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27/06/2013 | LUXEMBOURG | N°31543

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2013, 31543


Tribunal administratif N° 31543 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2012 2e chambre Audience publique du 27 juin 2013 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31543 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2012 par Maître Frank Wies, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N° 31543 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 octobre 2012 2e chambre Audience publique du 27 juin 2013 Recours formé par Monsieur ….. et consorts, contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 31543 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2012 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le … à … (Albanie) et de son épouse Madame ….., née le …. à …, agissant en leur nom propre ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs ….. ….., né le … à … et ….. ….., né le … à …, tous de nationalité albanaise et demeurant actuellement ensemble à …., tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 18 septembre 2012 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2012 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank Wies et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juin 2013.

Le 5 juin 2012, Monsieur ….. et son épouse, Madame ….. agissant en leur nom propre ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs ….. ….. et ….. ….., désignés ci-

après par « les consorts ….. », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des consorts ….. sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du 6 juin 2012.

Monsieur ….. et Madame ….. furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, en date du 23 juillet 2012, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

Par décision du 18 septembre 2012, notifiée par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts ….. que leur demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères en date du 5 juin 2012.

En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 juin 2012 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères du 23 juillet 2012.

Monsieur, il résulte de vos déclarations qu'en 1999 lors des élections en Albanie, des membres du parti démocratique vous auraient invité à devenir secrétaire général d'une des onze divisions du parti. Dans votre département, il y aurait 40 à 50 % de Roms. Le parti vous aurait promis de loger les Roms et de régler le problème de l'absence d'eau. Cependant, le parti socialiste aurait remporté les élections.

Vous continuez vos dires en indiquant qu'en 2009, le parti démocratique aurait gagné les élections. Après cette victoire, vos problèmes auraient commencé. Les Roms auraient voulu que vous teniez les promesses relatives aux logements. Vous déclarez que vous n'auriez pas les études nécessaires pour assurer cette tâche et que vous auriez donc consulté les membres du parti démocratique. Ils vous auraient toujours dit qu'ils allaient régler les problèmes, mais ils n'auraient pas tenu leur promesse.

Deux mois avant les élections locales en 2011, le parti démocratique vous aurait convoqué pour que vous l'aidiez à gagner les élections. Vous leur auriez dit que vous ne pourriez pas les aider parce qu'ils n'auraient pas tenu leurs promesses en 1999. Toutefois, ils vous auraient promis qu'ils allaient vous trouver un travail et qu'ils allaient s'occuper des problèmes des Roms. Vous auriez été d'accord sous condition de pouvoir créer une association pour les Roms. Ils vous auraient donné le feu vert et ils vous auraient promis qu'ils allaient vous aider à réaliser tous les projets que vous auriez en relation avec les Roms.

En mars 2011, vous auriez créé une association pour les Roms « Rromano Gi ». Deux à trois mois avant les élections, vous auriez voulu ouvrir une cantine pour les Roms. En avril 2011, vous seriez donc allé chez les membres du parti politique pour qu'ils approuvent ce projet. Vous auriez obtenu l'accord du délégué du premier ministre, mais les fonds pour construire la cantine seraient passés à travers la commune. Or, la commune par laquelle les fonds auraient dû passer aurait été contrôlée par le parti socialiste. Vous auriez donc dû attendre les résultats des élections de mai 2011, qui auraient été remportées par le parti démocratique. En septembre 2011, vous vous seriez adressé au maire de votre commune, ….., pour qu'il approuve le projet. Cependant, ce dernier vous aurait répondu qu'il ne pourrait rien faire car il aurait d'autres priorités.

Vous déclarez que vous seriez au courant que la commune aurait reçu des fonds pour financer des projets liés aux Roms. Vous auriez entendu de la directrice des Affaires sociales à Tirana que l'Albanie aurait reçu beaucoup d'argent pour les Roms, mais que personne ne réclamerait cet argent. Ils auraient reçu 500.000.000. euros du conseil américain et 400.000.000 euros d'une association américaine.

Vu que le maire n'aurait pas accordé le premier projet, vous lui auriez proposé de lancer un projet pour les Roms illettrés. Or, ce projet aurait également été rejeté.

En avril 2012, lors d'une réunion du parti démocratique, vous auriez demandé aux membres pourquoi les fonds n'auraient jamais été utilisés et qu'est-ce qu'ils en feraient. Vous auriez aussi demandé pourquoi ils collaboreraient avec d'autres associations pour les Roms, comme « Sh.K.E.I » ou « ADRA. », mais pas avec la vôtre. Vous affirmez que les dirigeants des partis démocratiques créeraient des associations qui seraient dirigées par des membres de leurs familles afin de pouvoir indirectement toucher les fonds.

Après cette réunion, vous vous seriez adressé au Ministre Spiro KSERA pour créer « l'Union Rome d'Albanie ». Vous auriez aussi voulu chercher un député qui pourrait représenter les Roms au Parlement. Or, le ministre aurait refusé ce projet et vous auriez donc voulu obtenir des fonds ailleurs. Vous lui aurait dit que vous voudriez organiser une manifestation pour protester contre les mauvaises conditions de vie des Roms.

Le 7 mai 2012, aux alentours de la période où vous auriez organisé la manifestation, vous auriez reçu des menaces téléphoniques sur votre téléphone portable. On vous aurait dit d'abandonner tous vos projets, de vous rappeler que vous auriez une épouse et des enfants et que votre vie serait un enfer si vous mentionniez de nouveau certaines associations pour les Roms.

Le 9 mai 2012, vous auriez été à deux reprises menacé et insulté par téléphone par des personnes anonymes. Vous auriez par la suite débranché le téléphone. Vous ne vous seriez pourtant pas adressé à la police puisque celle-ci ne ferait rien et parce que vous n'auriez pas voulu aggraver la situation.

Vous affirmez que vous auriez essayé de trouver une solution et d'aller vous installer autre part, mais ça n'aurait pas été possible. Vous pensez qu'ils [les membres du parti démocratique, les fonctionnaires de la commune, les membres des associations] pourraient vous trouver partout.

Vous indiquez que les Roms seraient maltraités et violés en Albanie. Ils vivraient dans des conditions misérables et ils n'auraient pas de droits. Selon vos dires, les baraques d'une cinquantaine de personne auraient été brûlées, mais l'Etat n'aurait rien entrepris afin de condamner les malfaiteurs.

Selon vos dires, les lois ne fonctionneraient pas en Albanie et vous ne seriez donc pas protégé.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous précisez que celui-ci ne se serait pas adressé à la police parce que la police ferait part du parti (sic) démocratique.

Vous ne faites pas état d'autres problèmes dans votre pays d'origine.

Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En tout état de cause, les faits exposés ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, vos demandes de protection internationale ne sont basées sur aucun des motifs définis par lesdites Convention et loi.

Monsieur, vous déclarez que vous auriez subi des menaces téléphoniques par des personnes inconnues suite à votre engagement pour les Roms. Cependant, vous ne vous seriez pas adressé à la police parce que selon vos dires elle ne ferait rien et parce que vous n'auriez pas voulu aggraver la situation. Or, s'agissant d'actes émanant de personnes privées, notamment de personnes inconnues, un crime commis par des tiers peut être considéré comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous admettez vous-même que vous n'auriez pas sollicité l'aide des autorités de votre pays. Il ne peut donc pas être établi que ces dernières auraient refusé de vous fournir une quelconque protection à l'encontre des menaces téléphoniques dont vous auriez été victime. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

Ajoutons également que vous indiquez d'un côté que des personnes inconnues auraient toujours appelé sur votre téléphone portable (p. 5/11) et d'un autre côté que vous auriez débranché le téléphone afin d'éviter d'autres appels menaçants (p. 5/11). Force est donc de constater que cette contradiction entache la crédibilité de votre récit et ne nous permet pas d'établir de façon probante que vous ayez été victime d'un acte de persécution ou d'une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Quoi qu'il en soit, vous indiquez que vous n'auriez pas porté plainte auprès de la police parce que ça ne vaudrait pas la peine. Or, en ce qui concerne l'accès à la protection des autorités, il convient de mentionner un extrait de la loi albanaise no. 8224 sur l'organisation et le fonctionnement de la police municipale : « (…) are mandated to perform functions that "serve the public order, tranquillity, and the progress of public works within the territory of the municipality or commune, [and] which are not under the competence of other state authorities in compliance with the provisions of this law ». Force est ainsi de constater qu'une police de municipalité locale est en place pour répondre aux problèmes émanant de la société civile. Ces unités sont indépendantes des autorités étatiques et peuvent mieux répondre aux besoins et soucis de la population. Il est aussi évident que les instances nécessaires sont en place pour traiter vos problèmes. Il ne peut donc être établi que les autorités nationales auraient refusé de prendre en compte vos problèmes.

Madame, Monsieur, vous indiquez aussi que la police serait corrompue. Cependant, bien que la corruption existe encore en Albanie, des mesures ont été prises pour contrer la corruption au sein de la police comme le note le rapport de l'« Immigration and Refugee board of Canada » le 5 octobre 2011: « L'International Narcotics Control Strategy Report souligne qu'en 2009 et au cours de la première moitié de 2010, l'appareil judiciaire et la police de l'Albanie ont intensifié leurs efforts pour combattre la corruption chez les agents chargés de l'application de la loi (É.-U. mars 2011, sect. 8.4). L'International Narcotics Control Strategy Report mentionne également qu'en mai 2010, une Direction des inspections a été créée au sein du Service de contrôle interne (Internal Control Service - ICS) du ministère de l'Intérieur de l'Albanie pour s'attaquer à la corruption au sein de la police (ibid.). La Commission européenne fait également mention de la création de PICS, soulignant qu'elle a connu un certain succès dans sa lutte contre la corruption au sein de la police, en particulier avec [traduction] « les cas de corruption mineurs » et contre les agents de la circulation qui acceptaient des pots-de-vin (UE 9 nov. 2010, 22). L'International Narcotics Control Strategy Report signale qu'en 2010, 61 plaintes au criminel concernant 111 policiers, y compris 28 superviseurs et un cadre intermédiaire, ont été transmises en vue de poursuites judiciaires (É.-U. mars 2011, sect. 8.4). De plus, le rapport précise que 25 policiers ont été arrêtés relativement à des accusations de [traduction] « corruption et d'abus de pouvoir » (ibid.). » Ajoutons que très récemment en date du 29 juin 2012 le procureur général albanais et l'audit suprême de l'Etat ont signé un accord sur la lutte contre la corruption au niveau de la coopération institutionnelle : « Chief Prosecutor Ina Rama and chairman of Supreme State Audit Bujar Leskaj signed on June 29 an agreement of institutional cooperation in the fight against corruption. Rama commended the agreement of cooperation with Supreme State Audit stressing that it testifies to the joint will of both institutions to properly perform the functions defined by law. According to her, Supreme State Audit has the power to conduct audits in state administration as to the way the budget funds are invested, whereas the prosecution office has the power to start legal proceedings in cases of abuse by officials. » Monsieur, vous affirmez que les lois en Albanie ne seraient pas appliquées et que vous ne seriez par conséquent pas protégé. Or, le gouvernement albanais est dans un processus de refonte législative en vue de rapprocher le système judiciaire des normes prévues par l'Union Européenne et renforce leur capacités. En effet, le rapport de la Commission Européenne de 2011 souligne que « There has been some limited progress in completing the legal framework for judicial reform. A Judicial Reform Strategy and Action Plan, consulted with a broad group of stakeholders were adopted in July. They form a good basis for reform efforts.

Adoption but also implementation of the strategy and action plan is a key priority of the Opinion. (…)Regarding the professionalism of the judiciary, efforts have been made to align the work of the High Council of Justice (HCJ) with European standards by means of amending the evaluation system for judges, improving the reasoning behind appointment decisions taken by the HCJ and the creation of a Commission on transfers, promotion and appointment of judges. The effectiveness of the changes made to the evaluation system now needs to be verified in practice. » De plus, le Groupe d'Etats contre la corruption, dont l'Albanie est membre, souligne déjà en 2009 lors de son rapport que la corruption est contrée par un large éventail de mesures légales dont (sic) chacun peut faire appel : « En Albanie, la corruption dans les secteurs public et privé, ainsi que le trafic d'influence, sont criminalisés sous leur forme tant active que passive. Suite à des amendements législatifs en 2004, les dispositions pertinentes du Code pénal albanais de 1995 (ci-après, CP) satisfont dans une large mesure aux exigences de la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173) (ci-après, la Convention) et de son Protocole additionnel (STE n° 191) en cours de révision. Il est clair que les dispositions pertinentes relatives à la corruption dans le secteur public couvrent les différents types de pratiques de corruption énumérés dans la Convention (fait de promettre, d'offrir ou de donner ainsi que fait de demander, recevoir ou accepter), la corruption directe et la corruption indirecte, ainsi que les tiers bénéficiaires. Il convient de noter que les amendements de 2004 (suivis ultérieurement par des amendements additionnels) visaient à adapter la législation nationale aux normes internationales, notamment les normes de la Convention, et qu'un système complètement nouveau d'infractions de corruption a ainsi été établi. Le système actuel comprend en tout dix dispositions sur la corruption (que complètent des dispositions relatives au trafic d'influence et à l'abus d'autorité), y compris des dispositions de base sur la corruption dans le secteur public ainsi que des dispositions spécifiques relatives à la corruption de hauts fonctionnaires de l'Etat et élus locaux, juges, procureurs et employés des organes judiciaires, à la corruption active de témoins, experts ou traducteurs, à la corruption dans le cadre d'un processus électoral et à la corruption dans le secteur privé. L'EEG (Equipe d'Evaluation du GRECO) reconnaît l'esprit de coopération des autorités et leur volonté de s'adapter aux nouveaux défis, que reflète la vaste réforme judiciaire décrite plus haut et que la visite sur place a permis de constater. (…) A propos de l'application pratique des dispositions du droit albanais sur la corruption et le trafic d'influence, les incriminations contenues dans le Code pénal semblent établir une base assez solide pour les poursuites et les décisions concernant les infractions de corruption (…). (…) Le cadre juridique albanais d'incrimination de la corruption est dans une large mesure conforme aux exigences de la Convention pénale sur la corruption (STE n° 173). Avec la réforme du Code pénal en 2004, qui a introduit des dispositions révisées à fond sur la corruption dans le secteur public ainsi que des dispositions tout à fait nouvelles sur la corruption dans le secteur privé et sur le trafic d'influence, l'Albanie a fait montre d'une volonté sérieuse d'adopter les normes établies par la Convention. » Monsieur, vous indiquez que vous auriez voulu organiser des projets pour les Roms, mais qu'ils auraient tous été rejetés. Cependant, vous auriez pu vous adresser au médiateur pour faire valoir vos doléances. En ce qui concerne la promotion et l'exécution des droits de l'homme, le Bureau de l'Ombudsman (The People's Advocate) est la principale institution nationale. Il joue un rôle actif dans le suivi de la situation des droits de l'homme en Albanie et contribue à accroître la responsabilisation des institutions de l'Etat. Le médiateur est élu par le parlement à la majorité qualifiée. Les principaux domaines dans lesquels le médiateur est intervenu concernent les litiges de propriété, l'abus de la police, la longueur excessive des procédures judiciaires, la non-exécution des jugements en matière civile et licenciements abusifs. Il a également à plusieurs reprises exprimé une préoccupation particulière sur les conditions inadéquates dans les prisons, les centres de détention provisoire et les postes de police, de la corruption dans la magistrature et des conditions de vie difficiles de la minorité Rom. Très récemment le 3 avril 2012, l'OSCE se félicite du travail exceptionnel fait par le médiateur albanais qui s'est établi comme acteur incontournable dans la promotion et défense des droits sociaux et civils : « I am happy [to] share the view with many others that the People's Advocate has proven to be one of the most important institutions in the country in this regard, also embedded in Albania's constitution: it is a safeguard for the rights of all citizens from the actions or failure to act of the public administration. The OSCE Presence in Albania has supported the activity of the People's Advocate since the creation of this office and, in our opinion, this institution has become a key actor in the protection of people's rights. In the past, the People's Advocate has set an example in being impartial and politically unbiased while investigating professionally cases of violations of human rights. » Monsieur, vous soutenez également que les organisations pour les Roms seraient créées par les membres de l'Etat albanais et qu'ils encaisseraient les fonds (p. 4/11). Or, en ce qui concerne ADRA, organisation que vous mentionnez vous-même, force est de relever que "While ADRA International partners with governments on projects, ADRA is free to determine what projects and initiatives it will undertake. That decision is based on what will best meet the needs of the people it is serving. The acceptance of funds places ADRA in a mutually beneficial partnership. ADRA designs a proposal in cooperation with a community, which is then reviewed and accepted by the government funder. The program's objectives and activities are developed by ADRA, and once the government funder has approved them, they become the results that ADRA agrees to achieve. Government-funded projects are independently audited and regular financial reports are submitted. They are also independently evaluated. This assures you that your tax dollars are being used to meet the needs of the people as intended".

En outre, vous auriez entendu de la directrice des Affaires sociales à Tirana que l'Albanie aurait reçu beaucoup d'argent pour les Roms, mais que personne ne réclamerait cet argent. Ils auraient reçu 500 000 000.- euros du conseil américain et 400 000 000.- euros d'une association américaine. Nonobstant le fait qu'il est peu probable que le gouvernement américain ait donné de telles sommes, il y a lieu de noter que les fonds qui proviennent d'organisations comme USAID sont utilisés pour réaliser des projets sur l'étendu du territoire de l'Albanie et sont couronnés de succès. Ainsi, on ne peut constater un quelconque détournement de fonds.

Selon vos dires, les Roms seraient maltraités et violés en Albanie. Ils vivraient dans des conditions misérables et ils n'auraient pas de droits. Les baraques d'une cinquantaine de personne auraient été brûlées, mais l'Etat n'aurait rien entrepris afin de condamner les malfaiteurs. Cependant, vous restez en défaut d'étayer un lien entre ces faits et les éléments liés à votre personne. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de soulever les efforts du gouvernement albanais à offrir aux minorités, notamment les Roms, des possibilités de logement en leur faveur par le biais de programmes spéciaux : « The "social housing programs" are those programs that help house families and individuals who are not able economically and socially to afford the offers of the housing or loan market. Social housing programs are classified into three categories: a) Programs of rented social apartments; b) Programs of low-cost apartments; c) Programs of supplying the terrain with infrastructure. The program of rented social apartments is one of the broadest and creates most opportunities for communities in need and vulnerable groups. ». Il y a donc force de constater que les minorités en Albanie ont des moyens à trouver des domiciles avec l'assistance du gouvernement.

De plus, concernant la situation des droits de l'homme en Albanie, l'OSCE souligne la détermination du gouvernement albanais à mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits de l'homme : « The OSCE Presence in Albania sees through its trustful work with the Albanian government that the protection of human rights is at the forefront of Albania's endeavours and that Albania is fully committed to guarantee that human rights principles are integral part of its policies in implementation of its modern and highly commendable legal framework ».

En ce qui concerne les pièces versées, il y a lieu de noter que l'acte de création de l'association « Rromano Gi », le jugement du tribunal, le statut de l'association, le procès verbal, ainsi que le programme, ne sont pas pertinents dans l'analyse de votre dossier. En effet, ces pièces ne permettent nullement d'établir de façon probante que vous ayez été victime d'un acte de persécution ou d'une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, à cela s'ajoute que selon l'article 1 (1) du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre pays d'origine, l'Albanie doit être considérée comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21 de la prédite loi, les conditions du point c) de l'article 20§1 étant donc également remplies. L'analyse individuelle de votre situation ne permet pas de contredire ce constat.

En tout état de cause, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

Etant donné que les faits invoqués à la base de vos demandes de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir la protection subsidiaire.

Par conséquent, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2012, les consorts ….. ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 18 septembre 2012 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.

1) Quant au recours en réformation de la décision du ministre du 18 septembre 2012 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur demande de protection internationale, les consorts ….., de nationalité albanaise et d’ethnie rom, exposent qu’en 1999 des membres du parti démocratique auraient prié le demandeur de les rejoindre et de les soutenir lors des élections, puisqu’il aurait été respecté parmi la communauté des roms. Il aurait été nommé secrétaire général d’une division du parti démocratique. En contrepartie de son engagement politique, le parti démocratique aurait promis au demandeur de s’occuper de la problématique du logement des roms et d’améliorer, de manière générale, les conditions de vie des roms habitant dans le quartier de Monsieur ….., où la plupart d’entre eux auraient vécu dans des tentes sans connexion au réseau électrique. Cependant lorsqu’en 2009 le parti démocratique aurait gagné les élections, il n’aurait pas tenu ses promesses et ne se serait pas occupé des problèmes de logement des roms. En 2011, des membres du parti démocratique auraient de nouveau demandé à Monsieur ….. de les soutenir en lui promettant que cette fois-ci ils s’occuperaient des roms. Monsieur ….. aurait accepté de les soutenir de nouveau sous la condition qu’il soit autorisé à créer une association pour la défense des droits des roms. Le parti démocratique lui aurait permis de créer ladite association et lui aurait promis de soutenir tous ses projets. Il aurait alors crée une association dénommée « Rromano Gi » et son premier projet aurait été la construction d’une cantine pour les roms. Si Monsieur ….. aurait obtenu l’accord du ministère pour son projet, son propre parti s’y serait cependant opposé. Monsieur ….. déclare avoir par la suite présenté à son parti un projet concernant 40 personnes illettrées pour lesquelles il aurait sollicité un local et un professeur. Toutefois ce projet aurait également été refusé. En avril 2012, lors d’une réunion du parti démocratique Monsieur ….. aurait alors pris la parole et dénoncé ouvertement le comportement du parti démocratique. Il aurait reproché aux dirigeants du parti de ne collaborer exclusivement qu’avec deux associations, à savoir la SH.K.E.I. et l’A.D.R.A. qui s’occuperaient des roms et ce pour la simple raison que ces associations seraient corrompues et que les dirigeants politiques en profiteraient pour détourner des fonds reçus notamment par l’Union européenne pour soutenir les roms. Les demandeurs déclarent que le 7 et le 9 mai 2012, Monsieur ….. aurait reçu des appels téléphoniques lors desquels une personne anonyme lui aurait dit d’arrêter toutes ses activités visant à soutenir les roms et l’aurait insulté et même menacé de tuer ses enfants et sa femme s’il poursuivait son engagement. Les demandeurs n’auraient pas voulu dénoncer ces appels téléphoniques à la police albanaise puisque celle-ci serait corrompue et qu’ils auraient estimé qu’ils pourraient aggraver leur situation en dénonçant les faits. Ils auraient alors décidé de quitter leur pays d’origine et de rejoindre le Luxembourg.

En droit, ils estiment que les roms feraient l’objet d’une marginalisation sociale et économique significative en Albanie. Ils reprochent, notamment, au ministre de s’être procuré ses informations sur l’association A.D.R.A. du site internet même de cette organisation en argumentant qu’il n’aurait pas pu obtenir d’informations « sur des faits de corruption de la bouche des corrompus ». Ils soutiennent, de manière générale, que la corruption gangrènerait les institutions albanaises, en citant un rapport du United States Department of State, intitulé « Country Reports on Human Rights Practices – Albania » du 24 mai 2012 et en se référant à une manifestation de janvier 2011 où plusieurs manifestants auraient été tués par balle par des policiers albanais. Ils estiment que le ministre ne se serait fondé que sur la législation albanaise pour affirmer que les infractions de corruption seraient poursuivies en Albanie sans avoir pris en compte qu’en fait les lois ne seraient pas respectées en Albanie et qu’elles seraient dès lors dépourvues d’effet.

Le délégué du gouvernement estime de prime abord que les faits invoqués par les demandeurs ne constitueraient pas des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique. Ainsi, les menaces téléphoniques reçues par les demandeurs auraient été proférées par des personnes privées qui ne pourraient être considérées comme agents persécuteurs au sens de la loi du 5 mai 2006 qu’au cas où il serait établi que les autorités locales n’auraient pas pu ou voulu protéger les demandeurs. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce étant donné que les demandeurs ne se seraient jamais adressés aux autorités locales et que ces dernières n’auraient dès lors pas été au courant des menaces dont les demandeurs auraient été victimes.

Le délégué du gouvernement ajoute que même si la police aurait refusé de protéger les demandeurs, il serait établi que la loi albanaise contiendrait des mesures pour porter plainte contre un agent de police en cas d’abus de pouvoir. En se référant à la jurisprudence des juridictions administratives le délégué du gouvernement fait encore valoir qu’il ne pourrait pas être exigé un taux de résolution et de sanction des infractions de 100% Quant à la situation générale des roms en Albanie, le délégué du gouvernement fait valoir que la seule appartenance à une minorité ethnique n’est pas en soi suffisante pour en tirer la conclusion que tout membre serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Or, en l’espèce, les demandeurs n’auraient pas établi qu’ils risqueraient de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance à l’ethnie rom. Le délégué du gouvernement estime encore que les autorités albanaises auraient entrepris des efforts pour améliorer le fonctionnement du système judiciaire et policier et pour lutter contre la corruption.

En ce qui concerne le problème de la corruption invoqué par les demandeurs, le délégué du gouvernement fait valoir que s’il existerait toujours en Albanie, des mesures auraient été prises pour le contrer et il renvoie dans ce contexte à un rapport du 5 octobre 2011 du « Immigration and Refugee Board of Canada ».

Le délégué du gouvernement ajoute qu’aux termes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 et du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, l’Albanie serait à considérer comme pays d’origine sûr.

Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l'article 2 c) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. (…) » Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection peut être accordée par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci.

(2) Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » L’octroi du statut de réfugié est donc notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, il ressort des déclarations des demandeurs telles qu’actées aux rapports d’audition respectifs que les faits qui les ont amenés à quitter leur pays d’origine sont motivés par des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir, d’une part, le fait que leurs opinions ne sont pas tolérés par le parti démocratique actuellement au pouvoir en Albanie puisqu’elles constituent des critiques aux méthodes employées par le pouvoir et, d’autre part, le fait de ne pas pouvoir exercer librement des activités au sein d’une association pour la défense des droits des roms. Ainsi, les menaces que les demandeurs déclarent avoir subi de la part de personnes inconnues, en raison de l’engagement de Monsieur ….. pour la défense des droits des roms et en raison du fait que Monsieur ….. a dénoncé certains actes de corruption soutenus par le parti démocratique, constituent des motifs qui s’inscrivent sur une toile de fond politique et pouvant ainsi justifier la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’il s’agit d’actes dont la motivation des auteurs se fonde sur un des critères de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Force est de constater que les demandeurs ont fait état de manière crédible que Monsieur ….. aurait été membre du parti démocratique et qu’il aurait accepté de s’engager dans ce parti politique uniquement en contrepartie de la promesse que le parti démocratique, une fois au pouvoir irait s’occuper de la situation des roms en Albanie. Les demandeurs ont encore versé en cause des pièces, non contestées par la partie étatique, desquelles il ressort que Monsieur ….. aurait participé à la création d’une association dénommée « Rromano Gi », luttant pour la défense des droits des roms en Albanie. Les demandeurs ont, par ailleurs, fait état de manière crédible du fait que l’association crée par Monsieur ….. n’a obtenu aucun soutien de son propre parti, lorsque Monsieur ….. aurait sollicité des fonds pour construire une cantine pour les roms, ni lorsqu’il a sollicité la mise à disposition d’un local et d’un professeur pour organiser des cours pour des roms illettrés. Il ressort encore des déclarations des demandeurs que Monsieur ….. aurait dénoncé ouvertement lors d’une réunion du parti démocratique en avril 2012 les agissements des membres du parti démocratique au pouvoir, à savoir le fait qu’ils refuseraient toute aide au roms et le fait qu’il soupçonnerait les deux associations qui lutteraient officiellement pour les droits des roms en Albanie et qui bénéficieraient du soutient du gouvernement d’être corrompues et de détourner les fonds qu’elles recevraient pour soutenir les roms au profit des dirigeants du parti démocratique. Les demandeurs ont fait état de manière crédible du fait que Monsieur ….. s’est adressé en mai 2012 au ministre Spiro Ksera pour solliciter des fonds pour une nouvelle association qu’il voulait créer appelée « L’Union Rom d’Albanie » et ayant pour objectif de dénoncer les malversations et le vol de fonds destinés à la communauté rom et que, face au refus du ministre, il aurait menacé ce dernier d’organiser des manifestations pour protester contre la politique du gouvernement. Il ressort, enfin, des déclarations des demandeurs que peu de temps après l’entrevue de Monsieur ….. avec le ministre et lorsqu’il aurait été en train de préparer les manifestations contre le gouvernement, à savoir le 7 et le 9 mai 2012, ils auraient reçu deux appels téléphoniques de la part d’une personne inconnue qui aurait enjoint à Monsieur ….. d’abandonner ses engagements et qui l’aurait menacé de tuer ses enfants et sa femme. Eu égard à l’engagement de Monsieur ….. pour les droits des roms et aux menaces qu’il a subies, suite à la dénonciation ouverte des agissements des membres du parti démocratique au pouvoir, le tribunal est amené à retenir que les demandeurs peuvent craindre avec raison de risquer des persécutions graves en cas de retour dans leur pays d’origine, au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006.

Au vu des considérations qui précèdent, force est dès lors au tribunal de constater que les actes invoqués par les demandeurs à la base de leur demande de protection internationale sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 et que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006.

Cependant, tel qu’énoncé ci-avant, l’octroi du statut de réfugié est subordonné à une troisième condition, à savoir celle que les actes invoqués émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

En l’espèce, les demandeurs font état de menaces émanant d’une personne anonyme, c’est-à-dire, d’une personne dont il ne peut pas être exclue qu’elle soit une personne privée, de sorte qu’il y a lieu de vérifier si les autorités albanaises ne pouvaient ou ne voulaient pas leur accorder de protection.

A cet égard, les demandeurs ont déclaré lors de leurs auditions respectives qu’ils n’auraient pas pu requérir l’aide de la police albanaise puisqu’elle ne ferait rien, que les lois seraient dépourvues d’effet en Albanie et qu’ils n’auraient pas pu exclure que la personne qui les avait menacés par téléphone aurait été un agent policier. Il ressort, par ailleurs, des développements des demandeurs contenues dans leur requête introductive d’instance, ainsi que dans le rapport de la UK Border Agency concernant l’Albanie, intitulé « Securing our Border Controlling Migration » du 30 mars 2012, dans un rapport du United States Department of State, intitulé « Country Reports on Human Rights Practices – Albania » du 24 mai 2012 et dans un rapport de l’organisation Freedom House du 4 juin 2012, intitulé « Freedom in the World 2012- Albania » que la liberté d’association, bien qu’elle soit légalement garantie en Albanie n’est pas entièrement respectée dans la mesure où il existe le phénomène de la « coerced assembly », c’est-à-dire de « l’association contrainte », consistant dans le fait à obliger les fonctionnaires du secteur public d’assister à des manifestations officielles du parti démocratique sous la menace d’être licencié. Il ressort des mêmes rapports que les agents de police imposeraient le respect des lois en fonction des relations politiques ou même criminelles des personnes concernées. Les rapports versés en cause par les demandeurs font encore état du fait qu’en janvier 2011 le premier ministre albanais Ilir Meta du parti démocratique aurait dû démissionner en raison d’une affaire de corruption et que ce scandale aurait suscité des manifestations du parti d’opposition, qui aurait été violemment réprimées par les force de l’ordre, de sorte que trois manifestants auraient été tués sous les coups de feu des policiers. Enfin, il ressort des rapports versés en cause par les demandeurs que même si la corruption est officiellement réprimandée en Albanie, le parti démocratique veillerait à maintenir le contrôle sur le système judiciaire pour éviter des poursuites contre les infractions de corruption, on ne mettant pas assez de fonds à disposition des juridictions et en exerçant une pression politique sur elles. Il suit des lors des développements des demandeurs ainsi que des rapports versés en cause par eux qu’en fait la corruption serait largement répandue en Albanie et que la liberté d’association n’y serait pas entièrement garantie.

Sans contester la description de la situation de fait en Albanie, la partie étatique fait essentiellement état de la législation albanaise en citant des extraits de la loi albanaise concernant l’organisation et le fonctionnement de la police municipale, suivant lequel l’accès aux autorités policières serait garanti et la police devrait assurer sa protection aux citoyens. La partie étatique argumente encore en substance que la corruption dans les secteurs publics et privés serait criminalisée sous sa forme active et passive. Les développements de la partie étatique se réfèrent partant à une volonté politique albanaise de lutter contre la corruption, mais ne tiennent pas compte de la situation réelle en Albanie, de sorte que les explications de la partie étatique ne sont pas de nature à énerver les développements des demandeurs et qu’il y a partant lieu de conclure que les autorités albanaises n’ont pas pu ou voulu accorder une protection aux demandeurs.

Il résulte des développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et au vu des moyens invoqués par les demandeurs, que ces derniers prétendent à juste titre à la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. La décision critiquée du 18 septembre 2012 encourt partant la réformation en ce sens, sans qu’il n’y ait lieu de prendre position par rapport au volet de la décision portant refus du statut de protection subsidiaire.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans une décision statuant sur une demande de protection internationale, le recours en annulation introduit contre pareil ordre contenu dans la décision déférée du 18 septembre 2012 est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Aux termes de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut décision de retour.

Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs sont fondés à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer dans cette mesure, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire tel que contenu dans la décision ministérielle déférée du 18 septembre 2012.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale ;

au fond, déclare le recours justifié, partant, par réformation de la décision ministérielle du 18 septembre 2012, reconnaît à Monsieur ….. et à son épouse Madame ….., ainsi qu’à leurs enfants mineurs ….. ….. et ….. ….. le statut de réfugié et renvoie l’affaire devant le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration pour exécution ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié, partant annule l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 18 septembre 2012 ;

donne acte aux demandeurs qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

Françoise Eberhard, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, et lu à l’audience publique du 27 juin 2013 par le vice-président, en présence du greffier Monique Thill.

Monique Thill Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2013 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 31543
Date de la décision : 27/06/2013

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2013-06-27;31543 ?

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