Tribunal administratif N° 30692 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2012 1re chambre Audience publique du 8 juillet 2013 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du bourgmestre de la commune de Reisdorf en matière de fermeture de chantier
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 30692 du rôle et déposée le 14 juin 2012 au greffe du tribunal administratif par Maître Lucien WEILER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’un arrêté du bourgmestre de la commune de Reisdorf du 16 février 2012 portant fermeture de chantier en rapport avec des travaux de construction, transformation et agrandissement d’un garage double sur un fonds sis dans la commune de Reisdorf, section A de …, inscrit au cadastre de la commune de Reisdorf sous le numéro …, ainsi que d’une décision confirmative du 18 mai 2012, intervenue sur recours gracieux du 23 avril 2012 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Georges WEBER, demeurant à Diekirch, du 15 juin 2012, portant signification de ladite requête introductive d’instance à l’administration communale de Reisdorf, représentée par son bourgmestre actuellement en fonctions, établie et ayant ses bureaux à la maison communale sise à L-9391 Reisdorf, 2, place de l’Eglise ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 juin 2012 par Maître Daniel CRAVATTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Reisdorf ;
Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 2012 par Maître Daniel CRAVATTE au nom de l’administration communale de Reisdorf ;
Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 octobre 2012 par Maître Lucien WEILER au nom de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 novembre 2012 par Maître Daniel CRAVATTE, au nom de l’administration communale de Reisdorf ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christian BILTGEN, en remplacement Lucien WEILER et Maître Daniel CRAVATTE en leurs plaidoi… respectives à l’audience publique du 10 juin 2013.
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Le 5 août 2011, le bourgmestre de la commune de Reisdorf, dénommé ci-après « le bourgmestre », délivra sous le n°9/2011 à Monsieur …, une autorisation de bâtir pour la construction d’un garage double sur un fonds situé dans la commune de Reisdorf, section A de …, inscrit au cadastre de la commune de Reisdorf sous le numéro …, fonds classé d’après le plan d’aménagement général de la commune de Reisdorf en secteur à caractère rural.
Le 16 septembre 2011, le bourgmestre délivra sous le n°13/2011 à Monsieur … une nouvelle autorisation de bâtir ayant cette fois pour objet la transformation et l’agrandissement d’un garage sur le même fonds.
Par arrêté du 16 février 2012, le nouveau bourgmestre ordonna la fermeture immédiate du chantier en rapport avec les travaux de transformation et d’agrandissement, au motif que l’autorisation de bâtir n’aurait pas été observée dans la mesure où celle-ci aurait prévu que les travaux doivent se faire en respect des dispositions légales et réglementaires en vigueur mais qu’en l’espèce les travaux effectués contreviendraient à l’article 25 du règlement sur les bâtisses de la commune de Reisdorf, en ce que la marge de reculement arrière minimale prévue par ledit article n’aurait pas été respectée en l’espèce.
Par courrier de son mandataire du 23 avril 2012, Monsieur … fit introduire un recours gracieux contre ledit arrêté de fermeture de chantier.
Par décision du 18 mai 2012, le bourgmestre confirma l’arrêté de fermeture de chantier du 16 février 2012, décision libellée comme suit :
« Par la présente nous accusons bonne réception de votre recours gracieux du 23 avril 2012 à l’encontre de notre décision de fermeture de chantier du 16 avril 2012.
Malheureusement, nous ne pouvons y donner une suite favorable, alors que l’autorisation de construire délivrée à Monsieur … précise clairement que la construction projetée doit respecter le règlement des bâtisses de la commune de Reisdorf.
Or, l’article 25 de ce dernier fixe la marge de reculement arrière minimale, en secteur à caractère rural, à 2,50 mètres, distance non respectée par votre client.
L’autorisation de construire en question ne prévoit, par ailleurs, pas d’exception quant à cette règle, et les attestations testimoniales versées par vos soins, établies par des anciens responsables communaux, après l’échéance de leur mandat, n’ont aucune incidence à cet égard.
Partant la commune se voit obligée de rejeter votre recours gracieux (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2012, inscrite sous le numéro 30692 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de l’arrêté de fermeture de chantier précité du 16 février 2012, ainsi que de la décision confirmative du bourgmestre du 18 mai 2012.
Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en matière de fermeture de chantier, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de l’arrêté de fermeture actuellement déféré, lequel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours en réformation introduit à titre subsidiaire.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose que la parcelle destinée à accueillir le garage aurait auparavant appartenu à son père, lequel aurait, par acte notarié du 26 février 1962, cédé une partie de la parcelle initiale à la commune de Reisdorf, afin de permettre à celle-ci d’élargir et de réaménager le cimetière de …. Il souligne que suite à cette cession de terrain, la commune aurait procédé, avec l’accord de son père, à la construction d’un mur de soutènement du cimetière, mur qui n’aurait pas respecté les distances de recul prévues par le règlement des bâtisses. Monsieur … précise que suite à un incendie, la grange qui aurait existé sur la parcelle en question aurait été entièrement détruite et que seul le pignon rapproché au mur de soutènement du cimetière, ainsi que les fondations de cette grange auraient été préservés, Monsieur … précisant en outre que l’emplacement de la grange en question résulterait notamment des photos aériennes versées en cause, de même que du plan cadastral annexé à l’acte de cession de 1962. Le demandeur souligne encore qu’il se serait vu accorder une autorisation de construire un garage double sur l’emplacement de l’ancienne grange en date du 5 août 2011, autorisation qui aurait été « complétée » par une deuxième autorisation lui délivrée le 16 septembre 2011, laquelle aurait eu comme objet de transformer et d’agrandir son garage, conformément au « croquis » annexé à sa deuxième demande. Il explique que suite aux élections communales, les élus politiques de la commune de Reisdorf auraient changé et que le nouveau bourgmestre aurait prononcé la fermeture de son chantier en date du 16 février 2012.
En droit, le demandeur estime que l’arrêté de fermeture de chantier devrait encourir l’annulation pour violation de la loi, respectivement pour excès, sinon détournement de pouvoir, ou encore pour incompétence, sinon pour violation des formes destinées à protéger les intérêts privés. Ainsi, il explique que l’ancien bourgmestre lui aurait délivré l’autorisation de construire son garage sur l’emplacement de l’ancienne grange et il précise que le même bourgmestre aurait « en tant que représentant du propriétaire », renoncé au respect des marges de recul telles que prévues par la règlementation urbanistique en vigueur. Il se prévaut en outre d’un droit acquis à pouvoir ériger le garage sur l’emplacement des anciennes fondations, en rappelant que l’ancienne grange aurait été préexistante au règlement sur les bâtisses actuellement en vigueur et que la renonciation réciproque au respect des marges de recul daterait quant à elle des années 1960.
Monsieur … affirme en effet que cette renonciation résulterait à suffisance de l’accord intervenu en 1962, ainsi que d’une décision orale de la part d’anciens élus locaux tel que cela découlerait des attestations testimoniales de ceux-ci. Il explique plus particulièrement qu’il résulterait de ces attestations testimoniales, dont la véracité ne saurait être mise en doute, que la commune avait décidé de renoncer au respect des marges de recul conformément à l’article 38 d) du règlement sur les bâtisses et il conclut qu’en prenant l’arrêté de chantier déféré, le bourgmestre aurait violé le principe de légitime confiance qu’un administré devrait pouvoir avoir envers l’administration.
L’administration communale rétorque qu’il résulterait tant de l’autorisation de construire du 5 août 2011, que de celle du 16 septembre 2011, que la construction à ériger sur la parcelle en question devra respecter les dispositions légales et règlementaires en vigueur. Elle explique que l’article 25 de son règlement sur les bâtisses prévoirait une marge de reculement arrière minimale de 2,50 mètres et que cette marge de reculement n’aurait pas été respectée en l’espèce.
L’administration communale estime qu’au vu de cette violation manifeste de l’autorisation de construire, le bourgmestre n’aurait pas eu d’autre possibilité, en application de son pouvoir de police, de prendre un arrêté de fermeture de chantier.
En ce qui concerne l’accord de l’ancien bourgmestre dont se prévaut le demandeur, l’administration communale met en exergue le fait que l’autorisation de construire dont disposerait le demandeur ne contiendrait non seulement aucune indication quant à une éventuelle renonciation du respect des marges de recul, mais préciserait clairement que ces marges devraient être respectées. En se prévalant de diverses jurisprudences, l’administration communale affirme en outre que l’attestation testimoniale émanant de l’ancien bourgmestre, lequel serait toujours membre du conseil communal, ne saurait être prise en compte dans la mesure où dans ladite attestation, le bourgmestre se prononcerait sur le contenu d’une autorisation dont il serait lui-
même l’auteur, de sorte à essayer ainsi de modifier a posteriori ladite autorisation de construire.
L’administration communale estime qu’admettre une telle façon de procéder « ouvrirait la porte à tous les abus, alors que les bourgmestres pourraient, une fois qu’ils ont dû abandonner leur fonction, modifier à leur gré leurs propres décisions ». En ce qui concerne la seconde attestation testimoniale produite par le demandeur, l’administration communale souligne que son auteur, Monsieur …, réaffirmerait que l’autorisation de construire litigieuse aurait été accordée à Monsieur … sur base du règlement sur les bâtisses en vigueur, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure que le demandeur ne rapporte pas la preuve d’un accord de la part de la commune à ne pas voir respecter les marges de recul. Elle estime encore que le demandeur ne saurait pas se prévaloir de l’article 38 d) du règlement sur les bâtisses, étant donné que cet article ne trouverait application que pour des dépendances non prévues à des fins d’habitations et d’une hauteur maximale de 3 mètres, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce et elle en conclut que les attestations testimoniales produites par le demandeur seraient de ce fait à écarter pour ne pas être pertinentes.
En ce qui concerne le droit acquis dont se prévaut le demandeur, l’administration communale met en doute l’existence même d’une ancienne grange sur le fonds en question, et elle estime qu’il ne résulterait en tout état de cause pas des photos versées en cause sur quelle distance cette prétendue grange avait réellement été établie pour ensuite affirmer que le plan cadastral annexé à l’acte de cession entre la commune et le père du demandeur ne contiendrait aucune indication quant à l’existence d’un immeuble qui se serait trouvé à l’endroit où est actuellement construit le garage et qualifierait la parcelle destinée à accueillir le garage de pré, de sorte qu’il ne serait pas établit que l’ancienne grange se serait trouvée à une distance inférieure de 2,50 mètres par rapport au mur de soutènement du cimetière et que le demandeur ne saurait partant se prévoir d’un droit acquis. L’administration communale estime encore que même à supposer que ladite grange se serait trouvée effectivement au même endroit que le garage du demandeur, une telle situation illégale ne créerait aucun droit individuel dans le chef du demandeur à achever la construction du garage et elle précise qu’en tout état de cause, Monsieur … ne saurait se prévaloir d’un droit acquis étant donné qu’il n’existerait aucun acte administratif individuel créateur de droits en l’espèce. Elle souligne en outre que même si la grange en question avait préexisté au règlement sur les bâtisses, il n’en resterait pas moins que l’autorisation de construire le garage litigieux serait postérieure à l’entrée en vigueur dudit règlement sur les bâtisses, de sorte que le bourgmestre aurait été obligé de prendre sa décision conformément à la réglementation urbanistique en vigueur.
L’administration communale fait encore valoir que les deux autorisations de construire délivrées au demandeur se référeraient expressément à un garage double, alors qu’il résulterait des photos versées en cause que le demandeur semble « vouloir implanter un étage supérieur sur ce garage pour probablement aménager ce dernier à des fins d’habitation », de sorte que l’arrêté de fermeture de chantier serait également justifié sur ce point. Elle soutient que même si les « dessins » versés par le demandeur prévoyaient également un tel étage, ces « croquis » ne seraient revêtus d’aucun tampon, ni signature, de la part de la commune ou d’une autre autorité administrative, de sorte que leur origine et leur éventuelle validation seraient contestables et contestées. Finalement, et en se prévalant d’une décision de justice, l’administration communale affirme qu’un arrêté de fermeture de chantier serait pris à la seule initiative du bourgmestre et n’aurait pas besoin d’être motivé.
Dans son mémoire en duplique, la commune semble finalement reconnaître l’existence antérieure d’une grange sur la parcelle en question, et elle se base sur des photos, ainsi que sur le plan cadastral versé par le demandeur, pour affirmer que le demandeur n’aurait pas érigé son garage sur les anciennes fondations de la grange en question, alors que ledit garage serait bien plus rapproché du mur du cimetière que l’ancienne grange. Finalement, elle conclut que si l’ancienne grange ne devait pas respecter les marges de recul, il en irait autrement d’un immeuble destiné à des fins d’habitation comme cela serait le cas en l’espèce, étant donné qu’un tel immeuble ne pourrait pas bénéficier des dérogations prévues à l’article 38 du règlement sur les bâtisses.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Il y a de prime abord lieu de rappeler, au-delà des arguments et moyens échangés de part et d’autre, que le tribunal n’est pas saisi en la présente affaire d’un litige relatif à la légalité d’une autorisation de construire, mais d’une mesure de fermeture de chantier découlant de la constatation par l’autorité communale compétente de la réalisation par le demandeur de travaux non couverts par une autorisation de construire, respectivement non autorisés par l’autorisation de bâtir délivrée, à savoir d’une décision prise à la seule initiative du bourgmestre qui, en vertu de son pouvoir de police, est en droit de fermer tout chantier contraire aux dispositions du plan d’aménagement général et du règlement sur les bâtisses de sa commune, et notamment celui qui, au cas où une autorisation communale est exigée sur base des dispositions réglementaires précitées, n’a pas été autorisé1, ou ne respecte pas les dispositions de l’autorisation délivrée, de telles décisions n’ayant pas pour objet de révoquer - dans le sens d’une annulation ou modification 1 Voir trib. adm. 23 octobre 2003, n° 15558, Pas. adm. 2012, V° Urbanisme, n° 576.
d’une décision administrative avec effet pour l’avenir seulement - ou de modifier un permis de construire antérieurement délivré2.
Dès lors, le tribunal ne procèdera pas à l’analyse de la légalité des autorisations de construire délivrées le 5 août 2011, respectivement le 16 septembre 2011, son examen se limitant à la vérification de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base des décisions portant, respectivement confirmant, la fermeture de chantier.
Comme il a été souligné ci-avant un arrêté de fermeture de chantier s'analyse en une mesure de police communale dévolue au seul bourgmestre en application de l'article 67 de la loi communale du 13 décembre 1988 telle que modifiée, qui attribue explicitement au bourgmestre la compétence de veiller à l'exécution des lois et règlements de police, dont relèvent tant la législation que la réglementation en matière d'urbanisme3. Force est encore de souligner que la légalité d’un arrêté de fermeture de chantier s’analyse toujours par rapport à la légalité des travaux dont il entend empêcher la continuation, lesdits travaux devant en effet être conformes à l’autorisation de construire dont dispose le maître d’ouvrage.
En l’espèce, il convient de relever que l’arrêté de fermeture de chantier daté du 16 février 2012 repose sur la motivation suivante :
« (…) Vu la décision du 16 septembre 2011, par laquelle Monsieur … Marcel s’est vu délivrer une autorisation de construction et de transformation de l’immeuble sis à l’adresse :
Maison 14, L-9456 …, No. cad. : … ;
Vu l’article 3 de cette autorisation qui indique que les travaux doivent se faire en respect des dispositions légales et réglementaires et vigueur ;
Vu l’article 25 du règlement sur les bâtisses de la commune de Reisdorf qui fixe la marge de reculement arrière minimale, en secteur à caractère rural, à 2,50 mètres ;
Vu le résultat d’un contrôle en date du 15 février 2012 lors duquel il s’est avéré que la distance entre la nouvelle construction et la construction adjacente n’est que de 0,60m ;
Considérant que ceci constitue une violation des dispositions réglementaires en la matière, et plus particulièrement du règlement sur les bâtisses de la commune de Reisdorf (…) ».
Force est dès lors de constater que le bourgmestre a pris l’arrêté de fermeture de chantier litigieux au motif que les travaux effectués ne seraient pas conformes à l’autorisation de construire délivrée à Monsieur … en date du 16 septembre 2011, en ce que cette autorisation de construire aurait exigé que les travaux doivent être exécutés en conformité avec le règlement sur les bâtisses, le bourgmestre ayant plus particulièrement retenu que l’article 25 de ce même règlement des bâtisse n’aurait pas été respecté en l’espèce.
2 Trib. adm. 29 avril 1998, n° 10296, Pas. adm. 2012, V° Procédure non contentieuse, n° 15 et Trib. adm. du 10 juin 2013, n°30589 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu 3 Trib. adm. 25 avril 2012 n°27959 du rôle, Pas. adm. 2012, V°Urbanisme, n°574 L’article 25 du règlement sur les bâtisses dont se prévaut le bourgmestre pour justifier sa décision d’arrêter le chantier de Monsieur … a trait aux prescriptions dimensionnelles à respecter dans les différentes zones d’habitation et impose une marge de reculement arrière minimale de 2,5 mètres dans les secteurs à caractère rural.
Force est cependant de constater que si l’autorisation de construire litigieuse prévoit certes d’une façon générale en son point 3. que son bénéficiaire doit observer strictement les dispositions légales et réglementaires en vigueur, elle contient cependant des dispositions spéciales en ce qui concerne les marges de reculement à respecter par la construction litigieuse, étant donné qu’elle prévoit dans son point 6. que :
« L’intéressé doit respecter les marges d’isolement de part et d’autre, voir les accords des propriétaires des parcelles adjacentes ».
Si l’autorisation de construire du 16 septembre 2011 ne contient en effet aucune indication explicite quant à une renonciation des voisins au respect des marges de recul, tel que l’affirme l’administration communale, force est cependant de constater que la même autorisation de construire prévoit, en ce qui concerne les « marges d’isolement » en général, et dès lors également en ce qui concerne les marges de reculement arrière en particulier, que celles-ci doivent soit respecter les dispositions légales et réglementaires en vigueur, soit être conformes aux accords conclus avec les propriétaires des parcelles adjacentes.
Il résulte tant des développements de part et d’autre, que des pièces versées en cause, que le propriétaire de la parcelle adjacente à celle de Monsieur … et pour laquelle la marge de reculement arrière minimale n’aurait pas été respectée est l’administration communale de Reisdorf.
Il résulte également des pièces versées en cause et plus particulièrement des attestations testimoniales produites par le demandeur et établies d’une part par l’ancien bourgmestre de la commune de Reisdorf, Monsieur …, et d’autre part, par un ancien échevin de la commune de Reisdorf, Monsieur …, que le collège des bourgmestre et échevins, organe qui, d’après l’article 57 point 7° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, est chargé de l’administration des propriétés de la commune, ainsi que de la conservation de ses droits, a donné l’accord à Monsieur … de ne pas respecter la marge de reculement telle que prévue à l’article 25 du règlement sur les bâtisses et d’ériger son immeuble à une distance d’environ 60 centimètres par rapport au mur de soutènement du cimetière.
Si l’administration communale affirme certes que l’attestation de l’ancien bourgmestre serait à rejeter dans la mesure où Monsieur … ne saurait se prononcer sur le contenu d’une autorisation dont il serait lui-même l’auteur, il y a cependant lieu de rappeler qu’aux termes de l'article 405 du Nouveau Code de procédure civile, chacun peut être entendu comme témoin, à l'exception des personnes qui sont frappées d'une incapacité de témoigner en justice. L’abolition par le règlement grand-ducal du 22 août 1985 des causes de reproches inscrites dans l’ancien article 283 du Code de procédure civile a eu pour conséquence que désormais les témoins ayant une communauté d’intérêts avec une des parties ne sont plus reprochables4, de sorte que la capacité de témoigner est la règle et l'incapacité l'exception.
De même, la notion de partie en cause doit être interprétée restrictivement et ne viser en principe que les personnes directement engagées dans l’instance judiciaire. La simple existence d’un lien de parenté ou de subordination entre parties et le témoin, ou encore comme en l’espèce le fait que le témoin est l’auteur de l’acte administratif dont il entend préciser la portée, en l’absence d’autres circonstances rendant suspecte sa déposition faite sous la foi du serment, ne permet pas d’écarter le témoignage d’une personne sous prétexte d’un intérêt matériel ou moral à l’issue du procès découlant de son lien de parenté ou de subordination avec l’une des parties, mais il appartient au juge d’apprécier librement la sincérité d’un témoin, comme d’un attestant.
En l’espèce, il est certain que Monsieur …, en sa qualité d’ancien bourgmestre de la commune de Reisdorf, a délivré l’autorisation de construire du 16 septembre 2011. S’il peut avoir un intérêt moral à l'issue du procès, cette circonstance est à prendre en considération dans l'appréciation de son témoignage, mais cela n’entraîne pas son incapacité de témoigner.
En ce qui concerne plus particulièrement l’appréciation du témoignage de Monsieur …, force est de constater que celui-ci est corroboré par l’attestation testimoniale établie par Monsieur …, ancien membre du collège des bourgmestre et échevins, de sorte que le témoignage est non seulement à prendre en considération, mais est également à déclarer pertinent.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements de l’administration communale selon lesquels le bourgmestre, même s’il n’était pas à considérer comme partie au litige, ne saurait néanmoins pas pour autant déposer comme témoin dans le litige opposant le particulier à la commune au sujet du permis refusé, étant donné qu'ainsi il pourrait déposer sous serment sur les raisons l'ayant amené à prendre la décision attaquée, et qu'il serait ainsi réservé à l'auteur de l'acte critiqué un droit non reconnu à la partie demanderesse, procédé contrevenant aux règles d'un procès équitable et plus particulièrement au principe de l'égalité des armes ensemble celui du respect des droits de la défense, tels qu'ils découlent de l'article 6, alinéa 1er de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, en l’espèce Monsieur … n’est plus bourgmestre de la commune de Reisdorf, et n’est de ce fait pas l’auteur de l’acte attaqué, à savoir l’arrêté de fermeture du chantier du 16 février 2012, mais uniquement l’auteur d’une autorisation de construire antérieure, de sorte qu’aucune violation de l’égalité des armes ne pourrait être alléguée en l’espèce.
Au vu des considérations qui précèdent, l’arrêté de fermeture de chantier déféré n’est pas justifié en ce qu’il a retenu que Monsieur … aurait dû respecter la marge de recul arrière minimale de 2,50 mètres telle que prévue à l’article 25 du règlement sur les bâtisses de la commune de Reisdorf, Monsieur … ayant en effet bénéficié, conformément à l’article 25 du règlement sur les bâtisses, pris en son point 6, de l’accord de son voisin pour déroger à la marge de reculement réglementaire.
4 Th. Hoscheit, Chronique de droit judiciaire privé : les témoins, Pas. 32, p. 9 et Trib. adm. du 10 juin 2013, n°30589 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu Finalement, et en ce qui concerne l’affirmation de l’administration communale selon laquelle l’arrêté de fermeture de chantier serait encore justifié par le fait que les deux autorisations de construire délivrées à Monsieur … se référeraient expressément à un garage double, alors qu’il résulterait des photos versées en cause que le demandeur semble « vouloir implanter un étage supérieur sur ce garage pour probablement aménager ce dernier à des fins d’habitation », il y a lieu de souligner que si l’autorisation de construire délivrée en date du 5 août 2011 vise certes la construction d’un double garage, l’autorisation du 16 septembre 2011, autorisation à laquelle l’arrêté de fermeture de chantier fait expressément référence, vise quant à elle la transformation et l’agrandissement d’un garage, de sorte que l’administration communale est malvenue d’alléguer le non-respect de l’autorisation de construire du 16 septembre 2011 sur ce point, non-respect d’ailleurs non établi, mais uniquement hypothétique, comme en témoigne l’utilisation par la commune du verbe « semble ».
C’est dès lors à tort que le bourgmestre a ordonné la fermeture dudit chantier sur base d’une prétendue l’illégalité des travaux de construction réalisés, de sorte que l’arrêté du bourgmestre du 16 février 2012, de même que la décision confirmative du 18 mai 2012, encourent l’annulation.
Monsieur … sollicite la condamnation de l’administration communale de Reisdorf au paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500,- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Cette demande est cependant à rejeter étant donné que la partie demanderesse omet de spécifier la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à sa charge, la simple référence à l’article de la loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement reçoit le recours en annulation introduit à titre principal en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant annule l’arrêté de fermeture de chantier du bourgmestre de la commune de Reisdorf du 16 février 2012, ainsi que la décision confirmative du même bourgmestre du 18 mai 2012 ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en réformation introduit à titre subsidiaire ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure condamne l’administration communale de Reisdorf aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2013 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit s. Schmit s. Sünnen 10