comme «une maladie aux conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas d'absence de traitement », Considérant que si l'angoisse et le stress d'une expulsion (et le syndrome dépressif y associé) devrait donner systématiquement lieu à un sursis à l'éloignement il n'y aura plus d'éloignement tournant dès lors le système d'éloignement à dérision ; Considérant que la prise en charge de Madame …-… … peut être réalisées dans le pays d'origine (…) l'état de santé de …-… … ne nécessite plus une prise en charge médicale au Luxembourg, dont le défaut serait susceptible d'entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, par conséquent …-… … ne remplit plus les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement » (…) ».

Par requête déposée le 21 mai 2012 au greffe du tribunal administratif, les époux … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 20 février 2012 en ce qu’elle porte refus de leur demande en prolongation d’un sursis à l’éloignement Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l’égard d’une décision rendue en matière de sursis à l’éloignement, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement conclut tout d’abord à l’irrecevabilité du recours en déniant l’intérêt à agir aux demandeurs et soutient encore que le recours serait devenu sans objet, étant donné que Madame …-… aurait donné naissance à un enfant en date du 6 septembre 2012.

L’intérêt à agir est l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2. En matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait et en droit d’un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif3.

La recevabilité d’un recours est encore conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement. L’exigence de la subsistance de l’objet du recours est en général liée à l’exigence du maintien de l’intérêt à agir, et plus particulièrement de l’intérêt à voir sanctionner l’acte faisant l’objet du recours, étant précisé que l’existence d’un tel intérêt à agir présuppose que la censure de l’acte querellé soit de nature à procurer au demandeur une 1 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n°247.

2 trib. adm. prés. 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.

3 Cour adm. 17 juillet 2009, n°23857C et 23871C du rôle, Pas adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 2 et les autres références y citées.

satisfaction personnelle et certaine. Si, suite à l’introduction du recours, l’acte dont l’annulation est recherchée à travers le recours disparaît, le recours devient sans objet, le demandeur n’ayant a priori et sauf circonstances particulières, plus aucun intérêt à poursuivre un recours contre un acte ayant disparu et qui ne lui fait plus grief4.

En l’espèce, au jour de l’introduction du recours, Madame …-… n’avait pas encore donné naissance à un enfant, de sorte que la décision du ministre du 20 février 2012 était susceptible de lui faire grief en ce qu’elle lui refusait l’octroi d’un sursis à l’éloignement.

L’existence d’une décision administrative susceptible d’un recours étant vérifiée en l’espèce, il convient de retenir que le recours sous analyse avait, au jour de son introduction, un objet. Il échet par ailleurs de constater que suite à l’introduction du recours, seules les circonstances factuelles à la base de la demande d’un sursis à l’éloignement ont changé, dans la mesure où l’enfant de Madame …-… est né le 6 septembre 2012, la décision dont l’annulation est sollicitée continuant cependant à produire ses effets, de sorte que l’objet du recours subsiste.

Le recours déposé le 21 mars 2012, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est partant à déclarer recevable.

Alors que les demandeurs ont sollicité du tribunal la jonction du présent recours avec un recours susmentionné portant le numéro de rôle 29405, il échet de constater que le tribunal ne saurait faire droit à cette demande dès lors que les deux recours portent sur des décisions et des considérations de faits différentes, le présent recours portant sur une décision ministérielle du 20 février 2012 refusant une demande de prolongation du sursis à l’éloignement fondée sur une grossesse à risque de Madame …-…, tandis que le recours introduit le 20 octobre 2011 vise la décision du 19 septembre 2011 du ministre refusant d’une prolongation du sursis à l’éloignement des époux … en raison de troubles psychosomatiques de Madame …-…. Les deux recours présentent partant des objets différents, de sorte qu’il n’y a pas lieu de prononcer une jonction.

A l’appui de leur recours, les demandeurs déclarent être nés au Kosovo, le demandeur étant albanais et la demanderesse bochniaque. Ils exposent avoir dû quitter le Kosovo en octobre 2008.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que le renvoi dans la requête introductive d’instance à des moyens développés dans le cadre du recours portant le numéro de rôle 29405 qui, de ce fait, sont censés faire partie intégrante de celle-ci comme argumentation et développement en droit est en contradiction avec l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, qui exige notamment que la requête introductive d’instance contienne un exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, ainsi que l’objet de la demande. Conformément à cette disposition législative, le contenu de la requête délimite le recours tel qu’introduit devant le tribunal administratif et partant le débat juridique soumis au tribunal, à l’exception de l’hypothèse dans laquelle, suivant une jurisprudence constante des juridictions administratives, l’autorité ayant pris la décision querellée est autorisée à soumettre aux juridictions administratives, en cours d’instance contentieuse, des motifs complémentaires, droit dont le corollaire constitue pour la partie demanderesse la possibilité et le droit d’en discuter le bien-fondé pour la première fois dans le cadre de son mémoire en réplique, cette hypothèse n’étant cependant pas vérifiée en l’espèce. Il s’ensuit que le tribunal ne tiendra pas compte de l’argumentation et des 4 trib. adm. 20 octobre 2010, n°26758 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n°23.

développements en droit contenus dans la requête introductive d’instance du 20 octobre 2011 et portant le numéro 29405 du rôle comme devant faire partie du présent recours.

En droit, les demandeurs concluent en premier lieu à une absence de motivation de la décision ministérielle déférée en violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Ils font valoir que la décision litigieuse renverrait uniquement à l’avis du médecin délégué et en reproduirait des extraits, sans contenir la preuve de l’exactitude matérielle des faits sur lesquels elle se base, ni de la pertinence et de l’objectivité de ses motifs. Ils soulignent encore que conformément à l’article 131 (3) de la loi du 29 août 2008, le ministre serait seul compétent pour décider de l’octroi d’un sursis à l’éloignement et ne serait pas lié par l’avis du médecin délégué.

Les demandeurs font ensuite état d’une violation de la loi et plus particulièrement des articles 130 et 131 de la loi du 29 août 2008, d’une part, en ce qu’ils rapporteraient la preuve sur base de certificats médicaux que l’état de santé de Madame …-…, caractérisée par une grossesse à risque avec saignements et un état de stress nécessitant un suivi psychiatrique, nécessiterait une prise en charge dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et, d’autre part, en ce qu’elle ne pourrait pas bénéficier du traitement nécessaire dans son pays d’origine. Enfin, les demandeurs font valoir que, contrairement aux constatations du médecin délégué, d’une part, les certificats des docteurs … et … préciseraient « l’âge de grossesse » de Madame …-…, et, d’autre part, le risque de fausse couche aurait dû être analysé ensemble avec la pathologie psychiatrique de Madame …-….

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de la décision litigieuse et notamment le moyen tiré d’une absence de motivation de la décision ministérielle litigieuse du 20 février 2012, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, dans les seules hypothèses énumérées de manière limitative à l’alinéa 2 dudit article 6, et notamment, lorsque, comme en l’espèce, elle refuse de faire droit à la demande des intéressés.

Le tribunal est amené à retenir que les motifs gisant à la base de la décision de refus de la prolongation du sursis à l’éloignement ressortent à suffisance de droit de la décision litigieuse ensemble l’avis du médecin délégué auquel la décision renvoie et qui y était annexé.

Il résulte, en effet, du libellé ci-avant relaté de ladite décision que le ministre a indiqué, de manière succincte, mais suffisante, dispositions légales à l’appui, les motifs qui l’ont amené à retenir que l’état de santé de Madame …-… ne nécessiterait pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

La circonstance que le ministre a motivé sa décision par référence à l’avis du médecin délégué ne permet pas de retenir un défaut de motivation, étant précisé que même si le ministre n’est pas lié par l’avis du médecin délégué, il lui est néanmoins loisible de se rallier à l’opinion de celui-ci.

Il s’ensuit que la décision déférée contient l’indication tant des circonstances de fait que de la cause juridique à sa base, de sorte qu’elle est motivée à suffisance de droit, étant précisé que l’indication des motifs au regard des exigences de l’article 6 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 ne doit être que sommaire. A titre superfétatoire, il convient encore d’ajouter que la décision litigieuse a, par ailleurs, encore été complétée par les explications fournies par le délégué du gouvernement à l’instance, de sorte que les demandeurs n’ont pas pu se méprendre sur les raisons à la base de la décision litigieuse. Partant le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs de la décision litigieuse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au fond, il convient d’abord de rappeler l’article 130 de la loi du 29 août 2008 selon lequel : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné ».

L’article 131 de la même loi précise que : « (1) L’étranger qui satisfait aux conditions énoncées à l’article 130 peut obtenir un sursis à l’éloignement pour une durée maximale de six mois. Ce sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans ».

Il résulte de ces dispositions que pour pouvoir bénéficier d’un sursis à l’éloignement, l’étranger qui ne doit pas présenter une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, doit établir, en premier lieu, que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, ensuite, qu’il ne peut pas effectivement bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné.

Quant à la maladie susceptible d’être prise en compte aux termes de l’article 130, précité, il convient de se référer aux travaux préparatoires ayant abouti à la loi du 29 août 2008 qui renseignent au sujet de l’article 131 que : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur ». 5 A l’appui de leur demande en obtention d’une prolongation du sursis à l’éloignement, les demandeurs ont versé un certificat du Docteur …, médecin spécialiste en gynécologie-

obstétrique, du 7 février 2012, ainsi qu’un certificat du Docteur …, médecin spécialiste en psychiatrie, du 15 février 2012 certifiant que Madame …-… présenterait une grossesse à risque avec des saignements l’empêchant de poursuivre sa médicamentation par antidépresseurs et anxiolytique.

5 Doc. parl. n° 5802, projet de loi 1) portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration ; 2) modifiant - la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection ; - la loi modifiée du 29 avril 1999 portant création d'un droit à un revenu minimum garanti ; - le Code du travail ;

- le Code pénal ; (…) – Commentaire des articles, p.86.

Sur base des prédits certificats des Docteur … et … du 7, respectivement du 15 février 2012, le médecin délégué a retenu dans son avis du 17 février 2012, précité, que l’état de santé de Madame …-… ne nécessiterait plus une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Il convient dès lors d’examiner si les arguments des demandeurs permettent d’infirmer ce constat du médecin délégué, c’est-à-dire s’ils ont fourni suffisamment d’éléments permettant de retenir qu’au jour de la prise de la décision litigieuse, l’état de santé de Madame …-… ait été tel qu’il nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Force est de constater que le médecin délégué a pris en considération les certificats des Docteur … et … du 7, respectivement du 15 février 2012 pour arriver à la conclusion que les troubles décrits par ces derniers ne peuvent être considérés comme une maladie entraînant pour l’intéressée des conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas d’absence de traitements.

Le tribunal est amené à retenir qu’il ne ressort pas des éléments et pièces du dossier que les problèmes de santé de la demanderesse sont, contrairement à l’avis du médecin délégué ainsi exprimé, à qualifier de maladie grave qui, sans traitement ou soins médicaux, entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité, notamment celles qui peuvent causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. En effet, le certificat du Docteur … du 7 février 2012 n’atteste pas que le défaut de traitement de la maladie de la demanderesse entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité tel que relevé dans les documents parlementaires précités, le Docteur … se limitant d’affirmer que Madame …-… serait enceinte et qu’il s’agirait « d’une grossesse à risque avec saignements. Elle a ses antécédents de fausse couche. Elle ne peut pas faire de gros efforts et de longs trajets sont contre-indiqués », sans se prononcer ni sur un éventuel traitement ni sur les conséquences d’un éventuel défaut de traitement de l’état de Madame …-

…. En ce qui concerne le certificat du Docteur … du 15 février 2012, force est encore au tribunal de constater qu’il se limite à décrire la pathologie psychiatrique de Madame …-…, à savoir « une anxiété généralisée avec une méfiance du monde extérieur, un état de détresse avec tristesse et idées noires, un sentiment d’infériorité et image négative de soi, un sentiment[…] d’injustice en rapport avec son vécu actuel et ancien, [ainsi que] des troubles du sommeil », le traitement prescrit étant un suivi psychothérapeutique, étant donné qu’à cause de la grossesse, Madame …-… serait dans l’impossibilité de poursuivre sa médicamentation par antidepresseurs et anxiolytiques, le Docteur … ne se prononçant cependant pas sur les conséquences d’un éventuel défaut de traitement de la maladie de Madame …-….

Il s’ensuit que la demanderesse ne remplit pas la première condition posée par l’article 130 de la loi du 29 août 2008, à savoir que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que la condition tenant à l’existence d’une maladie nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour la demanderesse des conséquences d’une exceptionnelle gravité n’est pas remplie en l’espèce, la question de savoir si la demanderesse peut bénéficier d’un traitement adéquat dans son pays d’origine devient surabondant.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandeurs n’ont pas rapporté d’éléments probants de nature à renverser le constat du ministre que les conditions de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 afin de bénéficier de la prolongation du sursis à l’éloignement ne sont pas remplies dans leur chef.

C’est partant à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs un sursis à l’éloignement.

Il suit dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

rejette la demande tendant à la jonction avec le recours portant le n° 29405 du rôle ;

reçoit le recours en annulation contre la décision ministérielle du 20 février 2012 en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 31 juillet 2013 par le vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Françoise Eberhard 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 30605
Date de la décision : 31/07/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-07-31;30605 ?

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